Petit Livre sur les dents
84

bien que fendus, n’ont aucune dent à l’intérieur. Les oiseaux(84, 1) ont une bouche pour absorber leur nourriture, mais ils n’utilisent pas tous leur bec en guise de dents pour l’absorber. En effet nombre d’oiseaux apprivoisés avalent leur nourriture d’un coup, avec un bec droit, et non avec un bec crochu, comme les rapaces qui la mettent en pièces et la déchirent. Chez la tortue, en guise de dents, un os continu, courbé en demi-cercle, découpé minutieusement et graduellement, comme une lame de scie, se trouve dans ses deux mâchoires. Les autres animaux ont les dents nécessaires à leur espèce.

C’est pourquoi, si nous considérons, en conscience, le but et la progression de la nature, loin de devoir porter la fabrication des êtres au crédit du hasard, nous comprenons alors l’extrême prévoyance de notre Créateur, parce que, commençant par une ligne directrice non définie, il parfait la totalité des œuvres de sa création. Or l’origine commune de l’intérêt des dents est double, l’une repose sur leur fonction, l’autre ne dépend d’aucune action. La première se divise en deux parties(84, 17). En effet, certains animaux ont des dents seulement pour prendre leur nourriture. D’autres les détournent de cet usage, comme les karkharodonta [aux dents aiguës] et les khauliodonta [aux dents saillantes comme une lance], ainsi nommés en grec, et s’en servent comme d’armes pour faire ou repousser des attaques(84, 22), tout comme les hommes malhonnêtes détournent la langue à leur profit. Mais si l’utilité commune des dents concerne surtout l’alimentation, il est étonnant qu’Aristote écrive que, parmi les insectes, les plus nombreux, qui absorbent des aliments humides, ont des dents, non pour assurer leur subsistance, mais comme armes. En effet, quoique l’usage commun des parties ne soit pas toujours privilégié, néanmoins il ne semble pas impossible que le but universel de la nature et l’utilité commune ne se retrouvent pas chez tous les animaux pourvus de dents. Ou bien les aliments sont seulement attrapés et broyés par les dents, comme on peut le voir chez de nombreux poissons(84, 30) à qui, gobant leur nourriture et ne pouvant pas la garder longtemps dans leur bouche,

×(84, 1) Les oiseaux ont un os appelé bec. En effet celui-ci leur tient lieu de lèvres et de dents, mais il diffère selon son utilisation et l'aide apportée. Voir plus de détails chez Aristote, De partibus animalium, livre III, chap. 1.
×(84, 17) « Les dents ne servent aux uns qu'à une seule chose, c'est-à-dire, à la digestion de la nourriture, aux autres, non seulement à cet usage mais aussi pour se battre, comme c'est le cas chez ceux qui ont des dents en forme de scie ou des défenses », Aristote, De partibus animalium, livre II, chap. 9
- « Aux oiseaux fut donné un bec osseux en guise de dents, pour se nourrir et avoir une arme », Aristote, De partibus animalium, Livre II, chap. 16.
- « Les dents, par leur caractère, doivent remplir un office, commun à tous les animaux, consommer la nourriture, mais pour d'autres espèces, être une arme solide pour se défendre ou pour attaquer. Voici la raison de cette aide : ces animaux ont des dents, en partie pour les deux raisons, ne pas être agressés par les autres ou soi-même les agresser, comme ceux qui sont carnivores parmi les bêtes sauvages ; en partie pour une seule raison, ne pas subir un mal de la part d'autres animaux, comme la plupart des bêtes des forêts et même des villes. Chez certains, le seul travail des dents consiste à broyer la nourriture : l'homme est pourvu de dents faites seulement pour cet usage commun », un peu plus bas « quelques animaux (cela a déjà été dit) sont pourvus de dents pour broyer leur nourriture, mais en même temps elles leur sont une aide et une force. Certains ont des défenses, comme le porc, ou des dents acérées et serrées étroitement comme un peigne, d'où l'expression dents en forme de scie que nous employons. Car, comme leurs forces reposent sur la pointe des dents, il est juste que celles qui contribuent aux actes de violence se présentent comme un peigne afin qu'elles ne soient ni usées, ni émoussées par le heurt des dents du haut avec celles du bas » peu après « aide aux uns pour frapper, aide aux autres pour mordre. Les truies mordent parce qu'elles n'ont pas de dents proéminentes », Aristote, De partibus animalium, livre III, chap. 1.
×(84, 22) « Certains ont des dents, mais différentes, comme la classe des abeilles et des mouches. Certains n'en ont pas, qui absorbent une nourriture liquide. Mais la plupart des insectes sont pourvus de dents, non pour se nourrir mais comme armes », Aristote, De partibus animalium, livre IV, chap. 5.
×(84, 30) « Tous les poissons ont des dents en forme de scie, sauf le scare [poisson perroquet]. Plusieurs ont même des dents sur la langue et dans le palais, parce que, comme ils passent leur temps immergés dans l'eau, ils avalent du liquide avec leur nourriture et il est nécessaire qu'ils l'expulsent le plus vite possible. Car ils ne peuvent perdre leur temps à mâcher, quand le liquide les en empêche dans leur ventre. C'est pourquoi leurs dents sont nombreuses et toutes pointues et disposées partout ; grâce à cette multitude, ils peuvent mettre en miettes ce qu’ils ne pourraient pas écraser par frottement. En outre les dents sont recourbées, parce que toute la force des poissons est située en elles », Aristote, De partibus animalium, livre III, chap. 1, et, Galien, De anatomia vivorum.
Pourtant il nous est arrivé de voir quelques poissons qui n'avaient pas trace de dents.