Petit Livre sur les dents
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Chapitre XVI
Où l’on examine les théories d’Hippocrate et d’Aristote sur la matière des dents et sur l’époque de leur éruption

Partant de ce que je viens de dire de véridique sur les dents, il est facile de juger les théories d’Hippocrate et d’Aristote concernant la génération de celles-ci. En effet, bien que le premier ait écrit que quelques dents étaient créées dans l’utérus, il soutient cependant que cette création a lieu, quand les autres os sont achevés, grâce au nutriment superflu du crâne et des os maxillaires alors que, dans la mâchoire du bas(47, 14) ce sont des veines, qui, depuis le ventre, à travers les os, apportent un aliment à elle seule. Vraiment cette théorie me semble indigne d’Hippocrate, dont je vénère la majesté et les cheveux blancs, au point que je soupçonne qu’elle a été ajoutée par quelqu’un d’autre[12]. Si c’est le cas, non seulement elle est faible, mais encore elle repose sur un principe fallacieux et sur aucun enchaînement logique. En effet, il ne peut prouver que des dents, ou la plupart d’entre elles, soient créées après les autres os, puisque celles qu’il a cru générées à partir du lait et de la nourriture solide, ne commencent pas leur existence quand elles sortent, mais bien avant, avec les autres. Et même, il avance des invraisemblances parce que les veines ne procurent pas d’aliment à la seule mâchoire inférieure, mais, comme dit Galien(47, 26), pour tous les os, qui sont plus de trois cents, les veines pénètrent dans de petits réceptacles adéquats pour leur porter de la nourriture. En outre, selon le témoignage du même Hippocrate(47, 28), des vaisseaux se glissent entre les deux lames du crâne, les vertèbres lombaires, perforées un peu partout, (47, 30)reçoivent d’eux beaucoup de nourriture et, enfin, l’humérus et le fémur, en des endroits déterminés et précis, accessibles grâce à de petits trous,

×(47, 14) Hippocrate, De carnibus, p. 58, l. 23. Et peu après, l. 36. Hippocrate dit que seules parmi les os, les mâchoires ont en elles des veines. C'est pourquoi elles tirent une nourriture plus abondante en elles-mêmes que dans les autres os.
×(47, 26) « À chaque os (plus de trois cents) se trouve un réceptacle qui réunit les veines qui leur apportent la nourriture », Galien, De Hippocratis et Platonis dogmatis, Livre IX, chap. 8.
- « Dans chaque os pénètre un petit vaisseau qui le nourrit », Galien, commentaire sur le Livre d'Hippocrate, De humoribus, 1.
×(47, 28) « L'os du crâne, sauf dans sa partie la plus haute et la plus basse, est semblable à une éponge et a en lui de nombreuses excroissances charnues humides, et si quelqu'un les broyait de ses doigts, le sang sortirait. Il y a même dans l'os des veinules plus minces et creuses, pleines de sang », Hippocrate, De vulneribus capitis, p. 590, l. 36.
×(47, 30) « Dans leur partie interne, les vertèbres lombaires ont de nombreuses ouvertures destinées à recevoir les veines. Dans les autres vertèbres, on n'en voit pas ou alors de minuscules », Galien, De ossibus, chap. X.
- « Dans la partie antérieure de chaque grande vertèbre se trouvent de fines ouvertures par lesquelles pénètrent en elles des vaisseaux nourriciers », un peu plus bas : « pour les petites vertèbres deux ouvertures susdites peuvent suffire par lesquelles entrent les veines et les artères, et sortent les nerfs. Pour les grandes, la nature a disposé d'une façon appropriée non seulement ces ouvertures, mais encore pour servir aux vaisseaux nourriciers. Pour la même raison, je pense, que des petits vaisseaux sont insérés dans tous les grands os, comme le bras, le fémur, l'avant-bras et le tibia. Mais pour les petits os, il n'y en eut aucun besoin », Galien, De usu partium, Livre XIII, chap. 9.
×Apparemment, Eustache reprend à son compte l’erreur typographique transmise par Janus Cornarius (1500-1558) et dénoncée par Littré dans sa traduction Des chairs en ces termes : « Cornarius fait dire au passage que ces os sont les seuls qui reçoivent leur nourriture par une veine du ventre. Or ce n’est pas cela que l’auteur entend, il entend expressément que ces os sont les seuls qui aient des veines en eux-mêmes… La mâchoire inférieure reçoit en effet un vaisseau considérable ; cela est vrai, mais ce qui ne l’est pas, c’est que ce soit le seul os qui en reçoive », Œuvres complètes, Paris, J.-B. Baillière, 1839-1861, T. 8, [p. 600].