L. 43.  >
À Claude II Belin,
le 14 septembre 1638

Monsieur, [a][1]

J’ai, depuis votre départ, [1][2] reçu deux des vôtres, pour lesquelles je vous remercie. Je suis bien aise d’apprendre que vous et Mme Belin [3] soyez en bonne santé. Enfin, Dieu nous a donné un dauphin, le dimanche 5e de septembre, un quart d’heure avant midi, [4] lequel se porte fort bien, aussi bien que la reine sa mère, [5] Dieu merci. [2] M. Cousinot, [6] le fils, est son médecin. Le bonhomme M. Seguin [7] est fort malade à Saint-Germain [8] d’une fièvre double-tierce [9] qui lui livre tous les jours de rudes assauts, [3] avec une petite continue, [10] laquelle ne le quitte point ; il en a eu tous les sacrements. Il a été cru mort trois ou quatre fois et maintenant il se porte un peu mieux. On m’a néanmoins assuré qu’il aura bien de la peine à en relever. Son neveu, [11] qui est de notre licence, [12] a obtenu la survivance de sa charge, qui lui a été accordée à la grande importunité de son oncle, afin, disait-il, qu’il en pût mourir plus content. [4] On n’a pas encore fait ici grand’chose sur la naissance de M. le Dauphin, je vous ferai part de ce qui se fera. On a ici depuis votre départ vendu deux bibliothèques, esquelles s’est rencontré le même tome que nous avons tous deux de l’herbier de Lobel [13] et Pena. [14] L’autre, qui est intitulé Observationes, se pourra rencontrer quelque jour. [5] M. le maréchal de Châtillon [15] est disgracié, avec commandement de se retirer en sa maison, à quoi il a obéi. Les Hollandais avaient assiégé Gueldre, [16] mais ils y ont été battus puis en ont levé honteusement le siège. [6] Notre armée est devant Le Catelet, [7][17] dans lequel les Espagnols se défendent vigoureusement. M. le Prince [18] avait assiégé Fontarabie, [19] mais la nouvelle est venue d’hier au soir qu’il en a levé le siège, y ayant été contraint par l’admirant d’Aragon qui y a amené de grands secours. [8] Nous n’avons guère gagné cette année ; nous pourrons gagner davantage l’année qui vient, puisque le dieu de la guerre est apud Homerum, αλλοπροσαλλος, [9][20][21] et que de tout temps il a été reconnu vrai que ut varia ludi alea, sic et bellum[10] Nous aurons assez gagné si M. le Dauphin est cause que l’on fasse la paix, comme le roi [22] l’a promis de deçà à ceux qui le sont allés saluer et visiter à cause de cette naissance. La reine mère [23] est sortie de Flandres, [24] a été en Hollande, fort bien reçue à La Haye, [11][25] puis delà a passé en Angleterre. Quelques-uns disent qu’il y a accord fait qu’elle reviendra bientôt en France sous de certaines conditions, sed non ego credulus illis[12] il y a une forte pièce debout qui l’empêche. M. le Dauphin pourra bien faire cela dans quelque temps, mais il est encore trop petit pour faire un si grand miracle : utinam regius ille infans conterat caput serpentis, et auream pacem mundo reducat[13] Le roi [26] a eu quelque accès de fièvre tierce, mais ce n’est rien. Son Éminence [27] est encore en Picardie. Je vous baise très humblement les mains, à Mme Belin, à Messieurs vos frères, et à MM. Sorel et Allen, [14][28] avec dessein de demeurer à jamais, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 14e de septembre 1638.


a.

Ms BnF no 9358, fo 49 ; Triaire no xliii (pages 145‑147) ; Reveillé-Parise, no xxxiv (tome i, pages 56‑57), novembre au lieu de septembre.

1.

Nouvelle allusion à une visite de Claude ii Belin à Guy Patin en août 1638 (v. note [1], lettre 42).

2.

Le futur roi Louis xiv le Grand (mort à Versailles 1er septembre 1715) était né le 5 septembre 1638 à onze heures et demie du matin dans une chambre du pavillon de la reine, attenant au château de Saint-Germain, en présence du duc d’Orléans, de la princesse de Condé, de la comtesse de Soissons et de la duchesse de Vendôme. Anne d’Autriche et Louis xiii s’étaient mariés le 28 novembre 1615, mais le couple était jusque-là demeuré stérile, c’est-à-dire faillissant à la fonction primordiale des rois, ce qui valut au petit Louis le second prénom significatif de Dieudonné. L’ambassadeur de Venise a rapporté que Louis xiii évoqua, en lui montrant le nouveau-né, « les quatre malheureux avortements [fausses couches] » de la reine qui avaient précédé l’heureux événement (F. Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle).

L’omniprésence de Louis xiv dans la suite des lettres de Guy Patin est divisée en quatre périodes :

  1. l’enfance du dauphin, jusqu’à la mort de Louis xiii (14 mai 1643) ;

  2. la minorité du roi pendant la régence d’Anne d’Autriche ;

  3. sa majorité à l’âge de 13 ans (7 septembre 1651) qui marqua un tournant décisif dans l’histoire de la Fronde ;

  4. son règne personnel, enfin, après sa prise du pouvoir, le matin du 9 mars 1661, au lendemain de la mort de Mazarin, son fidèle tuteur.

Simplement ondoyé à la naissance, Louis n’allait être baptisé que le 21 avril 1643, trois semaines avant la mort de son père qui lui choisit pour marraine la princesse de Condé, Charlotte de Montmorency, et pour parrain, à la surprise générale, le cardinal Mazarin.

3.

La tierce est une fièvre intermittente qui survient chaque troisième jour, avec un jour franc entre deux accès. V. notule {b}, note [4], lettre 69, pour la description de la tierce par Jean Fernel.

« La fièvre double-tierce, est une fièvre composée de deux tierces, causée par une bile qui se pourrit en deux divers lieux hors des grands vaisseaux. Elle prend deux jours consécutifs, comme la quotidiane. Elle n’en est distinguée que par les signes et symptômes » (Furetière). Dans la double-tierce, « le malade éprouve tous les jours des accès alternativement inégaux ; de sorte que les accès qui ont lieu les jours pairs et ceux qui se manifestent les jours impairs ont une correspondance réciproque dans leurs phénomènes et leur durée » (Fournier et Vaidy in Panckoucke).

4.

L’importune succession précédait en effet de dix ans la mort de l’oncle, Pierre i Seguin, qui survint en 1648, à l’âge de 82 ans.

5.

Une manière de dire poliment à Claude ii Belin qu’il s’est trompé avec son titre (v. note [3], lettre 42).

6.

V. note [2], lettre 40, pour la disgrâce du maréchal de Châtillon après son échec devant Saint-Omer.

Gueldre est aujourd’hui Geldern en Allemagne (Rhénanie du Nord-Westphalie), entre le Rhin et la frontière des Pays-Bas, à 79 kilomètres au nord-ouest de Dusseldorf. C’était alors une place forte de la Gueldre espagnole.

Montglat (Mémoires, pages 69‑70) :

« Le prince d’Orange {a} avait promis {b} de faire une grande diversion de son côté. En effet, si ses desseins eussent réussi, il eût exécuté une belle entreprise, car il avait jeté les yeux sur Anvers, comme la plus considérable ville des Pays-Bas, et laquelle avait autrefois tout le commerce qui est présentement à Amsterdam. Il embarqua pour ce sujet son infanterie et son canon à Berg-op-Zoom et les fit débarquer au Polare {c} de Doel, où quinze cents hommes se mirent dans la boue jusqu’à la ceinture par le pays inondé, et surprirent deux redoutes sur la digue et le fort de Calloo, qui est sur l’Escaut, au-dessus d’Anvers. Ils emportèrent ensuite le fort de Wertbrooc ; mais le cardinal infant voyant leur dessein formé sur Anvers, entra dans la ville pour la rassurer ; et ayant mis son armée en campagne, fondit sur le quartier du comte Guillaume, lequel se voyant séparé du prince d’Orange par les eaux, qui l’empêchaient de le venir secourir, quitta les forts et se rembarqua pour se retirer. Son arrière-garde fut maltraitée dans sa retraite, où il perdit son canon et son fils unique, le comte Maurice, âgé de 21 ans. Ainsi, ce grand dessein d’Anvers se tourna en fumée. Le prince d’Orange, piqué d’avoir manqué son coup, résolut d’en tirer sa revanche ; et voyant la difficulté d’entreprendre dans les pays inondés où on ne peut aller qu’à la nage, il fit dessein d’attaquer quelque place dans la terre ferme. Dans cette pensée, ayant rassemblé son armée, il jeta les yeux sur Gueldre et l’envoya investir par le comte Henri de Nassau, qu’il suivit avec le reste de ses troupes. Il fit travailler aussitôt à la circonvallation ; mais avant qu’elle fût achevée, le cardinal-infant força le quartier du comte Henri, prit son canon et bagage, et secourut la ville. Le prince d’Orange voyant ce mauvais succès, ne jugea pas à propos de faire aucune entreprise dans le reste de l’année ; et s’étant retiré dans son pays, il mit bientôt après son armée en garnison. »


  1. Guillaume ii.

  2. Aux Français.

  3. Polder.

7.

V. note [2], lettre 30.

8.

Pour amiral, « en Espagne on dit l’Admirante [sic pour Almirante] ; mais l’amiral n’est là que le second officier, qui a un général d’armée au-dessus de lui » (Furetière).

Fontarabie (Hondarribia en espagnol, Fons rapidus et Œso en latin) est une ville d’Espagne, dans la province de Guipuzcoa, à 17 kilomètres au nord-est de Saint-Sébastien et 22 kilomètres au sud-ouest de Bayonne, sur une petite presqu’île formée par le golfe de Gascogne, près de la rive gauche de la Bidassoa. Une armée française, commandée par le prince de Condé, avec le duc de La Valette pour lieutenant général, assiégeait Fontarabie depuis deux mois et en était presque venue à bout ; mais les renforts espagnols l’en délogeaient le 8 septembre. Le poids de la défaite tomba sur La Valette qui, appelé à la cour pour rendre compte de sa conduite, trouva plus prudent de se retirer en Angleterre. Il fut jugé par contumace (Triaire).

Montglat (Mémoires, pages 71‑72) :

« Le prince de Condé investit Fontarabie et fit travailler à la ligne, qui fut bientôt achevée, parce que le pays était si rude et si montueux qu’il est aisé d’en empêcher l’abord. La tranchée fut ouverte à la mi-juillet par deux endroits, et les batteries dressées deux jours après. […] Le 8e d’août, les mineurs furent attachés aux bastions […]. En quatre jours les mines furent en état de jouer et le matin, on y mit le feu, qui fit un grand effet car deux bastions sautèrent et les Français se logèrent sur les brèches, en sorte que la ville ne pouvait plus tenir que deux jours ; mais le roi d’Espagne, dès le commencement du siège, avait mis le plus de forces ensemble qu’il avait pu, pour secourir Fontarabie. Le grand prieur de Navarre assemblait un corps à Saint-Joseph ; le marquis de Los-Veles, vice-roi de Navarre, un autre à Tolosette ; et l’amirante de Castille, un troisième à Saint-Sébastien ; lesquels sachant que Fontarabie était à l’extrémité, se joignirent ensemble et marchèrent pour attaquer les lignes. Le pays est fort montueux et rude, car les Pyrénées viennent jusque-là ; et sur le bord de la mer, il y a une petite plaine où est situé Fontarabie, à l’embouchure de la rivière Bidassoa. Un matin, les Espagnols commencèrent à paraître à la descente des montagnes qui donnent à la plaine ; et dès que les Français les aperçurent, ils furent saisis d’une telle épouvante qu’ils se mirent tous à fuir ; et cette terreur panique les pressa tellement que, sans tirer un coup de mousquet, toute l’armée en même temps prit la fuite sans savoir pourquoi et sans que les chefs y pussent donner aucun ordre ; lesquels furent contraints, se voyant demeurés seuls, de se sauver comme les autres ; les soldats, pour aller plus vite, jetant leurs mousquets et leurs piques. Les Espagnols, d’abord, ne surent ce que c’était ; mais enfin, voyant cette déroute causée par un si grand effroi sans sujet, ils entrèrent dans le camp, poussèrent les fuyards et prirent ou tuèrent les plus paresseux. Ainsi, ils sauvèrent Fontarabie sans tirer ni épée, ni mousquet, et furent maîtres sans combattre du canon et du bagage des Français. Ce désordre fâcha fort le cardinal de Richelieu ; lequel ne sachant à qui s’en prendre, à cause que les chefs jetaient la faute les uns sur les autres, déchargea sa colère contre le duc de La Valette, accusé d’avoir fui des premiers ; mais en étant averti, il s’enfuit en Angleterre. Il avait épousé la fille de Pontchâteau, cousin germain du cardinal ; et cette alliance ne le mit pas à couvert, parce qu’il {a} châtiait sévèrement lorsqu’on manquait à son devoir, et n’épargnait non plus ses parents que les autres. Aussi, voyant ce duc échappé de ses mains, il lui fit faire son procès à Saint-Germain, le roi y présidant. Les princes du sang, les ducs et pairs, maréchaux de France et présidents au mortier y assistèrent, et le condamnèrent à perdre la tête, ses charges et ses biens. Si la consternation fut grande en France, la joie ne fut pas moindre en Espagne, où le roi fit faire des comédies durant l’hiver, qui représentaient la déroute des Français devant Fontarabie. »


  1. Richelieu.

9.

« dans Homère, inconstant (alloprosallos) » ; Érasme a commenté la locution Cothurno versatilior [Plus versatile que le cothurne] (Adages, no 94) :

Homerus Martem, ni fallimur, subinde mutantem partes, novo verbo αλλοπροσαλλον appellat.

[Homère, si je ne m’abuse, qualifie Mars d’un mot nouveau, alloprosalos, pour sa capacité de changer soudainement de camp].

La connaissance très rudimentaire que Guy Patin avait du grec lui permettait de citer une expression d’Homère, immortel auteur de L’Iliade et L’Odyssée au viiie s. av. J.‑C., mais sûrement pas de le lire dans le texte originel.

10.

« le hasard du jeu est capricieux, tout comme est la guerre. »

11.

La Haye (Pays-Bas, Den Haag en néerlandais), grande ville côtière de la Hollande méridionale, était alors la capitale des Provinces-Unies. Guy Patin l’appelait parfois La Haye-le-Comte (‘s-Gravenhage en néerlandais) par référence à sa dénomination latine, Haga Comitum.

12.

« mais je ne les crois pas » (v. note [4], lettre 19).

De fait, Marie de Médicis ne revint jamais en France. Elle avait quitté Bruxelles en août (v. note [6], lettre 37) pour être bien accueillie en Hollande, « comme l’épouse du grand roi [Henri iv] qui avait aidé les Provinces-Unies à se constituer, la régente qui avait favorisé leur développement, la mère du monarque qui les protégeait contre l’Espagne » (Henri Fouqueray, chapitre xv, Derniers jours des trois puissants protecteurs [1641-1643], pages 436‑437) ; mais Richelieu :

« ne tarda pas à marquer son mécontentement au prince d’Orange et lui demander de hâter le départ de l’exilée pour l’Angleterre ». Le voyage n’en était en fait alors qu’aux préparatifs : l’embarquement « eut lieu à la fin d’octobre 1638 à La Haye. Après une lutte de sept jours contre la tempête, le navire aborda enfin à Gravesend. Le 5 novembre, escortée de Charles ier, {a} Marie de Médicis fit son entrée dans la capitale de la Grande-Bretagne avec autant de solennité que si elle eût été encore sur le trône. » {b}


  1. Son gendre.

  2. La reine mère demeura en Angleterre jusqu’au début de septembre 1641.

13.

« fasse le ciel que cet enfant royal écrase la tête du serpent et amène au monde une paix dorée. »

14.

En 1638, Nicolas Allen, ami de Claude ii Belin, était conseiller au bailliage et siège présidial de Troyes.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 septembre 1638

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(Consulté le 24/04/2024)

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