L. 1005.  >
À André Falconet,
le 18 août 1671

Monsieur, [a][1]

On dit que le roi [2] a toujours été fort triste depuis la mort de M. le duc d’Anjou, [3] et si fort mélancolique [4] du rencontre de diverses affaires qui sont aujourd’hui à la cour que l’on ne l’a pu voir rire depuis ce temps-là. Je crois que cela se doit un peu entendre de la querelle qui est entre MM. Colbert [5] et Louvois. [1][6] Un de nos médecins me vient de dire qu’il y a une grande brigue à la cour pour mettre M. D’Aquin, [7] le fils, à la place de M. Vallot [8] et que cette brigue est si puissante qu’elle fait peur à celui qui la désire très ardemment ; et même, on dit que la reine [9] est le chef de cette brigue. Toute la cour n’est guère gouvernée que par intrigues où les dames se mêlent bien avant ; mais quand je fais réflexion sur cette brigue, je ne puis croire que la reine donne son médecin au roi ni même, quand elle le voudrait, que le roi s’y laissât emporter pour des raisons que je pourrais alléguer et qu’il vaut mieux taire (elles sont de deux sortes, physiques et politiques) ; mais il faut voir ce qui arrivera. Je crois pourtant que M. Brayer [10] y sera le plus puissant, tant parce qu’il est connu du roi comme habile homme et savant médecin que d’autant qu’il est très riche, ce qui fait un beau visage à la cour. Je vous dirai en passant qu’il a plus de 30 000 écus de rente. Devinez d’où viennent tant de biens, an ex Mammona ? [2][11][11a]

Ce 14e d’août. J’ai vu aujourd’hui un homme qui dit que M. Brayer espère si fort de devenir premier médecin du roi qu’il en mourra si cela n’arrive ; mais je n’en crois rien car il est si riche qu’il peut bien se passer de rien désirer. Il a environ 65 ans et bien de l’esprit, il est merveilleusement adroit et bien propre à la cour. Omnis Aristippum decuit color, et status, et res[3][12][13] On dit que cette place est merveilleusement briguée, et qu’une grande dame en a parlé au roi en faveur d’un médecin qui n’est point à Paris et qui est huguenot. [14] On parle d’un autre qui a offert 10 000 écus à une grande dame si elle la pouvait obtenir pour lui, mais je crois que ni l’un, ni l’autre ne l’auront point. Mais pour qui sera-ce donc ? Candidi pectoris verbum ex Iulio Cæsare Scaligero proferam, Certe nescio[4][15] Je crois qu’il n’y a que le roi qui le sache, et le futur de ce pays-là est toujours fort incertain.

On parle ici d’une autre affaire bien plus grande, qui est que le roi fait lever des troupes en plusieurs pays pour faire 10 000 hommes pour la fin de l’hiver prochain, qui seront employés sur mer et sur terre, on dit aussi 25 000 hommes de cavalerie ; et que M. le duc d’Orléans [16] s’en va épouser la fille de M. l’électeur palatin, [17] qui est huguenote, [18][19] à la charge qu’elle se fera catholique et qu’elle ira bien dévotement à la messe. [5][20] Peut-être que cela servira à nous aider à quelque entreprise du côté du Rhin et de l’Allemagne car c’est aux Hollandais que l’on en veut. Ces nouveaux républicains sont trop glorieux, il faut qu’il arrive quelque grande chose qui les humilie. On lève pour nous des soldats en Hibernie, en Angleterre, en Écosse, et ailleurs aussi. On parle aussi de nouvelles levées de deniers en France et de mettre 40 sols d’entrée à Paris sur chaque muid de vin. Le roi continue ses grandes dépenses en bâtiments, tant à Paris qu’à Saint-Germain [21] et à Versailles. [22] Dieu soit béni si le vin devient si cher, au moins nous avons la rivière de Seine [23] qui ne nous peut manquer et qui est fort bonne. Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 18e d’août 1671.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 18 août 1671

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(Consulté le 28/03/2024)

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