L. 692.  >
À André Falconet,
le 19 avril 1661

Monsieur, [a][1]

Ce samedi 16e d’avril. Aujourd’hui, j’ai fait tailler [2] par M. Colot [3] un vieux bourgeois nommé M. Chanlate, [4] dans la rue Saint-Denis, [5] où j’ai mené Noël Falconet [6] qui a vu à son aise tout le mystère de l’opération. On lui a tiré en peu de temps une grosse pierre du poids de quatre onces et demie ; [1] elle est plus grosse qu’un gros œuf d’oie. Le bonhomme a 78 ans et ainsi est en danger d’en mourir ; pourtant j’en ai bonne opinion.

Ce dimanche 17e d’avril. Il y a eu ce matin force fanfares en notre église de Saint-Germain-l’Auxerrois. [7] Le roi [8] y a rendu le pain bénit [9] avec grandes cérémonies, fifres, tambours et trompettes ; il y a assisté lui-même avec les deux reines et toute la cour. [2] On dit qu’il partira dans huit jours pour Fontainebleau, [10] et que le fils [11] du maréchal de Villeroy [12] se porte mieux : le coup n’ayant point été jusqu’à la tête, il n’y a rien eu de cassé ; le vomissement n’a été que de compressione ventriculi[3] sur lequel le pommeau de la selle avait appuyé par la chute du cheval ; voilà un coup heureux et un fils aîné quitte à bon marché d’un grand malheur. Une pareille chute ne fut point si favorable au jeune prince de Castille, [13] oncle de l’empereur Charles v[14] à qui un cheval cassa la tête et fit passer l’Espagne tout entière à Jeanne de Castille, [15][16] fille de Ferdinand [17] et d’Isabelle ; [18] laquelle Jeanne fut mère de Charles v et femme de Philippe le Beau, [19] fils de Maximilien ier [20] et de Marie de Bourgogne, [21] laquelle porta les 17 provinces des Pays-Bas [22] à la Maison d’Autriche, du bien d’autrui riche[4] Si le roi Louis xi [23] eût été bien avisé, il eût marié cette Marie à Charles duc d’Angoulême, [24] père de François ier[25] et ainsi les Pays-Bas nous fussent demeurés ; et cela eût sauvé la vie à bien du monde et la Maison d’Autriche serait encore bien sèche dans l’extrémité de l’Allemagne. [5] Vous pouvez me reprocher que je fais ici le politique sans nécessité, ainsi je me tais et vous entretiendrai d’autre chose.

Le lundi 18e d’avril. Ce jourd’hui M. le premier président [26] a présenté au roi Messieurs les directeurs de l’Hôpital général [27] qui ont fait entendre à Sa Majesté les nécessités de cette maison publique par les diverses causes qui leur fournissaient tant de gueux ; entre autres, que cela venait de ce que la campagne n’était point soulagée, bien que la paix fût faite, et de ce que les capitaines renvoyaient les soldats de leur garnison faute de paiement. Le roi leur a promis d’y remédier et d’avoir égard à toutes leurs belles, fortes, charitables et chrétiennes remontrances.

J’ai vu ce matin un honnête homme de Lyon malade nommé M. Perrin qui m’a dit que vous étiez son médecin, et quelquefois M. de Rhodes [28] quand vous étiez malade. Nous avons parlé de M. Spon [29] qu’il connaît et qu’il estime. Il dit qu’il a connu toute la famille, que c’étaient d’honnêtes gens. Il dit qu’on lui a donné avis qu’à Paris il y avait des charlatans [30] qui prétendaient passer pour grands médecins en donnant du vin émétique, [31] et qu’on lui avait averti de se garder de ces gens-là et de ne point tomber entre leurs mains. L’avis qu’on lui a donné me semble fort raisonnable. C’est à vous de juger s’il en a eu un bon quand il m’a préféré à tant d’autres qui sont ici, je crois qu’il m’a choisi parce que je suis ennemi juré de la charlatanerie. On imprime ici l’Histoire et les mémoires du maréchal de Matignon[32] in‑fo, avec un autre livre fort curieux, l’Histoire de la Maison royale de Courtenay, et un autre volume in‑fo, l’Histoire de la Grande-Bretagne faite par M. Salmonet. [33][34] On imprime pareillement au Louvre [35] le tome 3e du Ministre d’État de M. Silhon [36] in‑4o. Tout cela sera curieux et bon. [6] Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 19e d’avril 1661.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 avril 1661

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(Consulté le 28/03/2024)

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