L. latine 330.  >
À Henrik von Möinichem,
le 10 décembre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 181 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Henrik von Möinichem, docteur en médecine, à Copenhague.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Votre amicale lettre me fait connaître avec plaisir votre bienveillance à mon égard et mutuis bene fidum pectus amoribus ; [1][2] et moi, pour vous rendre la pareille, je vous promets un amour constant ; j’en rends pour vous garant M. Thomas Bartholin, [3] votre archiatre et mon ancien ami, et je voudrais que vous le saluiez très obligeamment de ma part. J’approuve votre décision d’abandonner la charge et la fonction de professeur d’anatomie pour vous consacrer entièrement à la pratique de notre métier : vous avez trouvé meilleur et plus avantageux de faire comme Marthe, [2][4][5] mais c’est aussi plus pénible et plus tourmenté, car cela vous occupe tout entier ; je souhaite que vous y réussissiez et que vos vœux soient comblés ; et bonne chance à votre Sérénissime Altesse, [6] qui se comporte si généreusement à votre égard et pene solus inter monarchas tristes hac tempestate Camenas tam magnifice respicit[3][7] Mais pour autant, votre intérêt pour l’anatomie n’a pas disparu et vous ne souffrirez pas qu’il s’éteigne : vous le cultiverez toujours car, tel une torche ou un brillant fanal, il illumine chaque jour le médecin dans le traitement des maladies ; et en retour, il vous embellira et vous comblera de richesses, chaque fois que vous disséquerez des cadavres en vue d’explorer avec soin et curiosité les causes morbifiques, surtout dans les maladies internes, qui recèlent quelque chose de caché ou de rare. [8] Si vous vous y distinguez, vous serez un exemple pour le monde entier, un Esculape, [9] un Hippocrate, [10] un Galien [11] ou un Hérophile, [12] dont Tertullien [13] a écrit tam multos secuisse, ut naturam hominum scrutaretur[4]

Dans le bubonocèle et l’épiplocèle, [5][14][15] et autres affections de cette sorte, ceux qui recourent aux astringents, [16] aux onguents [17] ou aux emplâtres [18] me semblent agir inutilement, qu’il s’agisse de fomentations, [19] de décoctions ou de poudres styptiques, [6][20] dont les chimistes promettent merveilles. [21] Il n’y a pas besoin de si nombreux médicaments ; porro unum est necessarium : [7] il faut à la hernie de votre malade un bandage fait avec art, [22] qui enserre fermement cette partie de l’hypogastre où s’est glissé l’intestin grêle dans l’aine et le scrotum, [23] à cause du relâchement ou de la rupture du péritoine ; je dis fermement, mais sans provoquer de douleur, pour que l’iléon retourne dans sa situation originelle à l’intérieur de l’abdomen. [8] Nous avons ici beaucoup d’artisans qui vivent de cet art, et ils n’ont aucun autre traitement plus sûr et plus souverain ; je crois qu’il n’en existe aucun autre dans la nature. Tous les médecins de Paris observent cette règle et n’emploient aucun autre remède. Moi-même je recours à un tel bandage depuis plus de 35 ans avec le plus grand bonheur, [24] et quantité d’autres font comme moi. Beaucoup de hernieux vivent ici, surtout des vieillards, à cause du relâchement des parois et, disent nos médecins, parce qu’ils ont bu l’eau de notre Seine, qui est pourtant excellente et tout à fait salubre, car elle est très légère et très douce. [25] Bander est ce qu’il y a de plus sûr, tout le reste est douteux. J’approuve entièrement ce régime que vous citez : [26] que votre patient s’abstienne de toute nourriture flatulente, d’aliment cru, etc. ; que ses excréments soient toujours fluides ; qu’on le purge très souvent avec quelque cathartique approprié, [27][28]grains de séné [29] avec sirop de roses [30] et moelle de casse, [31] à quoi on ajoutera, s’il y a besoin d’un irritant plus puissant, 2 gros de diaphénic. [32] Ce cystotomiste nommé Raoul fut un pur imposteur ; [33][34] pour garantir son salut, il eut soin de s’enfuir en cachette, afin d’éviter la potence car on l’aurait sans doute pendu. [9] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 10e de décembre 1664.

Vôtre G.P.

Au très distingué M. Georg Friedrich Laurentius, docteur en médecine à Lübeck. [10]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Henrik von Möinichem, le 10 décembre 1664

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(Consulté le 28/03/2024)

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