L. 719.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 19 janvier 1662

Monsieur, [a][1]

Il n’y a pas longtemps que je vous écrivis une lettre, laquelle j’adressai à M. Vander Linden, [2] professeur à Leyde, [3] pour vous la faire tenir. Dans icelle, je vous rendis compte de ma santé [4] et comment j’étais sorti d’une grande maladie l’automne passé ; mais voici une autre occasion, laquelle est survenue fort inopinément à mon endroit et à laquelle je ne pensai jamais, < qui > m’oblige aujourd’hui de vous écrire derechef. Je ne doute pas que vous ne sachiez l’affaire tout entière et mieux que moi : c’est que M. Martinus Schoockius, [5] votre bon ami et fort savant homme, duquel m’avez autrefois, de votre grâce, procuré la connaissance et l’amitié, a fait un livre de Cervisia qu’il m’a fait l’honneur de me dédier, [6] dont je me tiens tout glorieux ; mais je suis tout étonné de la bonté qu’il a eue de songer à moi parmi tant de savants et d’honnêtes gens qui sont dans l’Europe latine. [1] Cela me fait connaître comme je vous ai tant plus d’obligation pour votre bienveillance et affection envers moi ; aussi suis-je dans une nouvelle peine de savoir ce que je pourrai faire à l’avenir, tant pour votre service que pour témoigner ma gratitude à M. Martinus Schoockius, auquel je vous prie de faire savoir que j’ai reçu, le 5e de ce mois présent de janvier 1662, le paquet de livres qu’il a eu la bonté de m’envoyer, dans lequel j’ai trouvé deux exemplaires du dit livre de Cervisia avec quatre autres traités de sa façon qu’il y a ajoutés, savoir de Ecstasi in‑4o, de Nihilo in‑8o, de Figmento legis regiæ in‑12 et de Fœnore unciario in‑8o. J’avais déjà céans des autres traités de ce même auteur ceux qui suivent : de Harengis in‑8o[7] Imperium maritimum in‑12, Tractatus de pace in‑12, Iulius Cæsar in‑12, de Signaturis fœtus, in‑8o[2] Je pense n’avoir que cela de ses œuvres, lesquelles sont toutes bonnes et savantes. C’est pourquoi je vous supplie très humblement de me donner avis des autres traités qu’il peut avoir composés, de quelque nature ou matière qu’ils soient, de théologie, philosophie, médecine ou politique, car je sais bien qu’il a exercé son esprit dans toutes ces sciences et qu’il y a réussi. Voire même, j’ose vous prier, si ces autres livres se peuvent rencontrer, de me les faire acheter afin que je puisse dire que je possède tous les livres que ce savant homme a faits. Je suis prêt de rendre au quadruple tout l’argent qui aura été employé à leur achat, et encore d’y ajouter par-dessus le marché tout ce qu’il vous plaira avoir de deçà. Nous avons ici in‑fo les Opérations de chirurgie de François Thévenin, chirurgien du roi[3][8] que je vous enverrai si ne les avez. Mais aussi faut-il que soyez averti que j’ai aussi quelques thèses de M. Schoockius, dont voici les titres, afin que, s’il s’en trouve d’autres depuis celles-ci, je vous supplie de me les acheter. Voici donc celles que j’ai : de Somnio, 1642 ; de Ideis, 1645 ; de Glacie, 1646 ; de Hyeme, 1646 ; de Modo visionis, 1646 ; an Intellectus brutis attribui possit ? 1646 ; de Convenientia orbis cœlestis ac elementarii prima, 1648 ; de Discursu, 1651 ; de Acroamaticis et exotericis scriptis Aristotelis, 1652 ; de Anima, 1653 ; de Corporum naturalium principiis constitutivis, 1654 ; de Numero stellarum, prima, 1655. [4] Il peut en avoir fait beaucoup d’autres devant et depuis ces temps-là. Si vous les pouvez recouvrer, vous m’obligerez de me les envoyer et j’en rendrai tel prix qu’il vous plaira. Et même, il peut avoir fait quantité d’autres petits livres pour lesquels je vous demande la même grâce de me les acheter et puis après, de me les envoyer par voie commode. Il est si savant et si habile homme que je serais ravi d’avoir tout ce qu’il a fait et en avoir bien payé. Mais j’ai encore bien autre chose à vous dire, donnez-moi conseil là-dessus : il m’a dédié un beau livre et m’a fait honneur, je le veux remercier par écrit et par effet ; qu’êtes-vous d’avis que je lui envoie, quelle sorte de présent, en livres, en or ou en argent ? est-il vieux ? est-il riche ? est-il marié ? a-t-il des enfants ? Donnez-moi s’il vous plaît là-dessus votre bon conseil, que j’ai bien envie de suivre de point en point ; mais je ne veux point qu’un si honnête homme trouve en moi de l’ingratitude, dont je serais très marri. Je l’honore bien fort et voudrais bien avoir le moyen de le servir. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous voulez que je fasse en ce rencontre.

Nous n’avons rien de nouveau in re litteraria[5] Tous nos princes ont bon appétit. Le roi, [9] la reine [10] et M. le Dauphin [11] sont en bonne santé, Dieu merci. On parle toujours du voyage d’Alsace pour le mois d’avril, mais cela est fort incertain. M. Nic. Fouquet, [12] olim gazophilax noster[6] est toujours prisonnier dans le bois de Vincennes. [13] On dit qu’on l’amènera bientôt dans la Conciergerie, [14] c’est la prison du Palais ; cui est pravis ominis, metuendum enim est illi ne tandem inde trahatur ad ripam Sequanæ, indeque sequatur suspendium[7]

Ce Kal. de janvier 1662[8] D’autres disent que ce procès-là de M. Fouquet ne se peut pas juger si tôt, qu’il y aura bien des oppositions en attendant ; et même, il y a déjà un homme qui s’est déclaré hautement contre M. Colbert, [15] trésorier du feu cardinal Mazarin, [16] lequel Colbert est réputé et estimé être le chef principal des accusateurs du dit Fouquet. Cet homme qui s’est déclaré se nomme M. Michan, [9] qui a fait protestation de vouloir être pendu par son cou s’il ne prouve clairement au roi que ledit Colbert a volé pour sa part plus d’onze millions de livres. Cela fait croire à plusieurs que le procédé de la Chambre de justice [17] pourra bien changer. On tient que le cardinal de Retz [18] a fait son accord, qu’il est dans les bonnes grâces du roi et même, qu’il est en état de revenir, et en faveur plus grande que jamais. Dicam verbo, magnæ multæque mutationes et rerum conversiones hic imminent[10] Je ne veux pas dire de lui ce que Suétone [19] a dit autrefois de Tibère [20] en un certain bel épigramme, Regnabit sanguine multo, ad regnum quiquis venit ab exilio[11] car ce cardinal est bon et généreux, il aime l’honneur, et le penser [12] aussi. Ce défunt cardinal Mazarin était un vilain Italien, infâme et grand tyran. Dii meliora ! [13] mais en attendant mieux, dites-moi je vous prie qui valet Voetius, doctor infinitæ lectionis ? [14][21] Est-il vrai que l’on imprime à Rotterdam [22] toutes les œuvres du grand Érasme, [23] qui est l’honneur de votre pays et de toutes vos Provinces-Unies ? [24] Intelligo Belgium fœderatum, cuius libertati et potentiæ maritimæ audio Anglos, vicinos vestros, insidias struere, præsertim pro captura harengorum. Male sit istis nebulonibus, qui vobis tam agentibus invident, videntur isti lupi devorare velle totam Europam, quod belle faciunt Loyolitæ, et alii Monachi. Parce pessimæ meæ scriptioni, imo picturæ : sunt enim adhuc ex morbo manus mihi languidæ. Vale et me ama. Tuus ex animo,

Guido Patin.

Datum Parisiis, die Mercurii, 19. Ian. 1662[15]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 19 janvier 1662

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(Consulté le 24/04/2024)

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