L. 699.  >
À André Falconet,
le 27 mai 1661

Monsieur, [a][1]

J’ai appris que le roi d’Angleterre [2] a déclaré à son Parlement [1][3] qu’il a délibéré de prendre pour femme la sœur du roi du Portugal [4] et en même temps, de faire la guerre au roi d’Espagne. [5] Cela les pourra amener à un traité de paix et garantir le Portugal de l’invasion du roi d’Espagne qui a grand appétit, mais n’a guère de dents. Nous avons ici un de nos docteurs fort curieux de la botanique nommé M. Joncquet. [6] Il a un beau jardin qu’il a loué des minimes [7][8] de Saint-Germain-des-Prés, [9] desquels il est médecin et voisin. Il a depuis quatre ans élevé là-dedans plus de 2 800 plantes dont il fait la démonstration trois fois la semaine à nos philiatres[2] Noël Falconet [10] y va soigneusement et y prend plaisir. Cela lui divertit l’esprit, mais il n’a guère l’esprit en repos.

On dit que le roi [11] veut aller à Chambord [12] y passer les fêtes et que tous les officiers du roi, qui sont à Fontainebleau [13] pour les affaires du Conseil (j’entends maître des requêtes, avocats du Conseil et même les parties), reviendront à Paris pour 15 jours. [3] Pour M. le chancelier[14] on doute s’il reviendra car il est malade. M. le premier président [15] est encore malade. On se plaint tout haut dans le Palais qu’il est bien simple de se fier à Guénault [16] qui est plus charlatan [17] que médecin, qui commence à radoter et qui ne valut jamais rien.

Il n’y a point pour M. Barbier [18] de meilleur remède que duo maiora præsidia, venæ sectio et purgatio sæpius repetita[4][19][20][21] La < fièvre > continue l’emporte, vous savez comme le sang s’engouffre aisément dans le cerveau, a cuius plenitudine nascuntur tot symptomata[5] Noël Falconet ne sortira de Paris qu’avec de bons principes et sera, Dieu merci, en bon chemin, il n’aura qu’à continuer. Vous n’avez qu’à dire où vous le voulez faire passer docteur, à Reims [22] ou à Angers. [23] Si c’est à Reims, il y a deux thèses [24] à soutenir publiquement. [6] Delà il irait à Châlons en Champagne, [25] à Dijon, à Lyon. Ces degrés de Reims coûteront 100 écus sans son voyage. Si vous aimez mieux qu’il aille à Angers, il ne lui coûtera pas tant, mais il faudra que d’Angers il aille à Bourges, [26] à Nevers [27] ou à Moulins, [28] puis à Lyon. De ces deux voyages, celui d’Angers est le plus long. Noël Falconet aimerait mieux aller à Reims qu’à Angers, parce qu’il verrait plus de pays qu’il n’a jamais vu. [7] En quelque endroit qu’il aille, il sera reçu car outre qu’il a la capacité nécessaire, je lui donnerai des lettres de recommandation pour l’être avec honneur. C’est à vous de choisir et de décider. Il ne sera dans Reims qu’environ douze jours ; ainsi il n’aurait guère de loisir de se débaucher, n’y connaissant personne. Dans Angers il y serait encore moins. Si vous l’envoyez à Montpellier, [29] il y sera près d’un an, non sine periculo suspectæ societatis[8] j’en ai trop de connaissance et trop d’exemples. Il est vrai que vous le pourriez faire passer docteur en vos quartiers, j’entends à Valence [30] ou à Avignon, [31] à la charge qu’il ne s’y arrêterait guère et qu’il ne serait pas longtemps éloigné de vous, qui est ce que je craindrais le plus car le feu des jeunes gens prend sans allumettes. À cet âge tout m’est suspect : une fille le peut empaumer, un filou peut lui couper la bourse, un joueur le peut tricher. Enfin, je ne serai pas en repos que vous ne l’ayez repris sous votre conduite. Le bon Horace a bien dépeint ces gens-là : Utilium tardus provisor, etc[9][32]

J’ai aujourd’hui conté à un de nos libraires huguenots [33] que le syndic des libraires de Lyon avait fait arrêter mon paquet qui venait de Genève, lequel m’a répondu que ce syndic n’avait nul droit là-dessus et qu’il y avait à Lyon bonne justice sur ce règlement de livres que l’on apporte du dehors du royaume en France. Excusez-moi de tant de peine que je vous donne. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 27e de mai 1661.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 mai 1661

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(Consulté le 29/03/2024)

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