Petit Livre sur les dents
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que la membrane du périoste communique une vague sensation aux os auxquels elle adhère. Parce qu’il attribue aux seules dents le pouvoir de sentir, il ne s’ensuit pas que Galien dénie aux autres os une vague sensation et les fasse entièrement dépourvus de toute sensibilité(74, 6). Non seulement il ne contredit pas l’avis de ceux qui attribuent aux os une sorte de vague sensation, mais encore semble y souscrire quand il confirme, avec Hippocrate(74, 8), que les os de la jambe sont affectés par la douleur.

Et certes, si l’on trouve une faculté de sentir, sans présence de nerfs, chez les éponges et les méduses que les Grecs appellent zoophytes, rien n’empêche que cette faculté ait été accordée à certaines parcelles d’êtres vivants, je ne dis pas sans nerfs, mais sans répartition, ni insertion de nerfs à intervalles précis. De même, si les os reçoivent de l’esprit vital du cœur la faculté de vivre sans que des rameaux d’artères ne soient diffusés partout en eux, semblablement ils ont pu s’emparer de la sensibilité, alors qu’ils contiennent en eux l’esprit animal bien plus ténu[22]. Mais, tu diras(74, 17) que les os qui sont couverts et protégés de partout n’ont pas besoin de sentir comme les dents puisqu’ils ne sont pas semblablement exposés aux injures externes. Je ne suis pas convaincu par cet argument, mais je concède qu’ils ont reçu la faculté de sentir pour d’autres causes. En effet, comme on considère que les os sont les parties du corps qui viennent le plus de la terre et que le sens du toucher est dû principalement à ceux qui appartiennent à cet élément, s’ils n’étaient pas dotés de ce sens, la majeure partie de l’être vivant ne diffèrerait en rien d’une plante et les mêmes os proviendraient en vain d’un esprit sentant, s’ils ne sentaient pas grâce à lui. Sans doute, si cette faculté ne se décèle pas également dans toutes les parties du corps et si la dureté des os lui fait obstacle, néanmoins, de même que sans cette faculté aucune partie d’un être animé ne peut exister, sans elle, aucune partie ne peut pas être distinguée des plantes. La nature, dit Galien(74, 30) dans son Traité sur les reins, a donné libéralement à chacun de ces viscères autant de sensibilité qu’il le fallait pour les distinguer clairement des plantes

×(74, 6) « Quelqu’un a ressenti que l’os est alourdi mais l’a ressenti vraiment confusément », Galien, De multitudine, chap. 4.
×(74, 8) « Les os qui sont liés à la jambe souffrent », Hippocrate, De fracturis, com. 2 & 12
×(74, 17) « Il était superflu de douer d’une sensibilité les os et les cartilages », Galien, De usu partium, Livre XVI, chap. 2.
×(74, 30) Cet avis est de Galien, De usu partium, Livre V, chap. 9.
×Nicole de Haupas, médecin de Doulens, différencie comme semble le faire Eustache, esprit vital, spiritus, et esprit animal, spiritus animalis, le premier partant du cœur, le second du cerveau. « Et tout ainsi les veines sont les porteurs du nourrisement, & les artères de la vie ou esprit vital, ainsi les nerfs sont les porteurs & messagiers du sentiment & mouvement volontaire, & ce par le moyen de l’esprit animal », Le premier livre de la contemplation de nature humaine, contenant la formation de l’enfant au ventre maternel, Paris, Michel de Vascosan, 1555. Un siècle plus tard, Jean Bonet, l’auteur supposé du Traité de la circulation des esprits animaux, (Jamet, Noël Philibert, Paris, Louis Billaine, 1682) précise : « On nomme encore cette liqueur, esprit animal, parce qu’elle est comme l’âme & comme le principe de toutes les actions de la vie animale ou comme un ressort général qui fait agir tous les sens qui sont les organes de la vie ». Actuellement, on peut apparenter les esprits animaux à une ébauche de l’influx nerveux.