Pour m’acquitter et de ma parole et de mon devoir, je vous envoie la Vie de Cardan [2][3] qui est achevée tout fraîchement. [1][4] Il me semble qu’il n’y a rien de nouveau de deçà qui mérite de vous être envoyé ; si néanmoins vous en désirez quelque chose, je vous prie de n’y employer aucun autre que moi. Nous avons un nouveau doyen nommé M. de La Vigne. [5][6] On s’en va faire imprimer notre catalogue, [7] j’en mettrai à part une copie pour vous, comme aussi de toutes les bonnes thèses [8] qui nous viendront. [2] M. Jost, [9] libraire qui est mon ami, m’a promis de vous faire tenir la Vie de Cardan, dans un ballot qu’il envoie à Lyon, et de vous faire tenir celle-ci par la poste, enfermée dans son paquet. Si vous trouvez bonne et commode cette voie, je la continuerai ; sinon, je la changerai comme il vous plaira. Quand vous serez tout plein de loisir (mais, autrement, n’en faites rien, car je pense que le tout n’en vaut pas la peine), je vous prie de me mander qui est M. Meyssonnier, [10] médecin de Lyon, qui a été ici quelque temps. Je n’ai qu’un petit in‑4o de lui, de doctrina febrium. [3] J’apprends qu’il a fait quelque autre chose ; s’il se peut recouvrer facilement, je vous en prie, combien que je n’aie pas fort bonne opinion et des livres et de l’auteur. [4] Quand vous les aurez amassés chez vous, je vous indiquerai le moyen de me les envoyer. Je vous prie de vous souvenir de l’an de la mort de Daléchamps, [11] des quatre tomes de disputes d’Erastus contre Paracelse, [12][13] des Institutions de médecine de Hofmannus. [14] On ne voit point encore ici du premier tome de Zacutus. [5][15] Je vous prie de me mander aussi à votre loisir si on imprime à Lyon Observationes medicinales Schenkii [16] ou l’Hippocrate de Foesius, [6][17][18] comme M. Le Gras [19] a dit à M. Du Clos [20] le jeune, médecin à Metz. [21] Il me semble qu’on ne fait rien ici qui soit digne de vous être mandé. On attend que M. Dupleix [22] soit venu de Gascogne pour mettre en vente son troisième tome de l’Histoire romaine in‑fo, lequel ira depuis la bataille de Pharsale [23] jusqu’à Charlemagne. [24] Currunt sub prælo aliquot opuscula Gul. Ballonii, medici Parisiensis, de arthritide, de rheumatismo, de calculo, etc. sed hæc omnia sunt lentum negotium. [7][25] On imprime du P. Petau [26] sa Théologie des Pères. On en est au deuxième tome ; ce sera un grand œuvre, mais je ne sais quand il sera achevé. [8] M. l’évêque de Belley [27][28][29] est tout de nouveau piqué particulièrement contre les loyolites. [9][30] Cette nouvelle querelle fera naître de nouveaux livres ; j’en attends de bons de sa part car il fait tout autrement mieux que de coutume quand il est en colère. Il y a toujours quelque moine [31] qui brouille du papier, mais ce sont meræ nugæ, pro eiusmodi hominum consuetudine. [10] Beverovicius [32] m’a mandé de Hollande qu’il s’en va faire réimprimer son livre de Calculo augmenté, et son autre intitulé Idea medicinæ veterum ex non medicis, deux fois plus grosse que la première édition. [11] On a réimprimé à Londres les Épîtres d’Érasme [33] en deux vol. in‑fo, auxquelles on a ajouté celles de Melanchthon [34] de modo resarciendæ pacis in Ecclesia. [12] On dit qu’on a imprimé à Lyon quelque chose sur la mort de MM. de Cinq-Mars [35] et de Thou [36] (cuius manibus bene precor). [13] Je vous prie de me faire la faveur que j’en aie deux exemplaires, s’il y a moyen, et m’obligerez d’être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 9e de novembre 1642.
Ms BnF no 9357, fo 2 ; Triaire no lxxiv (pages 245‑247). Au revers de la lettre, de la main de Charles Spon : « 1642, Paris 9 Lyon 18 novembre Risposta 25 dudit. »
Hieronymi Cardani Mediolanensis, De propria vita liber. Ex Bibliotheca Gab. Naudæi [Autobiographie de Jérôme Cardan. Tiré de la bibliothèque de Gabriel Naudé] (Paris, Jacques Villery, 1643, in‑8o).
L’épître dédicatoire de Naudé Nobilissimo clarissimoque viro Ælio Diodato IC et philosopho doctissimo [Au très brillant Élie Diodati, jurisconsulte et très savant philosophe] est datée de Paris, le 29 octobre 1642. L’ouvrage commence par un Gabrieli Naudæi de Cardano iudicium [Jugement de Gabriel Naudé sur Cardan] long de 87 pages (non numérotées). Il n’y a ni privilège, ni achevé d’imprimer.Le dédicataire, Élie Diodati (Genève 1576-Paris 1661), était le moins illustre des quatre amis que René Pintard (Pintard b pages 129‑131) a appelés la « tétrade des libertins érudits », dont les trois autres membres étaient Naudé, Pierre Gassendi et François i de La Mothe Le Vayer (v. note [14], lettre 172). Demi-frère aîné d’Alexandre, le médecin (v. note [2], lettre 557), et cousin de Giovanni Diodati, le ministre protestant (v. note [56], lettre 223), Élie était avocat au Parlement de Paris et grand voyageur européen. En Italie, il avait rencontré Galilée, admiré ses découvertes et développé une grande énergie pour en assurer la diffusion dans le monde savant. Homme généreux et désintéressé, Élie n’a lui-même publié aucun livre, en dépit de ses importantes activités érudites. La dédicace de Naudé est un témoignage suffisamment rare des mérites de Diodati pour que j’offre aux curieux le plaisir de la lire :
Passa tandem est exorari se modestia tua (Clarissime Diodati) ut præfationem, quam apparere sub tuo nomine, in Cremonini libello volueram, nunc demum, cum istis Hieronymi Cardini de vita sua commentarijs, acciperes. Atque hoc nomine beneficium me tibi debere profiteor, quod inter ferme innumera, quibus me devincere semper, quasi data opera consuevisti, non postremum censeri debeat. Nam torquebar ego vehementi desiderio testandæ meæ erga te voluntatis, si non alio, quæ mearum virium tenuitas est, at saltem eo modo, quo præclaris aliorum in me amicorum officijs, grati quoddam animi mei monumentum reponere, huc usque non destiti. Tu vero nihil aliud quærebas, quam tot officiorum, quibus me ab annis septem supra viginti, cumulatum esse voluisti, testem habere conscientiam tuam, quæ si bona sua, et præclara omnia facinora, prodire in lucem vellet, haberent profecto homines virtutum exempla pulcherrimarum, ex quibus, vitam suam non minus componere, quam ornare : et in omnem posteritatem, summa cum laude transmittere possent. At enim quemadmodum istud ex officio viri optimi, sapientissimique facere consuevisti ; sic meum esse prorsus intellexi, non pati diutius ea in occulto latere, quæ indicio esse possent, meæ non tantum iuventutis studia, sed ætatis quoque iam provectæ negotia, simulque etiam ocia liberalia, tibi curæ fuisse, recta semper ut procederent. Nam præterquam hæc ingenua confessio, me ab omni ingratitudinis labe immunem præstat, non levem præterea spem injicit, fore ut homines, meam, exactissima necessitudine quæ mihi tecum intercessit, vitam æstiment ; sibique persuadeant, eum quem optimus, eruditissimus, sapientissimusque bonorum omnium contestatione Ælius Diodatus, ab ineunte quasi ætate dilexerit, non posse esse ab amore, et imitatione virtutis alienum. Vale.Parisiis iv. Kalend. Octob. m. dc. xlii.
[Votre modestie (très distingué Diodati) a enfin souffert de se laisser fléchir pour accepter que la préface, que je voulais vous dédier dans l’opuscule de Cremonini, {a} ne paraisse que maintenant avec ces commentaires de Jérôme Cardan sur sa propre vie. Et je déclare vous devoir cet honneur, mais il ne doit pas être tenu pour solde de tout compte, car vous avez toujours eu pour habitude de me combler d’innombrables bienfaits, comme à dessein. J’étais en effet tourmenté par l’ardent désir et le devoir de témoigner ma reconnaissance à votre égard. La faiblesse de mes ressources ne me permettant pas de le faire autrement, je le fais donc par un moyen que vous ne pouvez aller jusqu’à refuser, puisque c’est celui que j’emploie pour exprimer quelque gratitude envers mes autres amis. Par tant de services dont vous avez voulu me combler depuis plus de vingt-sept ans, {b} vous ne cherchiez cependant qu’à exprimer votre intime inclination ; mais si ce sentiment voulait mettre en pleine lumière ses bienfaits et ses brillantes actions, les hommes contempleraient les démonstrations des plus belles vertus, qui ne dirigent pas moins qu’elles n’embellissent l’existence de chacun, et ils pourraient les transmettre à la postérité avec extrêmes louanges. Ainsi, puisque vous avez pour habitude de remplir votre devoir avec autant de générosité que de sagesse, j’ai parfaitement compris que le mien est de ne pas tenir plus longtemps dans l’ombre tout ce qui pourrait montrer le soin que vous avez porté au bon déroulement non seulement de mes études de jeunesse, mais aussi des mes affaires et de mes loisirs érudits d’adulte déjà bien avancé en âge. Outre que cette confidence ingénue m’exempte de tout reproche d’ingratitude, elle exprime ma vive espérance de faire savoir aux hommes que je me trouve dans l’impérieuse nécessité de lier mon existence à celle d’Élie Diodati. Étant donné que cet excellent personnage m’a choisi, pour ainsi dire, dès le berceau, ma sincérité les persuadera aussi que je ne puis m’abstenir d’aimer et d’imiter la vertu de celui dont tous les honnêtes gens reconnaissent l’immense érudition et la très profonde sagesse. Vale.
À Paris, le 27 septembre 1642]. {c}
- Gabriel Naudé pouvait avoir eu l’intention d’éditer l’un des trois opuscules de Giulio Cesare Cremonini que son disciple Troile Lancetta fit paraître à Venise en 1644 (v. note [22], lettre 348).
- Naudé avait donc moins de 15 ans quand Diodati le prit sous son aile ; il était de 24 ans plus âgé que lui.
- Naudé était revenu d’Italie le 10 mars précédent (v. note [6], lettre Naudæana 4).
Le style fort apprêté de son épître n’est pas parvenu à gommer tout à fait sa sincère et profonde gratitude envers l’ami qui l’avait protégé depuis son enfance.
Michel i de La Vigne (Vernon 1588-Paris 14 juin 1648) avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1614. Médecin par quartier de Louis xiii, il a publié les Orationes duo… [Deux discours…] (Paris, 1644, v. note [59], lettre 104) qu’il a prononcés à l’occasion de l’événement qui marqua son décanat : le procès engagé par la Faculté de médecine de Paris, le 1er mars 1644, où le Parlement débouta définitivement Renaudot et les médecins de Montpellier.
L’élection avait eu lieu le 8 novembre, premier samedi suivant la Toussaint. Les trois noms choisis par les cinq électeurs avaient été Jacques Perreau (docteur régent en 1613 ; v. note [14], lettre 146) et Michel de La Vigne, pour les deux anciens, et Guy Patin, pour le jeune. Guillaume Du Val, le doyen sortant, avait tiré du chapeau le billet portant le nom de Michel de La Vigne. Nommé censeur pour deux ans (v. notes [69] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…, et [6] des Actes de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris), Patin fut présenté au recteur de l’Université le lundi 10 novembre. De La Vigne et Patin sont demeurés en fonction jusqu’en novembre 1644.
Vigneul-Marville (Mélanges, volume 1, pages 91‑92) :« Le médecin de La Vigne, dont l’abbé de Marolles parle avantageusement dans ses Mémoires, était de Vernon en Normandie. Chassé de cette petite ville par les tailles et les subsides, il se réfugia à Paris. Il y enseigna la rhétorique au Cardinal Lemoine ; et reprit peu après l’exercice de la médecine. Il y acquit du bien et de la réputation par la connaissance singulière qu’il avait des fièvres et de leurs remèdes. On espérait qu’il en écrirait quelque chose, mais il n’a laissé qu’un fort petit traité de la diète, qui n’a pas vu le jour.
Il était père de l’illustre Mlle de La Vigne, {a} l’une des plus savantes et des plus spirituelles filles de notre temps. Dès son enfance, elle faisait si aisément des vers, qu’il semblait qu’elle eût été allaitée par les Muses. M. Pelisson a fait imprimer la belle ode qu’elle avait composée, avec beaucoup d’art et de génie, à la gloire du roi. On a encore des stances de sa façon pour Mgr le Dauphin et d’autres ouvrages qui se gardent dans les cabinets de curieux. Tous ceux qui l’ont connue lui ont donné des louanges. M. Ménage l’a préférée aux anciens et aux modernes : Madamigella della Vigna, la cui lira, emulla delle trombe, da scorno a gli antichi, e invidia a noi. Son père disait plaisamment, pour marquer la différence qu’il y avait entre elle et son frère, {b} homme d’un esprit fort borné : Quand j’ai fait ma fille, je pensais faire mon fils ; et quand j’ai fait mon fils, je pensais faire ma fille. Les études de Mlle de La Vigne lui causèrent la pierre qui, servant de contrepoids aux attraits qu’elle aurait pu voir pour le monde, l’enleva au Ciel encore assez jeune : Munimenta saxorum sublimitas eius. {c} C’est l’épitaphe que je lui consacre. »
- Anne de La Vigne (1614-1684), poétesse française et philosophe cartésienne.
- Michel ii, v. note [22], lettre 237.
- « Des remparts de pierres faisaient sa grandeur. »
V. note [20], lettre 7, pour le catalogue mis à jour des docteurs régents de la Faculté.
Nova, et arcana Doctrina Febrium. Quam ex Sectione Vivorum et Mortuorum animalium, Analysi quæ fit Ignis et Aquæ beneficio, Omnium propemodum Seculorum Observatione Historico-Medica, Corporum, Morborum, et Remediorum, Demonstrationibus certis et perspicuis, in Mortalium beneficium concinnavit Lazarus Meyssonnierius Masticonensis, Doctor Philosophus Medicus Facult. Monspeliens. Practicus Lugdunensis. Opus Lectionis varietate, et Experimentorum iocundissimum, et utilissimum, Omnibus Philosophiæ Naturalis, et Medicinæ studiosis, Quod Utriusque Pentagoni, Commentarium et clavem iure dixeris.
[Nouvelle et secrète Doctrine des fièvres que, pour le bénéfice des mortels, Lazare Meyssonnier, {a} natif de Mâcon, docteur en philosophie et médecine de la Faculté de Montpellier, praticien de Lyon, a tirée de la dissection des animaux vivants et morts, de l’analyse qui se fait à l’aide du feu et de l’eau, de l’observation historico-médicale de presque tous les siècles, de démonstrations certaines et claires des corps, des maladies et des remèdes. Ouvrage qui, par la variété de ses enseignements et de ses expériences, sera très agréable et très utile à tous ceux qui étudient l’histoire naturelle et la médecine, et que vous diriez à juste titre être à la fois le commentaire et la clef du pentagone] {b}
- Guy Patin a (contre son gré) correspondu avec Lazare Meyssonnier.
- Lyon, Petrus Prost, 1641, in‑4o de 105 pages.
V. notes[4] infra et [16], notule {b}, lettre 172, pour le pentagone.
En 1642, Lazare Meyssonnier avait déjà publié plusieurs ouvrages, dont ces principaux titres :
[Le Pentagone médico-philosophique. Ou nouvel art de la réminiscence, avec les principes de la philosophie naturelle, et de la médecine très sublime et secrète, théorique et pratique ; et la clé, jusqu’ici désirée, de tous les secrets naturels du macrocosme et du microcosme, qui ont été transmis ou écrits à ce jour par les anciens, sages philosophes, médecins, mathématiciens, hébreux, chaldéens, grecs, latins, arbaes, cabalistes, hermétiques, platoniciens, péripatéticiens, et par les modernes les mieux choisis. Ouvrage nouveau, tout à fait nécessaire pour étudier, enseigner et pratiquer heureusement la médecine, et très utile à ceux qui étudient la philosophie et aà quiconque a soif de vivre longtemps et sainement] ; {b}
« Et pour n’avoir aucun obstacle qui peut arrêter le bon dessein que j’ai en cet endroit, je n’en ai voulu demander conseil ni avis à celui qui en est l’auteur, ne croyant lui faire aucun tort, puisqu’il n’a point de privilège, lequel empêche de traduire et d’abréger ses œuvres. Je me contente d’avoir montré que je ne veux être plagiaire ou larron de ce qui est à lui, avouant qu’il est l’auteur et l’inventeur de cette doctrine, et alléguant les lieux desquels j’ai tiré les enseignements, lesquels j’ai ici arrangé avec le plus de clarté et brièveté qu’il m’a été possible. C’est la cause pour laquelle j’ai voulu taire mon nom et ma qualité, ne l’enseignant que par des lettres capitales. {i} Que s’il découvre qui je suis, à cause de la familiarité que nous avons eue ensemble, je crois qu’il recevra mon excuse, et s’en satisfera, en lui disant que je suis prêt de souffrir tous les reproches imaginables plutôt que manquer à un bien que que je puis faire au public. Et si j’ai mal réussi, il est assez connu pour être trouvé par ceux lesquels se voudront faire expliquer ce que je n’aurai pas assez heureusement traduit à leur gré, puisque je l’ai nommé le Médecin du Monde, en montrant non seulement l’enseigne de son logis en la ville où il demeure, mais encore à raison du soin qu’il a de conserver le Cœur de tout le monde que la Fièvre et la Peste attaquent si souvent pour en chasser l’esprit de vie. » {ii}
- Seul « D.M. » (docteur en médecine) m’y semble intelligible.
- Tout ce charabia laisse penser que Meyssonnier est lui-même auteur du livre.
V. notes [6] et [5], lettre 71, pour les quatre Dissertations de Thomas Éraste contre Paracelse et pour les Institutions médicales de Caspar Hofmann (Lyon, 1645), et [7], lettre 68, pour les Opera omnia d’Abraham Zacutus.
Johann Schenck von Graffenberg (1530-1598) avait étudié la médecine à Tübingen (Bade-Wurtemberg) et pris le grade de docteur en 1554. Après avoir pratiqué pendant quelque temps à Strasbourg, il obtint la place de médecin pensionné à Fribourg, où il termina sa carrière. Il était très versé dans l’histoire littéraire de la médecine et avait commencé, à l’exemple de Gesner, une bibliothèque médicale complète qu’il n’acheva pas. Ses Observationum medicarum rararum, novarum, admirabilium et monstrosarum… Tomus unus et alter… [Premier et second tomes… d’observations médicales rares, nouvelles, admirables et extraordinaires…] (Francfort, J. Rhodius, 1600, 2 volumes in‑8o pour la première édition complète) contient une quantité prodigieuse de faits pathologiques extraits de différents auteurs et issus de la propre expérience de l’auteur.
Charles Spon en préparait lui-même une édition :
Ioannis Schenckii a Grafenberg, Medici apud Friburgo-Brisgoios quondam florentissimi, Observationum medicarum rariorum, libri vii. In quibus nova, abdita, admirabilia, monstrosáque Exempla, circa Anatomen, ægritudinum causas, signa, eventus, curationes, a Veteribus Recentioribusque sive Medicis, sive alijs quibusque fide digniss. Scriptoribus monumentis consignata, partim hactenus publicatis, partim etiam ανεκδοτοις non paucis, per communes locos artificiose digesta proponuntur. Opus ut indefesso labore partum, ita inexhaustæ utilitatis ac voluptatis, omnibus scientiæ naturalis, ac Medicinæ Cultoribus feracissimum : a Ioan. Georgio Schenckio, Fil. Hagenoensis Reipub. Comitisque Hanoensis Medico, tertium accuratiss. illustratum. Modo vero ab innumeris præcedentium Editionum mendis, Car. Sponii, Med. Lugdun. opera vendicatum.[Sept livres d’observations médicales fort rares de Johann Schenck von Graffenberg, jadis très brillant médecin de Fribourg-en-Brisgau. Où sont présentées des démonstrations nouvelles, cachées, admirables et extraordinaires concernant l’anatomie, les causes, les signes, les issues et les traitements des maladies, que les anciens et les modernes ont consignées dans leurs ouvrages, qu’il s’agisse de médecins ou d’autres écrivains parfaitement dignes de foi ; déjà en partie publiées auparavant, mais aussi en partie inédites, pour un nombre non négligeable, elles sont artistement rangées par thèmes. Ouvrage qu’a engendré un travail si inlassable qu’il est une source inépuisable de profit et de contentement pour tous ceux qui cultivent les sciences naturelles et la médecine ; mis en lumière pour la troisième fois par Johann Georg Schenck, fils de Johann, médecin de la république de Haguenau et du comté d’Hanau ; {a} et maintenant purgé des innombrables fautes des précédentes éditions par les soins de Charles Spon, médecin de Lyon]. {a}
- V. note [23], lettre 1023.
- Lyon, Jean-Antoine i Huguetan, 1644, in‑fo de 892 pages.
Le portrait de l’auteur, en sa 45e année d’âge, est accompagné de ces vers de Charles Spon :
Nulla, pol ! tacebit ætas nominis famam tui,
Docte schencki, Pergameo plene Mysta numine :
Publicam ceruice quod rem fulcias Iatricam,
Dum tot Artis hinc est inde congeris magnalia.[Par Pollux ! {i} aucune époque ne taira la célébrité de ton renom, savant schenck, parfaitement initié aux secrets de la divinité de Pergame, {ii} car tu soutiens de tes épaules l’art public de remédier, tant tu recueilles de toutes parts les innombrables merveilles de l’art].
- Invocation de Pollux (v. note [2] du Mémorandum 5), courante chez les Romains.
- Galien.
« Il y a sous presse quelques opuscules de Guillaume de Baillou, médecin de Paris, sur la goutte, le rhumatisme, les calculs, etc. [v. note [12], lettre 71], mais tout cela n’avance que lentement. »
V. note [17], lettre 34, pour l’Histoire romaine de Scipion Dupleix (Paris, 1638).
Les Theologica dogmata [Dogmes théologiques] sont l’œuvre théologique principale du P. Denis Petau, jésuite (v. note [6], lettre 54). Quatre tomes ont paru au temps de Guy Patin, entre 1640 et 1655 (Paris, Sébastien Cramoisy, 5 volumes in‑fo), mais l’ensemble (8 tomes) ne fut entièrement publié que bien plus tard, en 1867. Leurs sous-titres sont, dans l’ordre : i. De Deo uno denique proprietatibus agitur [Le Dieu unique et de ses caractères propres] ; ii. De Sanctissima Trinitate [La très Sainte Trinité] ; iii. De Angelis, ac mundi opificio et Ecclesiastica disciplina [Les Anges, le créateur du monde et la discipline ecclésiastique] ; iv. De incarnatione Verbi [L’Incarnation du Verbe].
Ces ouvrages d’exégèse sur les Pères de l’Église valurent à l’auteur deux grandes querelles concernant certaines de ses interprétations.
La première a touché la Trinité (Bayle sur le P. Petau, tome 3, note B, pages 691‑692) :
« < Le P. Petau > avait eu pour but de représenter naïvement la doctrine des trois premiers siècles. Il n’avait point déguisé l’opinion des Pères qui avaient eu de fausses notions sur le mystère des trois personnes. Il ne s’était piqué que de rapporter l’état des choses et d’y joindre les explications les plus naturelles que les mots pouvaient avoir. C’était apprendre au public que plusieurs Pères de la primitive Église avaient débité des faussetés bien absurdes sur la génération du Verbe et sur les mystères annexés à celui-là. Ceci donnait une forte atteinte à l’autorité des Canons du concile de Nicée. On en pouvait conclure que l’article de la Trinité n’est pas un dogme fondamental dans la religion puisque ceux qui avaient erré sur cette matière n’avaient pas laissé d’être sauvés. Les nouveaux antitrinitaires {a} pouvaient tirer de là plusieurs conséquences. Le P. Petau en fut averti et se trouva obligé d’apporter quelque remède à ce mal. Il fit sa Préface dans cette vue : son but, ses motifs passèrent du blanc au noir ; il ne fut plus question que de soutenir l’orthodoxie des Pères, il fallut leur faire amende honorable ; en un mot, il fallut se contredire. »
- Notamment les sociniens et les calvinistes.
La seconde grande dispute a porté sur l’interprétation du libre arbitre chez saint Augustin, et les jansénistes ne manquèrent pas d’en faire leurs gorges chaudes. Bayle cite là-dessus l’Histoire du jansénisme (pour l’an 1651) :
« Le P. Denis Petau, jésuite qui, après avoir enseigné dans ses Dogmes théologiques {a} la doctrine de saint Augustin comme celle de l’Église, que chacun devait suivre, y avait renoncé pour défendre les intérêts et les opinions de sa Compagnie ; < il > entreprit d’expliquer {b} suivant Molina la distinction que met saint Augustin entre la grâce par laquelle on sait, auxilium quo, qui est la grâce efficace, et la grâce sans laquelle on ne peut rien, auxilium sine quo non, qui est la grâce suffisante. {c} Il intitula cet écrit Dissertatio brevis de adiutorio sine quo non et de adiutorio quo ; ad mentem B. Augustini. » {d}
- Tome i, livre ix.
- Tome i, livre x.
- V. note [50], lettre 101.
- « Court essai sur la grâce sans laquelle et de la grâce par laquelle ; en conformité avec la pensée de saint Augustin » (Paris, 1651, Sébastien Cramoisy, in‑8o).
Jean-Pierre Camus (Paris 1582-ibid. 5 avril 1652), bien qu’il ne le fût plus, avait conservé le nom d’évêque de Belley, ville de l’actuel département de l’Ain, capitale du Bugey, à 74 kilomètres au sud-est de Bourg-en-Bresse. Camus y avait été nommé en 1608 et sacré l’année suivante par François de Sales, évêque de Genève. Il avait été député du Clergé lors des états généraux de 1614 (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit).
En 1629, résignant son évêché en faveur de Jean de Passelaigne, il avait reçu en échange l’abbaye d’Aunay près de Caen, avant de devenir vicaire général de François de Harlay, archevêque de Rouen. Il se rendit surtout célèbre par la guerre qu’il fit aux moines mendiants, dont il attaquait la fainéantise, les mauvaises mœurs et la sensualité, et qu’il comparait à des cruches qui se baissent pour mieux se remplir. Richelieu dut intervenir pour faire cesser cette lutte.
Camus était un prélat pieux, désintéressé, laborieux et charitable. Il refusa plusieurs évêchés importants et finit par se retirer à l’hôpital des Incurables à Paris (v. note [13], lettre 286) pour s’y consacrer entièrement au service des pauvres. Pour dernière marque d’estime, Louis xiv le fit nommer évêque d’Arras en 1651, mais Camus mourut sans avoir reçu les bulles du pape (G.D.U. xixe s.).
Camus a énormément écrit. Ses titres les plus singuliers sont L’Antimoine bien préparé (1632) et Le Rabat-joie du triomphe monacal (en 1632 et 1634), contre les moines : v. note [14], lettre 286. Il avait imaginé de composer des romans dévots pour remédier au mal causé par les romans profanes : ce furent d’abord, en 1628, les 100 nouvelles publiées en deux recueils, intitulés Événements singuliers et Occurrences remarquables, qui furent suivis de nombreux autres jusqu’en 1644. En disant sans détour que Camus « méprisé au xviiie siècle, oublié au xixe, presque inconnu au xxe s., Jean-Pierre Camus, évêque de Belley, est redécouvert depuis les années 1970 et apparaît aujourd’hui comme l’un des auteurs majeurs de la première moitié du xviie siècle », sous le titre Les Spectacles d’horreur (1628, 1644), Christian Biet en a réédité quelques bonnes feuilles dans son Théâtre de la cruauté et récits sanglants en France (xvie-xviie siècle) (Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2006, pages 221-320). On remarque aussi de Camus : L’Esprit du bienheureux François de Sales (dont il était le disciple et l’ami) (Paris, 1639-1641, 6 volumes) et les Moyens de réunir les protestants avec l’Église romaine (1603).
La profonde aversion de Camus pour les moines lui valait l’admiration de Guy Patin, qui a aussi souvent cité sa définition de la politique : ars non tam regendi quam fallendi homines [l’art non tant de diriger que de tromper les hommes].
Tallemant des Réaux (tome ii, pages 66‑68) a consacré une chaleureuse historiette à « M. de Belay » :
« Le cardinal de Richelieu lui envoya un brevet de conseiller d’État, et ensuite 2 000 livres pour une année de pension ; il les refusa. “ Ah ! ” dit le cardinal, “ je ne le croyais pas si désintéressé. ” Ensuite, il l’envoya quérir : “ Il faut que nous vous canonisions, M. de Belley ”, lui dit-il. – “ Je le voudrais bien, Monseigneur, nous serions tous deux contents ; vous seriez pape et je serais saint. ” »
Janséniste convaincu, Camus a publié en 1642 un traité Du libre arbitre (Paris, Jacques Villery et Gervais Aliot, in‑8o).
« pures bagatelles pour l’usage des hommes de cette engeance. »
Guy Patin citait deux ouvrages de Jan van Beverwijk :
[Un livre sur le Calcul des reins et de la vessie, avec des lettres et consultations des grands hommes] ; {a}
Idea Medicinæ Veterum…
[Idée que les Anciens se sont faite de la médecine…] {b}
« sur la manière de restaurer la paix de l’Église. »
Philipp Schwarzerd, dit Melanchthon (traduction grecque de son nom, terre noire, Bretten 1497-Wittemberg 1560), professeur de grec à l’Université de Wittemberg, devint en 1518 le fidèle compagnon et défenseur de Martin Luther. L’acte le plus solennel de sa vie fut la rédaction de la Confession d’Augsbourg, texte fondateur du luthéranisme, qui fut présenté à la diète assemblée à Augsbourg le 25 juin 1530 (v. note [20], lettre 77). Charles Quint voulait pacifier les esprits et invitait les protestants à exposer leur doctrine, espérant qu’il serait encore possible de les rapprocher des catholiques. Luther, qui pouvait déplaire à l’empereur, resta à l’écart. Melanchthon rédigea donc la confession de foi des protestants avec modération et fermeté, concédant autant que l’amour de la vérité le permettait et prenant soin de s’appuyer toujours sur les expressions mêmes de l’Écriture, il concluait sur ces mots :
« Quoiqu’on eût pu alléguer bien d’autres erreurs et abus, nous nous sommes contentés, pour éviter la prolixité et les longueurs, de mentionner les abus essentiels, d’après lesquels il sera facile de juger les autres ; car déjà dans le temps, on s’est plaint vivement des indulgences, des pèlerinages, de l’abus de l’excommunication. Il y avait aussi des querelles interminables entre les curés et les moines au sujet du droit de confesser, d’enterrer les morts, de dire des oraisons funèbres et d’une infinité d’autres questions. Nous avons omis tout cela pour faire preuve d’indulgence et pour qu’on puisse d’autant mieux saisir les points principaux du débat. Que personne non plus ne s’imagine que dans cette Confession nous ayons dit quoi que ce soit dans l’intention de blesser quelqu’un, ou par un sentiment de haine ou d’hostilité contre qui que ce soit. Nous n’avons fait qu’énumérer les points dont il nous a paru nécessaire de parler pour que l’on comprenne d’autant mieux qu’aussi bien en matière de doctrine que de rites, nous n’avons rien adopté qui soit contraire à l’Écriture ou à l’Église chrétienne universelle. Car il est connu de tout le monde, et nous pouvons le dire sans nous vanter, qu’à l’aide de Dieu nous avons mis tout notre soin à empêcher qu’aucune doctrine nouvelle et impie ne s’infiltre dans nos églises, s’y répande et y prenne le dessus. »
À la mort de Luther en 1546, Melanchthon devint le principal chef du luthéranisme. Malgré les critiques passionnées des intransigeants, il poursuivit l’établissement d’un accord entre toutes les factions de la Réforme, et même entre la Réforme et le catholicisme. Comme on lui demandait, à son lit de mort, s’il n’avait plus rien à désirer : « Rien, dit-il, que l’union de l’Église » (G.D.U. xixe s.). V. note [14], lettre 71, pour ses lettres.
« je prie bien pour son âme ».
L’exécution de Cinq-Mars et Thou avait eu lieu à Lyon le 12 septembre 1642 (v. note [12], lettre 65) ; v. note [6], lettre 75, pour ce qui s’imprimait alors sur le sujet.