L. 547.  >
À Charles Spon,
le 3 décembre 1658

Monsieur mon cher ami, [a][1]

Ce 13e de novembre. Je vous dirai que depuis ma dernière, laquelle fut du vendredi, 8e de novembre, un de nos jeunes docteurs nommé Douté [2] a fait imprimer un petit traité in‑4o de 50 pages de Succo Cyrenaïco[1][3][4] contre un autre docteur de gente stibiali, nec bonum, nec eruditum, sed Cenomanum[2][5] J’en ai céans une copie pour vous et une pour M. Vander Linden, [6] que je lui enverrai en Hollande à la prochaine occasion. On dit que le roi [7] est hors de Dijon et qu’il s’en va à Lyon, et qu’il est ici passé un courrier de la part de M. de Turenne [8] qui s’en va demander au roi la neutralité pour ceux de Bruxelles, [9] qu’il y a d’étranges désordres en Flandres, [10] que le peuple de ces provinces se sauve en Hollande où le nombre des gueux est merveilleusement accru depuis l’été dernier. On dit que le roi a mandé les premiers présidents de Toulouse, [11] de Bordeaux et d’Aix, [12] et qu’ils ont charge de le venir trouver à Lyon ; mais on dit qu’il ira à Marseille si les mutins de cette ville, [13] de peur d’être maltraités, ne mettent de l’eau à leur vin et ne deviennent plus sages. Une gazette d’Italie envoyée de deçà parle d’une grande confédération entre nous, les ducs de Savoie, [14] de Mantoue, [15] de Modène [16][17] et autres, [3] par laquelle nous prendrons le Milanais, [18] dont ces petits Messieurs auront leur part ; et entre autres, Savoie aura Milan et en récompense, nous cédera la Savoie, [19] c’est-à-dire tout ce qu’il a au delà des monts. [4] On dit qu’il y a du bruit en Angleterre entre le milord Richard, [20] protecteur, son jeune frère [21] et son beau-frère, [22] gendre de feu M. Olivier Cromwell. [5][23] Voilà des mouvements qui commencent en plusieurs endroits, le temps futur en fera voir la fin à ceux qui y seront. J’ai aujourd’hui rencontré M. de Masclari, [6][24] secrétaire du roi, qui m’a dit qu’il avait obtenu le privilège des œuvres de Cardan, [25] qu’il l’avait mandé à M. Huguetan [26] et qu’il était en peine de ses nouvelles. M. Huguetan a ici un garçon (qui est neveu de M. Caze) [27] qui n’est pas bien sage. [7][28] Je ne sais s’il y fait le profit de son maître, mais au moins j’ai grand peur qu’il ne soit bien débauché. Je vous prie d’en toucher quelque mot à M. Huguetan, son maître, si le jugez à propos, et de lui faire mes recommandations.

Ce samedi 16e de novembre. Aujourd’hui au matin, M. de Lamoignon [29] a été reçu en plein Parlement, les chambres assemblées, en sa charge de premier président. Et Dieu merci, voilà la vôtre du 15e de novembre que je reçois avec grande joie. [8] Je suis bien aise que M. de La Poterie [30] soit arrivé et qu’il vous ait rendu les Opérations de Chirurgie[9] Pour la lettre que j’ai reçue de M. Monin, [31] elle ne m’appartient que par le titre, il y a là-dedans plusieurs choses qui ne m’appartiennent pas : il y parle d’opérations de chirurgie et de mon voyage à Grenoble ; je pense que c’est une lettre qu’il écrit à quelque chirurgien de sa connaissance, auquel il écrivait en même temps qu’à moi et en la suscription desquelles il se sera trompé. Si vous lui écrivez par hasard, vous lui en donnerez s’il vous plaît avis ; sinon, demeurez-en là, c’est une affaire qui pourra s’éclaircir par quelque autre voie. Il me semble qu’il a demeuré quelque temps chez M. Jamot, le chirurgien de la Charité. [32] Ma lettre pourrait bien lui appartenir ; si je le rencontre, je lui en parlerai. Je vous remercie pour la boîte de Grenoble et serai bien aise de connaître ce brave jeune homme de Saint-Gall [33] que vous appelez M. de Baumgartner [34] qui, puisqu’il vient de Padoue, [35] pourra me dire des nouvelles de M. Rhodius [36] et de son Celse[10][37] Je m’attends que les Observations de Rivière viendront de deçà [38] puisqu’elles sont achevées. Si vous pouvez retrouver le pars v historiæ Eccles. Hottingeri[39] vous me ferez faveur de me les envoyer ensemble et de me les mettre sur mon compte. [11] Pour la censure de Sorbonne, [40] elle vaut toujours mieux que rien. Il est vrai qu’elle est faible et que la noire et forte machine qui étend ses bras jusqu’à la Chine [12][41] a merveilleusement du crédit à la cour ; mais néanmoins, ces bons pères [42] ont aussi beaucoup d’ennemis et quelque malice qui reste dans le siècle, il faut pourtant avouer qu’il y a encore d’honnêtes gens : on dit ici que cinq évêques du Languedoc ont tout nouvellement censuré ce même livre, [13] et y a ici quelques curieux qui ont reçu des copies de ces censures. Je vous prie de ne pas oublier de faire mes très humbles recommandations à M. Eus[ta]che qui est à mon gré, un excellent personnage, et du[quel je fais gr]and état. [14]

Pour le fils de M. Falconet, [43] je ne vous sais que dire. Il est assez bon garçon et n’a que le sang bien chaud. Il va en classe tous les jours, il a de l’esprit et étudie bien, mais je ne vous puis rien dire touchant sa pension, ce n’est point mon métier d’en parler. Je ne l’ai point pris céans en intention d’y gagner, mais seulement pour témoigner à Monsieur son père [44] que je ne lui veux rien refuser de ce que je pourrai faire pour son service. Je le fais étudier tous les soirs céans avec moi jusqu’à souper. Il est bon enfant et docile. Après souper, je l’exempte d’étudier et l’invite de s’aller coucher de bonne heure afin qu’il puisse se lever plus matin, étudier un peu et s’en aller en classe, ce qu’il fait ; et j’espère qu’avec cette souplesse d’esprit et d’autres bonnes qualités qu’il a, que nous en ferons quelque jour un honnête homme et un bon médecin car il a l’esprit fort et prompt, et n’a en soi ni malice, ni fourberie. Je ne doute pas que Monsieur son père, avant que de partir, ne lui ait donné de bons préceptes, desquels je reconnais les effets en ses déportements ; et en suis bien aise, et j’en ai bonne espérance. Dieu lui fasse la grâce de bien faire toujours en continuant jusqu’à ce qu’il soit hors de mes mains et puis après, encore toute sa vie.

Pour M. Restaurand, [45] obligez-moi d’acheter son Figulus pour moi si vous le rencontrez ; je ne l’ai jamais vu et ne sais ce que c’est. Pour celui de M. Graindorge, [46] je ne doute point qu’il n’en vienne à Lyon puisqu’il a été imprimé en Languedoc. Je n’ai céans qu’un petit in‑4o du dit Restaurand, qui n’est pas ainsi intitulé, que M. Gras [47] m’envoya l’an passé. [15]

Pour des nouvelles de la cour, je ne vous en demande nullement, je les saurai toujours assez tôt sans vous en donner aucune peine. On tient ici que le roi de Suède [48] est fort affaibli, qu’il ne prendra pas Copenhague [49] et qu’il a bien perdu de ses troupes devant l’île d’Amac. [50] On a peur que cela n’affaiblisse nos conquêtes de Flandres pour l’été prochain. Voilà un mauvais rencontre qui peut relever le courage de la Maison d’Autriche. [16]

On dit que l’été prochain nous serons obligés de faire grosse guerre en Italie, voire même d’aller jusqu’au siège de Milan pour obliger le roi d’Espagne [51] d’y avoir une grosse armée, afin que cela l’empêche d’envoyer grand secours en Flandres. Les lettres de Hollande portent les mêmes choses que la Gazette de Flandres au désavantage du roi de Suède, et tout cela en vertu d’une lettre que l’on dit être venue de Lübeck, [52] qui n’est peut-être pas vraie.

Ce 20e de novembre. La reine d’Espagne [53] est prête d’accoucher, voilà la plus grande nouvelle que l’on attend de ce pays-là. Si c’est un mâle, cette naissance portera coup à marier plus tôt sa fille, [54] laquelle est infailliblement fort nubile[17]

Ce 21e de novembre. On dit que la reine d’Espagne est accouchée d’un second fils, [18][55] que l’Archiduc Léopold [56] a refusé le gouvernement des Pays-Bas, [57] que don Juan d’Autriche [58] s’en retourne en Espagne et que M. le prince de Condé [59] y envoie pareillement son fils [60] avec bel équipage. Il court ici un bruit que l’on va ôter les sceaux à M. le chancelier [61] et qu’on les donnera à M. de Marca, [62] archevêque de Toulouse, que l’on a fait depuis peu ministre d’État afin qu’il puisse assister au Conseil d’en haut [63] et y tenir sa place. Vous savez quel personnage c’est, mais néanmoins je ne puis croire cette nouvelle, laquelle me semble ridicule et extravagante. Ce M. de Marca est présentement à Lyon où il va attendre le roi quand il y arrivera.

La nouvelle Apologie des jésuites pour les casuistes faite par le P. Pirot, [64] jésuite breton, a fait merveilleusement du bruit dans le Clergé. Plusieurs évêques l’ont déjà récusée dans leurs diocèses, tels que sont l’évêque d’Orléans, [65] l’archevêque de Sens, [66][67] l’évêque de Nevers, [68][69] cinq évêques du Languedoc, les grands vicaires de Paris. [19] On attend dans peu de jours celles de Rouen, d’Angers, [70] de Beauvais, [71] d’Évreux, et encore d’autres qui pourront suivre. Un curé de Paris m’a dit aujourd’hui que de toutes ces censures sera fait un recueil, in‑4o avec de savantes réflexions que l’on y mettra au nom des curés de Paris. Les jésuites en sont ici en grosse colère et jettent feu et flamme contre M. Mazure, [72] docteur de Sorbonne et curé de Saint-Paul, [73] qui est leur grand et puissant adversaire, qui a pressé celle de Sorbonne, qui gouverne M. le cardinal Mazarin, qui a du crédit à la cour, etc. Les jésuites, hominum genus quod vindicta æque gaudet quam femina, imo ultionis avidissimum et appetentissimum[20][74] disent qu’il veut être évêque, qu’il s’en va l’être, mais qu’ils s’y opposeront, qu’ils empêcheront ses bulles [75] à Rome, etc. Voyez comment voilà de bons chrétiens, bien fournis en charité apostolique, et comment ces gens-là pardonnent bien à leurs ennemis. N’est-ce point pratiquer le précepte évangélique en équivoquant, Diligite inimicos vestros, benefacite his qui oderunt vos ? [21][76] Vraiment ces bons pères sont […] du christi[anisme …].

Ce 23e de novembre. Nous avons aujourd’hui enterré un de nos collègues nommé M. Régnier, [77] âgé de 40 ans, qui est mort d’une maladie lente et toute tabide, [78] cum vomitu purulento[22] pour un abcès qu’il avait quelque part dans les poumons plutôt que dans le mésentère. [79][80] Nous en avons un autre qui a quitté Paris depuis quelques années et abiit in agrum Turonensem[23] où il vivait en philosophe ; mais la vieillesse l’a accablé de plusieurs incommodités et entre autres, d’une paralysie pour laquelle il se fit mener à Bourbon [81] l’été passé, dont il est revenu tout autrement plus mal, abattu, exténué et ne pouvant presque plus parler. C’est M. Mandat, [82] je pense qu’il n’ira plus guère loin car il passe 70 ans et toute sa vie a été assez déréglée.

J’ai aujourd’hui passé demi-heure de temps à lire quelques chapitres d’un livre que m’avez envoyé de la part de M. Volckamer, [83] qui est pourtant un don de l’auteur à moi destiné. C’est Guerneri Rolfinckii Methodus cognoscendi et curandi febres generales[24][84] Il y a là-dedans du travail et du latin, mais il n’y a là-dedans guère de bonne médecine. Notre pratique de Paris vaut mieux que tout cela, je pense que ces gens-là n’ont jamais guère vu de malades et qu’ils en guérissent encore moins. Il y a quelques curiosités, mais il n’y profonde pas et le plus souvent, [25] il tient les mauvais avis. Bref, tales libri sunt periculosæ lectionis medicinæ studiosis[26] principalement s’ils étudient pour bien faire, qui est ce que les docteurs académiques n’entendent guère et que très peu.

On dit que ceux de Dijon [85] sont fort attristés du voyage du roi, tant pour l’argent qu’il leur a demandé dans les états [86] de la province que pour les offices nouveaux qu’il veut faire, et dans le parlement et dans la Chambre des comptes[27] Les lettres de Dijon portent que ce que le roi leur a demandé en ce dernier voyage vaut plus d’argent qu’il n’y en a en toute la Bourgogne. La reine d’Espagne n’est pas encore accouchée, le bruit qui en avait couru est faux. Tout le voyage du roi n’est pas en intention de mariage, mais seulement pour avoir de l’argent pour la guerre que nous voulons faire en Italie l’été prochain et pour apaiser l’affaire de Marseille. [28] On dit que le gouverneur des Pays-Bas sera un archiduc d’Innsbruck et que le prince de Condé aura la qualité de généralissime des armées du roi d’Espagne ; [29] que si M. Olivier Cromwell eût vécu, [87] sans doute qu’il eût assisté puissamment le roi de Suède et qu’il eût empêché que les Hollandais ne se fussent mêlés de donner du secours au roi de Danemark. Même le cardinal Mazarin se plaint du roi de Suède qui a pris notre argent pour aller en Danemark faire la guerre pour des inimitiés particulières, au lieu de faire la guerre à la Maison d’Autriche en Allemagne.

Le Port-Royal [88] a fait une nouvelle perte qu’il déplore fort après celle de M. Le Maistre, [89][90] cet avocat fameux qui était un homme incomparable : c’est que M. Fleury, [91] docteur de Sorbonne qu’ils avaient donné pour confesseur à la reine de Pologne [92] et qu’elle avait emmené quant et soi d’ici, est mort au siège de Thorn ; [30][93] et pour vous dire qu’en ce pays-là on guénaltise aussi bien qu’ailleurs, [31] le 16e jour d’une fièvre continue [94] on lui donna de l’antimoine qui lui causa aussitôt des convulsions, ex quibus penetravit in requiem sempiternam[32][95] Tous les gens de bien meurent, il n’y a que les tyrans et les jésuites qui ne meurent point. On dit que lorsque le roi sera de retour, il y aura ici divers impôts [96] qui seront portés au Parlement ; mais entre autres, on dit qu’il y en a un contre les partisans pour les remises que le roi leur a faites dans leurs traites, moyennant l’argent comptant qu’ils ont donné. On dit que c’est un nommé M. Monnerot [97] qui en a fait le parti et qui tiendra. Homo homini lupus[33]

Le Grand Turc [98] a fait emprisonner et étrangler son grand vizir [99] et a fait arrêter la sultane sa mère. [100] On dit que ce jeune prince sublimes ac ingentes gerit spiritus [34] et que ce sera un second Soliman, [101] s’il vit. M. de La Haye, [102] notre ambassadeur, y a des gardes et son fils, [103] qui lui doit succéder en l’ambassade de Constantinople, [104] y est prisonnier. [35]

Quand le roi aura fait à Lyon ce qu’il prétend, il ira à Toulouse et à Marseille ; le cardinal Mazarin l’a mandé à M. l’archevêque de Narbonne. [105] Si cela se fait, je crois bien qu’il ira delà à Bordeaux, et puis après en Bretagne, afin de faire tout le tour de la France orientale [36] et méridionale ; outre que c’est le moyen d’avoir de l’argent que de visiter tant de villes. Les Espagnols remettent toute leur espérance en une grande flotte qu’ils espèrent l’an prochain, pour laquelle escorter les Hollandais ont envoyé plusieurs vaisseaux. C’est à faire aux Anglais et aux Portugais d’y penser et ne point s’endormir sur une si belle occasion, car si cette mamelle était tarie pour le roi d’Espagne, ses affaires seraient pis que jamais, et serait abandonné l’an prochain par les Flamands. Les procureurs et les greffiers commencent à se plaindre de M. de Lamoignon. Il leur a dit qu’il veut avoir soin de leur âme aussi bien que de leur office, qu’il ne veut plus qu’il se donne d’arrêts sur requêtes [106] ni de parlers sommaires, etc. [107]

Les politiques spéculatifs de deçà tiennent qu’il n’y aura pas de mariage à Lyon, mais que tout le voyage du roi ne tend qu’à trouver de l’argent pour la traite [37] et pour la guerre de la campagne prochaine. Cela fait croire ce que quelques lettres du Languedoc portent, savoir que le roi ira à Toulouse et en Provence, et partout ailleurs où il en pourra avoir ; mais on dit qu’à Dijon le parlement a fait le procès à son greffier, [108] qu’il a été condamné à faire amende honorable, [109] à 10 000 livres d’amende pécuniaire et à se défaire de sa charge ; que M. le chancelier est sorti de Dijon et qu’il s’est retiré dans Beaune pour la peur qu’il a eue d’une révolte dans Dijon ; d’où néanmoins, l’on dit que le roi ne tirera guère d’argent, pour la pauvreté de la province.

On dit que la reine de Suède [110] est sortie de Rome sans dire adieu et qu’elle s’en vient en France y chercher de l’argent qu’elle prétend lui être dû ; que les Espagnols ont, avec une petite armée qu’ils ont ramassée de leurs débris, assiégé Le Quesnoy. [111] M. le président de Mesmes [112] a perdu son deuxième fils, [38][113] âgé de 24 ans et qui avait deux abbayes de 25 000 livres de rente, d’une fièvre continue dans laquelle Guénault [114] a fait prendre trois fois du vin émétique, [115][116] qui lui a donné un rude assoupissement, quod ad lethum deduxit[39] Voilà des bénédictions antimoniales en suite de ce que la Gazette [117] a prêché de l’excellence du vin émétique, et voilà le président de Mesmes récompensé de la fourbe qu’il me fit l’an 1653 au procès de Jean Chartier [118][119] à la recommandation de Guénault qui avait peur pour son antimoine [120] si ledit Chartier eût perdu son procès comme il le devait perdre. Il n’a pourtant pas laissé de le perdre car son malheureux libelle a été désavoué et condamné de tout le monde, lui fort blâmé et méprisé d’un si chétif ouvrage, duquel même l’on dit qu’il n’est pas l’auteur, mais qu’il a seulement prêté son nom à Davidson [121] qui était un malheureux chimiste [122] écossais et cocu qui a quitté Paris de peur d’y mourir de faim et est allé en Pologne, pensant y faire fortune, et où il est mort gueux. Ce procès de Chartier n’a pas laissé de lui coûter (ou au moins à Guénault qui payait pour lui) plus de 1 300 livres, dont ils n’ont jamais retiré un sol[40]

Ce < mardi > 3e de décembre. Hier, Monsieur le premier président fit sa première harangue dans le Parlement où il fut fort bien écouté et admiré. Après lui, M. Talon, [123] l’avocat général, harangua more solito[41] et haranguera encore demain à la mercuriale. [124] C’est un des plus habiles hommes du siècle. On espère beaucoup de M. de Lamoignon et de M. Talon (dont le plus vieux des deux n’a que 40 ans, et M. Talon n’en a que 32) dans la réformation que l’on va faire dans la Grand’Chambre et aux Enquêtes, mais principalement in maximo illo tribunali unde defluit omne malum[42] car c’est chose effroyable que les abus et désordres que les greffiers et quelques vieux conseillers font dans cette Grand’Chambre. Enseignez-moi, s’il vous plaît, en quel livre je pourrais trouver la description de ces pilules si fameuses, quæ dicuntur pilulæ Francofurtenses, quas puto constare sola aloë nutrita et infusa in aqua violarum per aliquot menses. [43][125][126] Je sais bien que les Allemands en font un grand secret, mais je ne suis pas de leur avis car, à tout prendre et omni subducta ratione[44] l’aloès est un chétif et méchant remède qui dessèche le foie, [127] l’échauffe et le dispose à l’hydropisie, [128] outre qu’il ouvre les veines du siège et fait venir les hémorroïdes. [129] J’aime mieux le séné [130] et le sirop de roses pâles. [131] Nous savons bien que toute la cour est à Lyon, et même que tous y sont incommodés, tant ceux qui logent que ceux qui sont logés. Ne m’écrivez rien de toute la cour, j’en sais assez. Je me contenterai de savoir des nouvelles de votre santé, quand le roi en sera sorti et quel chemin il aura pris. M. le comte d’Harcourt [132] est arrivé ce matin dans Paris avec deux carrosses à six chevaux et huit hommes de cheval, qui est un cortège assez chétif pour un prince de la Maison de Lorraine. [133] On dit que ce sera lui qui commandera nos troupes en Italie l’été prochain.

Je vous prie de me conserver en vos bonnes grâces, de mademoiselle votre femme, de MM. Gras et Garnier, de M. Huguetan l’avocat, de Monsieur son frère, et de M. Ravaud, et je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 3e de décembre 1658.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 3 décembre 1658

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(Consulté le 28/03/2024)

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