L. 621.  >
À André Falconet,
le 6 juillet 1660

Monsieur, [a][1]

Ce 3e de juillet. Je vous envoyai hier une lettre de quatre grandes pages par la voie de M. Langlois. On dit que M. l’abbé de Gaillac [2] est allé en cour pour obtenir un arrêt d’en haut [3] touchant l’insulte qu’il a faite à M. le premier président[4] Cet abbé ne trouvant point ici d’appui suffisant, ni parmi les maîtres des requêtes, ni dans le Parlement, ses amis même avouent qu’il en sera mauvais marchand ; le Parlement fut encore hier assemblé pour cette affaire. Votre jeune médecin, M. de Serres, [5] est ici qui vient soigneusement à mes leçons. Il m’a dit qu’il avait laissé son compagnon de voyage, M. de Rhodes, [6] à Londres, néanmoins incertain s’il passerait en Hollande et en Flandres. [7]

Ce jourd’hui 5e de juillet. Nous avons fait la licence [8] de nos vieux bacheliers. Ils sont sept en nombre, dont celui qui est le deuxième, nommé Dodart, [9] âgé de 25 ans, est un des plus sages et des plus savants hommes de ce siècle. Ce jeune homme est un prodige de sagesse et de science, monstrum sine vitio, comme disait Adr. Turnebus de Iosepho Scaligero[1][10][11] Hier leur paranymphe [12] fut fait en nos Écoles. [2] Mon rang vient de donner le bonnet à celui qui a eu le troisième ; [3] il faut achever mes leçons, [13] et après je travaillerai à en faire le latin ; il ne me coûtera que du temps, mais j’en ai si peu que c’est pitié.

J’ai vu aujourd’hui M. le premier président chez lui. Comme je le quittais, j’ai trouvé le lieutenant criminel [14] qui allait parler à lui. Ils m’ont arrêté tous deux et m’ont proposé diverses questions super abortu[4][15] et comment les sages-femmes [16] et les chirurgiens [17] se gouvernent en tel cas. Je leur ai dit qu’il y a en France des juifs déguisés [18] qui palmarium facinus reputant occidere gentes : [5] ce sont les chrétiens qu’ils entendent (je faisais allusion à un certain). Je vois bien que l’on travaille au procès de la femme de Guerchy [19] et qu’elle n’est pas, comme on dit, hors de danger, [6] joint que le lieutenant criminel est un étrange compagnon qui fait rudement justice. On s’en va faire publier des monitions [20] par toutes les paroisses touchant l’affaire de la dame Constantin, [21] sage-femme. [22] Elle a été resserrée, il y a un chirurgien prisonnier pour le même fait. [7][23]

L’ajournement personnel contre M. l’abbé de Gaillac a été changé en décret de prise de corps s’il ne se présente dans trois jours. Sinon, il sera trompeté par les rues et carrefours de Paris. Le tremblement de terre [24] a été fort grand aux Bains de Barège [25] près des Pyrénées : [8] il y a eu 26 hommes de tués et quelques blessés, il y a duré 36 heures et a été senti en plusieurs autres endroits.

Les deux filles de Mme la duchesse d’Orléans, [26][27] qui étaient allées à la cour pour le mariage du roi, [28] sont ici de retour d’hier au soir, Mademoiselle [29] leur sœur aînée y arrivera demain ; [9] si bien que voilà la cour qui s’approche de nous. Guénault [30] a ici reçu un terrible scandale pour son vin émétique, [31] dont plusieurs se plaignent fort de lui : un des nôtres nommé M. Morisset [32] traitait un riche bénéficier âgé de 28 ans ; Guénault y fut appelé à l’insu de Morisset, il dit qu’il le guérirait avec deux verres de tisane [33] laxative ; il ordonna donc deux apozèmes [34] chez l’apothicaire, le malade n’en prit qu’un, a quo multa deiecit ; [10] Guénault qui vit cette grande opération dit qu’il était guéri et qu’il fallait qu’il prît encore le lendemain matin l’autre verre, et dit aux parents qu’il leur avait parlé de tisane laxative, mais que c’était du vin émétique qu’il leur avait caché, de peur qu’on ne l’empêchât de si bien faire, et s’en alla ; une demi-heure après, le malade se trouvant mal, on courut requérir Guénault qui ne demeure qu’à 400 pas du malade ; il y vint et le trouva mort ; les bénéfices sont perdus, toute la famille crie et se plaint fort de lui. [35] Je salue Mlle Falconet, M. Spon et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, de 6e de juillet 1660.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 juillet 1660

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(Consulté le 19/04/2024)

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