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À André Falconet,
le 31 juillet 1669

Monsieur, [a][1]

Nous n’avons rien ici de nouveau depuis l’élection du roi de Pologne, [2] sinon que M. le Dauphin [3] est malade à Saint-Germain. [4] Il a été saigné [5] trois fois. J’ai peur pour ce petit prince qui nous est fort nécessaire, car il est à craindre que ce ne soit la petite vérole. [6] J’espère que Dieu le conservera pour le besoin que nous en avons. [1] J’apprends que quelqu’un a fait l’Histoire de la régence, je ne doute point que ce ne soit quelque fin et rusé écrivain ; mais comme on allait commencer l’édition de l’Imprimerie du Louvre, [7] l’on a changé de dessein et cela est remis pour une autre fois. Peut-être que notre siècle n’est point encore capable de tant de vérités qui doivent être révélées là-dedans, toutes choses ont leur raison. L’Histoire des guerres d’Italie de Guichardin [8] est un fort beau livre, mais il ne la voulut pas faire imprimer de son vivant, et même ne le fut-elle que longtemps après. L’Histoire de M. le président de Thou [9] est belle et plus que belle, mais elle déplut si fort au cardinal de Richelieu [10] qu’il en fit perdre la vie au fils aîné de l’auteur, [11] qui était un fort honnête homme ; et cela pour un passage d’Antoine du Plessis de Richelieu, [12] qui est dans le premier tome sous François ii[13] l’an 1560, après qu’il a parlé de la conspiration d’Amboise [14] où fut tué La Renaudie, [15] qui en était le chef et qui par sa faute, fut lui-même la cause de son malheur et de plusieurs autres. Ce passage commence ainsi : Antonius Richelius vulgo dictus Monachus, etc[2] L’Histoire de Guichardin a été écrite en italien, mais la meilleure traduction française est en deux tomes in‑8o de Genève. [3] Vivent Tite-Live [16] et Corneille Tacite, [17] avec Suétone, [18] et pour les modernes, l’illustre M. de Thou, Guichardin et Buchanan. [19] Faisons-y le septénaire entier et y ajoutons l’Histoire du concile de Trente de Fra Paolo. [20] Je suis à son égard de l’avis des Vénitiens, quoi qu’en disent les jésuites et le cardinal Pallavicino. [4][21][22]

L’on dit ici que M. le duc Mazarin [23] n’est plus grand maître de l’Artillerie, que le roi [24] a revêtu de cette charge le comte du Lude, [25][26] qui était grand maître de la garde-robe, en la place duquel il a mis M. le marquis de Gesvres [27] qui était premier capitaine des gardes ; [5] en sa place, le roi a établi M. de Péquelin. [28] La cour est un pays où l’on joue tous les jours à boute-hors, [6] et à prendre la place de son compagnon.

On dit que la maladie de M. le Dauphin a rendu le roi fort chagrin, et même la diversité d’opinion de ses médecins les a rendus ridicules. Sidonius Apollinaris [29] a remarqué la même chose, car il a dit quelque part, Consentientes et dissentientes medicos, minutæ controversiæ quibus ægri non indigent, utpote quæ nihil faciunt ad depulsionem morborum[7] Il y en a un qui a proposé au roi la saignée du pied, mais il la refusa et s’en moqua. Il se porte présentement un peu mieux, c’était une fièvre continue [30] avec assoupissement, qui faisait soupçonner quelque malignité ; il a été saigné quatre fois. Dieu lui donne les années de Nestor ! [8][31] Vale.

De Paris, ce 31e de juillet 1669.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 juillet 1669

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(Consulté le 29/03/2024)

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