Petit Livre sur les dents
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et quasiment à tout âge, mais il est plus juste qu’Aristote, car il ajoute que les dents s’accroissent autant qu’elles s’usent par la mastication des aliments[21]. Pour que personne ne soit trompé, je dois vous prévenir qu’il emploie le mot d’accroissement au sens large : il ne pense pas que les dents s’accroissent particulièrement et toujours, mais il pense qu’elles conservent leur état primitif aussi longtemps que la substance qu’elles perdent chaque jour, par usure, est réparée, en même proportion, par leur aliment. Ainsi, si quelqu’un souhaite porter sur ce sujet un jugement sincère, qu’il observe attentivement la partie des dents qui sort des gencives et qui, selon Aristote(72, 12), quand on a atteint un âge moyen, se trouve habituellement amoindrie et usée. Si les dents néanmoins semblent plus grandes, il ne faut pas se fier, de prime abord, à leur aspect, parce que, souvent, les gencives étant rétractées(72, 15), les dents, poussées en dehors par une humeur ou une quelque autre substance, donnent l’impression d’avoir grandi ou parce que, parfois, les dents qui leur faisaient face ayant été arrachées, elles-mêmes ne s’usent plus autant que leurs voisines, diminuées. Maintenant si tu n’approuves guère ce que j’ai imaginé, en marge du texte de Galien, tu pourras toujours adhérer à l’avis d’Aristote.

Chapitre XXIIII
Les os ont-ils reçu la faculté de sentir ?

Galien assure clairement que, parmi les os, seules les dents ont des nerfs et la faculté de sentir. Ses successeurs ont des avis partagés : car certains doutent de la réalité de cette faculté, et quelques-uns, au contraire, pensent qu’elle est aussi l’apanage des autres os. Moi, je vais m’efforcer en même temps de développer pour ces hommes sa pensée et de traiter séparément les deux questions, ayant la dissection pour guide et la raison pour compagne.

×(72, 12) « Les dents larges ne s'émoussent pas, mais, avec le temps, usées, elles diminuent », Aristote, De generatione animalium, Livre 5, chap. 8.
×(72, 15) Sur les dents branlantes qui semblent plus proéminentes que les autres à cause du relâchement dû à l'humidité des nerfs, Galien, De compositione medicamentorum secundum locos, Livre V, chap. 9.
×L’idée aristotélicienne de l’accroissement continu des dents perdurera jusqu’en 1771, lorsque dans The natural history of the human teeth, London, Johnson, John Hunter (1728-1793) infirmera cette croyance : « On a avancé que les dents poussent continuellement et que l’usure a pour résultat de les maintenir à la même longueur ; mais leur accroissement se fait tout d’une fois jusqu’à leur développement complet et ensuite, elles s’usent par degrés, sans qu’il y ait même apparence qu’elles continuent à prendre de l’accroissement », Histoire naturelle des dents, trad. franc. Richelot, Paris Labé, 1839, p. 75. Mais, signalons que six ans avant le Libellus, Francisco Martinez de Castrillo (c. 1525-1585), dans son Coloquio breve y compendioso sobre la materia de la dentadura y maravillosa obra de la boca, Valladolid, Sebastian Martinez, 1557, réfutait déjà cette croyance « La troisième et merveilleuse œuvre a été qu’après leur renouvellement, les dents qui naissent s’accroissent un moment et pas au-delà. Et c’est à partir de là que vient l’erreur de certains qui disent qu’elles diminuent beaucoup et que d’autres disent au contraire qu’elles s’accroissent toute la vie », Dialogue bref et concis sur la denture et ce chef d’œuvre qu’est la bouche, trad. franc. M. Ruel-Kellermann, Gérard Morisse, Collection Pathographie – 5, Paris, De Boccard, 2010, f. 35r.