L. latine 473.  >
À Thomas Bartholin,
le 1er avril 1669

[Ms BIU Santé no 2007, fo 230 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Thomas Bartholin, à Copenhague.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Matthias Moth, [2] le fils de votre archiatre[1][3] m’a remis votre très agréable lettre. Je l’ai plaisamment et gentiment accueilli, en votre nom et en celui de son très distingué père ; il pourra compter sur moi chaque fois qu’il aura besoin de mon aide. Je l’ai avisé de certaines choses qu’il doit faire ici : [4] au printemps prochain, il verra extraire le calcul par un cystotomiste très aguerri, François Colot, qui est fort de mes amis ; [5][6] si je puis, il verra aussi d’autres choses, mais il lui sera difficile d’assister aux dissections anatomiques car les mois d’hiver se terminent ; [7] on y a publiquement ouvert les cadavres de quatre femmes, sur l’un desquels on a démontré des opérations de chirurgie ; [8] il viendra aussi au Collège royal de Cambrai où je professe. [9][10] Vous ne m’avez pas fait savoir si vous avez bien reçu le Hollierus, in‑fo, que je vous avais envoyé, [11] avec les commentaires de Louis Duret, [12] Valet [13] et Jean Haultin ; [14] je suis encore dans l’incertitude, veuillez donc bien m’écrire afin de m’en donner des nouvelles. [2] Les imprimeurs parisiens sont extrêmement, et même excessivement engourdis. La difficulté des temps les a presque réduits à la mendicité ; ils sont seulement attachés à faire du gain, ce qui ne leur a guère réussi ; ils n’osent donc rien entreprendre, ils n’apprêtent et ne publient pas grand-chose, hormis quelques comédies en français et autres sornettes courtisanes. [15] J’avais confié à Laurent Anisson, libraire de Lyon, [17] l’Apologia pro Galeno de Caspar Hofmann, [16] dont j’avais ici le manuscrit. Elle a enfin vu le jour ; [18] c’est le meilleur des livres qu’il a écrits, je vous en enverrai un exemplaire à la première occasion. J’en ferai aussi parvenir un pour M. Simon Paulli, que je salue obligeamment. [19] Je souhaite que vous acheviez votre Celse [20] car je pressens qu’il sera meilleur que tous les autres, dont aucun ne m’a encore satisfait. Mon collègue Mentel [21] nous avait fait espérer le sien, mais je n’en attends plus rien : il vieillit un peu plus chaque jour et il promet, mais il ne produira plus jamais rien, [22] vitæ summa brevis spem nos vetat inchoare longam ; [3][23] il est entré en sa 70e année.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 230 vo | LAT | IMG]

Un médecin de Genève, M. Bonet, [24] a confectionné un Pharus medicorum en réunissant toutes les œuvres de Guillaume Baillou, jadis médecin de Paris ; [25] j’en ai la première partie, j’attends la seconde. [4] La lecture de ce livre servira de guide aux jeunes médecins qui se préparent à étudier la doctrine d’Hippocrate, [26] en les incitant à l’embrasser vigoureusement et vertueusement, et à poursuivre de leur haine les fraudes et les ruses des chimistes. [27] Voilà bien tout ce que je souhaite ! Mais dites-moi, s’il vous plaît, ce que vous avez parmi vos livres ou vos thèses contre ce fameux antidote qu’est la thériaque : [28] j’ai en tête d’écrire une thèse de médecine à son sujet, [29] où je conclurai qu’elle ne convient en aucune manière dans la fièvre pestilente, [30] en raison de la chaleur ardente et de la force indomptable et maligne de l’opium qu’elle contient, [31] etc. C’est à très juste titre, me semble-t-il, que Pline l’a appelée compositio luxuriæ : cui enim bono tot simplicia tam diversæ naturæ ? quo Deorum monstrante istam perfidiam ? Natura paucis contenta est, etc. [5][32] Tant de coûteux médicaments, compliqués et disparates, ne rompent pas la violence d’une si grave maladie et ne peuvent en aucune manière favoriser sa guérison, ad populum phaleras ! [6][33] Les sages ne doivent pas flouer le peuple, même s’il veut l’être. Pour Aristote, en sa Métaphysique[34] proprium scientis est docere ; [7] il faut donc éduquer ces jeunes qui, conduits par de fausses croyances, jettent de la poudre aux yeux des malades avec leur polypharmacie. [35] Si vous connaissez deux nobles Danois que j’ai soignés ici, MM. Douë et de Rosenkrantz, [8][36] je vous prie de les saluer de ma part, ainsi que les deux Wormius [37][38] et nos autres amis. Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 1er avril 1660.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 1er avril 1669

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(Consulté le 29/03/2024)

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