L. 984.  >
À André Falconet,
le 30 mai 1670

Monsieur, [a][1]

Je suis toujours en peine de l’issue de la maladie de mon fils aîné R.P. [1][2] Nos remèdes font merveilles partout, mais il n’en reçoit guère de soulagement. Mon Dieu, que de malheurs en la vie ! On dit que le roi [3] paraît tout réformé et qu’il s’en va vivre dans une grande sainteté. Cela sera fort bon pour les paysans si, en même temps, il diminue la taille [4] et les impôts. [5] Dieu lui en fasse la grâce, et de vivre encore 80 ans en ce bon état. Depuis Hugues Capet, [6] qui a été le chef de la troisième race de nos rois, [2] il n’y en a qu’un qui ait atteint l’an 60e de son âge, qui véritablement était un habile homme, mais dangereux et méchant prince : c’était Louis xi[7] par la faute de qui nous avons perdu les Pays-Bas ; [8] s’il n’eût fait, par son maudit caprice, cette signalée faute, il aurait épargné la vie à plusieurs millions d’hommes et la Maison d’Autriche ne serait pas si élevée. Tous les autres rois ont été malheureux ou débauchés. Louis xii [9] et François ier [10] ont mérité d’être loués par la postérité, mais Henri iv [11] a sauvé la France et l’a retirée des mains des huguenots [12] et les ligueurs [13] qui étaient devenus furieux, inebriati poculo et zelo cruentæ religionis[3] à quoi ils étaient portés par l’ambition du pape et les pistoles d’Espagne, a qua duplici causa tam multi fatui fuerunt misere decepti[4] La famille des oiseaux niais était alors très grande, il n’y en a plus tant aujourd’hui, le monde est bien débêté[5] Dieu merci, et les moines [14] qui ont raffiné bien des gens. On dit que Charles duc de Lorraine [15] est mort. [6] Voilà un prince qui a fait bien du mal à ses propres sujets et qui a bien ruiné du monde par sa faute, et même son pays et sa Maison. Personne ne perd à sa mort tant que lui. M. le cardinal de Retz [16] est parti de Rome après la création du pape [17] pour revenir à Commercy [18] où, dans trois jours, il est attendu. Mais la mort du duc de Lorraine ne causera-t-elle point quelques troubles ? Il y a longtemps que ce pauvre pays-là [19] est affligé par le mauvais conseil de ce dernier duc qui n’a pas été plus sage que Charles, dernier duc de Bourgogne, [20] qui fut tué l’an 1477 à Nancy, [21] de Louis xi[7]

Ce 28e de mai. > Mon fils aîné vient de partir, à six heures du matin, avec sa femme [22] et sa mère, [23] dans deux carrosses, pour s’en aller en notre maison à Cormeilles [24] y prendre du lait d’ânesse [25] tant qu’il voudra. L’air y est fort bon et rien ne lui manquera ; mais néanmoins, j’ai bien peur du reste. Plût à Dieu que j’en fusse mauvais prophète ! Nos anciens n’ont point trouvé de meilleur remède que celui-là, je prie Dieu qu’il lui profite. Il est embarrassé d’un pernicieux mal qui a trop fortement attaqué son poumon par sa faute. Son obstination et le grand hiver passé, qui a duré trop longtemps, en ont augmenté le danger et retardé sa guérison. Nos docteurs, qui l’ont vu à ma prière, ne peuvent espérer son salut que par ce remède. Galenum noster lib. 5 Methodi tales ægros primo vere amandabat ad montem Stabianum, unde postea sani revertebantur Romam, quod utinam sic nobis contingat[8] Je le recommande aux bonnes grâces et aux prières de Mme Falconet. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 30e de mai 1670.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 30 mai 1670

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(Consulté le 19/04/2024)

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