L. 981.  >
À André Falconet,
le 30 avril 1670

Monsieur, [a][1]

J’ai enfin reçu la vôtre et des nouvelles de votre santé, Dieu soit loué que la goutte [2] soit passée. Le roi [3] a bien ri des vers de M. Ogier, [4] qui me semble bien vieillir. Il n’a pourtant que 72 ans, il a toute sa vie étudié, il est devenu fort savant et fort vieux ; et puis, pour satisfaire à la Nature, il faut mourir. Le cardinal de Richelieu [5] lui avait promis un évêché, mais il mourut 15 jours après. [1] La reine mère, Anne d’Autriche, [6] lui en avait promis autant l’an 1643 pour la harangue funèbre du feu roi Louis xiii [7] qu’il avait récitée dans Saint-Benoît [8] avec l’applaudissement et l’admiration de tout Paris, et néanmoins, elle ne lui a rien donné ; [2] mais il a été quelquefois payé d’une pension que le roi, par gratification, fait tous les ans payer à quelques savants. Il fit il y a quelque temps une oraison funèbre sur la mort de Philippe iv, roi d’Espagne, [9] qui fut fort bien reçue. Ses Panégyriques sont imprimés en deux tomes. [3] Bref, il est fort usé grâce à l’étude et aux veilles qui ruinent ordinairement la santé. Je vous remercie de votre livre du scorbut [10] dont plusieurs Allemands ont écrit. [4][11][12] On ne voit point ici cette maladie chez les bourgeois, mais seulement chez quelques pauvres gens ou dans les hôpitaux comme dans le château de Bicêtre [13] et dans la Savonnerie, [5][14] où les pauvres gens ne buvaient que de mauvaises eaux ; mais M. le premier président [15] et les autres administrateurs y ont donné ordre, et en ont retranché beaucoup d’abus. Ce médecin Michar [16] dont vous me parlez est celui que je ne vis jamais. J’apprends qu’il est du pays d’Adieusias, [17] de Dauphiné ou de Provence, bon vivant, qui boit et mange comme un autre et qui est peu savant si ce n’est du côté de la bouteille. Le vin pur n’a jamais guéri personne, ce sont des contes et des chansons des ivrognes. Martial [18] a dit d’un Phrygien Vinum Phryx oculus bibit venenum ; [6] en un hydropique, [19] je dirais hepar et lien[7] Enfin, le roi est parti, Dieu le veuille bien conduire et ramener triomphant et en bonne santé. [8] Pour le conclave, [20] c’est une chose étrange que ces Messieurs les cardinaux ne puissent s’accorder de faire un pape. Pourtant, qu’ils en fassent un s’ils veulent, je ne m’en soucie guère et ne suis pas des plus pressés. Vale.

De Paris, ce 30e d’avril 1670.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 avril 1670

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0981

(Consulté le 23/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.