L. 122.  >
À Charles Spon,
le 2 juin 1645

Monsieur, [a][1]

Ces jours passés fut enterré ici un nommé François Coquet, [2] contrôleur de la Maison de la reine. [1] Il avait les cheveux tout blancs et n’avait que 44 ans. Il était le plus beau dîneur et le plus grand buveur de Paris, bon compagnon et fort friand. Il a été plusieurs fois malade de fièvres et de rhumatismes ; [3] ensuite il était tombé dans une jaunisse, [2][4] de laquelle il est mort sans fièvre et sans pouvoir être secouru, quoiqu’il eût les meilleurs médecins du monde à sa dévotion. Voyant que la dogmatique [5] ne lui servait de rien, il prit trois fois de l’antimoine [6] de trois divers charlatans, [7] qui tous trois ne firent rien du tout, ni par haut, ni par bas ; [3] et ce venin âcre et violent ne put passer à cause du feu qui était dans les viscères. Enfin, il est mort avec grand jugement et grand regret de sa vie passée. On lui a trouvé [8] la partie convexe du foie [9][10] toute verte comme un pré et la concave toute pleine de pus, dont il y en avait environ deux livres, la vessie du fiel [11] extrêmement pleine de bile épaissie, [12] et le poumon sanieux et purulent. Le vin [13] pur qu’il a bu a fait tout cela. [4] Hippocrate [14] nomme cette cause de maladie οινοφλυγιην, vini ingurgitationem, lib. de Morbis internis[5] Fernel [15] a fait merveille (l. 6. ch. 4.) en parlant de ce mal en sa Pathologie[6]

Nos apothicaires [16] ne se servent point de notre Codex medicamentarius[17][18] Aussi ne font-ils tantôt plus de compositions. Pour le livre, nous l’avons désavoué la plupart que nous sommes, tant pour le vin émétique, [19][20] que nous tenons pour une méchante drogue, et pour une sotte préface qui y est, que pour plusieurs fautes qui y sont dans les compositions en divers endroits. [7] Nous avons dans nos registres un insigne décret de la Faculté de l’an 1566 contre l’antimoine, [21] que vous pouvez lire dans le deuxième tome des Éloges de Papire Masson, [22] dans l’éloge du vieux Simon Piètre, [23] qui était alors doyen. [8] Si quelqu’un se peut servir de ce remède, qui est de sa nature pernicieux et très dangereux, ce doit être un bon médecin dogmatique, [24] fort judicieux et expérimenté, et qui ne soit ni ignorant, ni étourdi. Ce n’est pas une drogue propre à des coureurs. On ne parle ici que de morts pour en avoir pris de quelque barbier ignorant ou de quelque charlatan suivant la cour. Nous ne la voulons point autoriser parce que l’abus en est trop grand, même entre les mains de plusieurs médecins à qui elles démangent d’en donner.

Le Gazetier [25] n’est pas mort. Il est vrai qu’il a été longtemps malade et enfermé sans être vu de personne. On dit qu’il a sué la vérole [26][27][28][29][30][31][32][33] trois fois depuis deux ans et je sais de bonne part qu’il est fort paillard. [9] Depuis notre arrêt [34] contre lui, il n’a dit mot contre nous. Le pauvre diable a le nez cassé ; [10] ses enfants ne sont pas reçus dans notre Faculté de médecine et peut-être ne le seront jamais. [35][36] Pour votre M. Meyssonnier, [37] je sais bien qu’il est fou il y a longtemps, je n’ai point besoin de nouvelle preuve. Quand il parle de Rome, [38] c’est qu’il s’imagine qu’on ferait grand état de lui en ce pays-là. Je serais d’avis qu’il y allât lui-même montrer son nez, sa femme et ses livres. Il y pourrait paraître comme un âne entre des singes, [11][39] car ils sont bien plus fins que lui dans ces quartiers-là.

Je viens de recevoir une lettre pour vous que M. Cousinot [40] vous envoie en attendant quelque autre chose qu’il fera expédier dans quelque temps, qui sont, comme je crois, des lettres de médecin consultant du roi, [12][41][42] à ce que j’ai pu comprendre, bien qu’il ne m’ait pas donné charge de vous le dire ; mais aussi pouvez-vous faire semblant de n’en rien savoir. Je vous baise très humblement les mains et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 2d de juin 1645.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 2 juin 1645

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(Consulté le 19/04/2024)

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