L. 605.  >
À André Falconet,
le 27 avril 1660

Monsieur, [a][1]

Le samedi 24e d’avril (anniversaire du marquis d’Ancre, [2] au bout de 43 ans). La cause de M. Des Gorris [3] fut appelée à la Grand’Chambre, mais son avocat n’y comparut point ; la cause fut remise à la huitaine et en attendant, défense à lui de se pourvoir ailleurs. [1] Je crois qu’il perdra son procès et néanmoins, Guénault [4] a fait tout ce qu’il a pu pour lui, et même M. le président de Nesmond [5] a voulu être son intercesseur vers M. le premier président[6] sed frustra[2] La Grand’Chambre est pleine de conseillers clercs qui seront contre les huguenots [7] et de plus, M. le premier président les hait fort, bien qu’il ne soit encore qu’obsédé, et non pas possédé spiritu Loyolitico[3]

Le dimanche 25e d’avril. J’ai reçu votre belle lettre, je participe à la joie que vous avez de la vérification de vos statuts, [8] et suis fort réjoui que vous soyez content de mes raisons et de mes diligences envers M. le premier président ; je vous prie d’assurer tous Messieurs vos collègues de mes services. J’ai avancé à M. Riquier [9] 60 livres 10 sols pour lever votre arrêt qu’il a fallu réformer ; mais après qu’il a appris que cela coûterait bien davantage, il m’a demandé autres 60 livres que je lui ai baillées, pour lesquelles deux sommes j’ai son récépissé. Je crois qu’il s’attend de faire partir le tout dans votre boîte pour le même jour que celle-ci partira et que M. de Rhodes [10] y fera ses diligences vers le messager.

Les affaires du roi d’Angleterre [11] s’avancent, mais on m’a dit qu’on lui a présenté des conditions bien étranges et entre autres, que la reine sa mère [12] ni Messieurs ses frères ne retourneront jamais en Angleterre ; qu’il n’épousera point de femme qui ne soit protestante ; qu’il ne donnera aucune liberté aux catholiques romains ; et autres. On dit ici que la paix est fort avancée entre le roi de Pologne [13] et les Suédois, et plus encore entre la France et l’Empire, et qu’il y a grande apparence que nous n’aurons point de guerre cette année. [14]

M. d’Hervart, [15] ci-devant intendant et aujourd’hui contrôleur général des finances, fait ici de grandes brigues pour faire recevoir son fils conseiller de la Cour. [4][16] On y fait de la difficulté, non point pour sa religion car il doit y en avoir six huguenots dans le Parlement de Paris, mais parce qu’il est fils d’un partisan. Voilà ce qu’en disent ceux qui le veulent refuser, disant que ce père a trop de bien pour n’avoir pas fait ce métier-là. Le père répond que non et negat fortiter[5] soutenant qu’on ne peut montrer en aucune façon qu’il ait jamais trempé en aucun parti ; c’est que les partisans n’y mettent plus leur propre nom, mais ils en supposent un. Sur ses prétendues finesses, le Parlement est fort en division, et ils ne s’accorderont jamais sans bruit et absque mutuo odio[6] Vous ne doutez pas que la corruption ne soit grande et qu’elle n’aille bien loin ; c’est ce dieu Mammona, [17] deus iniquitatis[7][18] qui fait tout cela.

Ce lundi 26e d’avril. Il y a aujourd’hui 102 ans que Fernel [19] mourut, belle âme et bien illustre dont la mémoire durera autant que le monde, aut saltem quamdiu honos habebitur bonis literis[8] Il est enterré dans Saint-Jacques-de-la-Boucherie [20] ici près. J’y mène souvent mes deux fils, les exhortant de devenir comme lui. Je soupai hier au soir chez M. le premier président, où plusieurs survinrent que l’on n’attendait point. On y parla fort de M. de Thoré, [21] président des Enquêtes, fils de feu M. Particelli d’Émery, [22] surintendant jadis des finances, qui était un grand larron. Ce fils président a été fou [23] déjà plusieurs fois, mais depuis six mois il l’est plus fortement que jamais et ôte toute espérance d’amendement, quia ad meliorem mentem non revertitur, nec ulla obtinet dilucida intervalla, quæ spem relinquunt του ραιζαν in tali desipientiæ genere[9] On parle de vendre ses charges et de le séparer d’avec sa femme, [24] laquelle ne le veut point quitter ni se séparer de lui ; au contraire, sa mère [25] le demande, et qu’il soit remis en ses mains et en sa garde ; et comme il n’y a point d’enfants, on veut que la femme se retire, ayant pris son bien et ses droits, ce qu’elle ne veut point faire ; et c’est le procès dont il sera parlé demain dans la Grand’Chambre. Et en attendant, les sages remarquent la malédiction qui tombe tous les jours sur les familles de ceux qui ont gouverné les finances depuis 40 ans : témoins celles du maréchal d’Effiat, [26] de Bullion, [27] Bouthillier, [28] Fieubet, [29] Bossuet, [30] du président de Maisons, [31] de feu M. Servien, [32] d’Émery et autres, quorum nomina non tacebuntur annis proxime successuris[10] qui ont été les bourreaux et les sangsues de ce royaume depuis tant d’années. Je n’y veux point oublier le cardinal de Richelieu [33] dont les deux neveux se sont fort indignement mariés, bien qu’il ait volé plus de 60 millions à la France pour tâcher d’enrichir sa Maison. Juste récompense et punition divine ! dit Homenaz [34] dans l’auteur François du Pantagruélisme[11][35] Un poète ancien a dit Certe lenta est deorum ira, sera tamen < pœna > tacitis pedibus venit[12][36][37] Qui bien fera, bien trouvera, ou l’Écriture mentira. [13][38]

Le pape a fait huit cardinaux nouveaux dont il y a un Mancini, [39] neveu de Son Éminence, qui a la nomination de France, un pour Espagne, qui est un évêque d’Aragon, un pour Vienne, [40] parent de l’empereur, [41] le quatrième pour le roi de Pologne, le cinquième est vénitien ; les sixième, septième et huitième sont italiens. [14] On dit aussi qu’il y a une trêve de six semaines entre le roi < de Pologne >, la Suède et l’empereur, et l’été prochain nous n’aurons guerre nulle part. [15]

M. Riquier me vient de dire qu’il a aujourd’hui après-midi délivré à M. de Rhodes votre petit coffre avec les pièces requises et qu’il vous a mandé qu’il avait reçu de mes mains 120 livres 10 sols, qu’il en a payé les expéditions au greffe du Palais et ailleurs, qu’il en est content et qu’il ne désire rien davantage. Je vous prie de dire à M. Michel [42] que je suis son très humble serviteur, et de même à MM. de Rhodes, Spon et Garnier, comme aussi à M. Barbier [43] l’imprimeur. Quand sera fait son Sanctus Georgius Cappadox ? [16][44] Je serais d’avis qu’il en envoyât un en blanc à M. le premier président qui aime ces nouveautés et qui reçoit de bonne grâce ces petites curiosités en présent. L’auteur [45] est un homme rare, singulier et très savant, excepté qu’il se fait poissonnier la veille de Pâques et qu’il affecte d’écrire d’une manière qui n’est plus en usage ; et néanmoins tous ses livres sont bons, est enim vir multi iugæ eruditionis ac infinitæ lectionis[17] comme disait M. Grotius [46] de feu M. de Saumaise. [47] Le style du P. Théophile Raynaud redolet Lipsianum, quo tamen est multo deterior[18][48] Il n’y a aujourd’hui aucun auteur qui écrive de même, si ce n’est peut-être M. Blondel, [49] notre doyen, qui, bien qu’il soit un des plus savants hommes du monde, affecte cette espèce de barbarie, et eadem scabie laborat cum Tertulliano, Lipsianus seu Lipsiomimus vel Lipsio minus, qualis aliquando fuit Erycius Puteanus, Petrus Gruterus, Theophilus Raynaldus et pauci alii quos fama obscura recondit[19][50][51][52]

Noël Falconet [53] a fait relier sa morale et sa mathématique, il continue diligemment ses répétitions. Il me promet de bien étudier en médecine et d’aller vite, afin d’être bientôt fait docteur et agrégé de bonne heure à votre Collège de Lyon. Il aura cet avantage d’être auprès de vous, qui lui serez un bon et grand livre, et auprès de Madame sa mère [54] quam sibi sperat suavissimam et faventissimam futuram[20] Deux des filles [55][56] de M. le duc d’Orléans partent demain, par ordre et aux dépens du roi, [57] pour assister à son mariage et porter la queue à la reine [58] avec Mademoiselle, [59] leur sœur aînée. [21] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 27e d’avril 1660.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 avril 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0605

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.