Annexe
Jacob Spon et Charles Patin, premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin

En 1677, Jacob Spon, [1] né en 1647, deuxième fils de Charles[2] était médecin à Lyon. Charles Patin, [3] né en 1633, deuxième fils de Guy, était exilé à Padoue, où il enseignait la médecine. [4] Une solide et ancienne amitié les liait, cimentée par leur passion commune pour les antiquités[1]

La thèse de doctorat en histoire qu’Yves Moreau a présentée le 8 juillet 2013 à l’Université Lyon 3, intitulée Édition critique de la correspondance de Jacob Spon (1647-1685), contient 425 lettres, jusque-là inédites, que Spon a écrites ou reçues entre 1667 et 1685. Quatre-vingt-deux viennent de Charles Patin, et sont conservées dans le ms BnF naf 24171, Lettres de divers érudits adressées à Charles et Jacob Spon (1650 à 1681). J’ai extrait de cette correspondance ce que les deux amis se sont écrit en 1677-1679 sur leur édition des Lettres choisies de feu Monsieur Guy Patin, qui parut pour la première fois à Francfort (sic pour Genève) en 1683[2][5]

Extraits de neuf lettres que Charles Patin a écrites de Padoue à Jacob Spon

Extrait d’une lettre de Jacob Spon

À Claude Nicaise, [27][28] sans lieu ni date écrits (1679) (Moreau, no 230, page 522 ; ms BnF fr 9360, Correspondance de l’abbé Nicaise, f o 323) :

« On m’écrit que l’on veut imprimer à Rome un volume in‑fo des lettres de Baronius, [29] ou qui lui ont été écrites. [28] De la manière dont m’a écrit M. Chouët, [29][30] je vois qu’il ne se soucie pas d’imprimer les lettres de M. Patin. Si c’était un méchant livre, il l’aurait déjà fait, car les libraires se trompent souvent aux choix de leurs auteurs. Pour moi, je tiens que c’est un livre à en faire beaucoup d’éditions. J’y ferai, s’il plaît à Dieu, travailler ici dans un mois. »

Commentaires

Ces précieux courriers établissent que Charles Patin et Jacob Spon, avec l’approbation et l’aide de Charles Spon et d’André Falconet, les deux amis lyonnais de Guy Patin, ont énergiquement travaillé à éditer un choix de ses lettres entre 1677 et 1679. Dès lors, ce dessein était à deux doigts d’être réalisé : on avait corrigé les dernières feuilles du manuscrit, et on songeait déjà au portrait de l’auteur qui devait orner l’ouvrage et au deuxième tome qui l’enrichirait bientôt ; mais il restait à écrire la préface du livre, à trouver un imprimeur assez audacieux pour le publier, et à libérer Charles de la condamnation qui entravait sa liberté d’agir au grand jour en France.

Yves Moreau a fourni la preuve formelle que le projet a bien été mené jusqu’à son terme dans la lettre no 371 de sa thèse (page 759), écrite par Jacob au libraire genevois Jean-Louis Du Four, [30][31] datée de Lyon le 7 mars 1683 :

« Il faudrait dans votre titre Lettres choisies de feu Monsieur Guy Patin, docteur en médecine de la Faculté de Paris et professeur au Collège royal. Si le nom de Genève n’y était pas, elles passeraient en France et en Italie avec moins de difficulté, et même elles se vendront mieux, vos impressions étant fort décriées. M. de Fléchères [32] me dit encore hier qu’il n’avait rien reçu de vous ; et en ayant demandé à la douane des nouvelles, on ne m’en fut < sic pour : voulut ? > point donner. Si vous avez envoyé cet exemplaire pour lui par le chasse-marée, [33] il devrait être arrivé. [31] J’ai jusque là le N, mais il me manque le M. Si vous pouviez m’envoyer cette suite par un courrier comme le précédent, je vous prie de lui recommander. [32] S’il y a quelque ami qui s’en veuille charger d’un ou deux exemplaires pour moi, vous pourrez lui remettre. D’abord qu’il sera fait et la planche tirée, vous pouvez en faire un paquet d’une vingtaine que vous enverrez par commodité à Padoue à M. Charles Patin, professeur en médecine, de ma part. »

Le décalage de quatre ans entre l’achèvement de l’édition (1679) et la parution de l’ouvrage (1683) est sans doute lié à l’amnistie de Charles Patin, qui ne fut prononcée qu’en juin 1681, [33] puis à la difficulté de convaincre un imprimeur. En poussant un peu loin le bouchon, j’en conviens, on peut voir dans cette parution retardée une vengeance longuement ruminée de Charles contre une cour et une Faculté de médecine qui lui avaient valu une immense infortune ; mais ce fut un éphémère délice qu’il paya fort cher.

Dans son acharnement à reprendre rang sur le tableau des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, [34] Charles alla jusqu’au parjure, en écrivant le 1er juin 1686 au doyen Claude Puilon : [34][35]

« On m’objecte principalement d’avoir édité ou aidé à faire paraître un petit livre contenant les lettres françaises de mon père, Guy Patin. Comme elles sont entrelardées de médisances, je dois être châtié sans mériter la moindre pitié de la très salubre Faculté si j’en ai été l’instigateur, l’auteur ou le divulgateur. […]

J’atteste solennellement n’avoir été ni l’auteur ni le divulgateur des injures dont on m’accuse injustement. Cela devrait suffire si on accordait quelque foi à ma parole, mais j’affirme en outre n’avoir jamais possédé ce livre, ni l’avoir attentivement lu ; il a seulement fini par me tomber entre les mains pendant deux heures, un jour qu’on me l’avait prêté. Tous ceux qui connaissent ma vie savent bien que je n’ai hérité ni lettres, ni opuscules, ni manuscrits de mon père, ni même la moindre chose qui lui appartînt. »

Le labourage des archives sait décidément déterrer de cruelles découvertes.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Annexe. Jacob Spon et Charles Patin, premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8224

(Consulté le 25/04/2024)

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