L. 867.  >
À André Falconet,
le 14 mai 1666

Monsieur, [a][1]

Ce samedi 8e de mai. Je vous écrivis hier, [1] de grand matin et bien à la hâte, mon opinion sur Mme la comtesse de Verdun. [2] Je vous prie de m’excuser si je ne la fis pas si longue que j’aurais dû, j’étais fort pressé et on m’attendait pour m’emmener voir une personne de qualité hors de la ville. Il me semble qu’après avoir fait des remèdes généraux, elle sera plus tôt soulagée du demi-bain [3] et du lait d’ânesse [4] que des eaux minérales, entre lesquelles celles de Saint-Myon [5] lui seraient plus propres que celles de Vic-le-Comte [6] quæ sunt calidiores et acriores ; [2] et même, elles purgent[7] quod repugnat tali fervori, solis enim mitioribus indiget, cassia, sena et tamarindis, et aliquando syr. diarhodon aut floribus mali persicæ, modo fuerint non recentes, sed ante annum parati ; [3][8][9][10][11][12] je m’en rapporte bien à vous. M. le premier président [13] m’envoya hier inviter à souper avec lui. Il me dit qu’il se plaignait de moi, que je ne l’allais point voir assez souvent. Je lui répondis que ce n’était que faute de loisir. Nous y rîmes bien et y bûmes du vin blanc de Mâcon [14][15] qui était excellent pour la saison ; mais point de nouvelles, hormis qu’il y fut dit en passant que les Anglais ne voulaient point la paix avec nous si nous ne cessions l’entreprise de notre commerce des Indes Orientales. [16] Je crois pourtant qu’ils seront bien obligés d’y consentir car ils ne le pourront jamais empêcher.

Ce vendredi 14e de mai. Notre nouvel ambassadeur de Suède [17] fera son entrée dimanche prochain, je suis invité pour être de fête, et du festin aussi. On dit que l’évêque de Münster [18] viendra à Paris voir le roi [19] et qu’il aidera à faire la paix avec les Anglais. On dit bien plus, que le roi de Perse [20] veut envoyer à Paris sa fille pour y saluer le roi. Ne serait-ce point une autre reine de Saba [21] qui viendrait voir Salomon [22] dans son trône ? [4] Ils se ressemblent tous deux en plusieurs chefs.

Les pères de la Société [23] ont eu le crédit de faire arrêter prisonnier un savant janséniste, [24][25] frère de M. Le Maistre, [26] ce célèbre avocat qui nous a donné de si beaux plaidoyers. [5] Il y a longtemps que j’ai ouï dire à feu mon père [27] un beau mot qui est dans les Épîtres de Lipse : [28] Viris bonis dolendum est quod tam multa nimis liceant improbis[6] J’ai céans le même tome que feu mon père avait de ces Épîtres dont il avait connu l’auteur. Il disait que Lipse lui avait conseillé de me faire étudier, Dieu soit loué de tout ! Il avait une grande amitié pour Lipse et certes, il le méritait : tout ce qu’il a écrit est bon, mais son style ne l’est guère. Pour les méchants, ils ont trop de crédit, et les moines, trop d’ambition et d’envie de se venger de ceux qui ne sont pas leurs amis et qui n’ont point fait le pain bénit dans leur cabale. On a ici publié quelques oraisons funèbres pour la reine mère Anne d’Autriche. [29] L’évêque d’Amiens [30][31] fit fort mal à Saint-Denis [32] et déplut à tout le monde et néanmoins, il l’a fait imprimer ; aussi dit-on qu’il l’a fort changée, et elle déplaît encore. Voici ce qu’en a fait un de nos poètes : [33]

Ce cordelier mitré qui promettait merveilles,
Des hauts faits de la reine orateur ennuyeux,
Ne s’est point contenté de lasser nos oreilles,
Il veut encore lasser nos yeux
[7]

L’ambassadeur de Suède [34] a fait ici son entrée le 16e de ce mois. J’ai été invité de la fête, mais je n’y ai point été, j’aurais eu peur qu’il ne m’eût fallu boire là en Allemand : je ne bois plus qu’en philosophe, qui a tantôt 65 ans ; j’ai cette obligation à la vieillesse et à un peu de philosophie. Adieu.

De Paris, le 18e de mai 1666.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 14 mai 1666

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(Consulté le 28/03/2024)

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