Séance du mercredi 2 décembre 1998

DE L'HUMANISME AU CONSUMERISME EN MEDECINE : NORMES, REFERENTIELS, JURISPRUDENCE ET RESPONSABILITE
Université René Descartes, Salle du Conseil
Modérateur : Jacques HUREAU

 

 

Introduction du thème.

HUREAU J

Résumé
La chirurgie est source permanente d'atteinte à l'intégrité physique du corps humain. Il ne nous est permis de l'exercer qu'en raison de notre diplôme de médecin qui nous donne le droit et le devoir de soigner. Encore cette activité est-elle de plus en plus encadrée. De la médecine compassionnelle désacralisée à la froide médecine scientifique et technologique, du médecin humaniste au prestataire de service bridé par les contraintes législatives, réglementaires, normatives et économiques, du dialogue singulier à l'information normalisée, notre art est-il devenu un banal objet de consommation ? Comment le médecin, le chirurgien doivent-ils vivre cette révolution culturelle ? Telle est la question à laquelle chacun des intervenants tentera de répondre à partir de son expérience spécifique





 

L'expertise judiciaire, les normes et les référentiels.

DONIO J (Professeur à l'Université Paris II, expert en informatique agréé par la Cour de Cassation)

Résumé
"L'expert judiciaire" est par définition un "ex peritis", c1est à dire quelqu'un de compétent et de qualifié qui intervient en milieu "judiciaire" dans le cadre d'un litige ou d'un conflit, avec une déontologie, des règles de conduite personnelles et des règles de conduite expertales codifiées que l'on voudrait irréprochables. Le pouvoir de décision et de jugement qui lui est attaché dans ce contexte entraîne également la nécessité de contrôler son activité et de rendre ses raisonnements et ses avis aussi transparents que possible pour qu'ils puissent être soumis à une critique constructive. D'un point de vue technique, il est difficile de vérifier et de contrôler les dires de "l'expert judiciaire" si ce n'est par d'autres experts judiciaires du même domaine, désignés ad hoc (c'est à dire des pairs) ou encore mieux en subordonnant, dans la mesure du possible, la démarche intellectuelle qui a conduit ces avis par des référentiels techniques reconnus par tous et extérieurs à lui et par des normes et des standards internationaux reconnus dans le domaine de compétence correspondant. Ainsi les normes et référentiels techniques servent de garde fou à l'activité technique de l'expert judiciaire et renforcent sa crédibilité.





 

Les recommandations de bonnes pratiques cliniques et les références médicales et professionnelles en matière de prévention, de diagnostic et de thérapeutique.

MATILLON Y, MAISONNEUVE H, DUROCHER A (ANAES)

Résumé
Les recommandations pour la pratique clinique ou recommandations professionnelles sont "des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données". L'élaboration des recommandations médicales et professionnelles constitue une des stratégies permettant d'utiliser de manière plus appropriée les ressources financières disponibles, tout en garantissant une qualité de soins la meilleure possible. Quelle que soit la méthodologie suivie pour leur élaboration, ces recommandations ont toutes pour objectif d'être des outils d'aide à la décision médicale et d'améliorer la qualité des soins.





 

La jurisprudence face aux référentiels médicaux.

SARGOS P (Conseiller à la Cour de Cassation)

Résumé
La multiplication des référentiels médicaux sous la forme de recommandations émanant de conférences de consensus ou d'experts, de textes réglementaires et de références médicales opposables fait surgir des interrogations, voire des inquiétudes, sur l'évolution jurisprudentielle. Mais on peut en réalité penser qu'il s'agit là d'un faux nouveau problème : la jurisprudence en matière de responsabilité civile médicale reposant en dernière analyse sur une norme de base, qui gouverne toutes les autres, à savoir l'exigence de donner au patient des soins conformes aux données acquises de la science, sans préjudice de la nécessité d'agir conformément aux règles de la conscience médicale





 

Responsabilité médicale et référentiels médicaux.

FABRE H (Avocat au Barreau de Paris)

Résumé
La responsabilité du médecin est inhérente à son engagement de soigner en toute indépendance : elle est à la dimension de la vie et de la mort et n'a nul besoin de référentiels pour hanter à chaque instant la conscience de tout praticien. Cette réalité serait-elle, de nos jours oubliée par le pouvoir judiciaire et par le pouvoir politique, qui tous deux, chacun à sa manière et dans son domaine mettent sous tutelle la profession de médecin et la liberté thérapeutique, désormais encadrées par des référentiels de nature et de portée si diverses qu'il serait dangereux de les assimiler d'emblée aux données actuelles de la science médicale. Le rôle du médecin expert judiciaire est plus que jamais fondamental puisque lui seul est apte à proposer au juge une analyse, une synthèse et une sélection des seuls éléments à prendre en considération pour y voir clair et bien juger. Mais l'expert judiciaire n'est-il pas lui-même, aujourd'hui, pris au piège des référentiels, et influencé malgré lui par les données actuelles de la jurisprudence ? Plus que jamais, le courage, l'indépendance et la compétence des médecins experts judiciaires doivent s'affirmer en cette période mouvementée.





 

Les nouvelles normativités en responsabilité médicale.

MEMETEAU G (Professeur à la Faculté de Droit de Poitiers)

Résumé
Est-il juste de parler de l'imaginaire de la responsabilité médicale ? En dépit du droit et du devoir de soigner octroyés par le diplôme de médecin, le spectre de l'infraction de mise en danger d'autrui se développe. L'efficacité et la dangerosité croissantes de la médecine moderne s'accompagnent d'une responsabilité accrue. Parallèlement, la profession est troublée par la perception de sa désacralisation. La prestation médicale devient un acte de la vie économique. L'ardeur normative s'empare du législateur, surtout face à l'insupportable de l'aléa médical procédant d'un acte non fautif. Dans l'ordre préventif l'imposition de normes thérapeutiques codifiées, présumées prudentes, normatives par une novation du "normatif" scientifique en "normatif" juridique, serait le passage d"un ordre à l"autre. Le juge devrait-il y lire les données actuelles impératives de la science ? Codifier des "bonnes pratiques" ne peut monter que de la profession. Le nominalisme bioéthique ne doit pas occulter la recherche d"un pouvoir normatif véritable.





 

La médecine du XXI ème siècle face aux normes et aux référentiels.

PELLERIN D (Professeur honoraire des Universités, membre du Comité consultatif national d'éthique)

Résumé
Des patients consommateurs de soins, surabondamment abreuvés d'informations médicales médiatisées, encouragés à exiger toujours plus d'efficacité et de sécurité, des médecins soucieux de respecter les normes et les référentiels qui dictent leurs décisions et attentifs à ne pas déroger aux avis jurisprudentiels qui jalonnent leur responsabilité, quelle sera la médecine française du XXI ème siècle ? Les embarras du Comité National d'Ethique à formuler des recommandations sur "le consentement éclairé des personnes qui se prêtent à des actes de soins et de recherche" (recommandation CCNE N° 58 du 12-06-98) traduisent bien la difficulté de notre société à passer de sa tradition latine d'une éthique médicale de style téléologique qui met en premier plan le principe de bienfaisance, à une éthique médicale de style déontologique, qui semble nous arriver par l'influence nord-américaine. Elle met au premier plan le principe du respect des personnes tenues pour des sujets moraux autonomes. La société française parviendra t-elle à élaborer un modèle où coexistera un accès de tous les citoyens à une gestion responsable de leur vie et de leur santé et une relation de confiance personnalisée entre le patient et son médecin dans la tradition humaniste de notre culture ? ...et le cadre nécessairement contraignant d'une "éthique des choix collectifs" (recommandation CCNE N° 57 du 20-03-98)