L. latine reçue 17.  >
De François Teveneau,
le 25 février 1657

[Ms BIU Santé no 2007, fo 382 ro | LAT | IMG]

À Donzy, ce 25 février 1657[1][1]

Monsieur, [a][2][3]

J’ai reçu le livre nouveau de Johannes Vander Linden, lequel vous avez pris la peine de m’acheter, dont je vous remercie très humblement. Je le lirai, Dieu aidant, tout entier ce carême. Vous me l’avez bien dit que c’était un livre qui méritait d’être lu ; aussi faut-il avouer qu’il n’appartient qu’à vous d’en juger. [2][4] J’ai reçu encore des thèses de Messieurs vos fils, que j’ai trouvées fort belles. [3][5][6][7] Si vous en avez quelques-unes à m’envoyer, vous les donnerez, s’il vous plaît, à M. l’avocat Frappier, fils aîné de M. l’élu Frappier, lequel vous rend la présente, avec le rapport que j’ai dressé pour M. son père, d’une indisposition qui le travaille depuis quelque temps. [4][8]

Voici tantôt quatre mois que M. Frappier, noble homme que vous connaissez bien, a été saisi d’une fort atroce douleur aux hémorroïdes internes ; [9][10] elle lui donnait de brefs répits et sévissait plus furieusement la nuit ; puis une chaleur fébrile s’était associée, avec une envie presque perpétuelle d’aller à la selle, où l’intestin s’évacuait non sans grande douleur. Nous avons alors saigné raisonnablement, en tenant compte des forces et de la plénitude des vaisseaux. [11] Au quatrième jour suivant l’invasion du mal, un pus louable a été [Ms BIU Santé no 2007, fo 382 vo | LAT | IMG] expulsé en torturant horriblement le malade. Une fois le pus évacué et la douleur soulagée, il est retourné à ses occupations ordinaires ; et comme l’équitation est pour lui le plus agréable des exercices, il s’est rendu à La Charité à cinq lieues de distance de cette ville, [5][12] secoué sur la selle de son cheval. Il s’est arrêté là-bas pendant un jour et la douleur passée est réapparue, mais plus légère. Le lendemain, porté par le même cheval, il est rentré ici, où une plus grande âpreté des douleurs, des insomnies et une fièvre ont assailli le malade. Chaque fois que ces symptômes pressaient, nous avons saigné une veine. Ce même remède les atténuait certes, mais tous revenaient aussitôt pour le persécuter plus cruellement encore. Ayant donc alors délaissé la phlébotomie pour un temps, nous avons recouru à la fomentation avec lait et eau tiède, ainsi qu’au demi-bain d’eau douce tiédie, qui ont adouci la douleur. [13][14] Ces remèdes parégoriques [6][15] ont fait saillir dans l’anus des hémorroïdes qui n’étaient pas fort enflées ni irritées, dont la piqûre provoquait immédiatement une douleur atroce qui écartelait le malade ; ce qui nous a menés à penser que quelque autre inflammation [16] se cachait encore, que révélaient l’intense chaleur de cette partie, la rougeur de son voisinage et une légère fièvre. Après huit jours, du pus s’écoula, tantôt pur, tantôt mêlé de sang. Les morsures en étaient si acérées qu’elles faisaient presque tomber le malade en syncope. [17] Quand, par un heureux hasard, la cicatrisation établie auxdites parties eut supprimé l’écoulement de pus, une tuméfaction contiguë aux hémorroïdes externes s’est élevée sous la peau, [Ms BIU Santé no 2007, fo 383 bis ro | LAT | IMG] vers l’extrémité de la hanche, provoquant une très vive douleur, à la manière d’un furoncle. [18][19] Deux jours plus tard, cette tuméfaction a rejeté une très grande quantité de pus dilué dans beaucoup de sérosité ; après son évacuation, la nuit a été calme, la douleur a été soulagée et les hémorroïdes se sont désenflées jour après jour. Il n’a subsisté de visible à leur voisinage qu’un ulcère, sans douleur, tantôt sec, tantôt rendu humide par un pus blanc qui s’en écoulait doucement et régulièrement. Pour la guérison de cet ulcère, nous avons besoin de votre aide, qui a procuré le salut à beaucoup de gens, sans vous dire la créance que vous en tirerez. En attendant, vale et continuez d’aimer celui qui vous aime en retour,

François Teveneau.

Je vous envoie l’avis de M.  Seurat, médecin en cette ville, [20] concernant M. Mormot, pour qui vous m’envoyâtes le vôtre dernièrement. Il lui a dit qu’il l’avait reçu, mais qu’il ne pouvait s’assujettir à tant de saignées et purgations. [21] Lui, pour renchérir sur vous, qu’il dit néanmoins être son maître, écrivit ce que je vous envoie avec la réponse que je lui fis. Vide juvenis istius impudentiam. [7][22]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 383 vo | LAT | IMG]

a Dans un premier temps, une ardeur a irrité la peau des jambes de cet illustre Monsieur, sous la forme de pustules progressant de proche en proche, qui se sont réduites d’elles-mêmes à l’état de papules ; elles s’accompagnent en effet d’un prurit, qui a été durable et dépourvu de fièvre ; c’est à peine si du pus ou des sanies sont sorties de ses pustules. [8][23][24]

Pour repousser cette grave maladie, vous prendrez en considération le foie, comme étant le canton où se forme en premier b l’écoulement de la bile au travers du méat cholédoque, d’où elle se précipite dans les intestins ; comme cela lui a été refusé, il en a résulté que, depuis sa vésicule, [9][25][26] c elle s’est brutalement élancée autour du foie, ce qui a provoqué d l’apparition d’une tuméfaction hépatique ; e mais une humeur légère ne s’arrête pas en un seul endroit, f elle se mélange au sang ; elle le rend plus âcre et il tombe dans les parties déclives, g car il ne s’échappe pas vers les plus élevées ; h la Nature s’était déjà déchargée dans les plus basses sous la forme d’une douleur sciatique. [27] Vous prêterez donc attention au foie et au corps. La nourriture sera rafraîchissante et humidifiante.

Des lavements répétés sans relâche purgeront l’intestin : [10][28] prenez de la racine d’oseille, de la mauve, de la pariétaire, de l’aigremoine, du son d’orge en quantités égales de 2 onces ; [11][29][30][31][32] mélangez à une drachme de semences froides majeures ; [12] faites-en une décoction aqueuse ; mêlez 10 onces de la partie filtrée à autant de miel dilué ou de diaprun simple ; [33][34] faites-en un lavement de 2 onces.

De temps en temps, on i tirera de la veine basilique droite le sang qui s’échauffe, en proportion des forces du malade. [35]

On altérera ensuite le sang à l’aide des émulsions que voici : [36] prenez des semences froides majeures, de laitue, de pourpier, de pavot blanc en quantités égales d’une drachme, et une once d’amandes douces qu’on aura écrasées dans un mortier ; [37][38][39][40] versez lentement dans une décoction de 2 livres d’orge, d’oseille et de capillaires ; [41][42] dans la partie filtrée, dissolvez un sirop fait de deux onces de nénuphar et de jus de citron ; [43][44] faites-en l plusieurs doses, dont le malade poursuivra la prise fréquente pendant quelques jours. Après quoi on pourra instituer une purgation douce et légère m par tamarin, séné, moelle de casse et sirop de roses laxatif. [13][45][46][47][48]

Ensuite, nous prescrirons au malade l’emploi du lait d’ânesse [49] n avec du jus de citron, ainsi que le bain tiède à la maison, quand le temps sera plus clément.

La douleur sera soulagée par o le mucilage suivant : prenez une drachme de graines de lin et 2 drachmes de plantain ; [14][50][51][52] écrasez le tout dans un linge qui sera mis à bouillir dans une décoction filtrée de camomille et de mélilot ; [15][53][54] puis on en extraira le mucilage.

Signé Seurat et paraphé ; pour M. de la Forest Mormot, ce 27 janvier 1657. [16]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 383 ro | LAT | IMG]

a  Vous prescrivez de traiter la maladie antécédente et la présente. Les remèdes sont toutefois requis non pas pour la maladie passée, mais soit pour l’actuelle, soit pour la future. Si cette papule bilieuse brûlait encore maintenant les jambes de ce noble malade, vous prescririez pour la maladie présente, non pour l’antécédente. Si un grammairien inverse les temps, on le châtie de la férule. [55]

b  Vous extravaguez car l’intestin se décharge tous les jours d’excréments moulés et mous, correspondant à la nourriture ingérée et riches d’un peu de bile. Si la vésicule biliaire était obstruée à l’intérieur du foie, alors un ictère serait apparu.

c  La bile ne peut s’épancher autour du foie si elle ne s’est d’abord répandue dans sa substance même ; et en ce cas, elle engendrerait soit une obstruction, soit une tuméfaction.

d  Vous voyez les choses en les imaginant et non pas en les constatant : de fait, nul signe d’un foie tuméfié ou autrement altéré ne se manifeste dans l’apparence du patient ; la couleur qui s’épanouit sur le visage est telle que les humeurs la commandent ; elles déborderaient ou dans les veines, ou dans le foie.

e  Donc, il ne porte pas de tumeur.

f  La raison en est qu’elle < l’humeur peccante > ne souille pas le sang, qui s’écoule rutilant des veines du bras, sans que surnage aucune bile excrémentielle. Dites plutôt que cette sorte de papule tire son origine d’une intempérie très chaude des viscères et d’une humeur grossière et extrêmement âcre.

g  Chez les vieillards, en raison de la faiblesse des membres inférieurs et de la pesanteur des humeurs, les sanies bilieuses sont portées vers le bas.

h  Ce raisonnement me semble digne non pas d’un médecin aguerri et d’un anatomiste clairvoyant, mais d’un enfant et d’un bouffon. Ajoutez à cela que le malade n’a souffert d’aucune douleur de la hanche.
Enema s’écrit avec un e et non un æ, tout comme cystis avec un y et non un i[17]

i  On lui aurait même tiré du sang trois ou quatre fois des veines basiliques : il faut être très économe du sang dans la maladie bilieuse, mais en effet prodigue ailleurs.

l  L’habitude est en vérité de préparer l’émulsion à mesure des besoins, parce qu’elle s’aigrit facilement.

m  Il faut surtout purger le malade fréquemment et doucement : il n’aura besoin ni d’émulsions ni de lavements, si à la purge on adjoint la phlébotomie, qu’il convient de répéter. [18]

n  N’avez-vous pas appris cela de votre ignoble auteur, François Sizé ? Vous ignorez que les acides convertissent le lait en petit-lait ; on fait boire le lait d’ânesse préparé tout au plus avec du sucre rosat. [19][56][57][58]

o  En empêchant la perspiration, [20] ce mucilage augmentera la douleur.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De François Teveneau, le 25 février 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9068

(Consulté le 29/03/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.