L. latine 326.  >
À Johann Daniel Horst,
le 28 novembre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 179 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu en même temps les trois vôtres, écrites à diverses dates, et j’y réponds brièvement. Votre fils est bien vivant et jouit d’une santé d’athlète. [2] Il est très cher et fort recommandé à son hôte, M. Gayan. [3] Il ne rentrera pas en Allemagne sans avoir acquis une parfaite connaissance des opérations chirurgicales, auxquelles il peut assister chaque fois qu’il s’en fait. [4] Il apprend le français : il parvient déjà à le balbutier et se fait même comprendre. J’espère qu’il ne retournera pas chez vous sans avoir d’abord abreuvé son esprit de quantité d’excellentes connaissances ; Dieu fasse qu’il y réussisse ! Votre autre compatriote, étudiant de médecine, m’est hautement recommandé, aussi bien en votre nom qu’au sien propre. Tant que je vivrai je serai à leur service ; en quoi que ce soit et aussi souvent qu’il sera nécessaire, je les aiderai de mes moyens, de mon argent, de mon travail ou de mes conseils. Si vous m’y sollicitez de nouveau, je me montrerai habile et amical à l’égard de vos protégés. J’admire le travail érudit et le soin scrupuleux qu’a mis le très distingué Schneider à écrire de Catarrhis ; [5][6] puisse Dieu nous conserver un si grand homme durant de nombreuses années. Nos libraires recevront sans doute son dernier livre et je me le procurerai facilement auprès d’eux ; c’est pourquoi je vous prie de ne pas me l’envoyer. [1] Je vous remercie pour vos catalogues. Je ne demande aucun livre de votre pays parce qu’ils seront en vente ici ; je désire seulement ces thèses et disputations qu’on a coutume de soutenir dans vos universités et qu’on ne trouve jamais ici. [7] Je souhaite néanmoins avoir par vous l’Historia plantarum generalis de Johann Theodor Schenck, [8] parue à Iéna il y a quelques années ; [2] je me procurerai les autres livres par un autre moyen. Notre Glaser est un excellent homme ; [9] natif de Bâle, il a un frère docteur en médecine dals la même ville, [10] qui a naguère été l’un de mes auditeurs. [11] Le nôtre exerce ici la pharmacie, mais pas à la manière d’un mendiant ou d’un imposteur, comme font quantité d’autres ; [12] je sollicite de temps en temps ses services pour mes patients, auxquels il plaît extrêmement. C’est un honnête homme, qui entend parfaitement son métier et qui est fort mon ami. C’est vraiment un authentique maître en son art, et non pas un petit débiteur de fumée et de sornettes, comme il est coutumier à bien d’autres. Je n’emploie jamais le laudanum des chimistes, [13][14] il m’est suspect ; parfois pourtant, je recours à l’opium pur [15] comme très puissant narcotique, mais rarement car les forces de nos malades sont à peine capables de résister à sa malignité. Dans son usage, je suis partout Galien, [16] qui est un guide très sûr, dans la mesure où ses écrits contiennent d’excellentes mises en garde sur l’emploi de l’opium, pour ne pas tomber dans son abus. [3] Je ne suis jamais monté au-dessus de deux grains et n’ai pas eu à le regretter ni été contraint de faire autrement ; autant qu’il m’est possible, j’agis alors prudemment, quia, comme dit Horace, me vestigia terrent[4][17] Felix quem faciunt aliena pericula cautum[5] Le laudanum, qu’on a malmené en tant de diverses préparations, dont le nombre dépasse deux cents, est en soi moins sûr que l’opium simple, je le laisse aux expérimentateurs et aux empiriques. [18] Je n’ai jamais entendu parler de l’opium comme d’un alexipharmaque, [19] sinon dans la mesure où il résout toutes les douleurs en tuant sur-le-champ, comme font d’autres poisons ; mais vous ne l’entendez pas ainsi. Walæus fut un savant homme, [20] qui s’est adonné à la chimie ; mais pour son très grand malheur, il mourut jeune encore d’avoir pris de l’antimoine en l’an 1649. [21] Væ victis[6][22] et à ceux que l’attrait pour la nouveauté a rendus fous, et trop crédules. Tant que je pourrai, je m’abstiendrai sagement de ces deux médicaments-là en les tenant pour poisons.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 179 vo | LAT | IMG] M. Volckamer de Nuremberg vit et se porte bien, [23] il m’a récemment écrit. Je dois beaucoup à son amour pour moi et à sa gentillesse ; c’est un homme excellent et très serviable, fidelis amicus medicamentum vitæ[7][24] M. Bauhin m’a aussi récemment donné de ses nouvelles. [25] Trois de ses fils ont jadis été mes auditeurs [26][27][28] et je l’ai connu en personne il y a 40 ans ; depuis lors, il a été un ami fidèle et constant. J’ai vu la plaisante métamorphose de deux de ses fils et en ai ri ; mais à moins d’être un Héraclite, qui ne rirait pas en un siècle si sot ? [8][29] Puissent les dieux nous conserver pendant de nombreuses années vos héros des lettres et les phénix de votre Allemagne, Rolfinck, [30] Conring [31] et Meibomius, très savant jeune homme. [32] J’ai amèrement pleuré et pleure encore Vorst et Vander Linden, [33][34] ces deux Sénons, [35] professeurs de Leyde, qui furent mes amis ; puissent-ils être encore en vie tous deux ! Le destin barre hélas la route à de si grandes entreprises. Le premier est mort vieux, du chagrin que lui a causé le décès de sa fille en âge d’être mariée ; mais le second, souffrant d’un catarrhe de poumon, ayant refusé la phlébotomie [36] (si fort recommandée par Galien, [37] mais qu’il avait en horreur et ne comprenait point, se permettant d’en médire très injustement) et ayant eu recours au médicament chimique énétique[38] s’est malencontreusement tué lui-même au sixième jour de sa maladie, avec une fièvre continue ; [39] ce qu’il n’aurait jamais fait s’il avait entendu Galien. J’ai vu tout ce que Jonston a publié et n’en désire rien. [40] J’ai l’Arboretum biblicum d’Ursin, [41] mais suis profondément peiné par la mort d’Ursinus, professeur de botanique à Leipzig. [9][42] Il m’avait promis de m’envoyer diverses disputations de son Université ; [43] en raison de son décès, je les attendrai d’un autre, que je ne connais pas. Tel est mon destin : mes amis meurent, mais aucun de mes ennemis, puisque je ne m’en connais pas. J’ai ici été le premier à avoir le livre de Animalibus sacræ Scripturæ de Samuel Bochart : [10][44] j’avais pris soin de me le faire envoyer aussitôt l’impression terminée ; ce qui fut dit fut fait ; je connais intimement cet auteur depuis 20 ans. M. Du Clos, [45] médecin de Metz, est ici, il m’a dit avoir un paquet que vous m’avez destiné, il prendra soin de me le faire expédier le mois prochain et d’éviter que la douane ne l’intercepte. On fait céans des prières publiques par toute la ville pour notre jeune reine qui, tourmentée par une fièvre continue, [46] a accouché prématurément, [47] elle a donné naissance à une petite fille qui est pourtant vivante ; [48] mais nul ne sait pour combien de temps. Je souhaite que votre Lotich [49] trouve chez vous un imprimeur disposé à rééditer son Pétrone[11][50] Soyez certain que je tiendrai pour très cher et parfaitement recommandé ce jeune Danois, [51] fils de Simon Pauli. [52] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 28e de novembre 1664.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Daniel Horst, le 28 novembre 1664

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(Consulté le 28/03/2024)

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