alors leur fonction serait renversée de fond en comble et elles deviendraient elles-mêmes totalement inutiles.
L’espace qui sépare les dents du haut des dents du bas est seyant et important mais il est aussi utile, pour saisir les aliments. En effet, je sais qu’on a découvert à Rome le calvaire d’un homme adulte, dont la mâchoire inférieure est totalement privée d’articulation et de mouvement. Ses dents du haut et du bas se touchent, d’où il a fallu apprendre à envoyer, de temps en temps, de la nourriture liquide dans son ventre à travers un espace ainsi fait. J’ai souvent observé ce phénomène chez les frénétiques, les convulsifs et quelques autres souffrant d’une tumeur de l’articulation de la mâchoire inférieure. Et parce que les dents, si elles étaient totalement découvertes causeraient un dégoût et un désagrément insolites à ceux qui les regarderaient et seraient elles-mêmes endommagées en chaque occasion, la nature, veillant à la fois à la beauté de la bouche et à la conservation des dents, les orna de gencives, et pour qu’elles ne soient pas repoussantes, les recouvrit de lèvres(90, 16), bien que molles, comme d’un bouclier. Ainsi munies, comme d’une barrière, elles empêchent l’entrée d’un air trop froid ou, le réduisent et le modifient. Non seulement elles sont un rempart pour la langue, chez tous les êtres vivants, mais chez l’homme elles sont au service du langage. Et puisqu’on ne peut pas négliger cet emploi, je ne peux pas ne pas m’étonner lorsque Galien(90, 23) écrit parfois que les hommes ont des dents propres à la seule action de manger. Mais je ne pense pas que Galien par ces mots exclue cette utilité pour le langage, mais je pense plutôt qu’il refuse aux dents humaines la fonction d’une arme en leur attribuant, avec Aristote(90, 29), l’usage commun qui consiste principalement à mâcher les aliments. En effet, à cet endroit, il a à l’esprit ce dernier point et non l’autre, parce que les dents ne sont pas franchement nécessaires à la conversation et ne sont pas toutes utiles à cela, en dehors des incisives. Le discours d’Aristote(90, 31) aussi fait difficulté, quand il assure que certains animaux ont des dents pour se nourrir,