L. 45.  >
À Claude II Belin,
le 13 janvier 1639

Monsieur, [a][1]

J’ai été très aise d’apprendre par la vôtre que vous et Mme Belin [2] soyez en bonne disposition. Je vous assure que le petit Sorel [3] étudie bien et n’emploie pas mal son temps. Novissime[1] je l’ai examiné ; s’il continue, j’espère que frugem faciet[2] Faites-moi la faveur de présenter mes très humbles recommandations à M. Allen [4] et de le faire participant de ces deux nouvelles : dont la première est que nous attendons la nouvelle édition du recueil des lettres de feu M. Casaubon [5] qui est tout nouvellement achevé en Hollande, il y en a sur le chemin un paquet de 30 et un autre de 50 ; [3] l’autre est que l’on a ici imprimé, en deux volumes in‑fo, un recueil intitulé Traités des droits et libertés de l’Église gallicane, dont le premier de tous est celui de M. Pierre Pithou, [4][6][7] et plusieurs autres ensuite qui font le premier tome complet ; et le deuxième, qui est bien plus gros, contient les preuves desdites libertés. Le 18e du mois passé nous a ravi le vaillant P. Joseph, [8] capucin[9] par une apoplexie. [5][10] On a fait sur cette mort divers épitaphes un peu trop satiriques, et qui en ont fâché même Son Éminence. [6][11] On lui a fait une harangue funèbre dans les Capucins du faubourg Saint-Honoré, [7][12] par le P. Léon, [13] carme mitigé, [14] qui a semblé être bien aise de trouver ce beau sujet pour étaler son éloquence. [8] Depuis la prise de Brisach, [9][15] nous n’avons ici rien de nouveau de l’Allemagne. On dit que le cardinal de Savoie [16] et le prince Thomas, [17][18] son frère, s’en vont faire la guerre à la duchesse leur belle-sœur, [10][19][20][21][22] et que le roi d’Angleterre [23] s’en va avoir grosse guerre aussi contre les Écossais, qui sont malcontents de lui et qui ne veulent pas le reconnaître pour chef de l’Église anglicane. [11][24][25] La reine mère [26] est à Londres. On imprime ici toutes les œuvres de Sennertus [27] en trois volumes in‑fo[12] M. Moreau [28] a été un des députés de notre Faculté pour aller à Saint-Germain [29] y consulter pour M. le Dauphin, [30][31] qui dorénavant se porte bien. Le présent qu’il vous a fait de la thèse [32] de dæmonibus n’est pas grand : c’est une sotte thèse et mal bâtie ; lui-même n’en fait guère d’état. [13] Faites-moi la faveur de me conserver en vos bonnes grâces, et de présenter mes très humbles mains à Mme Belin et Messieurs vos frères ; et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 13e de janvier 1639.

On dit que le Grand Turc [14][33][34][35] est fort en colère contre les Vénitiens et qu’il vient assiéger leur ville, ou au moins leur île de Candie, [36] avec 100 000 hommes ; [15] et qu’après cela, il fera ce qu’il voudra de la Sicile et de toute l’Italie ; à cause de quoi le pape [37] et les princes d’Italie consultent comment ils pourront repousser de leurs frontières un si puissant ennemi. On parle aussi d’un tiers parti en Allemagne pour obliger le roi de Hongrie [38] à la paix. [16]


a.

Ms BnF no 9358, fo 51 ; Triaire no xlv (pages 150‑152) ; Reveillé-Parise, no xxxvi (tome i, pages 59‑60) ; Prévot & Jestaz no 7 (Pléiade, pages 417‑418).

1.

« Tout récemment ».

2.

« il donnera du fruit. » V. note [8], lettre 32, pour Nicolas Sorel, jeune beau-frère de Claude ii Belin, qui entamait ses études médicales à Paris sous l’œil de Guy Patin.

3.

V. note [7], lettre 36, pour cette édition des lettres d’Isaac Casaubon.

4.

Pierre i Pithou (Pithœus ; Troyes 1539-Nogent-sur-Seine 1596), élève, avec son frère François (v. note [2], lettre 50), du jurisconsulte Jacques i Cujas, avait été reçu à 21 ans avocat au Parlement de Paris. Calviniste, il abandonna cette charge pour se rendre dans la principauté de Sedan à l’appel du duc de Bouillon, qui le chargea de rédiger la coutume de ce territoire où les protestants étaient majoritaires. Revenu en France après l’édit de pacification de 1570, Pithou échappa au massacre de la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211) ; mais l’année suivante, il abjura le protestantisme. Il fut nommé procureur général à Bordeaux en 1581, auprès de son ami Antoine i Loisel (v. note [3], lettre 91), avocat général du même parlement de Guyenne. De retour à Paris, Pithou se prononça hautement contre la Ligue ; il prit part à la publication de la Satire Ménippée (v. note [18], lettre 310), rendit d’importants services à Henri iv et leva les dernières difficultés qui s’opposaient à son avènement, entre autres la résistance des prélats, à qui il sut arracher une adhésion qui entraîna celle de Rome. Le 2 mars 1594, en entrant à Paris, le roi chargea Pithou d’organiser, comme procureur général, un Parlement provisoire. Toujours modeste, Pithou s’empressa de quitter ces fonctions dès que sa tâche fut remplie. Il revint à ses livres et à ses études du droit pour ne plus les quitter jusqu’à sa mort (G.D.U. xixe s.). Pithou est auteur d’un ouvrage fondamental en matière de politique et de religion :

Les Libertés de l’Église gallicane. {a}


  1. Paris, Mamert Patisson, 1594, in‑8o de 54 pages.

Guy Patin signalait ici la parution des :

Traités des droits et libertés de l’Église gallicane {a}


  1. Sans lieu, ni nom, in‑fo : volume 1, 728 pages, et volume 2, 1 144 pages.

    Dans cette somme, Pierre Dupuy (v. note [5], lettre 181) reprenait le livre fondateur de Pithou et y ajoutait tous les textes qu’il avait pu recueillir sur le gallicanisme, autrement nommé richérisme, après 1611 (v. note [27], lettre 337). Reconnaissant au roi, entre autres, le droit d’interrompre les relations entre le pape et les évêques français, ce livre servit de base à la déclaration dite des quatre articles, par laquelle, en mars 1682, l’Assemblée générale extraordinaire du Clergé devait limiter l’autorité du pape en France et refuser son infaillibilité (Triaire et Prévot).

    V. notes [29], lettre 324, pour le Commentaire de Dupuy sur le traité de Pithou (Paris, 1652), et [2], notule {a}, lettre 741, pour la très copieuse et utile mise à jour par Pierre-Toussaint Durand de Maillane, parue à Lyon en 1771.


5.

Maladie très commune au temps de Guy Patin, l’apoplexie avait une définition (Furetière) par défauts cumulatifs qui, faute de référence anatomique convaincante (l’ouverture du crâne ne faisait pas partie des autopsies ordinaires), peut plonger le médecin moderne dans une certaine confusion :

« C’est une soudaine privation du sentiment et du mouvement de tout le corps avec lésion des principales facultés de l’âme, accompagnée d’un ronflement et de difficulté de respirer. Elle diffère du care, {a} de la catalepsie et de la suffocation de matrice parce qu’en ces trois autres maladies on a la respiration libre. Elle diffère de la syncope parce qu’en celle-ci il n’y a point de pouls apparent, ou du moins qu’il est fort faible, au lieu qu’en l’apoplexie il demeure plein et fort jusqu’à ce que la mort soit proche. Elle diffère de l’épilepsie en ce qu’en celle-ci le mouvement de la faculté animale n’est point aboli, mais seulement dépravé. Et elle diffère de l’hémiplégie, en ce que celle-ci provient d’une obstruction du cerveau bouché d’un côté seulement. L’apoplexie est causée d’une pituite épaisse et froide qui vient à remplir tout à coup les ventricules du cerveau et qui bouche ou rétrécit les artères du rets admirable, {b} par lequel l’esprit y monte du cœur ; de sorte que cet esprit venant à faillir, il ne peut plus y avoir de quoi fournir de sentiment ni de mouvement aux nerfs. Ce mot d’apoplexie vient du grec apopleittein, qui signifie battre, étonner, rendre stupide et sans sentiment, parce que cette maladie fait tomber en un instant, comme si on était abattu d’un coup de foudre. C’est pourquoi quelques-uns l’ont appelée sidération, comme qui dirait foudroiement. »


  1. Carus, ou coma profond.

  2. Polygone de Willis où se rejoignent toutes les artères qui portent ensuite le sang aux hémisphères cérébraux.

Tout bien pesé, on peut assimiler l’apoplexie d’alors à ce qu’on appelle aujourd’hui un accident artériel cérébral grave avec perte immédiate ou rapide de la conscience. C’est le résultat d’un manque de sang (ischémie par occlusion d’une artère) ou, au contraire, d’un épanchement de sang (hémorragie par rupture d’une artère) dans le cerveau qui, par son étendue, provoque une souffrance aiguë de cet organe (par augmentation soudaine de la pression à l’intérieur du crâne). Apoplexie est donc en français synonyme d’ictus, mot latin qui veut dire coup et dont le sens se retrouve intact dans les façons communes de nommer l’apoplexie en anglais (stroke) ou en allemand (Schlag). En français, accident artériel cérébral grave semble en somme être le meilleur synonyme moderne de l’apoplexie des anciens, et c’est une maladie qui fait toujours de désolants ravages. La mort apoplectique n’est pas subite, mais brutale et rapide (quelques heures à quelques jours). V. notes :

On a soupçonné Richelieu d’avoir fait empoisonner le P. Joseph :

« Toutes ces raisons firent croire que le cardinal, qui sacrifiait tout pour sa gloire, n’avait pas épargné la vie d’un homme à qui il était redevable de son élévation, et qui lui avait rendu des services si importants sans en avoir reçu la moindre récompense. On ne feignit point de dire que le cardinal, qui ne pouvait les reconnaître, ne pouvait plus aussi souffrir sa présence. Mais ce ne sont que des présomptions, et les calomnies des ennemis du ministre. Les gens de bon sens, et qui connaissent l’intime union qui était entre ces deux amis, en jugeront peut-être autrement. Les regrets sincères que le cardinal témoigna quand il fut mort et tous les honneurs qu’il fit rendre à sa mémoire le justifieront de ce reproche. » {a}


  1. Le Véritable Père Joseph, capucin, nommé au cardinalat ; contenant l’histoire anecdote du cardinal de Richelieu. Nouvelle édition augmentée (Saint-Jean-de-Maurienne, Gaspard Butler, 1704, in‑12), page 562.

6.

Sur le tombeau du P. Joseph (v. note [8], lettre 19), son bras droit, Richelieu fit graver cette épitaphe :

Hic iacet cuius virtus nunquam iacebit,
Qui ut iugum Domini, ab adolescentia portaret ;
Nobilis Prosapiæ titulos et opes,
Invitis parentibus reliquit
In pauperrimo Ordine pauperrimus semper extitit.
Ecclesiam scriptis et concionibus illustravit,
Provincialis officio in Ordine,
Tam sancte quam prudenter functus
Ad publica negocia, sic ita disponente Deo,
A Christianissimo Ludovico vere Justo vocatur,
Quo munere Deo, Regi et Patriæ
Fideliter inserviens
Summi ingenii prudentiam et curam
Cum seraphica devotione et mira spiritus,
Tranquillitate composuit.
Integram promissæ regulæ observantiam,
A tribus licet summis Pontificibus,
Pro totius Ecclesiæ bono legitime dispensatus,
Ad ultimum vitæ retinuit ;
Hæresim consiliis et Missionibus in Gallia ?
Et Anglia oppugnavit ;
Orientis Christianos erexit ;
Inter curiæ delicias et opes austerus et pauper,
Vixit et mortuus est,
cardinalis designatus.
xiv. Kal. Jan.
Ann. Dom. m.d.c.xxxviii
.

[Ci gît celui dont la vertu jamais ne s’éteindra. Tout jeune homme et contre l’avis de ses parents, il a abandonné les richesses et les titres d’une noble lignée pour porter le joug du Seigneur : toujours le plus pauvre, il s’est voué à l’Ordre le plus pauvre. Par ses écrits et ses discours, il a illuminé l’Église ; avec autant de sainteté que de clairvoyance, il s’est acquitté de la charge de provincial en son Ordre ; puis, ainsi qu’en a disposé le Seigneur, Louis le Juste, roi très-chrétien, l’a appelé aux affaires de l’État. Là, donnant fidèlement ses soins au service de Dieu, du roi et de la patrie, il a combiné la prévoyance et le zèle d’une intelligence supérieure, à un dévouement séraphique et à une admirable sérénité d’esprit. Jusqu’à la fin de sa vie, il est demeuré dans la stricte observance de la règle à laquelle il s’était engagé, bien que trois souverains pontifes l’en eussent légitimement dispensé, pour le bien de l’Église tout entière ; par ses avis et ses ordres, il a combattu l’hérésie en France et en Angleterre ; il a relevé les chrétiens en Orient. Austère et pauvre, il a vécu au milieu des richesses et des délices de la cour, et il est mort au moment où il allait être fait cardinal.
Le 19 décembre de l’an de grâce 1638].

D’autres épitaphes moins élogieuses durent bien fâcher Richelieu :

« Ci gît ce moine de profession,
Qui du cardinal secrétaire,
Sut si bien le secret taire
Qu’il est mort sans confession » ;

« Ci gît au chœur de cette église
Sa petite Éminence grise,
Et quand au Seigneur il plaira
Son Éminence rouge y gira » ;

« Passant, n’est-ce pas chose étrange
Qu’un démon soit auprès d’un ange ? »

Le successeur du P. Joseph auprès de Richelieu pour les affaires diplomatiques allait être Jules Mazarin, doté de lettres de naturalité française en avril 1639.

7.

En 1574, Pierre Deschamps vint d’Italie établir à Paris une colonie de capucins, beaucoup plus nombreuse que la première (quatre religieux établis en 1564 par le cardinal de Lorraine dans son domaine de Meudon [v. note [8], lettre 360], qui furent renvoyés de France après son assassinat en 1588), et qui s’installa au village de Picpus.

C’étaient, à proprement parler, des frères mineurs, qu’on nomma capucins à cause de la forme pointue de leur capuche. Peu de temps après, le commissaire général de l’ordre en amena de Venise une douzaine d’autres, qu’il établit, avec l’agrément du roi Henri iii, dans un couvent du faubourg Saint-Honoré. Le roi, dans des lettres patentes du mois de juillet 1576, avait déclaré prendre les capucins sous sa protection en sauvegarde spéciale. Aussi, lorsque ces religieux désirèrent s’installer d’une façon plus somptueuse, les aida-t-il de sa bourse à construire, rue Saint-Honoré, une magnifique capucinière et une superbe église, qui, commencée en 1603, fut entièrement achevée en 1610. Cent vingt capucins y furent logés et entretenus aux frais des fidèles, et ils se montrèrent sinon les plus habiles, au moins les plus zélés défenseurs de la Cour de Rome (G.D.U. xixe s.).

8.

Très éloquente harangue funèbre qui fut prononcée par le P. Léon, carme, à l’enterrement du Père Joseph Capucin, fort entendu et employé aux affaires d’État, auprès du cardinal de Richelieu (Paris, Bessin, 1639, in‑4o).

L’auteur anonyme du Véritable Père Joseph… (v. supra note [5], seconde notule {a}) a proprement éreinté la harangue du P. Léon : {a}

« Il n’y eut jamais une si méchante pièce, il n’y a que le texte de bon, Sacramentum Regis abscondere bonum est. {b} Qui en ferait une semblable aujourd’hui serait sifflé. On l’a pourtant imprimée dans les œuvres de ce religieux. Ses amis disent qu’il la fit exprès très mauvaise, ne sachant que dire de ce moine. Le Père Condren, général de l’Oratoire, refusa tout net de louer en public un homme que toute la France détestait. Ce trait est digne d’un Père de l’Oratoire. »


  1. Tome second, pages 302‑303, note (b).

  2. « Il est bon de tenir caché le secret d’un roi » (Tobie ou Tobit, 12:7).

9.

Le 19 décembre 1638, v. note [10], lettre 44.

10.

Les États ou duché indépendant de Savoie étaient alors composés de l’actuel département de Savoie, de la région italienne du Piémont et du comté de Nice. Depuis 1562, sa capitale, après avoir été Chambéry, était Turin. En 1637, la Maison de Savoie avait perdu son chef, Victor-Amédée ier (né en 1587), prince de Piémont et duc de Savoie, qui avait succédé en 1630 à son père, Charles-Emmanuel ier, le Grand (couronné en 1580). Alors alliés de la France mais courtisés par l’empereur et par l’Espagne, les ducs étaient obnubilés par l’obtention d’une couronne royale ; ce ne fut chose faite qu’en 1713 avec l’acquisition de la Sicile, échangée en 1718 pour la Sardaigne. Le fils aîné de Victor-Amédée, François-Hyacinthe, âgé de cinq ans était mort en 1638 ; son frère cadet Charles-Emmanuel (1634-1675, v. note [10], lettre 354), qui allait officiellement reprendre la tête du duché en 1648, n’avait alors que quatre ans ; la régence de la Savoie était assurée par sa mère, Christine de France, dont l’autorité était mise en péril par ses deux beaux-frères pro-espagnols, le cardinal Maurice et le prince Thomas ; il s’ensuivit une guerre civile, qui dura jusqu’en 1642.

La duchesse de Savoie, Christine-Marie (Chrétienne) de France (1606-Turin 27 décembre 1663), était la deuxième des trois filles de Henri iv et de Marie de Médicis, et la sœur de Louis xiii et de Gaston d’Orléans. En 1619, elle avait épousé Victor-Amédée ier. Lorsque le duc reprit, deux ans plus tard, le titre de roi de Chypre que ses ancêtres avaient porté de 1485 à 1496, il fit appeler sa femme Madama Reale, Madame Royale, dignité jusqu’alors inusitée. Durant sa régence longue de dix ans, Christine fit preuve d’une autorité qu’elle conserva, même après la majorité de Charles-Emmanuel. Elle lutta continuellement contre les ambitions espagnoles de ses beaux-frères, s’appuyant sur la France, dont la protection n’était pas toujours désintéressée. Chassée un moment de Turin par le prince Thomas, elle eut cependant la fermeté de refuser à Richelieu la remise de toutes ses places de guerre.

Maurice de Savoie (Turin 1593-ibid. 4 octobre 1657), fils de Charles-Emmanuel ier, avait été nommé cardinal diacre par le pape Paul v, dès 1607, sacré en 1621. Après la paix de 1642, il rendit le chapeau pour épouser sa nièce âgée de 14 ans, Louise-Marie-Christine de Savoie, fille de Christine et de Victor-Amédée ier.

Thomas de Savoie (1596-22 janvier 1656), prince de Carignan, dit le prince Thomas, était le cinquième fils de Charles-Emmanuel ier. D’un caractère changeant, Thomas avait participé à la campagne d’Italie et servi contre les Gênois en 1625 sous les ordres de son père et de Lesdiguières (v. note [26] du Naudæana 1). Richelieu s’étant opposé à son établissement en France l’année suivante, il se mit au service de l’Espagne à la tête d’un corps d’armée qu’il commandait contre les Français. Battu à Avein en 1635, il avait fait lever le siège de Breda en 1636, était entré en Picardie, avait pris La Capelle le 8 juillet, emporté Le Catelet, puis Roye et Corbie, et assiégé Corbeil dont il s’était rendu maître le 15 août. Durant la guerre de la régence de Savoie, Thomas réussit à s’emparer d’une partie de ses États ; mais battu par d’Harcourt en 1640, il se rapprocha de la cour de France en 1642, et fut nommé lieutenant général des armées du roi en Piémont et Savoie, puis en Italie (1643-1647). Il resta en France de 1649 à 1655, combattant pour le roi contre les frondeurs. Sa fidélité fut récompensée, en juillet 1653, par l’octroi de la charge de grand maître de la Maison du roi, à la place de Condé. Il avait épousé en 1624 Marie de Bourbon-Condé, fille de Charles, comte de Soissons ; ils eurent pour fils aîné le prince Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons (G.D.U. xixe s., Triaire, Jestaz et G. Antonetti, Dictionnaire du Grand Siècle).

11.

Charles ier (v. note [11], lettre 39) s’obstinait à établir en Écosse la liturgie anglicane. À la suite du Scottish national Covenant de 1638, les presbytériens écossais (calvinistes) avaient, en opposition à la Couronne, aboli l’épiscopat dans leur Église. Deux Bishops’ wars (guerres des Évêques) successives s’engagèrent alors. Commencée en mars 1639, la première s’acheva le 19 juin 1639 par la paix de Berwick où le roi reconnaissait l’autorité du Parlement écossais. La seconde guerre des Évêques commença le 20 août 1640 par l’entrée des troupes écossaises en Angleterre ; elle aboutit à la défaite des troupes royales à Newburn le 28 août, puis au traité de Ripon, le 14 octobre 1640, avec l’occupation des comtés de Northumberland et Durham par les Covenanters (Plant).

12.

Ouvrage dédié à René Moreau, qui parut en 1641 : v. note [12], lettre 44.

13.

An dæmonas in corpora subeuntes nonnunquam internus calor imitetur ? [La chaleur interne imiterait-elle parfois les démons qui s’insinuent dans les corps ?] (affirmative), thèse disputée le 2 décembre 1638 par le bachelier Étienne Le Gaigneur sous la présidence de Pierre i Le Conte.

14.

Le Grand Turc, encore nommé le Turc ou le Grand Seigneur, régnait sur l’Empire ottoman, dont les limites s’étendaient alors en Europe jusqu’aux limites de l’Autriche : la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie, la Transylvanie, la Valachie, une bonne partie de la Hongrie étaient sous la domination de la Porte. Le Grand Turc était alors Amurat iv (vers 1609-7 février 1640), surnommé el Ghazi (le Victorieux), fils d’Achmet ier. Il avait succédé à Mustapha ier, son oncle, déposé pour la seconde fois en 1623. Âgé de 15 ans lorsqu’il était monté sur le trône, Amurat (ou Mourad) avait d’abord gouverné sous la direction de sa mère, la sultane Mahpeïker, appelée plus communément Kensym, femme d’un caractère énergique et ardent, et prit plus tard la direction des affaires. Sultan fougueux, cruel et conquérant, Amurat signa son règne assez court par de brillantes conquêtes au Proche-Orient, dont la plus signalée fut la prise de Bagdad en janvier 1638, avec le massacre de quelque 30 000 Persans qui avaient mis bas les armes. À l’intérieur, il réprima une révolte des janissaires et réorganisa l’armée ; en 1633, il avait publié un curieux édit autorisant ses sujets à boire du vin, mais avait dû le révoquer deux ans plus tard. Lui-même mourut des conséquences de son ivrognerie, à l’âge de 31 ans, après en avoir régné 17 ans (A.V.D.).

15.

L’île de Candie, qui a aujourd’hui retrouvé son nom antique d’île de Crète (Κρητη, Creta), appartenait à la République de Venise depuis 1204. Candie était aussi le nom de sa capitale (aujourd’hui Héraklion, située sur la côte nord).

Les Turcs convoitaient l’île car elle occupait la position stratégique de « boulevard de la chrétienté », en Méditerranée orientale. L’annonce de Guy Patin était fort anticipée : une formidable armée ottomane, forte de 50 000 hommes portés par plus de 400 navires, n’allait envahir la Crète sans préavis qu’en juin 1645, pour l’occuper presque tout entière en 1648. Ce fut la « guerre de Candie ». Dernier bastion de la résistance vénitienne, la forteresse de Candie fut alors l’objet du plus long siège de l’histoire moderne : elle ne se rendit aux Turcs que le 6 septembre 1669, à la suite de violents assauts qui se succédèrent à partir de mai 1668 sous la direction de Mehmed Pashha Köprülü, grand vizir du sultan Mehmed iv (v. note [12], lettre 184). Soucieuse de préserver ses alliances avec la Porte, mais pressée d’intervenir par Rome, la France ne prit directement part au siège qu’avec le corps expéditionnaire conduit par le duc de Beaufort (v. note [14], lettre 93) et le duc de Navailles (v. note [3], lettre 697). L’intervention fut pitoyable : arrivés à Candie le 6 juin 1669, les 5 000 Français firent une sortie inconsidérée le 25 juin et se firent tailler en pièces par les Turcs ; Beaufort y trouva la mort et Navailles rembarqua les reliques de sa petite armée le 21 août (v. notes [1] et [3], lettre 968). Démoralisés et fort affaiblis par cette déconfiture, les Vénitiens n’eurent plus qu’à se rendre à l’assiégeant.

16.

V. note [11], lettre 44, pour l’empereur Ferdinand iii, roi de Hongrie. Tiers parti « se dit des entremetteurs, des experts, des surarbitres. Ces deux parties plaidaient, un tiers les a accommodées. Ils avaient l’épée à la main, un tiers s’est mis entre deux qui les a séparés. Voilà des rapports qui se contredisent, il faut qu’il y ait un tiers nommé d’office. Quand deux arbitres sont de contraire avis, on leur donne pouvoir de nommer, de prendre un tiers pour surarbitre » (Furetière).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 13 janvier 1639

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(Consulté le 26/04/2024)

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