Petit Livre sur les dents
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de ne pas être renouvelées, même si j’ai observé, un jour, qu’il y en avait de nouvellement sorties chez des hommes bien disposés et en forme. Ou bien, comme dit Celse, elles apparaissent très tardivement(67, 3). Ou bien, comme dit Rufus, elles apparaissent quand l’âge exige que nous soyons sages(67, 4). Prenant cet argument en considération, le même Hippocrate rapporte que deux d’entre elles naissent lors du quatrième septénaire(67, 5). Mais Aristote(67, 6), ne tenant aucun compte de ce calcul, parle de la vingtième année, parfois même de la quatre-vingtième, ce qui, écrit-il, se produit plus rarement chez les hommes que chez les femmes. D’où il est facile de comprendre qu’elles sortent le plus souvent vers le troisième ou le quatrième septénaire parfois même plus tard, jusqu’au dixième, quoique l’époque préalablement prescrite pour l’apparition des génuines comporte de longs intervalles et ne soit pas précise et définie comme c’est le cas pour la première et la seconde molaire. D’autre part, selon Hippocrate(67, 15), les dents du premier aliment tombent lors de l’achèvement de la septième année. Pour certains, elles tombent même avant cela, quand elles sont nées d’une humeur fâcheusement affectée(67, 19), mais elles renaissent alors vers quatorze ans. Il ne manque pas de gens(67, 20) pour croire qu’elles tombent chez les vieux et naissent à nouveau. En fait, j’avoue ne pas comprendre pourquoi cette époque serait appelée celle du premier aliment. D’après moi, n’étant pas d’accord avec ses principes, il n’est pas vrai que toutes les dents, sauf les molaires, renaissent, comme l’écrit clairement Aristote(67, 22).

En effet, comme la matière de toutes les dents leur est commune, qu’elles ont même action et même but, qu’en outre leur formation et leur nature sont peu différentes, on peut difficilement avancer quelque raison capable de persuader que toutes les dents ne doivent pas naître, puis tomber pareillement. Si Aristote(67, 30)  pense que les dents peuvent renaître, parce que, au début de leur génération, elles ne sont pas créées comme les autres os, mais qu’elles sont contenues dans un os encore naissant,

×(67, 3) « Au-delà de celles-ci, (c'est-à-dire des canines) sont quatre * maxillaires, de chaque côté des deux mâchoires, excepté lorsque les dents du fond qui d'habitude sortent plus tard, ne se sont pas développées », Celse, De medicina, Livre VIII, chap. 1.

* [Note de M. Ruel-Kellermann]
Erreur de Pini car Celse dit bien quini.
×(67, 4) « Quand naissent les dents de sagesse ? » Voir ci-dessus, chap. IX, annotation (24, 3), d'après Rufus d'Ephèse, De corporis humani partium appellationibus, Livre I, chap. 8.
×(67, 5) « Des dents naissent entre le quatrième et cinquième septénaire, deux chez la plupart des hommes, qui sont appelées dents de sagesse », Hippocrate, De carnibus, p. 58, l. 44.
×(67, 6) « Les toutes dernières maxillaires humaines, que nous appelons jumelles (geminos) font irruption vers la vingtième année, chez les hommes comme chez les femmes. Mais, chez certaines femmes, ces maxillaires vont pousser, même à quatre-vingt ans, non sans douleur. Nous avons appris que ce même fait était advenu aussi chez des hommes, ce qui arriva assurément à ceux chez qui ces jumelles n'étaient pas nées pendant leur jeunesse », Aristote, Historia animalium, Livre II, chap. 4. *
- Voir aussi, plus bas, note (67, 30) d'après Aristote, De generatione animalium, Livre V, chap. 8.

* [Note de M. Ruel-Kellermann]
On peut s’étonner du terme « geminos » à la place de genuinos. Danielle Gourevitch déclare qu’il s’agit « très probablement d’une divagation philologique de Pier Matteo Pini. … Il lui arrive d’extrapoler abusivement : pour les gemini d’Ann. 67, 6 (qui étaient bel et bien des genuini en Ann. 24, 7), il renvoie à Aristote qui ne dit rien de tel ni dans l’Histoire des animaux, ni dans la Génération des animaux ni dans les Parties des animaux. Peut-être a-t-il tiré cette confusion, cette notion abusive de paire, de la remarque aristotélicienne (HA II 4 502b) selon laquelle les dents de sagesse poussent aux deux sexes, aux femmes comme aux hommes, ici « et viris et mulieribus » » (« Les noms des dents en grec, en latin et en français : de l’Antiquité à la Renaissance », Actes SFHAD 2009, vol. 14, p. 73-77).
×(67, 15) « Tombent les dents du premier aliment et même certaines plus tôt, si elles sont nées d'un aliment malsain, mais, pour le plus grand nombre, c’est lorsque s’achève la septième année », Hippocrate, De carnibus, p. 58, l. 20.
×(67, 19) Voir ci-dessus, annotation (66, 21) d'après Hippocrate, De carnibus, p. 58, l. 37.
×(67, 20) « On a gardé en mémoire que les dents tombent, non seulement à l'époque du premier âge, mais même celles qui subsistent tombent et naissent une seconde fois même chez des vieillards », Meletius, De natura hominis.
×(67, 22) « Les dents sont remplacées, tant chez l'homme que chez d'autres animaux, comme le cheval, le mulet et l'âne. Les premières dents sont remplacées chez l'homme. Aucun animal ne remplace ses dents maxillaires. Le porc ne perd aucune dent », Aristote, Historia animalium, Livre II, chap. 1.
- « Les dents maxillaires ne tombent pas, les dents de devant tombent puis renaissent » et, un peu plus bas, il dit, contrant Démocrite : « le porc allaite et cependant ne perd pas ses dents. Les animaux qui ont des dents en forme de scie allaitent tous, bien qu'aucun d'eux ne perde de dents, sauf les canines », en fin de chapitre : « on a dit, à propos des dents, pourquoi les unes tombent puis renaissent, les autres non, et quelle en est la cause », Aristote, De generatione animalium, Livre V, chap. 8.
- Chez certains poissons, non seulement les dents qui correspondent aux incisives sont remplacées, et même la plupart de celles qui sont rondes et sont considérées comme des maxillaires.
×(67, 30) « Les dents renaissent, c'est pourquoi elles peuvent apparaître une seconde fois, quand elles sont tombées », Aristote, De generatione animalium, Livre II, chap. 4, vers la fin.
- Selon Démocrite, les premières dents tombent, parce qu'elles se hâtent et font irruption avant terme, ce qui est réfuté par Aristote qui dit plus bas : « Tombent celles qui sont arrivées les premières, parce que s'émousse rapidement ce qui est pointu. Aussi faut-il que d'autres dents les remplacent pour faire leur office. En revanche, les dents larges ne s'émoussent pas, mais, avec le temps, elles s'usent et deviennent lissent. Les premières dents tombent forcément, parce que, si les racines des dents maxillaires s'appuient sur une mâchoire large et sont maintenues par un os solide, celles des premières dents le sont dans un os mince, d'où il vient qu'elles sont faibles et branlantes. Or elles naissent une seconde fois, au moment où l’os pousse encore et où il est encore temps d'assurer la formation des dents. La preuve en est que les molaires apparaissent sur une longue période. En effet, les dernières font irruption vers la vingtième année, et même, chez certaines personnes âgées, celles qui occupent le fond sortent complètement, puisque beaucoup de nourriture se trouve contenue dans l’étendue de l'os. Par contre, la partie antérieure de l'os est rapidement achevée à cause de sa minceur et il n'y a plus d'excrétion en elle, toute sa nourriture est consommée dans sa propre croissance », Aristote, De generatione animalium, Livre V, chap. 8.
D’après ce que je conjecture, il compare la naissance plus tardive des dents maxillaires avec la renaissance des premières dents, comme si celle-là semblait compenser celle-ci. Mais, si l'os, dans lequel sont contenues les incisives est mince, comme il le dit lui-même, il faudrait expliquer pourquoi il fournit matière à renaissance.