Livre IV
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Le quatrième livre de la Fabrique du corps humain, d'André Vésale de Bruxelles, qui concerne plus particulièrement les nerfs avec leurs figures appropriées précédant les chapitres auxquelles elles conviennent
Chapitre I. Quelles sont les parties du corps auxquelles on attribue le nom de « nerf », et qu'entend-on exactement par ce nom ; quelles sont la nature, la spécificité et la fonction du nerf

Le troisième livre comprend la disposition et la distribution des veines, qui transportent le sang à partir du foie dans le corps tout entier, et des artères, qui fournissent aux parties du corps l'esprit vital en même temps que le sang provenant du cœur par impulsion. Maintenant il me reste à considérer la manière dont les nerfs se propagent du cerveau aux parties du corps en leur distribuant l'esprit animal dont elles ont besoin pour leurs fonctions, en commençant par un exposé général sur les différentes sortes de nerfs.Les ligaments, les tendons et les processus du cerveau et de la moelle spinale sont couramment appelés « nerfs » Les maîtres en anatomie définissent trois sortes de nerfs (comme nous l'avons dit auparavant), puisque, suivant l'usage commun, ils donnent le nom de « nerfs » aux ligamentsaa Fig. du chap. 1, livre II reliant les os entre eux et constituant une partie assez importante des muscles, et qu'ils incluent également les tendonsbb F dans la fig. 1 du chap. 2, livre II et passim dans les planches des muscles et les terminaisons nerveuses de muscles[1] sous le nom de « nerfs », toujours selon l'usage commun. Mais ils comptent aussi un troisième type de nerf, qui est celui que nous examinerons dans ce livre.L'organe auquel le nom de « nerf » est proprement attribué Il s'agit d'organescc passim dans les fig. 1 et 2, chap. 2, et fig. 2 et 3, chap. 11 longs, de forme arrondie, qui n'ont pas de cavité interne visible en leur milieu ; ils émergent du crâne ou des vertèbres du rachis, et transportent, par la chaleur de la faculté animale[2], l'esprit animal depuis le cerveau aux autres parties du corps. Ce sont ces organes que les professeurs d'anatomie ont jugés dignes du nom de « nerf » sans aucun autre ajout[3]. Nous avons hérité cet usage des Grecs, qui avaient donné à un seul organe deux noms selon sa fonction ou son usage, en l'appelant tantôt neuron (du verbe neuein, « pencher, relâcher ») tantôt tonos (du verbe teinein, « tendre »), parce que c'est aux nerfs que le muscle doit essentiellement sa capacité à se contracter et à s'étirer[4]. Le fait est que tous les professeurs d'anatomie s'accordent pour reconnaître qu'il n'existe aucune partie du corps, même la plus petite, qui ne puisse avoir de mouvement volontaire et dépendant de notre arbitre, ni de sensibilité si elle n’est pas innervée; et qu'une partie devient immédiatement engourdie et insensible lorsque le nerf a été coupé, enserré par des liens, abîmé ou comprimé autrement.Les nerfs sont originaires du cerveauMais que les nerfs comme la moelle spinale aient leur origine et leur début dans le cerveau, et qu'une partie des nerfs provienne du cerveau, une autre de la moelle spinale, cela n'a pas été bien connu ni exploré par tous les anatomistes. En effet, les uns ont établi que l'origine des nerf est le cœur, pour beaucoup d'autres c'est la dure-membrane [dure-mère] qui recouvre le cerveau, pour aucun cependant ce n'est le foie ni tout autre viscère de ce genre. Mais Hippocrate auquel se sont ralliés Erasistrate déjà vieux, Lycus, Andreas, Marinus, Hérophile et Galien[5], de loin le premier des Anatomistes, ainsi que tous les autres anatomistes renommés, tous soutiennent avec une très grande vérité que le cerveau est l'origine des nerfs, d'après ce qu'ils ont observé en disséquant des cadavres ; en outre, on doit également reconnaître que le cerveau fournit l'esprit animal aux nerfs et que ceux-ci le transportent depuis le cerveau dans les parties qui en ont besoin pour un sens ou pour un mouvement volontaire.[Les nerfs ] ne sont pas originaires du cœur Les nerfs ne sont jamais originaires du cœur (comme Aristote en premier et beaucoup d'autres l'ont pensé à tort) ; cela est clairement établi par le fait qu'en disséquant, on ne voit aucun nerf sortir du cœur, et parce qu'aucun nerf, si petit soit-il, n'est joint au coeur, sauf undd h à partir de d, fig. 6, livre VId'une extrême finesse, que j'ai découvert avec peine après de multiples dissections et qui est une branche du nerf situé à gauche et appartenant à la sixième paire de nerfs crâniens, comme je l'enseignerai en son lieu[6]. En effet, à l’endroit où le nerf [nerf vague] descend le long du côté gauche du cœur, en présentant de très petites et fines branches à la partie gauche du poumon et à l'enveloppe du cœur [péricarde], pour constituer le nerf récurrentee f,g dans la même fig.gauche, il émet un nerf extrêmement fin qui pénètre l'enveloppe du cœur à l'endroitff I dans la même fig.où il est en contact avec le côté gauche de la veine faite comme une artère [tronc pulmonaire]. Ce petit nerf, ici en contact avec le tronc pulmonaire, se dirige vers la base du cœur et s'y perd, à la gauche et à l'arrière de ce tronc. Donc, puisque un petit nerf de ce type

×Au sens propre : « énervation », terme qui a disparu au sens de « terminaison nerveuse ».
×Rappel des théories des facultés innées des organes et des esprits transportés par les artères en même temps que le sang, cf. Fabrique III.
×Appendix en latin désigne un ajout, ici au sens de « qualificatif ».
×L'étymologie donnée par Vésale renvoie à l'image d'une corde d'arc que l'on peut courber ou tendre.
×Vésale mentionne à plusieurs reprises ces anatomistes alexandrins. Marinus est une des autorités antiques le plus souvent citées, probablement à travers le proœmium du traité De propriis libris de Galien. Cf. Fabrique VII, p. 631, note 338
×Ce petit nerf est une branche du nerf vague (X) que Vésale affirme avoir découvert. Malgré les précautions oratoires, il ne peut s'empêcher de le décrire ici. Il le décrira encore page 329 [429] de ce livre IV, le représentera sur la 6e figure du livre VI (lettre h) et expliquera sa fonction page 565 du livre VI. L'éclatement des informations résulte de la structure même de la Fabrique et est probablement une des causes qui feront prévaloir l'étude de l'anatomie par régions.