Petit Livre sur les dents
73

Comme Galien ne contredisait pas toujours Platon, il attribua au cœur(73, 1) le discernement des saveurs, par l’intermédiaire des veines qui sont dispersées dans toute la substance de la langue. Concernant la faculté de sentir des vaisseaux, il disait parfois des choses dont on peut contester la véracité à juste titre, et j’ai disserté par ailleurs sur l’organe premier des sens, en pesant le pour et le contre et en suivant le sens commun. Mais parce que nombreuses sont les idées qui nous trompent très souvent, nous semblant très plausibles, je ne veux pas, pour une cause futile, m’écarter de l’avis général des médecins. Il me suffit de n’avoir pas dissimulé les difficultés, quelles qu’elles soient, et d’avoir proposé de les examiner en m’appuyant sur le jugement des plus expérimentés.

Donc, entamant la première question, je ne dis pas que Galien se trompe sur la faculté de sentir des os ou qu’il se contredit. Bien qu’il écrive que seules les dents reçoivent des nerfs mous, venus de la troisième paire du cerveau(73, 15), il ne pense pas du tout que les autres os manquent de toute espèce de nerfs, au plus profond d’eux-mêmes, quand lui-même enseigne ailleurs que la membrane du périoste n’est privée ni de nerfs(73, 18), ni de sensibilité. Quoique les nerfs ne soient pas répartis dans la substance des os, on ne doit pas enlever aux os la possibilité de sentir(73, 20), parce que les dents en ont l’usage, selon l’avis de Galien. Mais nulle part, à ce que je sais, il n’affirme clairement que des nerfs pénètrent dans la concavité des dents(73, 23). Je n’empêche pas ces gens, qui, comme on le doit, commentent avec bienveillance les avis d’un si grand précepteur, d’embrasser cette opinion, séduits par quelque conjecture. Pourtant, je montre sereinement qu’on peut facilement la tourner en sens contraire. J’ajoute en supplément que si le nerf, entrant dans la concavité des dents, la touchant à peine, ainsi que la membrane à laquelle elle adhère, peut leur communiquer une sensation perceptible, comme ses successeurs l’écrivent, il semble aussi conforme à la raison

×(73, 1) Cet avis a été pris chez Galien, De simplicium medicamentorum, Livre I, chap. 37.
×(73, 15) « Seules de tous les autres os, les dents ont en partage les nerfs mous du cerveau et par là ont manifestement la faculté de sentir », Galien, De ossibus, chap. 5.
- « Toutes les dents reçoivent des ramifications de la troisième paire des nerfs du cerveau », Galien, De usu partium, Livre IX, chap. 14 et 15, puis, Livre XI, chap. 7.
- « Parmi tous les os, les dents sont les seules à recevoir cette sorte de nerfs mous comme l’estomac et certains autres viscères. La sorte de nerfs mous se trouve dans les dents, seules parmi tous les os, comme dans l'estomac et certains autres viscères », Galien, De usu partium, Livre XVI, chap. 2.
- « Le nez a aussi en partage des nerfs mous, ainsi que les dents et tout le palais », Galien, même livre, chap. 3.
- Actuarius assure que des nerfs pénètrent dans les os. Actuarius, De methodo medendi, Livre IV, chap. 14, De interioribus oris vitiis.
×(73, 18)  Il y a des douleurs profondément ressenties par les membranes des os. Ainsi écrit Galien. Il n'est nullement étonnant que les douleurs ressenties par les membranes qui sont collées aux os soient profondes (c'est-à-dire excitant une sensation au plus profond du corps) et créent l'illusion que les os souffrent. Car beaucoup les appellent ostocopi (souffrances des os) lesquelles ont coutume d'advenir, en grande partie, quand on a fait trop d'exercice, bien que, parfois, elles soient causées par le froid ou par un excès de poids, Galien, De locis affectis, Livre II, chap. 7. 
- « La tunique du nez a été faite pour rendre le même service que celle qui entoure le larynx et même, comme tout équipement, elle est capable de sentir. En effet, l'os du nez ou son cartilage ne pouvait pas du tout avoir une sensation », Galien, De usu partium, Livre XI, chap. 17.
- Et cependant, cette tunique n'est pas capable de percevoir une odeur car elle n’a pas de siège sensoriel.
×(73, 20) « Aucun nerf est inséré, ni dans les os, ni dans les cartilages, ni dans les ligaments, ni dans n'importe quelle glande », Galien, De usu partium, Livre XVI, chap. 2. « On dit que les os sont privés de nerfs, parce que ceux-ci ne sont pas insérés en eux, mais non parce qu'ils en sont totalement privés : car leur périoste est doté de sensation et a des nerfs. »
- Sur la douleur des os, voir aussi, plus bas, chap. XXVI, annotation (82, 25) d'après Aretaeus, De signis et curatione diuturnorum morborum, Livre II, chap. 12.
×(73, 23) Galien atteste que des nerfs sont insérés dans les dents en plusieurs endroits, ainsi qu'Actuarius Livre VI, De methodo medendi, chap. 7, De oris affectibus.
- Il spécifie le lieu, quand il dit que les nerfs sont insérés dans les racines des dents. Galien, De usu partium, Livre XI, chap. 8. Et quand il dit qu'un nerf a poussé et s'est glissé sous la racine de la dent, De compositione medicamentorum secundum locos, Livre V, chap. 8, De dentibus affectionibus, chap. 9, De mobilibus dentibus et proeminentibus.
Bien que Meletius et Actuarius assurent parfois que les nerfs sont logés dans les alvéoles des dents, le premier dans son Livre De natura hominis, le second dans son Livre II, chap.10, De dignotis affectionibus qui os infestant.