L. 563.  >
À Hugues II de Salins,
le 9 mai 1659

Monsieur, [a][1]

Pour répondre à votre dernière du 24e d’avril, que votre peintre a apportée céans, je vous dirai que par ci-devant j’ai répondu à tous vos doutes, ou tout au moins à la plupart d’iceux. J’ai donné à votre peintre une heure de mon temps où il a fort ébauché ma ressemblance ; je lui ai dit que, quand il voudra, je lui donnerai encore une autre heure. J’ai bien de l’obligation à mademoiselle votre femme, laquelle veut voir mon portrait. [2] Je la remercie de sa bonne volonté, et moi je voudrais bien aussi la voir, mais mes affaires ne me permettent pas d’aller à Beaune. [3] Ces fendeurs de rate [4] ne sont que des charlatans et falsa sunt omnia quæ dicuntur de excisione lienis, cuius omnia vulnera sunt læthalia : vide Riolanus in Anthropographia, pag. 132[1] Il y avait ici un charlatan troyen nommé Le Fèvre [5] qui, ut sibi famam aliquam compararet et rem quomodocumque faceret, tale quid pollicebatur, sed numquam præstititit ; nec poterat[2] C’est celui qui donna du laudanum [6] et qui tua le cardinal de Richelieu [7] l’an 1642. Il est mort à Troyes [8] l’an 1655, au mois d’avril, de l’antimoine [9] qu’il se donna lui-même. C’était un grand fourbe qui avait autrefois voyagé et demeuré en Italie. Paris est plein de bilieux, [10] c’est pourquoi l’eau leur est plus propre que le vin, principalement à ceux qui ont l’estomac fort et chaud. Le vin pur [11] à jeun ne vaut rien, il nuit à l’estomac, en dessèche les tuniques, ennemi de la tête et du foie, [12] qu’il dispose à l’hydropisie. [13] L’eau lâche le ventre, non pas seulement par son humidité, mais inducendo refrigerium[3] Le déjeuner d’un honnête homme est un peu de bon vin avec beaucoup d’eau, et du pain. Il faut boire tout au moins deux fois. Qui vino vetere utuntur sapientes puto[4] à ce que dit Plaute. [14]

In morborum curatione potius est consulendum lotium quam astrum[5] Moquez-vous de la lune, [15] elle est trop vieille, elle ne mord plus. Il faut assister son malade tant que vous aurez espérance de le pouvoir guérir ou soulager, s’il en vaut la peine ; mais un médecin a bonne grâce de dire dès la première visite du malade ce qui lui peut arriver de sa maladie. Morienti non debet adesse, nec mortuo[6] et < on > ne doit jamais demander que l’on ouvre son corps [16] après la mort, ne videatur morbi causam, magnitudinem, et partem affectam non agnovisse. In suffocatione hysterica est mittendus sanguis ex utraque basilica, ad tollendam plenitudinem maiorum vasorum ; postea e saphena ; et multa enemata iniicienda. Vinum paucum præterea exhiberi, sed multa aqua dilutum, idque sit vetustum[7][17][18][19] Je n’ai point été à Bruxelles, [20] mais Guénault, [21] qui est médecin de la Maison ; quand il y arriva, le prince de Condé [22] était hors de danger. Il y a là un fort savant médecin, qui est M. Chifflet, [23] qui lui avait rendu bon secours et qui en a plus oublié que Guénault n’en sut jamais.

La paix [24] est faite entre les deux couronnes. On publiera bientôt la suspension d’armes et le reste s’ensuivra, même le mariage du roi [25] avec l’infante d’Espagne. [26] Plusieurs villes nous demeurent par cette paix. Nos deux traîtres qui sont dans Hesdin, [27] de Fargues [28] et La Rivière, [29] ont ici envoyé un homme pour traiter pour eux et nous rendre la ville. [8] On dit que le pape [30] apprend à peindre et qu’il devient fou. Les Anglais feront un traité exprès avec l’Espagnol qui est bien plus fort maintenant à cause de la flotte des Indes [31] qui est arrivée, dans laquelle on dit qu’il y a 170 millions d’écus. Voilà bien de quoi faire du mal au monde, il vaudrait mieux qu’il n’en fût point. Bellissimam uxorem, suavissimos parentes, amicos omnes, teque imprimis saluto. Vale et me ama,

G.P.

Parisiis, die Veneris, 9 Maii 1659. [9]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 9 mai 1659

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(Consulté le 28/03/2024)

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