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À Charles Spon,
le 14 juillet 1643

Monsieur, [a][1]

Je vous envoie deux livres pour l’Université en suite de l’Apologie que vous m’avez mandé avoir autrefois vue à Lyon. Ces deux derniers sont excellents et de la même main que le premier, qui est de M. Hermant, [2] etc., âgé de 26 ans, quem hic omnes mirantur et suspiciunt[1] Les plus savants de deçà admirent l’esprit de ce personnage, et même l’évêque de Belley, [3] qui est mihi amicissimus[2] ne le peut assez louer. J’espère que vous y prendrez plus de plaisir qu’aux kyrielles de M. Du Val. [3][4]

Il n’y a rien de nouveau à la cour que M. de Nemours, [5] âgé de 19 ans, a épousé Mlle de Vendôme [6] qui en a plus de 25 ; que Thionville [7] est assiégée et pressée par le duc d’Enghien ; [4][8] et que M. de Guise [9] est ici arrivé depuis trois jours et que l’on dit être marié ; [10] qu’il y a bien du trouble en Angleterre [11] et que tous les princes d’Italie ont fait des protestations contre le pape, [12] etc. Sævit toto Mars impius orbe[5][13] c’est le levain et la graine du cardinal de Richelieu. [14] On n’a pas encore ôté les sceaux à M. le chancelier[15] adhuc pendet dubius, sed nescio quamdiu pendebit[6] M. de Bassompierre [16] dit que Mme la chancelière [17] est une femme bien heureuse, qu’il y a plus de six semaines que son mari branle, qui néanmoins ne s’en lasse pas. [7]

Depuis ce que dessus, j’ai reçu votre belle lettre du 7e de ce mois, de qua in universum gratias ago[8] C’est donc un chirurgien à qui j’ai donné votre petit paquet, qui n’est guère gros ; je tâcherai d’en faire un meilleur une autre fois, [18]

Nunc te marmoreum pro tempore fecimus : at tu
Si fætura gregem suppleverit aureus esto
[9]

Pour le livre du chanoine de Montpellier, il est bien chez celui qui l’a imprimé. Cet auteur s’est tard avisé, il ressemble au président Gramond [19] de Toulouse. [20] Ces Gascons orientaux ne sont pas assez fins, ils font provision de marée le vendredi-saint. Si ce Gariel s’appelle Pierre, il peut être chanoine de Saint-Pierre à Montpellier, qui fait espérer aux curieux, il y a longtemps, un livre des évêques de Montpellier, [10][21] où il promet d’instruire le public d’un excellent évêque qui y vivait il y a 80 ans, nommé Guillelmus Pellicerius, [22][23][24][25][26] qui a été un homme incomparable en savoir, [11] qui résigna son évêché à son neveu quique, puriorum religionem amplexus[12] fit un petit mariage de conscience avec une femme de laquelle il eut plusieurs enfants, auxquels il avait soin de faire donner de beaux et illustres noms, comme Phébus, Hyacinthe, Diane, Minerve, etc. Vous verrez son éloge in Illustribus Sancti-Marthani[13][27] C’est lui que M. de Thou [28] (Hist., tome premier) fait auteur du livre Histoire des poissons, auquel Rondelet [29] n’a prêté que son nom. [14] Il avait été ambassadeur pour le roi à Venise, du temps de François ier[30][31] Si un malheureux apothicaire ne l’eût tué d’un qui pro quo, [15][32] il nous eût donné un beau Pline[33] in quo elucidando[16] il avait travaillé longtemps avec de bons manuscrits qu’il avait apportés de Venise. Tous ses livres et ses écrits étaient dans la bibliothèque du cardinal de Joyeuse, [34][35] qui à peine sut-il jamais lire et écrire. [17] Depuis sa mort, tout a été dévolu aux jésuites, [36][37] qui en feront leur profit quelque jour et qui sont trop fins pour s’en vanter. [18] Il y avait entre autres six grands Pline, tous annotés. Ce Monsieur chanoine [10] ferait bien mieux de louer dignement ce grand homme que de s’amuser à louer le cardinal ; mais Dieu soit loué, il est en plomb. [19] On dit ici que M. de Noyers [38] revient en grâce et à la cour, multis præstantior unus[20] tel qu’était le médecin d’Homère. [39] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 14e de juillet 1643.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 14 juillet 1643

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(Consulté le 29/03/2024)

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