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À André Falconet,
le 21 février 1667

Monsieur, [a][1]

On dit ici une chose qui me fâche fort, bien que je n’y aie aucun intérêt, c’est que la Pologne est tout en feu d’une guerre civile et par-dessus, elle est menacée de deux puissants voisins, savoir du Moscovite, [2] qui est déjà entré de son côté et qui y fait de grands ravages, sans compter plus de 30 000 âmes qu’il a déjà enlevées. [1][3] L’autre est le Turc [4] qui les attaque par un autre endroit. Si Dieu n’y met la main, voilà un boulevard de la chrétienté en grand danger d’être ruiné par les nations barbares. [2] Je ne sais si cela ne réveillera pas tous nos princes chrétiens pour y envoyer quelques armées qui fassent retirer ces infidèles. On attend de Londres le milord Germain, [5] grand seigneur anglais, où la reine d’Angleterre [6] la mère l’a envoyé pour le traité de paix qu’on croit être en bon état. [3][7] On dit que nous n’aurons guerre ni avec les Anglais, ni avec les Espagnols, que M. Colbert [8] ne veut point entrer en cette dépense et qu’il est bon ménager. Le cardinal de Retz [9] est présentement à Saint-Germain [10] auprès du roi, [11] on n’en sait pas davantage. Il court ici de certains vers satiriques dont les auteurs sont très malcontents de l’état présent de nos affaires. Ces plaintes ne servent de rien : quoi que l’on dise et quoi que l’on fasse, tempora sunt semper tempora[4] nul changement n’en arrive, il y a un principe d’en haut qui fait aller les affaires selon leur train. [12] O sic humana, sic sapis prudentia ! [5]

Entre autres articles qu’on réforme dans la police, en voici un qui a été fort contesté, qui est que l’on ne recevra plus personne dorénavant à faire profession de moinerie si jeune : les garçons ne pourront faire profession qu’à 25 ans, et les filles qu’à 20 ans. Quelques-uns disent que cet article ne passera jamais. M. le nonce du pape [13] avait tâché de l’empêcher, mais le roi l’a voulu ainsi et l’a fait conclure. Si cette ordonnance est gardée, il ne se fera plus tant de moines ni de moinesses, le nombre des soldats du pape diminuera, et il n’y aura plus dorénavant tant de corps et d’âmes dévouées à la papimanie. Les monastères féminins ne s’enrichiront plus si aisément ni si tôt comme ils faisaient ; mais l’autorité du pape me fait encore douter de la vérité de cet article. [6][14] On parle ici de la mort du prince de Guéméné [7][15] et du mariage de M. de La Feuillade [16][17] avec Mlle la fille du duc de Rouannois. [8][18][19][20][21] On m’a dit ce matin qu’avant un an, on imprimera à Paris une Histoire du cardinal de Richelieu [22] in‑fo faite par le P. Le Moine, [23] jésuite natif de Chaumont-en-Bassigny, [24] sur les mémoires qui lui ont été fournis par Mme d’Aiguillon [25] et autres gens qui ont été intéressés dans la fortune de ce ministre dont la France se fût heureusement passée, aussi bien que son successeur. [9] Je ne sais si le P. Le Moine sera bien payé de son travail, mais cette dame-là, qui le met en besogne, est étrangement avare. D’ailleurs, je ne sais si ce père dira vrai car toute l’histoire de ce temps-là est fort diverse et il me semble que ces bons pères sont plutôt portés à flatter, à mentir ou à déguiser la vérité qu’à nous enseigner rondement ce qu’il faut croire des princes. Il est ici mort depuis peu un savant homme qui parlait bien, c’est le bon M. de Silhon, [26] qui a fait le Ministre d’État et un gros in‑4oDe l’Immortalité de l’âme[10][27] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, le 21e de février 1667.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 21 février 1667

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(Consulté le 28/03/2024)

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