Séance du mercredi 1 juin 2011

SEANCE COMMUNE AVEC L'ECOLE D'APPLICATION DU SERVICE DE SANTE DES ARMEES
15h00-17h00 - Amphithéâtre Rouvillois, Val-de-Grâce
Modérateur : Maurice VERGOS

 

 

Expérience des chirurgiens viscéralistes à l’Hôpital Médico-Chirurgical de Kaboul : une nécessaire polyvalence

BONNET S, DUVERGER V, PONS F (HIA Percy)
Texte intégral : E-Mémoires de l'ANC, 2011, vol. 10 (4), 028-034

Résumé
Introduction : L’Hôpital Médico-Chirurgical (HMC), construit sur le Kabul International Airport (KAIA) par l’OTAN, a été mis en service en Juillet 2009. Le leadership de cet HMC a été confié à la France dans le cadre d’une force multi-nationale avec pour mission prioritaire le soutien médical aux forces de la coalition (International Security Assistance Force = ISAF) et aux forces militaires afghanes (Afghan National Army = ANA, Afghan National Police = ANP). Les spécialités chirurgicales dispensées à l’HMC sont la chirurgie viscérale, l’orthopédie, la neurochirurgie et l’ophtalmologie.
Objectifs du travail : Evaluer qualitativement et quantitativement l’activité des chirurgiens viscéralistes militaires en mission à l’HMC de KAIA depuis l’ouverture de l’hôpital.
Matériels et Méthodes : Sur une période de 18 mois (Juillet 2009 à Décembre 2010), nous avons analysé de façon rétrospective l’activité réalisée par les chirurgiens viscéralistes au sein de l’activité chirurgicale globale réalisée sur l’HMC. Les patients pris en charge étaient soit des militaires de l’ISAF (Français et autres nationalités), soit des militaires Afghans (ANA et ANP), soit des civils non Afghans (ambassades, ONG) ou soit des civils Afghans (Aide Médicale aux Populations = AMP). L’activité chirurgicale des chirurgiens viscéralistes a été subdivisée en « blessés de guerre », « urgences traumatiques non de guerre », « urgences non traumatiques » et « chirurgie réglée ».
Résultats : Sur les 18 premiers mois d’activité de l’HMC, parmi un total de 971 patients opérés réalisant 1510 procédures, 261 patients ont été opérés par les chirurgiens viscéralistes (26,9%) réalisant 438 procédures (29%). Parmi les 261 patients pris en charge, il y avait 30,7% de militaires ISAF (n=80) parmi lesquels 58,8% de militaires français (n=47), 8,4% de militaires afghans (n=22), 53,6% de civils afghans (n=140) et 7,3% de civils d’autres nationalités (n=19). Les hommes représentaient 78,2% des patients pris en charge (n=204), les femmes 12,3% (n=32) et les enfants 9,6% (n=25). Les circonstances de prise en charge étaient dans 33,3% des cas des blessés de guerre (n=87), dans 7,7% des cas des urgences traumatiques non de guerre (n=20), dans 30,7% des cas des urgences non traumatiques (n=80) et dans 28,4% des cas de la chirurgie réglée (n=74). Les blessés de guerre étaient des militaires de l’ISAF dans 33,3% des cas (n=29), des militaires afghans dans 19,5% des cas (n=17) et des civils afghans dans 44,8% des cas (n=39). La nature des agents vulnérants était des éclats dans 50% des cas (n=43) et des balles dans 43,7% des cas (n=38). Les lésions rencontrées étaient abdominales dans 48,3% des cas (n=42), thoraciques dans 18,4% des cas (n=16), vasculaires dans 11,5% des cas (n=10), des parties molles dans 19,5% des cas (n=17) et urologiques dans 2,3% des cas (n=2). Dans 56,3% des cas de blessures de guerre, il s’agissait de lésions multiples (n=49). Les urgences traumatiques non de guerre (dans 84,2% des cas au profit des civils afghans) étaient abdominales dans 25% des cas (n=5), thoraciques dans 25% des cas (n=5), vasculaires dans 10% des cas (n=2) et des parties molles dans 35% des cas (n=7). Les urgences non traumatiques (dans 75% des cas au profit des militaires de l’ISAF et des civils non afghans) étaient dominées par les urgences infectieuses : digestives dans 43,8% des cas (n=35), des parties molles dans 31,3% des cas (n=25) et de la marge anale dans 21,3% des cas (n=17). La chirurgie réglée (au profit des civils afghans dans 89,2% des cas) était dominée par la pathologie lithiasique vésiculaire (18,9% des cas), la pathologie herniaire (39,2% des cas) et la pathologie thyroïdienne (9,5% des cas).
Conclusion : Sur les 18 premiers mois d’activité à l’HMC de KAIA, l’activité des chirurgiens viscéralistes représente presque un tiers de l’activité chirurgicale globale (29%), répartie en 40% de blessés de guerre et urgences traumatiques, 30% d’urgences non traumatiques et 30% d’AMP. Pour les blessés de guerre et urgences traumatiques, il s’agit dans la moitié des cas de lésions abdominales (43,9%), mais dans près d’un tiers des cas il s’agit de lésions thoraciques ou vasculaires (30,8%). Cette dernière donnée reflète la nécessaire polyvalence, en termes de gestions des urgences, des chirurgiens digestifs envoyés à l’HMC de KAIA.

 

Syndrome du compartiment abdominal au cours des pancréatites aigües graves

EZANNO AC, MASSOURE MP, SAINT ROMAIN C de, SCHAEFFER E, FETISSOF, SOCKEEL P (Metz)

Résumé
Introduction : Le syndrome du compartiment abdominal (SCA) est initialement décrit au décours de traumatismes abdominaux graves. Désormais il aussi est décrit au décours de pathologies médicales comme la pancréatite aiguë grave (PAG). Il est à l’origine d’un taux de morbi-mortalité conséquent (50-75%). Le but de ce travail est de rapporter 12 cas de SCA associés à une PAG, d’en souligner les difficultés diagnostiques et de prise en charge.
Patients et methodes : Six patients ont été intégrés dans l’étude. Le diagnostic reposait, sur la mesure de la pression intra-vésicale (PIV) et la survenue d’une défaillance d’organe. La chirurgie était discutée pour chaque cas et tenait compte des données clinico-biologiques et des recommandations du moment.
Resultats : Neuf hommes et trois femmes dont l’âge moyen était de 53.6 ans (40 à 74 ans) ont présentés un SCA au décours d’une PAG. Dès le diagnostic de SCA, entre 24 à 216 H après l’hospitalisation, une thérapeutique était discutée. Une aponévrotomie de décharge par laparotomie a été réalisée chez 10 des patients, 1 a été traité par drainage radiologique et le dernier cas est décédé avant tout geste. L’efficacité était appréciée cliniquement par la reprise de la diurèse, la baisse de la PIV et l’amendement de la défaillance d’organe. Des techniques comme le Bogota bag ou VAC abdominal étaient utilisées pour protéger la cavité abdominale. La laparostomie était refermée après stabilisation du patient, en moyenne à 6 jours. Un patient est décédé à 18 jours de décompensation de tares associées. Avec un recul de 6 mois minimum, aucun des patients ne présentaient une éventration.
Discussion : Le SCA a été récemment popularisé dans le monde de la réanimation médicale. Les PAG, pathologies bien connues, sont pourvoyeuses de divers phénomènes physiopathologiques augmentant la pression intra-abdominale (PIA). Malheureusement le traitement de la PAG, reposant sur un remplissage massif, peut être aussi à l’origine d’un SCA. Le SCA aux conséquences locales et générales, est cependant souvent méconnu, dissimulé dans un tableau clinique complexe et non recherché. Le remplissage est alors poursuivi. Une prise en charge simple existe pourtant pour le SCA : souvent chirurgicale, on décrit aussi différentes techniques non-opératoires. Mais de nombreuses questions se posent toujours devant l’absence de consensus : chez qui mesurer la PIV ? Quand réaliser une aponévrotomie de décharge et quelle est la technique à privilégier ?
Conclusion : Le diagnostic de SCA reste simple lorsqu’on sait quelles sont les pathologies pourvoyeuses, mais encore faut-il le rechercher. Il semblerait qu’une intervention précoce permettrait d’améliorer le taux de survie. Pour cela il apparaît peut être nécessaire qu’un monitorage de la PIA soit mis en place chez tous les patients ayant une PAG hospitalisés en réanimation, afin de poser un diagnostic précoce de SCA, et qu’une chirurgie de décompression soit discutée tout comme le remplissage excessif qui peut être délétère.

 

Une nouvelle unité médicale opérationnelle pour les armées françaises : Le Module de Chirurgie Vitale »

BALANDRAUD P, PONS F (HIA Percy)
Texte intégral : E-Mémoires de l'ANC, 2011, vol. 10 (3), 069-071

Résumé
Introduction : Parmi les missions confiées aux forces militaires françaises, certaines sont effectuées de façon ponctuelle, par des unités à faible effectif, et à une distance importante des bases arrière. Ce sont pour la plupart des missions des forces spéciales, celles-ci étant mandatées pour un objectif très précis tel une action de contre-terrorisme ou une libération d’otages.
Jusqu’à maintenant le dispositif de prise en charge des blessés pour ces missions comportait une relève sur les lieux du combat, puis une médicalisation par le médecin d’unité, ce dernier étant le plus souvent un médecin généraliste rompu à la médecine d’urgence. Le blessé était ensuite évacué, sachant que cette évacuation pouvait durer plus de 10 heures. Ce n’est qu’à ce moment que le blessé pouvait être opéré.
Or on connaît bien la place de la chirurgie dans le traitement des blessés de guerre, et on sait que celle-ci doit intervenir le plus tôt possible après la blessure. La précocité de l’acte chirurgical conditionne le résultat fonctionnel, mais aussi vital : La notion de décès évitable est bien étudiée dans les domaines de la traumatologie tant civile que militaire. Les données épidémiologiques actuelles montrent que les décès évitables représentent entre 20 et 30% du total des décès au combat, et que leurs causes sont dans près de 80% des cas des lésions curables par un geste chirurgical. Il importe donc d’apporter un soutien chirurgical au plus près des blessés, y compris dans le cadre des missions des forces spéciales.
Il existe depuis longtemps des unités chirurgicales mobiles, aérotransportables voire parachutables. Ces unités, bien que considérées comme « légères », nécessitent pour fonctionner 12 personnels, et représentent un poids total de 5 tonnes. Cette relative « lourdeur » fait qu’elles ne sont pas utilisables pour de telles missions, et c’est dans ce contexte qu’il nous a été demandé de travailler sur un nouveau type d’unité chirurgicale mobile.
Genèse et développement du projet : Dans un premier temps, le cahier des charges devait être défini. Il résultait de l’équilibre entre une « offre de soins » acceptable et des « contraintes logistiques ».
L’offre de soins consiste en une capacité opératoire pour au moins 1 ou 2 blessés grave, sachant que le nombre de combattants exposés n’excèdera pas plus de 20.
Les contraintes logistiques, imposées par l’état-major, déterminent le poids du matériel et le nombre de personnels. Il faut en outre que l’ensemble soit parachutable sur terre ou en mer.
Après cette définition du cahier des charges, le travail a été poursuivi à partir d’une « feuille blanche ».
Il a été décidé que l’équipe consisterait en deux médecins (un chirurgien viscéral ou thoracique/vasculaire, et un médecin anesthésiste-réanimateur) et en deux infirmiers spécialisés (un infirmier de bloc opératoire et un infirmier anesthésiste).
Concernant le lot, un premier prototype a été assemblé pendant l’été 2009. Ce lot consiste en des boites de chirurgie et en du matériel d’anesthésie et de réanimation, le tout répartis dans 8 conteneurs étanches. L’abri est fourni par une tente gonflable d’une surface de 20 m², et l’électricité est fournie par un groupe électrogène de 2.4 kW – 3 kVA.
La mise en place opérationnelle du module a nécessité un certain nombre d’étapes de validation :
- Validation du matériel chirurgical et anesthésique, sur réacteur biologique.
- Validation du déploiement du module sous tente.
- Validation de la capacité parachutable, sur terre et sur mer.
- Validation du déploiement dans un bâtiment de surface.
- Validation du déploiement dans un avion de transport tactique.
La validation du matériel chirurgical et anesthésique a consisté en la réalisation de procédures de sauvetage : laparotomie d’hémostase, thoracotomie antérieure, abords vasculaires des racines de membres. Ces procédures ont été réalisées en situation réelle, c’est-à-dire sur des modèles animaux, par les 4 personnels, avec les équipements choisis pour armer le lot.
La validation du déploiement sous tente a consisté en des exercices de jour et de nuit (fig. 1). La tente est montée en moins de 10 mn, à l’aide d’un compresseur. Sa surface est de 20 m². Entre les boudins des sangles sont tendues dans le but de suspendre les sacs contenant les matériels. La table opératoire consiste en un système « porte-brancard », sur lequel on dispose directement le brancard du blessé. Sur la table sont fixés les appuie-bras, la table pont et deux scialytiques (fig. 2). Le chirurgien dispose en plus d’une lumière additionnelle par système de lampe frontale. Le « délai opérationnel » , c’est-à-dire le temps écoulé entre le moment où les conteneurs sont mis à disposition et celui où un blessé peut être opéré, est de moins de 30 mn de jour, et de 45 mn de nuit.
La validation de la capacité « aérolargage » s’est faite par largage de l’ensemble du lot sur terre, puis en mer. Les équipements et leurs conteneurs ont été préalablement conditionnés, de sorte à supporter les différents chocs liés au parachutage (sortie de l’avion, ouverture de la voile et choc à l’atterrissage/amerrissage).
Dans le concept de largage en mer, les équipements et les personnels sont « récupérés » par l’intermédiaire d’une embarcation pneumatique, et rejoignent un bâtiment de surface de type frégate. S’ensuit le déploiement dans ce bâtiment, qui se fait soit dans le poste médical si ce dernier le permet, soit directement dans le hangar à hélicoptères (fig. 3).
Enfin, le MCV a été testé dans un avion de transport tactique (ATT). L’ATT consiste en un C160 (Transall) ou un C130 (Hercules). Dans cette formule, le MCV est déployé directement dans l’avion, qui est amené depuis la métropole jusqu’à une base avancée située non loin du théâtre d’opérations. La soute de l’avion est transformée en salle d’opération et de déchoquage, et devient opérationnelle 10 mn après l’atterrissage de l’ATT. La soute est ouverte au niveau de la tranche arrière, l’accueil des blessés se fait à l’arrière. Le déchoquage est disposé juste en avant, enfin la table opératoire à l’extrémité avant, du côté droit de la soute (fig. 4). Le ou les blessés sont ainsi pris en charge, opérés dans la soute, et l’avion décolle peu après la fin de l’intervention, permettant un rapatriement immédiat ou une évacuation secondaire vers une structure plus classique de type antenne chirurgicale ou groupement médicochirurgical.
Conclusion : Le MCV est une nouvelle unité chirurgicale mobile du service de santé des armées, et il actuellement opérationnel. Il est le fruit d’un long travail de réflexion et d’exercices de validation. Son efficience, associée à une empreinte logistique minimale, le rend employable dans un certain nombre de missions des forces spéciales.

 

Les nouveaux systèmes de couverture temporaire de l’abdomen vont-ils modifier la prise en charge de l’abdomen urgent. A propos de 3 observations.

CHAPUIS O (HIA Val de Grâce)

 

Intérêt et indications de la thoracotomie de ressuscitation en chirurgie de guerre. A propos de 5 cas en Afghanistan

PONS F (HIA Percy)

Résumé
Le terme de thoracotomie de ressuscitation (thoracotomie de sauvetage, Emergency Room Thoracotomy, Emergency Department Thoracotomy) désigne une thoracotomie réalisée in extremis chez un patient échappant aux mesures réanimatoires et dont l’évolution serait à priori fatale. Malgré de nombreuses publications les indications et l’efficacité de ces thoracotomies restent encore discutées et difficiles à préciser et de nombreux guidelines ont été proposés. En chirurgie de guerre les indications et les résultats peuvent être différents du contexte civil par les conditions de relève du blessé, de type de blessure et de moyens disponibles. Nous rapportons une série de 5 thoracotomies de ressuscitation faite à l’hôpital médicochirurgical militaire français de Kaboul sur une période de 1 an (1 traumatisme fermé par AVP, 1 polytraumatisme par explosion, 1 polycriblage thoracique, 1 plaie par explosion de roquette, 1 plaie par fusil). 4 thoracotomies ont été faites au bloc opératoire et 1 en préhospitalier. A partir de l’analyse des conditions de la relève, de l’état circulatoire du patient à l’admission, des gestes réalisés en fonction du type de blessures et des résultats nous tentons de préciser l’intérêt de cette pratique dans un contexte de guerre et la possibilité d’établir des critères qui permettraient de prévoir les résultats de cette procédure et de guider le chirurgien pour choisir de la réaliser ou non.