L. 77.  >
À Charles Spon,
le 2 mars 1643

Monsieur, [a][1]

Je vous donne avis que j’ai reçu votre paquet tant attendu, et votre lettre aussi, responsive de celle que je vous avais écrite. [1] J’ai présenté vos deux livrets à M. Moreau, [2] qui vous en remerciera ; il m’a dit que vous lui aviez écrit depuis peu. La Présence des absents ne vaut pas le diable, et encore moins que son auteur même ; il ne vaut pas le papier bleu dont il est couvert. C’est un petit in‑8o que le Bureau d’adresse [3] vend 5 sols ; dès que vous l’aurez vu, vous en serez dégoûté. [2] Le Gazetier [4] est logé chez Guillot le songeur [3] depuis la mort de son protocole, [4] qui le portait contre nous ; mais Dieu merci, il a plié bagage : [5][6]

Il est en plomb l’excellent personnage,
Qui de nos maux a ri plus de vingt ans, etc.
 [5]

Pour le portrait de M. de Thou [7] dernier mort, je n’en ai pas ouï parler ; s’il se fait, dabo operam ne careas[6] Pour celui du père, [8] qui a fait cette belle Histoire et qui est mort ici l’an 1617, j’en ai un à votre service in‑fo, fort approchant du naturel. J’en recouvrerai bien aisément de son logis. Mais à propos du dernier mort, je vous veux indiquer une chose de lui, laquelle, si vous ne savez, vous sera sans doute agréable : inter Hugonis Grotii Poemata[7][9][10] il y en a un, sur la fin, intitulé: Silva ad Fr. Aug. Thuanum. C’est un poème très excellent, plein de très bons avis et de beaux mots fort bien choisis ; et entre autres y parlant de la religion et disant qu’autrefois on n’en faisait ni métier, ni marchandise, comme on fait aujourd’hui, il a dit ces mots qui valent de l’or :

Cum rudis et simplex, nondum se fecerat artem
Relligio…

Si vous prenez la peine de lire toute la pièce, j’espère qu’elle vous plaira, et que si ce pauvre malheureux eût cru M. Grotius,  qu’il serait encore en vie. [8] (On a fait ici en une petite taille-douce le portrait de M. de Cinq-Mars.) [11]

M. de Bourdelot [12] se gardera bien d’écrire de la digestion. Il fait comme font les évêques de France, à ce que dit Du Moulin : [13] il quitte et quittera toujours hardiment la lettre dominicale pour s’arrêter au nombre d’or ; [9][14][15] il a un maître à servir, duquel il apprendra mieux que d’aucun autre l’économie de sa fortune. [10]

Entre autres choses qu’on a faites sur M. le cardinal[16] on a fait une bonne rencontre sur M. de Thou : [17] on dit que quand Mme de Pontac, [18][19] sœur du défunt, alla en la chapelle de Sorbonne [20][21] jeter de l’eau bénite à Son Éminence, qu’elle lui dit ce que dit la sœur du Lazare à Jésus-Christ, Domine, si fuisses hic, frater meus non fuisset mortuus[11][22] Et avant que de quitter le pauvre M. de Thou, quem lugeo nimium acerba morte extinctum[12] je vous dirai que la vraie cause de sa mort est dans l’Histoire de Monsieur son père, sub Francisco ii[13] tome i, p. 743, de l’édition de Genève : le cardinal, qui tunc regnabat[14] ayant résolu et dit en son esprit, Ton père a mis mon grand-oncle dans son histoire, tu seras dans la mienne[23] On a fait de beaux vers latins, dont je vous ferai part si vous ne les avez. Le dernier finit par là : Vera loqui si vis, discito sæva pati[15]

Le roi [24] a été mal il y a quelques jours, mais il est Dieu merci mieux, hormis que le bon prince amaigrit fort. Il est à souhaiter qu’il nous dure longtemps car nous n’eûmes jamais tant affaire de lui. [16] On dit ici que la révocation du sol pour livre [25] est arrêtée, [17][26] je ne sais pourtant pas quand elle s’effectuera. Mme de Saint-Georges, [27] gouvernante de Mademoiselle, [28][29] fille de Monsieur, [30] frère du roi, est ici morte il y a trois jours. [18] Le roi a fait mener aux Carmélites de Saint-Denis [31][32][33] sa nièce pour y demeurer jusqu’à ce qu’on l’ait pourvue d’une autre gouvernante. [19] Le roi est en colère contre le comte d’Harcourt [34] à cause qu’il ne veut pas aller commander une armée cet été en Italie, et aussi à cause de quelque brouillerie qu’il a eue avec le cardinal Mazarin. [35]

Si jamais vous écrivez à Augsbourg [36][37] ou en quelque autre lieu, faites-moi la faveur d’y chercher un petit in‑4o imprimé à Augsbourg l’an 1607, intitulé Vita Ioannis Vincentii Pinelli, etc.[20][38] qui a été un excellent homme, et duquel il est souvent parlé dans la Vie de M. Peiresc[39] conseiller de Provence, [40][41][42] qui a été faite par M. Gassendi [43] et qui fut ici imprimée chez M. Cramoisy [44] il y a trois ans. [21] Cette dernière est bien plus ample que celle de Ioan. Vinc. Pinellus et contient de belles particularités dignes de vous.

Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 2d de mars 1643.


a.

Triaire no lxxix (pages 263‑267), d’après l’édition d’Amsterdam, 1718 ; Reveillé-Parise, no clxii (tome i, pages 276‑278).

1.

Responsive : « qui contient une réponse. On ne le dit guère qu’au Palais des écritures responsives à celles qui ont été auparavant produites. Je vous ai écrit une lettre responsive à la vôtre » (Furetière).

2.

Théophraste Renaudot : La Présence des absents, ou facile moyen de rendre présent au médecin l’état d’un malade absent. Dressé par le docteur en médecine consultant charitablement à Paris pour les pauvres malades. Avec les figures du corps humain… (Paris, Bureau d’adresse, 1642, in‑8o de 52 pages).

« Cela ne vaut pas le diable, cela ne vaut absolument rien » (Littré DLF). Le papier bleu « sert aux marchands à envelopper quelques marchandises, comme les pains de sucre, les pièces de toile, etc. » (Furetière).

3.

« On dit qu’un homme est logé chez Guillot le songeur pour dire qu’il a quelque méchante affaire qui le rend pensif » (Furetière).

Guy Patin ignorait sans doute que Charles Spon, par sa correspondance avec Siméon Courtaud (v. note [19], lettre 128), professeur de Montpellier, était fort au courant des disputes entre Théophraste Renaudot et la Faculté de médecine de Paris. Voici, par exemple, ce que Courtaud lui en avait écrivait le 28 mai 1641 (ms BIU Santé no 2190, pages 144‑147) :

« Pour ce qui regarde la querelle entre les médecins de Paris, M. Renaudot nous a envoyé le livre fait contre ceux qui, pour empêcher que nos docteurs n’eussent de l’emploi parmi eux, ont tâché de noircir notre Université. Il les traite mal et justement. Turdi sibi malum cacant. {a} Toujours ces intérêts particuliers excitent des tourments qui ne réussissent pas toujours à leurs auteurs. Vous pourrez en recouvrer aisément. Il est in‑4o sous ce titre Réponse de Théophraste Renaudot au libelle fait, {b} mais je n’ai point vu ce libelle. {c} Il est imprimé au Bureau d’adresse, rue de la Calandre, l’an 1641. »


  1. « Les grives chient leur propre mort » (v. note [2], lettre de Charles Spon, datée du 13 août 1657).

  2. V. note [8], lettre 57.

  3. Défense de la Faculté de médecine de Paris, contre son calomniateur…

4.

Protocole « s’est dit autrefois de celui qu’on appelle maintenant souffleur, qui est derrière celui qui parle en public pour lui suggérer ce qu’il doit dire, en cas que la mémoire lui manque. Cela vient de ce qu’on appelait aussi protocoles chez les Romains, certains nomenclateurs qui savaient tous les noms des citoyens et qui les suggéraient à leurs maîtres, afin qu’ils pussent saluer chacun par son nom en l’abordant » (Furetière)

Guy Patin faisait ici une méchante allusion à Richelieu (mort le 4 décembre 1642), le protecteur (et protocole) de Théophraste Renaudot et de ses deux fils, Eusèbe et Isaac (v. note [16], lettre 104).

5.

« Cet homme est en plomb, pour dire il est mort, il est dans un cercueil de plomb » (Furetière). Tous les ennemis du cardinal avaient alors ces vers sur les lèvres (v. note [6], lettre 78). Ils sont extraits du rondeau que composa Robert ii Miron (v. note [9], lettre 82) ; Chéruel l’a transcrit dans une note de son édition du Journal d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson (tome i, page 11) :

« Il est passé, il a plié bagage,
Ce cardinal, dont c’est moult grand dommage
Pour sa Maison. C’est comme je l’entends ;
Car pour autrui, maints hommes sont contents ;
En bonne foi, de n’en voir que l’image.
Sous sa faveur s’enrichit son lignage
Par dons, par vols, par fraude et mariage ;
Mais aujourd’hui, ce n’en est plus le temps ;

Il est passé.

Or, parlerons sans crainte d’être en cage.
Il est en plomb, l’éminent personnage
Qui de nos maux a ri plus de vingt ans
.
Le roi de bronze {a} en eut le passe-temps,
Quand sur le pont, à {b} tout son attelage,

Il est passé. »


  1. La statue du roi Henri iv, sur le Pont-Neuf.

  2. Avec.

6.

« je veillerai à ce que vous n’en manquiez pas. »

Le « dernier mort » était François-Auguste, exécuté à Lyon le 12 septembre 1642 (v. note [6], lettre 75). En disant ensuite qu’il pourrait facilement récupérer « de son logis » un portrait de Jacques-Auguste i, l’historien son père, Guy Patin marquait qu’il avait ses entrées chez les Thou, dont il était sans doute médecin de famille.

7.

« parmi les Poèmes de Hugo Grotius » : Hug. Grotii Poemata, per Guil. Grotium denuo edita, aucta et emendata [Poèmes de Hugo Grotius, nouvelle édition, revue et augmentée par Guilielmus Grotius] (Leyde, Hieronymus de Vogel, 1639, in‑12).

Guilielmus Grotius (Willem de Groot, 1597-1662), frère cadet de Hugo, était jurisconsulte à Leyde.

8.

« Quand, grossière et naïve, la religion n’était pas encore devenue un métier… »

La suite de la Silva ad Franciscum Augustum Thuanum, Iac. Augusti F. [Silve à François-Auguste de Thou, fils de Jacques-Auguste] aide en partie à comprendre le commentaire navré de Guy Patin (page 450) : {a}

         nondum titulum pietatis habebat
Fulmineus Mavors et sceptri dira cupido :
Cum brevis hoc totum melior quo vita paratur,
Regula dictabat, non solis nota magistris,
Sed populi commune bonum : neque docta ferebant
Iurgia dissidium, sed certabatur amando :
Omnibus idem ardor verum defendere tantum,
Morte sua, nullusque alieni sanguine usus
.

[Mars foudroyant et la funeste passion du sceptre n’étaient pas encore prétextes d’adoration ; alors une courte règle ordonnait tout ce qui est requis pour ménager une vie meilleure, non pas pour la gloire des seuls maîtres, mais pour le bien commun du peuple ; de savantes disputes ne favorisaient pas la discorde, mais on la combattait pour s’aimer ; il y avait chez tous la même ardeur à protéger la justice jusqu’à y perdre la vie, et sans nul besoin du sang d’autrui].


  1. Poemata, édition de Leyde, 1645, v. note [40] du Borboniana 6 manuscrit, où sont cités les vers qui précèdent.

Patin a souvent marqué sa profonde, mais illusoire, nostalgie des siècles passés, d’un âge d’or où l’amour du prochain et le bonheur de tous auraient résumé les lois, loin des manigances des puissants et des criminels.

9.

Guy Patin voulait ici dire que, comme les évêques de France, l’abbé Bourdelot, son collègue, aimait mieux gagner de l’argent que dire la messe le dimanche ; mais les mots qu’il employait ont un sens précis dans l’établissement des calendriers astronomiques.

Plus spécifiquement, Patin faisait ici allusion à ce passage d’une lettre de Pierre i Du Moulin à Jean-Louis Guez de Balzac (Lettres des sieurs Du Moulin et de Balzac. Esquelles avec un concert d’éloquence, ils donnent leurs avis sur la religion et sur le devoir des sujets envers leurs princes, La Haye, Bernard Langenes, 1633, in‑4o, page 12) :

« La nouveauté peut donner quelque grâce aux habits ou aux sauces, mais non à la doctrine de salut : cela est bon pour l’Italie où les nouveaux saints font perdre le crédit aux vieux, et pour l’Église romaine, en laquelle le pape se vante de pouvoir changer ce que Dieu a commandé en sa parole et de pouvoir faire des nouveaux articles de foi ; lequel ne pouvant dire avec saint Pierre, je n’ai ni argent ni or, se sert de sa nacelle {a} pour trafiquer, faisant sonner les clefs dont il a changé les serrures. De ce chef, la défluxion {b} est tombée sur le corps du Clergé, qui a redressé la banque dans le Temple et laissant la lettre dominicale, s’est entièrement adonné au nombre d’or. De là vient que tout se vend, Dieu même et la rémission des péchés, et que les messes privées ne se disent que pour les âmes de ceux qui ont donné à l’Église, l’avarice ingénieuse pince même sur les sépulcres, un riche ne peut mourir à bon marché. »


  1. L’Église catholique romaine qu’on surnommait la « nacelle de saint Pierre ».

  2. V. note [6], lettre 603.

10.

Bourdelot (qui n’était pas encore abbé) était le médecin de M. le Prince, Henri ii de Condé, dont l’avarice était notoire.

11.

« si tu avais été là, Seigneur, mon frère ne serait pas mort » (paroles de Marthe à Jésus, Jean, 11:21).

Louise de Thou, fille de Jacques-Auguste i (v. note [4], lettre 13) et sœur de François-Auguste (v. note [12], lettre 65), avait épousé Arnaud de Pontac, président au parlement de Bordeaux. Mlle de Montpensier l’a dite être « sa parente » dans ses Mémoires, lors de son voyage à Bordeaux en 1650 (volume 2, chapitre viii, page 273).

12.

« dont je déplore extrêmement la mort cruelle ».

13.

« au chapitre sur François ii [roi de France (1559-1560)] » :

« Antoine du Plessis de Richelieu, vulgairement appelé le moine parce qu’il en avait fait autrefois la profession ; {a} mais depuis, ayant renoncé à son vœu, il s’était abandonné à la licence et à la débauche. » {b}


  1. Antoine du Plessis, gand-oncle paternel du cardinal de Richelieu, fut d’abord moine puis capitaine dans les armées royales ; il mourut en 1575.

  2. V. note [2], lettre 961, pour l’original latin et un extrait plus long de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, père de François-Auguste.

14.

« régnait alors ».

15.

« Si tu veux dire la vérité, apprends à souffrir la cruauté » ; v. note [10], lettre 79, pour le poème entier.

Alfred de Vigny s’est directement inspiré de ce paragraphe de Guy Patin dans le chapitre x de son roman Cinq-Mars ou une conjuration sous Louis xiii (1826) :

« Richelieu n’aimait pas M. de Thou ; et, comme ses haines avaient toujours une cause mystérieuse, on en cherchait la cause vainement ; elle se dévoila par un mot cruel qui lui échappa. Ce motif d’inimitié était une phrase des Histoires du président de Thou, père de celui-ci, où il flétrit aux yeux de la postérité un grand-oncle du cardinal, moine d’abord, puis apostat, souillé de tous les vices humains.

Richelieu se penchant à l’oreille de Joseph, {a} lui dit : “ Tu vois bien cet homme, c’est lui dont le père a mis mon nom dans son histoire ; eh bien ! je mettrai le sien dans la mienne. ” En effet, il l’inscrivit plus tard avec du sang. »


  1. Le père Jospeh (l’Éminence grise de Richelieu, v. note [8], lettre 19), bien que l’action se déroule au début du siège de Perpignan (automne 1641), alors que le P. Joseph était mort trois ans plus tôt ; soit une des nombreuses fantaisies chronologiques que Vigny s’est permises dans son beau roman.

16.

Tant besoin de lui.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 13‑14, février 1643) :

« Le roi était à Saint-Germain, se portant mieux de la maladie qu’il avait eue pendant sept ou huit jours ; chacun le considère comme un prince usé et qui ne peut encore longtemps subsister. La cour, sur cette pensée, se partage. […]
M. Pichotel me dit que le roi avait trouvé fort mauvais que Monsieur, son frère, eût témoigné joie de sa maladie et contesté la régence avec la reine. »

17.

Les taux d’intérêt annuels se marquaient par le nombre de sols (sous) que rapportait une livre prêtée : la livre tournois valant 20 sols, un sol pour livre représentait un intérêt de 5 %. Ce taux officiel des emprunts était fixé par arrêt du Conseil approuvé par le Parlement. Révoquer le sol pour livre, c’était, pour épargner le Trésor royal, refuser de reporter le versement des intérêts liés aux rentes de l’Hôtel de Ville (v. note [8], lettre 39).

18.

Mademoiselle était Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier (Paris 29 mai 1627-ibid. 1693), fille du premier mariage de Gaston d’Orléans avec Marie de Bourbon-Montpensier (v. note [55] du Borboniana 5 manuscrit), et donc nièce de Louis xiii et cousine germaine de Louis xiv. La future Grande Mademoiselle (mais Guy Patin n’usa jamais pour elle que du titre de Mademoiselle dans ses lettres), filleule de Richelieu et d’Anne d’Autriche, était alors dans sa 16e année. Sa mère était morte en la mettant au monde, lui laissant des biens immenses accumulés dans la famille de Montpensier. Mademoiselle était une des plus riches princesse de l’Europe et elle crut que les souverains allaient se disputer sa main. Quoiqu’elle fût âgée de 11 ans de plus que Louis xiv, elle se mit en tête qu’elle l’épouserait et cette idée domina pendant longtemps toute sa conduite. Elle appelait le jeune dauphin son petit mari, mais Richelieu fit cesser ces jeux (G.D.U. xixe s. et R. et S. Pillorget).

La Grande Mademoiselle dit dans ses Mémoires (Mlle de Montpensier, première partie, volume 1, chapitre i, pages 3‑4) :

« La reine, ma grand-mère, {a} me donna pour gouvernante Mme la marquise de Saint-Georges, de qui le mari était de la Maison de Clermont d’Amboise ; elle était fille de Mme la marquise de Montglat, qui avait été gouvernante du feu roi, {b} de Monsieur, {c} de feu mon oncle le duc d’Orléans {d} et de toutes mes tantes ; et c’était une personne de beaucoup de vertu, d’esprit et de mérite, qui connaissait parfaitement bien la cour. Elle avait depuis été dame d’honneur de la reine d’Angleterre {e} et de la duchesse de Savoie, {f} et s’en était fait aimer si chèrement que sa seule considération fit presque tout le déplaisir qu’elles eurent lorsque les affaires de ces pays-là les obligèrent d’en chasser les Français qu’elles y avaient menés. »


  1. Marie de Médicis.

  2. Louis xiii.

  3. Gaston d’Orléans.

  4. Nicolas d’Orléans (1607-1611), frère puîné de Louis xiii.

  5. Henriette de France, fille de Henri iv, épouse de Charles ier.

  6. Christine de France, Madame Royale, fille de Henri iv, épouse Victor-Amédée ier.

Le récit de la mort de Mme de Saint-Georges se trouve un peu plus loin (chapitre ii, pages 64‑66) :

« Elle avait été malade tout l’hiver ; peu après le mariage de son fils, {a} elle fut contrainte de garder le lit et son mal augmenta ; le 13e de février, elle eut le transport au cerveau qui lui fit perdre connaissance. J’appris le matin, à mon réveil, l’état où elle était ; je me levai en grande diligence pour aller lui témoigner par quelques devoirs la reconnaissance que j’avais de ceux dont elle s’était si dignement occupée auprès de moi depuis que j’étais au monde. J’arrivai comme on employait tous les remèdes possibles pour la faire revenir ; on y réussit après beaucoup de peine, et aussitôt on lui apporta la viatique et l’extrême-onction {b} qu’elle reçut avec tous les témoignages d’une âme véritablement chrétienne. Elle répondait à toutes les prières avec une dévotion admirable, ce qui n’étonnait pas ceux qui savaient comme elle avait pieusement vécu.
Cela fait, elle appela ses enfants pour leur donner sa bénédiction et me demanda permission de me la donner aussi ; elle me dit que l’honneur qu’elle avait d’être auprès de moi depuis ma naissance faisait qu’elle osait prendre cette liberté. Je sentais une tendresse pour elle qui répondait à celle qui paraissait dans tous les soins qu’elle avait eus de mon éducation. Je me mis à genoux auprès de son lit, les yeux baignés de larmes ; je reçus le triste adieu qu’elle me dit ; je l’embrassai. J’étais tellement touchée de sa perte et d’une infinité de bonnes choses qu’elle m’avait dites, que je ne la voulais pas quitter qu’elle ne fût morte. Elle pria qu’on me fît retirer, et ses enfants aussi ; elle s’attendrissait trop par nos larmes et nos cris, et témoignait que je faisais seule tout le sujet des regrets qu’elle était capable d’avoir. Je m’en allai dans ma chambre, où je ne fus pas plus tôt entrée qu’elle commença d’agoniser, et mourut un quart d’heure après. {c} […]
Je m’en allai le lendemain au couvent des carmélites de Saint-Denis pour attendre là que Monsieur m’eût choisi une gouvernante. »


  1. Le 8 février 1643.

  2. V. note [15], lettre 251.

  3. Dans la nuit du lundi au mardi 24 février 1643.

19.

Carmélite : « religieuse qui vit sous la même règle des carmes, dont l’Ordre est devenu célèbre par le moyen de sainte Thérèse [d’Avila, v. note [6], lettre 758]. Le cardinal de Bérulle les avait attirées en France deux ans avant que les carmes déchaussés s’y fussent venus établir » (Trévoux).

V. note [23] du Patiniana I‑3 pour sœur Marie de l’Incarnation (Barbe Acarie) fondatrice des carmélites françaises. Leur couvent de Saint-Denis (v. note [27], lettre 166) abrite aujourd’hui le musée d’art et d’histoire de la ville.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 11) :

« Nous ouïmes le matin la messe du P. de Harlay, qui la dit pour Mme de Saint-Georges, gouvernante de Mademoiselle, décédée la nuit du lundi au mardi. {a} Mademoiselle était allée aussitôt aux Carmélites de Saint-Denis, en attendant la volonté du roi. »


  1. Du 23 au 24 février 1643.

20.

V. note [38] du Naudæana 1, pour la Vita Ioannis Vincentii Pinelli… [Vie de Giovanni Vincenzo Pinelli…] (Augsbourg, 1607), écrite par son secrétaire, Paolo Gualdo.

Giovanni Vincenzo Pinelli (Naples 1535-Padoue 1601), fils d’un riche négociant, étudia, outre les mathématiques, la médecine, la jurisprudence, la philosophie, la littérature, la musique, les langues anciennes, l’hébreu, le français et l’espagnol. Il fonda dans sa ville natale un jardin botanique, puis alla vers 1558 se fixer à Padoue. Il y fit de sa maison une sorte d’académie fréquentée par tout ce qu’il y avait d’hommes distingués dans cette ville. Pinelli consacra une partie de sa fortune à protéger les artistes et les lettrés, à former une magnifique bibliothèque, un cabinet d’antiquités et de médailles, une collection d’instruments de musique, de physique, de métaux, de dessins, etc. On n’a de lui que des lettres publiées dans divers recueils et des notes sur les Chronica d’Andrea Dandolo, doge de Venise au xive s. (G.D.U. xixe s.).

Augsbourg est une « ville d’Allemagne dans la Souabe, au confluent du Lech et du Wertach, sur les confins de la Bavière. C’est aujourd’hui une des plus belles et des plus considérables villes d’Allemagne ; ville libre et impériale. L’évêque et le magistrat d’Augsbourg ont place aux diètes de l’Empire. La Confession d’Augsbourg, Confessio Augustana, ce sont les articles de la croyance que les luthériens d’Allemagne, appelés de là confessionistes, présentèrent à Charles v le 8 avril 1530 dans Augsbourg [v. citation 1, note [23] du Borboniana 5 manuscrit] » (Trévoux). Son nom latin était Augusta Vindelicorum [Augusta des Vindéliciens, ancienne dénomination des Bavarois)].

21.

V. note [10], lettre 60.

Sébastien Cramoisy (Paris 1586-ibid. 24 janvier 1669), libraire-juré et imprimeur, avait payé la taxe d’ouverture en 1606-1608 pour devenir libraire-juré en 1616, syndic en 1628, imprimeur ordinaire du roi en 1633, directeur technique de l’Imprimerie royale au Louvre en 1640 (v. note [13], lettre 209), puis son directeur officiel en 1643. Il démissionna de cette fonction le 17 décembre 1661 en faveur de son petit-fils, Sébastien Marbre-Cramoisy.

Sébastien Cramoisy remplit beaucoup de fonctions civiles au cours de sa vie : échevin de Paris de 1639 à 1641 puis juge-consul en 1652 ; administrateur de l’église et de l’hôpital Saint-Jacques (1636) et l’un des quatre administrateurs perpétuels du nouvel Hôpital général en 1656 ; contrôleur du dépôt des publications à la Bibliothèque du roi la même année, garde des poinçons du roi quatre ans plus tard.

Cramoisy a d’abord signé ses livres « En la boutique de Nivelle, rue Saint-Jacques, Aux Cigognes », puis simplement « rue Saint-Jacques, Aux Cigognes, Via Iacobæa, sub Ciconiis » ; c’était l’adresse de Sébastien Nivelle, son grand-père maternel. De 1623 à 1625, il avait eu une imprimerie à Pont-à-Mousson, mais un arrêt du 18 novembre 1625 lui avait défendu de conserver une imprimerie hors du royaume. Il avait épousé Marie Chaillou, morte en novembre 1662, qui lui donna dix enfants.

Cramoisy joua un rôle important pendant la Fronde, participant notamment aux délibérations de l’Hôtel de Ville. Surnommé l’architypographe et le roi de la rue Saint-Jacques, il était un des imprimeurs des jésuites. Guy Patin a signalé sa banqueroute en janvier 1658 (Renouard et Jestaz).

V. notes [27] et [34], lettre 514, pour Claude et Gabriel Cramoisy, les deux frères de Sébastien.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 2 mars 1643

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(Consulté le 20/04/2024)

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