L. 509.  >
À Hugues II de Salins,
le 27 décembre 1657

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre du 15e de décembre, je vous dirai que je me tiens fort obligé à votre bonté de m’avoir concilié l’amitié de M. de Saint-Loup, [2] de laquelle je fais grand état. C’est pourquoi je lui écris ce petit mot que je vous supplie de lui rendre. [1]

L’épilepsie [3] de votre jeune homme n’est point idiopathique, [4] alias nunquam desineret : [2] elle prend, elle quitte. Lisez bien Fernel en sa Pathologie[5] Hofmann en ses Institutions[6] de Baillou [7] en ses Conseils, et Galien [8] de Locis affectis et Duret [9] sur Houllier : [10] tout cela est bon, or et argent. [3] Cœlebs vivat, a vino prorsus abstineat per annum integrum[4] Faites-le saigner [11] trois fois : 1. du bras droit, 2. du gauche, 3. du pied droit ; et après cela, purgez-le [12] deux fois la semaine d’ici la Pentecôte, [13] du remède suivant :

℞ fol. Orient. ʒ ij infund. in decoct. cichorar.  v. per noctem ; in colat. diss. diapruni solut. ʒ ij syr. de florib. mali persicæ  j. fiat potio, cras mane sumenda, tribus horis ante iusculum, et superdormiat[5][14][15][16][17]

Iterum minuatur sanguine ex utroque cubito circa 20 Martii, iterumq. circa 8 Maii ; [6] en continuant toujours de le purger, comme dit est. Ôtez-lui le beurre [19] et tout le carême, qu’il vive de bouillons, potages, œufs frais et de bonne viande ; qu’il ait toujours le ventre lâche et qu’il porte ses cheveux courts, en se peignant tous les matins du devant en derrière, prorsum vorsum[7] Ce mal n’est pas incurable, il ne lui faut point de cautère, [19] il guérira s’il veut être sage.

M. Duport [20] était fort bon praticien. Je l’ai vu et connu, il était l’ancien maître [21] de notre Faculté lorsque je fus reçu, il est mort l’an 1624, le 4e de septembre. Toute sa prose est bonne, principalement celle qui est de curatione morborum[8] La bonne pratique de Paris gît [9] à saigner vitement et de bonne heure, ne purger que tard et doucement, se servir de peu de remèdes, nihil facere nec monere in gratiam pharmacopolarum : salus ægri suprema lex esto. De venæ sectione, tanquam summo artis nostræ Palladio, lege Galenum, libris propriis, Fernelium, lib. 2 Meth. med., et Botallum. Est etiam quotidie aliquid legendum de Methodo Galeni[10][22][23][24]

Lues venerea numquam emoritur : [11][25] cela est faux, absolument pris, mais il est vrai que beaucoup n’en guérissent pas bien, d’autant qu’ils s’en fient à des barbiers [26] et qu’ils ne sont pansés que sola empiricorum methodo, imo potius absque methodo[12][27] Je disais un jour à un évêque, qui en rit bien, que Dieu avait deux fois abandonné le monde en la vérole : la première, ce fut quand il envoya cette vilaine maladie sur terre, ut esset, comme dit Fernel, horrendum scortatorum flagellum ; [13][28] la seconde, quand la guérison de cette vilaine maladie a été commise à des barbiers, à des laquais bottés, [29] à des ignorants et à des empiriques destitués de toute belle et bonne connaissance ; vu qu’elle est de très difficile guérison, et où les meilleurs médecins sont quelquefois bien empêchés pour plusieurs diorismes qu’il y faut apporter, neque enim omnes uno et eodem calopodio sunt calceandi[14][30] comme font les barbiers. Hommes, femmes, enfants, sanguins, [31] bilieux, [32] mélancoliques, [33] pituiteux, [34] atrabilaires, doivent être différemment traités, et même pour les remèdes généraux quæ sunt diæta, venæ sectio, purgatio, balneum[15] qui sont autant de mystères que les barbiers n’entendent point et n’entendront jamais : ad hoc enim requiritur ingenium philosophicum[16]

Tenez pour maxime qui est très vraie, et ne manquez pas de la pratiquer : omnem quartanam fieri ab humore putri, eoque calidissimo, inde fit ut omnibus quartanariis vinum sit infensissimum, nisi fuerit dilutissimum et vetulum ; nec tamen tale competit quartanæ, sed ratione virium qodammodo exhibetur ac indulgetur[17][35] Cette fièvre se fait toujours d’une humeur aduste où le vin ne vaut rien, je n’en permets ici à personne toto morbi decursu ; [18] outre quoi, il faut qu’ils soient bien sages et vivent fort sobrement : on ne guérit point de ce mal en mangeant.

Il faut allaiter [36] les enfants [37] jusqu’à ce qu’ils aient toutes leurs dents, [38] ou au moins 16 ou 18, qu’ils soient forts et vigoureux, qu’ils mangent bien du bouillon, de la panade [39] et qu’ils boivent bien de l’eau bouillie ; plane abstineant a pulticula[19] cette bouillie [40] est un aliment visqueux et glutineux qui ne leur fait que des obstructions et delà febrium ac morborum omne genus[20] Il faut laisser dormir les petits enfants tant qu’ils voudront et leur donner à boire de l’eau bouillie tout leur saoul ; mais il faut les nourrir sobrement, et les accoutumer petit à petit à cette vertu qui est le fondement d’une longue vie et la cause d’une belle santé : c’est une vertu qui fait bien au corps et à l’âme.

Je vous supplie de faire mes recommandations à monsieur votre père, à monsieur votre frère, à mademoiselle votre femme, à M. de La Curne [41] l’avocat et à nos autres amis, si qui sint qui rebus nostris faveant[21]

Le prince de Condé [42] est toujours malade à Gand, [43] Guénault [44] y est allé d’ici. On dit qu’il y a une nouvelle révolte dans le royaume de Naples [45] à cause 6 000 bandits qui se sont déclarés et ont fait soulever le pays. On s’en va y envoyer d’ici une armée sous la conduite de M. de Guise, [46] le chevalier Paul [47] conduira les vaisseaux. [22] On dit que la reine de Suède [48] ira avec M. de Guise et qu’elle aura la qualité de notre généralissime, et que M. de Guise ne sera que son lieutenant général. D’autres disent qu’elle s’en va à Toulon [49] y attendre les ordres du pape et qu’elle ne veut pas aller à Avignon, d’autant qu’il y a là quelques Italiens qui se sont vantés de vouloir venger la mort du pauvre Monaldeschi. [50] On a envoyé 200 000 écus au roi de Suède [51] afin qu’il fasse une armée et qu’il tienne l’Allemagne en bride ; et en ce cas-là, on lui en promet encore autant dans peu de temps.

Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 27e de décembre 1657.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 27 décembre 1657

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(Consulté le 19/04/2024)

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