Petit Livre sur les dents
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Cependant, parce que la partie de la dent qui sort des gencives est suspendue à l’autre extrémité du sac, comme la pierre à une fronde trouée en son milieu[13] ou comme la cornée à la conjonctive ou à l’excroissance appelée tunique de l’œil, certains pensent pour cette raison que la dent a un appendice[14]. Et en même temps ils pensent que ce follicule jaillit de la cavité intérieure de cette même dent, le long d’une ligne qu’ils disent se trouver entre ce présumé appendice et la partie restante de la dent, comme s’il jaillissait hors d’une attache ou d’un périoste(52, 8). Assurément, ceux qui prétendent cela montrent qu’ils ont exercé la dissection des dents si négligemment que, par cette seule erreur, ils révèlent leur extrême ignorance, jointe à un manque extrême de réflexion.

Car, je passerai sous silence que cette ligne, qui encercle la partie de la dent sortant des gencives, est formée par le bord inférieur du ligament adhérant au bord inférieur de la gencive et est incisée si légèrement en surface qu’une fois abrasée, aucune trace de cette séparation ne subsiste ; que chacun peut clairement observer, même chez les bébés et avec certitude chez les chevreaux, que la dent une fois ossifiée n’est divisée par aucune ligne à cet endroit ; que bien plutôt elle est contenue librement dans ce follicule encore muqueux et en est entourée sans y être liée. Ainsi, ceux qui, par des observations erronées et l’exemple inopportun de mules et de chiens, avancent si légèrement et si inconsidérément l’existence des appendices des dents, se seraient mieux comportés s’ils avaient, d’abord pratiqué des dissections sur des dents d’hommes, ce qu’ils prétendent exercer, alors que trop souvent ils ne le font pas, plutôt que de les pratiquer avec zèle sur des bêtes sauvages. Ils auraient pu examiner, comme le pense Celse(52, 26)[15], à l’avis duquel souscrit Alexandre Benedetti [1430 ?-1512], si la nouvelle dent vient sous la même racine et si la partie qui s’ossifie avant les autres [la couronne] et qui pend nue en dehors des gencives, ou, du moins, qui s’étend sans interruption jusqu’au bout de la racine, présente lorsqu’on arrache la dent [temporaire] une ligne, un accord ou une quelconque division ; ou si, comme moi je le pense, la partie osseuse de la dent se forme

×(52, 8) Il critique Vésale et ses adeptes, au sujet des appendices imaginaires des dents qu'eux-mêmes ont introduits. [De humani corporis fabrica], Livre I, chap. 3, non loin du début, et chap. 11, près de la fin.
Nous avons aussi observé, chez beaucoup de poissons que la dent qui renaît sous celle qui tombe est maintenue circonscrite à sa propre forme et totalement séparée de la première.
×(52, 26) « Chez les enfants, une nouvelle dent vient sous la même racine », Celse, De medicina, Livre VIII, chap. 1.
×Ce que nous nommons le gubernaculum dentis, décrit également par Fallope dans ses Observationes anatomicæ, p. 42-43.
×Vésale écrit « Il ne faut pas négliger le fait que chez les enfants les dents ont des racines inachevées, molles et pour ainsi de la nature de la moelle [pulpe dentaire], et que la partie apparente [couronne], qui dépasse de la gencive, est unie à sa racine à la façon d’un appendice. Nous avons appris cela, quand nous étions enfants, et lorsque nos dents et celles de nos camarades branlaient, surtout les incisives, nous avions l’habitude de les extraire avec nos ongles ou en passant un fil tout autour. De même chez les mulets et chez de nombreux chiens, nous observons que les appendices des dents tombent pendant toute une période, mais que les racines demeurent intactes. Enfin, il faut accorder une très grande attention au fait que nous ne devons jamais extraire la partie restante d’une dent d’enfant, lorsqu’elle est accidentellement brisée, mais seulement son appendice, qui sera rapidement remplacé par une nouvelle dent (à condition que la racine subsiste) », De humani corporis fabrica libri septem Bâle, Oporinus Johann, 1543, chap XI, livre I, p. 46 (en bas), Vons, Jacqueline, Velut, Stéphane, La Fabrique de Vésale et autres textes, livre I.
×Celse ajoute : qui multo saepius priorem expellit : interdum tamen supra infrave eum se ostendit, « qui, le plus souvent, expulse l’ancienne, mais se montre quelquefois au dessus ou au dessous », Traité de médecine de A. C. Celse, trad. Dr A. Vedrènes, Paris, Masson, 1876, Livre VIII, chap. I, p. 562.