L. 722.  >
À André Falconet,
le 7 février 1662

Monsieur, [a][1]

La Chambre de justice [2] a donné un arrêt considérable contre un partisan nommé Boislève, [3] ci-devant intendant des finances. On avait saisi ses beaux meubles et on avait avis d’une bonne somme d’argent qui lui appartenait. Un sien frère, ci-devant conseiller de la Cour, aujourd’hui évêque d’Avranches, [4][5] et de plus grand fourbe, est intervenu, prétendant revendiquer lesdits meubles, et l’argent aussi, comme s’ils lui appartenaient. [1] Il en a fait serment, dont la fausseté fut aussitôt découverte par M. Talon. [6] Ensuite de quoi, les meubles et l’argent furent trouvés et déclarés biens saisis, et l’évêque condamné à une amende de 12 000 livres parisis ; [2][7] et pour cet effet, on envoya tout à l’heure chez lui saisir sa maison et ses meubles. Vous voyez qu’il y a encore d’honnêtes gens à Paris, qui font justice nonobstant le sacré caractère. À Rome, on eût dit que l’évêque avait raison et on eût condamné M. Talon comme d’un attentat, etc.

On imprime en Hollande deux petits livres qui seront fort curieux, savoir les Mémoires de Monsieur de la Châtre de Nançay[8] qui a été colonel des Suisses [9] et qui est mort en Allemagne. C’était un brave gentilhomme de bonne maison que j’ai autrefois connu à Paris. L’autre a pour titre Mémoires de Monsieur le duc de La Rochefoucauld[3][10] La guerre de Paris est dans ce livre et le Mazarin [11] n’y est point épargné, qui a néanmoins cet avantage aujourd’hui d’être regretté par plusieurs qui se plaignent qu’il ne se fait point d’affaires, et que le roi [12] aime trop l’argent pour un grand prince comme il est. On ne saurait empêcher le monde de parler.

Le roi a rappelé de Hollande M. de Thou [13] qui y était notre ambassadeur. On dit que c’est pour l’envoyer en Suisse ou à Venise. Quoi qu’il en soit, il a rendu de bons services au roi, et fort agréables. Je suis ravi qu’il soit un peu en crédit car c’est un grand personnage.

On imprime à Anvers [14] en un gros volume in‑fo la traduction latine des deux tomes en italien faits par un jésuite nommé Pallavicino [15] qui était confesseur du pape et qui est devenu cardinal. C’est une prétendue réformation de l’Histoire du concile de Trente faite par Fra Paolo, [4][16] laquelle a été fort approuvée de tout le monde, et principalement des savants et des raisonnables, vu qu’elle avait été faite par un habile homme sur les mémoires de la République de Venise qu’on avait exprès tirés du trésor public qu’on appelle la Secreta[5][17] C’étaient des relations faites de jour à jour, et vraiment éphémérides, que les ambassadeurs de la République avaient apportées au retour du concile de Trente. [18] Un libraire du Palais fort bon homme, nommé M. Rocolet, [19] est mort cette nuit d’une apoplexie [20] en demi-heure. Il était grand, mais gras et replet, à col court et de bonne chère. Ces gens-là meurent presque tous comme cela, ex suffocatione[6] J’étais son médecin depuis 30 ans, je lui ai bien fait tirer du sang, et il n’est mort que pour en avoir trop. J’en ai grand regret, il valait bien mieux que beaucoup d’autres. On tient ici pour certain que le roi d’Espagne est mort. [7][21] On ne laisse point de danser fortement le ballet, [8][22] bien que la famine soit en campagne, principalement à Orléans, à Tours, au pays du Maine et ailleurs. [23] Il y a même de la pauvreté à Paris, mais chacun fait bonne mine en attendant le bon temps et le succès des bonnes inclinations du roi. J’ai peur de mourir avant que de le voir. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 7e de février 1662.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 7 février 1662

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(Consulté le 16/04/2024)

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