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À André Falconet,
le 19 mars 1669

Monsieur, [a][1]

Depuis le 9e de mars, j’apprends que peu de gens espèrent la paulette, [2] bien que plusieurs la souhaitent. [1] J’ai vu aujourd’hui en consultation, [3][4] avec MM. Brayer [5] et Moreau, [6] un jeune homme de Lyon, fils d’un riche marchand nommé M. Beli. [7] Laborat intemperie calida et sicca viscerum cum imminente siccitate pumonis : timeo phthisim ante æstatem, imo omnia mihi videntur metuenda. [2] La cour va prendre le deuil pour un mois à cause de la mort de la princesse d’Innsbruck, parente du roi et de la reine. [8] Elle était dans l’âge de 13 ans, de stemmate Austriaco[3][9] Nouvelle est arrivée d’Espagne que le petit roi [10] s’y porte moins mal. Il ne pisse plus de sang, il est pourtant bien faible ac vitreæ valetudinis[4] Bon Dieu, que nous verrions de remuements et de changements en Europe si ce petit prince mourait ! Il y en a déjà assez.

On ne parle ici que du livre de M. Arnauld, [11] docteur de Sorbonne, [12] qui est un gros in‑4o bien imprimé que l’on vend 10 livres tout relié ; mais tant de gens en achètent que l’on ne peut fournir d’en relier. Ils disent qu’ils en ont vendu 1 500 déjà et que l’on en fait une autre édition. On dit aussi qu’on a tâté le pouls de la bonne sorte au ministre Claude [13] et qu’il branle dans le manche. [5][14] Si nous pouvons voir une fois ce ministre converti, cela fera un horrible scandale au parti huguenot ; [15] et néanmoins, cela peut arriver car il y a bien des gens au monde qui fidem venalem habent, et quibus numinis instar est Nummus ipse [6] (cela n’est point arrivé). [16] On dit que M. le duc de Chevreuse, [17] gendre de M. Colbert, [18] s’en va être grand maître de l’Artillerie à la place de M. le duc Mazarin, [19] qui lui vend sa charge. Vous ne vous étonnez pas de tous ces changements qui arrivent dans le monde, Fortuna in rebus mortalium tam accepti, quam expensi utramque facit paginam, ex Plinio[7][20][21] On dit que M. de Luynes, [22] père de ce gendre de M. Colbert, s’en va être gouverneur de Guyenne. [23]

Dans peu de jours, nous aurons une nouvelle thèse [24] de M. Blondel [25] à laquelle il présidera bientôt, [26] je vous l’enverrai avec celle de M. Préaux [27] de somno[8] Le roi [28] s’en va passer l’été tout entier à Saint-Germain [29] où l’on fait bâtir quantité de belles maisons afin que la cour, qui est fort grosse, y puisse commodément loger. Don Juan [30] est entré avec 400 chevaux dans Madrid et a obligé la reine d’Espagne [31] de chasser le P. Nithard, [32] son confesseur qui était jésuite, et de l’envoyer in tenebras exteriores[9][33] hors de ses royaumes, en Italie ou en Allemagne. Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e de mars 1669.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 mars 1669

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(Consulté le 28/03/2024)

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