L. 80.  >
À Charles Spon,
le 21 avril 1643

Monsieur, [a][1]

Si j’étais aussi éloquent que vous, je vous donnerais en cette réponse de belles paroles ; mais faute d’avoir autrefois fait provision de ces fleurs de rhétorique, je me contente de vous dire en mon patois de Picardie [2] que je vous ai très grande obligation et de votre belle lettre, et de votre paquet. J’ai connu en cette ville un prêtre qui est mort fort vieux depuis quatre ans, qui était fils de Gul. Plantius ; [1][3] il m’a juré que son père n’avait rien de Fernel [4] et que Julien < Le > Paulmier [5] avait tout eu. Ce < Le > Paulmier était un Normand qui avait servi Fernel douze ans et qui en récompense, le fit passer docteur. Pour M. Lamy, [6] il ne peut avoir rien eu, vu qu’il est mort fort jeune, l’an 1583, et n’ayant été médecin qu’environ 10 ans. [2] Pour celui-là duquel G. Plantius se plaint en cette épître, qui pour avoir ici de l’emploi se faisait appeler le petit Fernel, [3] c’était le même Julien < Le > Paulmier qui était un Normand dessalé et qui avait bon appétit, qui se vantait ici que Fernel en mourant lui avait commis force secrets ; sed hoc est de patria[4] car vous savez mieux que moi qu’un homme qui est Normand de nation et médecin de profession a deux puissants degrés pour devenir charlatan. [7] On m’a raconté de lui une plaisante fourberie, entre autres : le cidre, vulgo pomaceum[5][8] n’était pas une chose fort connue à Paris de son temps où tout le monde buvait du vin à fort grand marché, præter abstemios, qui solis aquis gaudebant ; [6] même du temps de Henri iii[9] on croyait que c’était une espèce de malédiction aux Normands, ou plutôt de punition, de ce qu’ils ne buvaient que du cidre ; ce Normand raffiné, voyant que le peuple ne connaissait pas cette liqueur, en faisait venir par bouteilles en cette ville, dans lequel il faisait tremper du séné, [10] et ainsi en faisait des apozèmes [11] laxatifs, [7] et de petites médecines qu’il vendait un écu pièce comme un grand secret ; et par ce moyen, devint riche en peu de temps sur l’opinion que le peuple avait conçue que tout son fait ne consistait qu’en secrets que Fernel lui avait laissés ; sur quoi, vous remarquerez aussi que le séné n’était pas encore en commun usage comme il est devenu depuis vingt ans, le peuple connaissait alors moins le séné qu’il ne fait aujourd’hui l’agaric. [8][12]

Pour le jeune Pons [13] qui est ici, [9] il est vrai qu’il me vient voir quelquefois ; s’il veut se donner la peine d’étudier, il peut réussir. J’ai vu, entre les opuscules de son grand-père, [14] un traité contre la saignée, [15] nunc alia est ætas, nunc mens[10][16] S’il était aujourd’hui parmi nous, il changerait d’avis et pour faire mieux, il ferait autrement. C’est un excellent homme que M. Grotius [17] pour les bonnes lettres. [11] Nous aurons dans trois mois deux volumes de lui in‑fo qui seront Annotationes in Vetus Testamentum approuvées par les docteurs de Sorbonne ; [18] et puis après, il nous donnera un autre volume in Epistolam Pauli, etc[12] Dieu lui en fasse la grâce, il est grand humaniste, grand poète grec et latin, grand jurisconsulte, grand politique, mais peut-être mauvais théologien, aussi bien que Théophile Brachet, [19] sieur de La Milletière, qui avait entrepris avec lui d’accorder les deux religions, < ce > que j’estime chose impossible. Saniorem mentem illis exopto[13] Je ne voudrais pas être M. Grotius car il est trop vieux, mais je voudrais bien être aussi savant que lui ; je tâcherais de ne pas me mettre de ces chimères dans la tête. L’auteur des huit vers sur M. de Thou [20] m’est inconnu, [14] M. Holman, [21] maître des comptes, me les a donnés, qui est un honnête homme fort savant et qui vaut bien un auteur, avec plus de 60 000 écus qu’il a de bien. Il lit tous les jours Platon [22] et Aristote, [15][23] et aime les bonnes lettres et les lettrés.

M. de Noyers, [24] secrétaire d’État, un des grands ministres de l’État et le grand fauteur des loyolites, [25] fut disgracié le vendredi 10e d’avril. Le roi, [26] par la bouche du cardinal Mazarin, [27] lui envoya dire qu’il eût à se retirer, dont le bon seigneur fut fort étonné, quelque bonne mine qu’il en ait faite au contraire, car il méditait de chasser les autres ministres et de gouverner le roi lui tout seul. [16] Je vous remercie de ce que vous m’avez envoyé du P. Labbé. [28] Il y a bien du galimatias dans la tête de cet auteur ; peut-être qu’on ramassera toutes ces pièces volantes quelque jour pour en faire un méchant recueil. Un de nos médecins a ici fait imprimer un petit traité de Epicrasi [29][30] qu’il m’a fait l’honneur de me dédier à cause de notre ancienne connaissance. [17] Je vous l’enverrai comme une pièce nouvelle, mais non pas fort bonne ni fort nécessaire. Je vous prie de me faire savoir qui est M. Falconet [31] qui a écrit du scorbut. [18][32] On nous a apporté ici de Dijon [33] un in‑fo gros comme un Fernel, intitulé Maritimi orbis, etc. C’est une description de la mer, de ses détroits et passages, et des navigations célèbres qui ont été faites de temps en temps, avec plusieurs petites cartes en taille-douce. L’auteur est un avocat de Dijon fort savant, nommé Cl. B. Morisot, [34] qui est le vrai auteur du Veritatis lacrymæ[19] qui se met derrière l’Euphormion de Barclay. [20][35]

Le dimanche 19e de ce mois, trois de nos médecins ont été appelés à Saint-Germain [36] pour y voir le roi, savoir M. de La Vigne, [37] notre doyen, M. Guénault [38][39][40][41][42][43][44][45] l’aîné et M. Moreau, [46] notre bon ami. [21] À vous dire le vrai, je crois que le pauvre prince se meurt [47] et si cela arrive, je souhaite que Dieu lui fasse paix. [22][48][49][50][51][52][53][54][55][56] Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 21e d’avril 1643.


a.

Triaire no lxxxii (pages 278‑282), d’après l’édition d’Amsterdam, 1718 ; Reveillé-Parise, no clxiv (tome i, pages 282‑284).

1.

Guillaume Plancy ou Plançon (Plantius ou Plancius, Janvron en Mayenne vers 1514-1568), reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1554, vécut pendant 10 ans auprès de Jean Fernel, dont il avait épousé la nièce. Il a traduit en latin divers fragments d’Hippocrate, de Galien, de Plutarque, de Philon et de Synesius de Cyrène (Z. in Panckoucke).

Plancy a édité et annoté plusieurs ouvrages de son maître, dont il a écrit la vie, imprimée pour la première fois dans la :

Io. Fernelii Ambiani universa Medicina, ab ipso quidem authore ante obitum diligenter recognita, et iustis accessionibus locupletata. Postea autem studio et diligentia Gul. Plantii Cenomani postremum eliminata, et in Librum Therapeutices septimum doctiss. scholiis illustrata. Editio sexta, qua nunc primum accedit Vita auctoris ab eodem Plantio luculenter exposita ; et Consiliorum medicinalium libellus.

[Médecine universelle de Jean Fernel, natif d’Amiénois, que l’auteur, avant sa mort, a lui-même diligemment revue et enrichie d’utiles additions. Ensuite, elle a été publiée pour la dernière fois par le travail et la diligence de Guillaume Plancy, natif du Maine, qui l’a enrichie de notes très savantes en son septième livre de thérapeutique. Sixième édition {a} avec, pour la première fois, la Vie de l’auteur brillamment exposée par le même Plancy {b} et l’opuscule des Consultations médicales]. {c}


  1. V. note [1], lettre 36.

  2. La Ioannis Fernelii D. Medici Vita. Scriptore G. Plantio Cenomano D. Medico [Vie de jean Fernel, docteur en médecine. Par G. Plancy, docteur en médecine natif du Maine] est longue de 32 pages.

  3. Francfort, Claudius Marnius et héritiers de Joan. Aubrius, 1607, in‑8o de 670 pages.

L’Epistola ad lectorem [Épître au lecteur], signée Gulielmus Plantius candido lectori [Guillaume Plancy au bienveillant lecteur], est datée de Paris, le 1er mars 1567. Il s’y plaint du peu de considération qu’on a conservée pour Fernel après sa mort malgré tous ses mérites, et ne parle qu’à mots couverts de Le Paulmier (v. infra note [3]). Dans sa Vita de Fernel, Plancy le dit mort en 1557 (sic pour 1558), en sa 72e année d’âge : Natus ergo anno Christi 1485 [Il est donc né en 1485].

2.

Jean Lamy, originaire de Laon, a été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1571 ; parmi ses 13 compagnons de licence, on note, en tête de liste, Martin ii Akakia (v. note [12], lettre 128) et Guillaume Baillou (Baron).

3.

Guy Patin faisait allusion à ces mots de Guillaume Plancy dans l’épître au lecteur de l’Universa medicina… :

[…] et hic quemdam esse constaret, qui Φερνελισκον se vulgo appellitari οιον μετεμψυχωθεντα σμικρον τινα Φερνελιον tantisper affectavit, dum sub eo nomine (velut amictu scenico) notatus, populari sermone et rumore percrebesceret vulgoque iactaretur : nunc autem postquam famosus etiam apud mediastinas mulieres evasit, eum ob cuius nominis splendorem et celebritatem tantopere famigeratus est, aperte odisse, calumniari et improbitatis etiam damnare non veretur, quia secreta scilicet quædam sua posteris non prodidit, quæ tamen ipse, ut alia longe plura et αρρητοτερα artis arcana, ad gravissimos quosque morbos a se inventa posteritatem celare nolit.

[et il se trouverait ici un certain disciple de Fernel qui a cherché à se faire dorénavant appeler seul et unique petit Fernel par métempsycose ; moyennant quoi, il s’est fait connaître sous ce nom (ou plutôt ce costume de théâtre) pour se répandre par la conversation et la rumeur populaire, et en tirer gloire ouvertement ; maintenant, après avoir même acquis de la réputation chez les femmes de la plus vile condition, il ne craint pas de haïr ouvertement, de calomnier et même de condamner pour effronterie celui dont il a couvert de tant de rumeurs la splendeur et la célébrité du renom, disant qu’il n’a sans doute pas livré à ses successeurs certains de ses secrets ; lui-même (Fernel) n’a pourtant voulu cacher à la postérité ni ce qu’il a découvert sur certaines maladies très graves, ni tant d’autres mystérieux arcanes de l’art].

4.

« mais cela tient à son pays natal. »

Dessalé : « fin, rusé, qui ne se laisse pas tromper, qui affine [dupe] les autres. Vous avez affaire à un compagnon qui est fort dessalé, prenez garde à vous » (Furetière).

5.

« Vulgairement dit pommé ».

Le cidre (pomaceum en latin) est une « boisson faite de pommes ou de poires pilées et pressurées. Le cidre de pommes s’appelle du pommé ; celui de poires du poiré » (Furetière).

V. note [17], lettre 79, pour les De Vino et pomaceo libri ii [Deux livres du Vin et du cidre] de Julien Le Paulmier.

6.

« à l’exception des gens sobres, qui se contentaient d’eau ».

7.

Apozème (du grec apozema, décoction) : « espèce de julep [potion adoucissante, v. note [7], lettre 135] composé de diverses décoctions de plusieurs plantes, racines, fleurs, feuilles, fruits et semences dulcifiées avec du miel et du sucre, clarifiées et aromatisées avec cannelle et santals. L’apozème ne diffère d’avec le sirop magistral que par la consistance et la cuite [cuisson], ce sirop étant plus épais et visqueux. On y mêle quelquefois des remèdes purgatifs » (Furetière). V. l’observation ix pour un complément d’informations critiques.

8.

L’agaric (végétal) « est une excroissance qui naît comme un potiron [champignon] sur le tronc et sur les grosses branches de divers arbres quand ils sont vieux. Il y en a de mâle qui est jaunâtre, assez pesant, et assez compact, et plus propre pour les teinturiers que pour la médecine. Le femelle est plus recherché et se trouve sur le mélèze, ou larix. Ses bonnes marques sont la blancheur, la légèreté, la grandeur, la friabilité, l’odeur pénétrante et la grande amertume. Il en vient des Alpes et du Levant, et c’est un médicament qui purge avec violence. L’agaric noir, ou boule noire, pris en breuvage, cause des vomissements et flux de ventre dangereux. Ce nom lui a été donné d’une Province de Sarmatie (v. note [7], lettre latine 83) nommée Agarie d’où il est venu d’abord, à ce que dit Dioscoride ; mais Scaliger dit qu’il se trompe, et que le nom de ce pays est imaginaire et n’a jamais été. Plusieurs auteurs, et entre autres Galien, en parlent comme d’une racine ; mais l’opinion commune est que c’est une espèce de champignon qui s’engendre d’une certaine corruption et putréfaction sur le tronc des arbres. Pline dit que toutes sortes d’arbres portant gland portent l’agaric, mais il se trompe » (Furetière).

Guy Patin disait ici l’agaric passé de mode, avantageusement remplacé par le séné. V. note [10], lettre latine 351, pour l’agaric minéral (lait de lune).

9.

Claude Pons, alors étudiant en médecine, futur doyen du Collège des médecins de Lyon, ne figure ni dans la liste des docteurs de Paris (Baron), ni dans celle de Montpellier (Dulieu). Il mourut le 30 juin 1657 (v. lettre de Charles Spon à Guy Patin du 10 juillet 1657, lettre 9023).

10.

« maintenant les temps ont changé, comme les esprits » ; Marc-Antoine Muret (v. note [31], lettre 97), Iuvenilia (Satyra i, vers 65‑66) :

Nunc alia est ætas. Nugalibus hisce relictis,
Curant magnanimi ventrem caudamque nepotes
.

[Mais les temps ont bien changé. Délaissant ces broutilles, les nobles héritiers ne pensent qu’à leur ventre et à leur queue].

Jacques Pons (1538-1612), grand-père de Claude, avait exercé à Lyon ; il y fut doyen du Collège des médecins en 1576 et conseiller médecin du roi (Triaire).

Guy Patin faisait ici allusion à son De nimis licentiosa ac liberatiore intempestivaque sanguinis Missione qua hodie plerique abutuntur, brevis tractatio [Court traité sur la Saignée trop copieuse, libérale et intempestive, dont beaucoup abusent aujourd’hui] (Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1596, in‑12, réédité en 1600).

11.

Le lundi 1er  juin 1643, Guy Patin allait entamer la série des conversations avec Hugo Grotius qu’il a utilisées pour recueillir le Grotiana (v. note [1] de sa première partie).

12.

« sur la lettre de Paul, etc. » :

Hugonis Grotii Commentatio in Epistolam Pauli Apostoli ad Philemonem.

[Commentaire de Hugo Grotius sur l’Épître de l’Apôtre Paul à Philémon]. {a}


  1. Imprimée pour la première fois à la fin (pages 595‑601) de la réédition de ses De Iure belli ac pacis libri tres [Trois livres sur le Droit de la guerre et de la paix] (Amsterdam, Ioh. et Cornelius Blaeu, 1642, in‑8o ; v. note [12], lettre latine 4 pour l’édition de Paris, 1625, sans le commentaire sur saint Paul à Philémon).

V. note [11], lettre 71, pour ses Annotations sur l’Ancien Testament.

13.

« J’attends d’eux plus de bon sens. »

Théophile Brachet, sieur de La Milletière (1596-1665), a joué un rôle éminent, sinon glorieux, dans l’histoire du protestantisme. Après des débuts infructueux au barreau, il avait étudié la théologie et il était parvenu à se faire nommer ancien de l’Église de Charenton (v. note [18], lettre 146). Dans les années 1620, il avait courageusement déclaré sa détermination en faveur des protestants de France contre le roi, qu’il accusait de violer l’édit de Nantes : Discours des vraies raisons pour lesquelles ceux de la Religion en France peuvent et doivent, en bonne conscience, résister par armes à la persécution ouverte (sans lieu ni nom, 1622, in‑8o). Cela lui avait valu des années d’emprisonnement, et même une condamnation à mort à laquelle il échappa par faveur particulière de Louis xiii. La Milletière avait même été libéré avec une pension de 1 000 écus. Dès ce moment, gagné et vendu, il devint l’agent de la cour auprès de ses anciens coreligionnaires.

Guy Patin faisait allusion à son :

Discours des moyens d’établir une paix en la chrétienté par la réunion de l’Église prétendue réformée à l’Église romaine. Proposé à Monseigneur le cardinal-duc de Richelieu, par le sieur de La Milletière. Traduit de latin en français. Ensemble les lettres des ministres Du Moulin et Rivet, {a} et les réponses du dit sieur de La Milletière. {b}


  1. V. notes [9], lettre 29, pour Pierre i Du Moulin, et [25], lettre 79, pour André Rivet.

  2. Paris, sans nom, 1635, in‑4o de 66 pages.

Ce texte avait soulevé une indignation universelle chez les protestants, qui s’accrut encore avec son Moyen de la paix chrétienne en la réunion des catholiques et des évangéliques sur les différends de la religion… (Paris, sans nom, 1637, in‑8o). Le synode d’Alençon lui signifia que, s’il continuait, « il serait retranché de la communion des Églises réformées ». Il se présenta cependant en 1644 au synode national de Charenton et demanda des juges. On lui en donna deux, auxquels on adjoignit Moïse Amyraut (v. note [38], lettre 292). La conférence n’eut aucun résultat. Alors le synode ordonna que Brachet fût excommunié du haut de la chaire, ordonnance qui fut exécutée le dimanche suivant, 29 janvier 1645 ; il abjura alors publiquement (G.D.U. xixe s.).

La France protestante (volume 2, page 496) ajoute :

« Lorsque l’apostat quitta l’assemblée, le président le salua par ces paroles de Jésus : Fais bientôt ce que tu fais. {a} “ Je ne suis pas Judas ”, répondit La Milletière. – “ Non, Monsieur, reprit Garrisoles, car Judas avait la bourse, et vous la cherchez. ” »


  1. Trahison de Judas, Jean, 13:27.

14.

V. note [10], lettre 79.

15.

Philosophe athénien du ive s. av. J.‑C., Platon avait eu Socrate (v. note [4], lettre 500) pour principal maître, et c’est principalement lui qui nous a transmis sa doctrine. Enseignant dans son Académie, Platon s’est imprégné de tous les courants philosophiques de son époque, notamment pythagoriciens (v. note [27], lettre 405), pour les analyser et en proposer une synthèse, qui reste le modèle de la pensée grecque antique (logique, éthique, politique, scientifique). Monothéiste (v. note [15] du Patiniana I‑4), Platon croyait en l’immortalité de l’âme, mais la liait à la métempsycose (transmigration de l’âme du corps d’un individu dans celui d’un autre). On a donné le nom d’Académie à l’École qu’il a fondée.

Aristote, philosophe grec du même siècle, disciple puis critique de Platon, fonda l’École péripatéticienne et fut le précepteur d’Alexandre le Grand (v. note [21], lettre 197). Il a exercé une influence immense sur la pensée et les sciences de l’Europe à partir du xiie s., quand les Arabes y eurent introduit ses écrits commentés. Sous l’influence et dans l’interprétation de saint Thomas d’Aquin (xiiie s., v. note [24], lettre 345), relayé par les théologiens Byzantins, après la chute de Constantinople (1453), ces traités fondèrent la philosophie scolastique (v. note [3], lettre 433) qui, mêlant la théologie chrétienne et un péripatétisme fort déformé par rapport à sa source, servit de modèle à la plupart des Écoles occidentales.

Dans son traité De la Vertu des païens (Paris, 1642, v. note [36] du Naudæana 3), François i de La Mothe Le Vayer (v. note [14], lettre 172) a ainsi interprété la puissante influence d’Aristote sur la pensée de son siècle et de ceux qui l’ont précédé (pages 123‑124) :

« Comme Platon a eu ses admirateurs, qui lui ont donné le surnom de Divin, Aristote a reçu des siens les glorieux titres de Génie de la nature, et de fidèle interprète de tous ses ouvrages. L’un ne saurait en cela prétendre aucun avantage sur l’autre ; et si {a} l’on peut dire que les académiciens, non plus que les péripatéticiens, n’ont rien fait en parlant ainsi de leurs chefs que toutes les autres familles philosophiques n’aient pratiqué lorsqu’elles ont employé le nom de leurs fondateurs. Mais il semble qu’Aristote se pourrait glorifier d’avoir encore aujourd’hui ses sectateurs, et de régner presque aussi puissamment dans toutes les écoles qu’il fit jamais dans le Lycée, ce que pas un ne saurait prétendre. Car encore que la plupart des Pères, {b} qui avaient plus d’inclination pour Platon que pour lui, aient fait de grandes invectives contre sa doctrine, jusque-là que saint Ambroise, {c} dans ses Offices, et Origène, réfutant Celsus, {d} soutiennent qu’elle est beaucoup plus à craindre que celle d’Épicure. {e} Si est-ce {f} que depuis Albert le Grand {g} et saint Thomas, principalement, se furent donné la peine d’expliquer, autant qu’il leur fut possible, tous les mystères de notre religion avec les termes de la philosophie péripatétique, nous voyons qu’elle s’est tellement établie partout qu’on n’en lit plus d’autre par toutes les universités chrétiennes. Celles mêmes qui sont contraintes de recevoir les impostures de Mahomet n’enseignent les sciences que conformément aux principes du Lycée, auxquels ils s’attachent si fort qu’Averroès, Alfarabius, Almubassar {h} et assez d’autres philosophes arabes se sont souvent éloignés des sentiments de leur Prophète pour ne pas contredire ceux d’Aristote, < mot > que les Turcs ont en leur idiome turquesque, et en arabe […]. Ce qui me fait rapporter au siècle de saint Thomas seulement cette réception générale du péripatétisme parmi les chrétiens, et non pas à celui de Charlemagne, du vivant duquel on veut qu’il fût déjà en vogue dans l’Université de Paris, la première de toutes et celle qui a succédé aux Athènes des Anciens, c’est qu’il paraît que longtemps depuis cet empereur on n’y connaissait le nom d’Aristote que pour le détester. » {i}


  1. « et même ».

  2. Les Pères de l’Église.

  3. Au ive s., v. note [24], lettre 514.

  4. Au iiie s., v. note [8], lettre 530.

  5. V. note [9], lettre 60.

  6. Tant et si bien.

  7. Au xiiie s., V. note [8], lettre 133.

  8. V. note [51] du Naudæana 1 pour Averroès (xiie s.). Al Fârâbî est un philosophe persan du xe s. Al-Mubashshir est un érudit égyptien du xie s.

  9. Moins compatible avec le christianisme et plus ésotérique que l’aristotélisme, la philosophie de Platon (et donc de Socrate) perdit son influence ouverte sur la pensée occidentale. Elle était promue par les platoniciens (v. note [52], lettre 97) que l’Église tenait pour hérétiques, assimilés aux magiciens.

    Le renouveau philosophique du temps de Guy Patin et de La Mothe Le Vayer (dont le « libertinage érudit », auquel on l’a rattaché, ne fut qu’un atelier) s’est en bonne partie établi sur la critique sceptique de la scolastique et du péripatétisme : Ramus, Bacon, Descartes, Gassendi, etc.

    V. note [57] du Faux Patiniana II‑7 pour une brève histoire de l’aristotélisme : transmission des ouvrages d’Aristote et leurs censures par l’Église romaine.


Aristote a fait preuve d’un savoir encyclopédique. Il a consacré plusieurs ouvrages à la description des êtres vivants, et la médecine en tira nombre d’enseignements et de dogmes qui s’ajoutèrent à ceux d’Hippocrate (ve s. av. J.‑C., v. note [6], lettre 6) dont il avait soigneusement étudié les écrits. Fondateur de l’anatomie comparée des animaux, Aristote a décrit les parties du corps humain avec plus ou moins de bonheur quant à leur physiologie : trachée-artère, aorte, veines, uretères, rate, foie, etc. Sa conception erronée du mouvement et de la fonction du sang a largement alimenté les querelles sur la circulation. La théorie aristotélicienne de la santé était fondée sur le principe d’équilibre : les maladies sont toujours causées par excès ou par défaut, principalement de chaleur ou d’humidité ; elles sont souvent guéries par l’excès contraire ; la santé est l’état moyen. Quant à l’âme, ce sont les sensations qui y engendrent les idées.

16.

Après la mort de Richelieu, dont il était homme de confiance, François Sublet de Noyers, secrétaire d’État au département de la guerre, avait tenté d’évincer Mazarin du Conseil. Il était renvoyé brusquement et remplacé par Le Tellier. Ses tentatives pour revenir en grâce furent vaines et il se retira en Normandie où il mourut le 20 octobre 1645.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 23‑25) :

« Le dimanche 12 avril, M. de Jouy, gentilhomme de Monsieur, frère du roi, dîna avec mon père, qui me dit que M. de Noyers, après avoir reçu deux ou trois fâcheuses attaques du roi, s’était enfin résolu de lui demander congé ; et que, le vendredi, sur une contestation arrivée entre lui et le roi pour la guerre, le roi lui ayant dit qu’il semblait qu’il eût pris à tâche de le contredire, M. de Noyers prit occasion de lui dire que voyant que son service ne lui était plus agréable, il le priait de lui permettre de se retirer. Le roi lui dit qu’il n’avait jamais refusé le congé à personne ; de quoi M. de Noyers l’ayant remercié, il se retira en sa chambre et puis après, reçut ordre par M. de Guénégaud de se retirer à Dangu {a} et de laisser ses deux commis avec la cassette de ses papiers. M. de Noyers envoya un courrier aussitôt à M. de La Meilleraye avec un mot pour lui donner avis de son congé, et partit à quatre heures du matin.

L’on disait que cette disgrâce nuirait aux jésuites, qui étaient le conseil de M. de Noyers, et qu’ils ne poursuivraient plus le procès commencé pour être du Corps de l’Université ; {b} ce qui les avait rendus si odieux que le peuple criait contre eux et prenait occasion de dire qu’ils étaient cause de la cherté du blé par le transport qu’ils en avaient fait en Flandres, et qu’il y avait sept prisonniers à la Bastille pour ce sujet. M. de Jouy nous assura qu’il avait vu un homme qui avait vu conduire lesdits sept pères jésuites dans la Bastille pour ce sujet ; ce que j’ai grande peine à croire. Il nous dit que M. Le Tellier, maître des requêtes, employé en Italie, devait prendre la place de M. de Noyers. […]

Le mercredi, {c} M. le comte de Bruslon me vint voir et me dit que M. de Noyers n’avait été chassé que parce que, comme il croyait être fort homme de bien et avait une absolue disposition de plus de trente millions par an, sans en rendre compte, sous M. le cardinal de Richelieu, il voulait continuer de même et n’en rendre aucun compte au roi qui s’en était offensé plusieurs fois ; et ce ne fut point à cause qu’il demanda son congé que le roi le lui donna, y ayant plus de cinq semaines que la résolution en était prise, et dont il était averti lorsqu’il demanda son congé […]. Quoi qu’il en soit, l’on condamne M. de Noyers de n’avoir pas voulu souffrir et il sera malaisé de savoir la véritable cause de sa disgrâce. »


  1. Terre de Normandie, dans l’Eure, dont de Noyers était seigneur.

  2. V. note [34] du Patiniana I‑3.

  3. 15 avril 1643.

17.

Επικρασις vindicata, seu de vera et genuina επικρασεως significatione Dissertatio. Auctore Jacobo Mantel, doctore medico Parisiensi.

[L’Épicrase {a} justifiée, ou Dissertation sur la signification véritable et authentique de l’épicrase. Par Jacque Mantel, {b} docteur en médecine de Paris]. {c}


  1. Dans la médecine humoriste, la cure par épicrase (du grec επικρασις, action de tempérer) était un « mode de traitement par des remèdes auxquels on supposait la propriété de corriger peu à peu les humeurs viciées » (Littré DLF).

  2. Ou Mentel, v. note [6], lettre 14.

  3. Paris, sans nom, 1642, in‑4o de 46 pages

C’est une épître que Mentel adressait à son collègue Victor Pallu (v. note [54], lettre 229), et dédiait Sapientiss. Clarissimoque Viro Guidoni Patin Doctori Medico Parisiensi et Scholarum dignissimo Censori [au très sage et brillant M. Guy Patin, docteur en médecine de Paris et censeur de la Faculté] :

Sapientiss. clarissimoq. viro Guidoni Patin, doctori medico Parisiensi et Scholarum dignissimo censori, Iacobus Mantellus.

Quæ ex Spicilegiis meis de επικρασει delibata nuper habueram cum Palludo nostro homine quam docto privatim, ea nunc publice, Vir Præstantissime, do tibi dedicoque : non quod aut Te (qui tute es Homericus ipse Medicus περι παντων ανθρωπων επισταμενος) digna putem, aut Prælo qualicumque : sed ut mutuæ inter nos eiusque veteris amicitiæ non nullo in posterum monimento extent ; ac pluribus etiam compareat me illos qui raram exprimunt antiquæ probitatis cum eruditione mixturam, ut facis mirifice, sibi semper obnoxium mancipare. Quin et siquibus nominibus Typorum gratiam emererentur : in eo tibi merito iure addicuntur, quod Galeni atque adeo Scholæ nostræ Parisiensis (cuius es Censor renuntiatus cum omnium adplausu postremis comitiis) doctrinam videantur asserere. Vale.

[Jacques Mentel au très sage et très brillant Guy Patin, docteur en médecine de Paris et très digne censeur des Écoles.

Très éminent Monsieur, j’avais récemment partagé en privé ces extraits de mes spiciléges {a} sur l’épicrase avec Pallu, notre si docte ami. Maintenant je vous les donne et les dédie publiquement. Non que je les juge dignes ou de vous (vous qui personnifiez le médecin d’Homère qui a la connaissance au-dessus de tous les hommes), ou de quelque presse d’imprimerie que ce soit, mais pour qu’ils se montrent à la postérité comme quelque souvenir de la vieille amitié qui nous lie l’un à l’autre, et même que le plus grand nombre sache qu’il est toujours dangereux de s’aliéner ceux qui expriment le rare mélange de l’antique probité et de l’érudition, comme vous le faites magnifiquement. Et si, pour ces raisons, ils ont mérité la faveur d’être imprimés, ils vous sont dédiés parce qu’ils sont à regarder comme la défense de la doctrine de Galien et bien plus encore, de celle de notre École de Paris (dont vous avez été proclamé censeur lors de la dernière assemblée avec applaudissements unanimes). Salut].


  1. Spicilége : « recueil ou glane d’épis ; titre de quelques collections de pièces, d’actes et autres mémoires qui n’avaient jamais été imprimés » (Littré DLF).

18.

Moyens préservatifs, et la méthode assurée pour la parfaite guérison du scorbuth : {a} par M. André Falconet, Roannais, docteur médecin en l’Univeristé de Montpellier, et agrégé au Collège de médecins de la ville de Lyon. {b}


  1. Sic, v. note [4], lettre 427.

  2. Lyon, Jean-Antoine i Huguetan, 1642, in‑8o de 95 pages, réédition revue et augmentée, ibid. Antoine Jullieron, 1684.

V. note [4], lettre 981, pour une description du contenu. Cette question à Charles Spon fut sans doute le départ de la durable relation épistolaire de Guy Patin avec Falconet.

19.

Claude-Barthélemy Morisot (Dijon 1592-ibid. 1661), fils d’un conseiller à la Chambre de Dole, s’était fait recevoir avocat, mais avait bientôt abandonné le barreau pour l’érudition (G.D.U. xixe s.).

Orbis maritimi sive rerum in mari et littoribus gestarum generalis historia : in qua Inventiones navium, earundem partes, armamenta : instructiones Classium, navigationes, prælia maritima, arma, stratagemata, trophea, triumphi, naumachiæ : Urbes et Coloniæ maritimæ, periplus Orbis antiqui, et Novi : Magistratus, Præfecturæ et Officia classica apud omnes Gentes : Leges navales, lustrationes classium, causæ et genera ventorum, usus pixidis nauticæ, histiodromice, marium diversi motus, æstusque, atque exundationes, aliaque omnia ad rem maritimam pertinentia.
Opus unica Centuria contentum, quæ in duos Libros divisa et partita est :
Primus Res in mari, aut circa mare gestas continet, ab initio navigationum ad Constantini Magni obitum, cum descriptione littorum antiquis Cosmographis cognitorum.
Secundus a Constantino Magno ad hanc usque diem res pelago, et in oris gestas complectitur, cum descriptione littorum antiquis incognitorum.
Authore Claudio Bartholomæo Morisoto Divionensi
.

[Histoire générale du Monde maritime, ou de ce qui s’est passé en mer et sur ses rivages : inventions des navires, leurs parties et leurs armements ; organisations, navigations, combats maritimes, armes, stratégies, trophées, triomphes, naumachies {a} des flottes ; villes et colonies maritimes, périples de l’ancien et du nouveau monde ; amirautés, préfectures et offices navals dans toutes les nations ; lois navales, itinéraires des flottes, causes et catégories des vents, emploi de la boussole nautique, {b} maniement des voiles, mouvements divers des mers, tempêtes et débordements ; et tout ce qui touche aux affaires maritimes.
Ouvrage composé d’une centurie unique, distribuée et divisée en deux livres :
le premier contient l’histoire de ce qui s’est passé en mer ou autour d’elle depuis le début de la navigation jusqu’à la mort de Constantin le Grand, {c} avec la description des rivages connus des géographes de l’Antiquité ;
le second comprend l’histoire de ce qui s’est passé en mer et sur les côtes depuis Constantin le Grand jusqu’à présent, avec la description des rivages inconnus des Anciens.
Par Claudius Bartholmæus Morisotus natif de Dijon]. {d}


  1. Spectacles représentant les combats navals.

  2. V. note [7], lettre 372.

  3. En 337, v. note [24] du Naudæana 3.

  4. Dijon, Petrus Paillot, 1643, in‑fo illustré de 725 pages, dédié à Louis xiii, roi de France.

Dans un tout autre genre, Patin ne se trompait pas en attribuant à Morisot les anonymes :

Alithophili veritatis Lacrymæ sive Euphormionis Lusinini Continuatio.

[Larmes de vérité de l’Aléthophile, {a} ou continuation de l’Euphormion l’Écossais]. {b}


  1. Celui qui aime la vérité.

  2. Sans lieu ni nom, 1625, 1624, in‑12 ; plusieurs autres éditions, dont certaines figurent en 5e partie de l’Euphormion de Jean Barclay, v. infra note [20]).

20.

Jean Barclay (Pont-à-Mousson 1582-Rome 1621), du juriste écossais Willliam (Guillaume i) Barclay (1541-1605), avait été éduqué par les jésuites de sa ville natale, puis y avait étudié le droit. Après divers voyages, il alla se fixer en Angleterre et se concilia les bonnes grâces de Jacques ier par un hymne en une vingtaine de pages sur le couronnement de ce prince : Maximo potentissimoque monarchæ Iacobo primo Britanniarum regi semper augusto Carmen gratulatorium [Poème de congratulations au très grand et très puissant monarque Jacques ier, roi des Britanniques, pour toujours auguste] (Paris, 1603, in‑4o).

Il publia alors un ouvrage de son père, De Potestate Papæ [Sur le Pouvoir du pape] (Pont-à-Mousson, 1609), {a} pourfendant l’ultramontanisme. Cette parution posthume souleva une vive controverse entre Jean Barclay et le cardinal jésuite Robert Bellarmin, {b} qui obtint la condamnation du livre par le Saint-Office et répliqua par le Tractatus de Potestate Summi Pontificis in rebus temporalibus, adversus Gulielmum Barclaium [Traité sur le Pouvoir du Souverain Pontife en matière temporelle, contre Guillaume i Barclay], {c} qui fut à son tour condamné en France par un arrêt du Parlement de Paris. La polémique fut poursuivie par le jésuite Eudæmon-Joannes, {d} qui accusa Barclay d’hérésie. Fidèle jusqu’au bout à la mémoire de son père, Jean Barclay se rendit à Rome pour combattre ces bruits calomnieux et fut accueilli favorablement par le pape Paul v. {e}


  1. V. notule {j}, note [12] du Borboniana 1 manuscrit.

  2. V. note [7], lettre 195.

  3. Rome, Zanetti, 1610, in‑8o.

  4. V. notule {d}, note [16] du Borboniana 1 manuscrit.

  5. Camillo Borghese, 5. note [5], lettre 25.

Barclay est surtout connu par deux romans allégoriques et satiriques (G.D.U. xixe s et A. Cullière).

V. notes :

21.

La consultation eut lieu la veille de la déclaration du roi pour la régence (v. infra note [22]). Robert Lyonnet, à la page 74 de sa Brevis dissertatio de morbis hereditariis… (Paris, 1647, v. note [2], lettre 141), l’a relatée, mais avec une différence sur le nom des trois praticiens :

Cum per incerta ferretur Regis animus, nec mors quam adesse putabat accederet, alios insuper statuit apud se vocandos medicos, a quorum ore cito ne an fero esset moriturus acciperet, an ulla evadendi spes esset. Lavigneum delegit et Morellum e Parisina Facultate professorem regium, quibus tertium iungi olim aulicum sibi notum D. Valterium permisit, cum dico qui nunc archiatrorum comitivæ præfectus est. Accepta eorum quæ gesta fuerant notitia, non alimentis solum, sed pharmacis iuvari posse omnes censuerunt.

[Alors que l’esprit du roi était porté à l’incertitude sur l’arrivée de la mort, qu’il sentait venir, il décida d’appeler auprès de lui encore d’autres médecins qui lui diraient s’il allait ou non mourir vite, s’il avait quelque espoir d’en réchapper. Il choisit de La Vigne et Moreau, professeur royal et docteur de la Faculté de Paris ; il permit à un troisième de se joindre à eux, qui fut M. Vautier, qu’il avait jadis connu médecin de la cour et qui a depuis été promu premier médecin du roi].

Guy Patin ne citait pas ici François Vautier (v. note [26], lettre 117), mais signalait, au contraire, la présence de François Guénault (Guénaut ou Guénauld, Guenaltus ou Guenaldus en latin ; 1589-Paris 16 mai 1667) l’aîné, pour le distinguer de son neveu Pierre, dit le jeune (v. note [6], lettre 97). François Guénault est omniprésent dans les lettres de Patin car il menait la troupe de ses plus intimes ennemis, les antimoniaux, au sein même des docteurs régents, ses collègues. Guénault n’a rien fait imprimer d’autre que les thèses qu’il a soutenues ou présidées. Toute l’ampleur qu’il convient de lui donner ici se heurte donc au peu qu’on sait de lui, à part la faconde imaginative de ses anecdotiers.

On peut cependant se fier au registre de Baron et au témoignage de Jacques Mentel (tout de même un peu suspect car lui-même ennemi de l’antimoine) dans son manuscrit intitulé Schola Medica Parisiensis [L’École de médecine de Paris, v. note [6], lettre 14]. François Guénault naquit « en 1589 à Pau [Palum] en Béarn, fils de l’apothicaire de Henri iv [Thomas Guénault], lors roi de Navarre et premier prince du sang. Quand il se mit sur les bancs de médecine à Paris, in quo [où] chacun dit son pays de naissance, il se dit Paliensem [de Pau] ; quelques-uns crurent qu’il se disait Parisiensis [de Paris], et ainsi s’appela-t-il à la suite en ses thèses ; mais de fait, il était Paliensis. » D’autres que Mentel l’ont dit natif de Paris ou de Gien : v. notule {f}, note [6], lettre 97, pour une explication plausible de ces discordances, mais plaidant effectivement en faveur d’une naissance à Pau.

Classé 6e des 12 licenciés de 1614, Guénault devint docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en décembre 1615. Il était huguenot et s’attacha au prince Henri ii de Condé (le père du Grand Condé) ; sous son influence, il se convertit au catholicisme. Après plusieurs voyages avec M. le Prince, il s’était établi à Paris en 1627 ou 1628. D’abord adepte de la médecine dogmatique, Guénault se tourna bientôt vers l’empirique. Il fut l’un des premiers en son temps qui, à partir de 1643 ou 1644, se servit de l’antimoine ; « sans beaucoup de littérature, il a toujours été en réputation dans sa profession et le coryphée de ceux qui ont approuvé l’antimoine. » En septembre 1661, il fut promu premier médecin de la reine régnante, Marie-Thérèse, épouse de Louis xiv, pour un prix de gage de 18 000 livres.

On cite partout les vers de Nicolas Boileau-Despréaux (Satire iv, À M. l’abbé Le Vayer, vers 23‑34) :

« Un libertin d’ailleurs, qui sans âme et sans foi,
Se fait de son plaisir une suprême loi,
Tient que ces vieux propos, de démons et de flammes,
Sont bons pour étonner des enfants et des femmes ;
Que c’est s’embarrasser de soucis superflus,
Et qu’enfin, tout dévot a le cerveau perclus.
En un mot qui voudrait épuiser ces matières,
Peignant de tant d’esprits les diverses manières,
Il compterait plutôt combien dans un printemps
Guénault et l’antimoine ont fait mourir de gens,
Et combien la Neveu devant son mariage,
A de fois au public vendu son pucelage. »

Type abouti du médecin de cour, Guénault eut l’insigne honneur d’être caricaturé par Molière sous les traits de Macroton dans l’Amour médecin (1665, v. note [1], lettre 835).

Hazon b (pages 107‑108) :

« Il possédait les qualités du cœur […]. Ce praticien, le plus en vogue, pouvait avoir eu plus d’occasion de voir et d’étudier les effets de l’antimoine que les autres médecins ; il l’avait adopté. Il n’en fallut pas davantage pour lui susciter beaucoup d’adversaires ; mais il n’avait pas de fiel : il laissa la liberté de penser et de suivre des systèmes ; pour lui, il s’en tenait à l’expérience. Il aimait la Faculté et tous ses membres ; il rendait volontiers service à tout le monde, même à ses antagonistes : souvent il quittait le séjour de la cour, Saint-Germain-en-Laye, en hiver, pour assister aux thèses de nos Écoles ; c’est le témoignage que lui rendent nos Registres. Guy Patin, qui n’était ni si pacifique, ni si modéré, le raille souvent dans ses lettres au sujet de l’opium et de l’antimoine ; {a} mais l’événement de sa vie qui lui fit le plus d’honneur fut la guérison du roi […]. {b} On chanta les louanges de M. Guénault ; on composa des poèmes en son honneur. »


  1. Patin tenait Guénault pour son pire ennemi dans la Compagnie des docteurs régents de Paris. Pour le dénigrer, il assimilait son nom à celui d’une guenon (v. note [35], lettre 504), mais on a vu Patin plus spirituel et mieux inspiré dans ses jeux de mots.

  2. À Calais en 1658, avec une prise d’antimoine.

Les trois thèses de bachelier que François Guénault a soutenues sont :

Les quodlibétaires ou cardinales qu’il a présidées sont :

Guy Patin a ignominieusement accusé Guénault d’avoir décimé sa famille avec « son poison d’antimoine ». Outre son neveu Pierre (cité plus haut), composée de son épouse, Anne Georges, morte en 1648, et de leurs trois filles :

En 1636, Guénault avait acquis pour 7 000 livres une maison rue Hautefeuille dans le vie arrondissement [Henri Baillière, La Rue Hautefeuille, son histoire et ses habitants (propriétaires et locataires), 1252-1901, contribution à l’histoire des rues de Paris (Paris, J.‑B. Baillière et fils, 1901)].

En dépit de tout le fiel que le clan antistibial déversait sur lui, Guénault demeura en grande faveur jusqu’à sa mort par apoplexie à 78 ans. Témoin encore visible du grand renom qu’il a connu, son portrait trône en bonne place dans la réserve du Département historique de la BIU Santé ; ironie du sort, il est accroché face à l’une des deux fenêtres entre lesquelles trône l’effigie de Guy Patin, paré d’un malicieux sourire (v. note [5], lettre 562) ; et les assidus de ce sanctuaire labourent aujourd’hui les anciens ouvrages sous les regards croisés des deux vieux ennemis.

Portrait de François Guénault
Détail du tableau conservé par la BIU Santé,
attribué à Gilbert de Sève (Moulins 1615-Paris 1698) ;
cliché Jacques Gana

Notice no64 des Collections artistiques de la Faculté de medicine de Paris. Inventaire raisonné par Noé Legrand, bibliothécaire à l’Université de Paris. Publié par les soins de L. Landouzy (Paris, Masson et Cie, 1911, pages 60‑61 ; source aimablement communiquée par M. Jean-François Vincent, rédacteur en chef de notre édition) :

« Cette toile – que Chéreau déclarait perdue en 1869 – fut donnée à la Faculté en 1692, donation mentionnée dans Hazon b (Éloge historique, p. 60). “ Sous le décanat de Henri Mahieu, temps où notre salle d’assemblée fut boisée et ornée, le portrait de M. Guénault fut apporté par M. Mathieu Thuillier, médecin de la Faculté et gendre de M. Eusèbe Renaudot. ” {a}

Elle est ainsi rapportée dans les Commentaires : “ Juillet 1692. Hisce temporibus a me jamdiu expetita tabella Mi Franc. Guénault, quod promissa fuisset a Mattheo Thuillier, collego nostro, tandem obtenta fuit ad decus et ornamentum. ” {b} (T. xvii, p. 88).

Quelque temps après, on le dotait d’un beau cadre doré en même temps que l’on encadrait le petit tableau représentant saint Luc ; ces deux encadrements coûtaient 12 livres : Pro margine deaurata qua circumcincta est tabula nostra minor divi Lucæ. Pro alia margine deaurata qua circumcingitur tabula magistri Francisci Genault dum vivebat Archiatri Mariæ Theresiæ Francorum Reginæ dedit mercatori cuidam Decanus duodecim libellas {c} (Commentaires, xvii, p. 151).

Le portrait de Guénault par G. de Sève a été fort bien gravé en 1658 par Rousselet, {d} en médaillon seulement. Deux états, l’un avec et sans lettre – H., 30 cm. – L., 25 cm ; l’autre, dans lequel on a supprimé le médaillon et coupé le sujet, dans un ovale – H., 20 cm. – L., 16 cm. Au-dessous, cette inscription :

Guenaltum quæ docta manus simulavit in aere
Galenum sculpsit, sculpsit et Hippocratem
. » {e}


  1. Ce sujet est traité dans Hazon a (page 60), mais en des termes sensiblement différents de ceux que Noé Legrand a mis entre guillemets dans sa notice.

    Henri Mahieu a été doyen de la Faculté de 1690 à 1692, il avait précédemment été archiatre de la reine de Pologne. V. note [1], lettre 954, pour Mathieu Thuillier.

  2. « En ce temps-là, j’ai enfin obtenu le tableau de Me François Guénautl que je désirais depuis longtemps déjà, que notre collègue, M. Mathieu Thuillier avait promis de donner pour l’honneur et l’ornement < de la Faculté >. »

  3. « Le doyen a donné douze livres tournois à un marchant pour l’encadrement en bois doré de notre petit tableau de saint Luc et pour celui de Me François Guénault qui, de son vivant, a été premier médecin de Marie-Thérèse, reine de France. »

  4. La date de ce portrait gravé (et par conséquent du tableau, sans savoir lequel des deux a précédé l’autre) autorise à supposer qu’il a été dessiné pour celébrer le succès de Guénault dans la guérison de Louis xiv grâce à l’antimoine en juillet 1658 (v. note [6], lettre 532).

  5. « La savante main qui a gravé Guénault dans le bronze, a en même temps représenté Galien et Hippocrate. »

22.

Se sentant en effet perdu, Louis xiii avait assemblé dans sa chambre à Saint-Germain, le lundi 20 avril 1643, la reine, Anne d’Autriche, les enfants de France (Louis, futur Louis xiv, et Philippe, futur Monsieur), les princes du sang, les ducs et pairs, son Conseil, et leur fit lire par le secrétaire d’État La Vrillière une déclaration sur le gouvernement de ses États. Le roi entendait que, lorsqu’il aurait plu à Dieu de disposer de lui, la reine fût régente, Gaston d’Orléans, son frère, lieutenant général du roi mineur (Louis) et chef du Conseil sous l’autorité de la reine ; le prince de Condé, Henri ii de Bourbon, y siégerait aussi. Tous trois seraient assistés de quatre ministres d’État, conseillers indestituables, tous créatures de Richelieu : le cardinal Mazarin, le Chancelier Séguier, le surintendant des finances, Claude Bouthillier, et son fils Léon, sieur de Chavigny. Les décisions devraient être prises à la pluralité des voix. Dans l’exposé des motifs, le roi proclamait que « La France a bien fait voir qu’étant unie elle est invincible, et que de son union dépend sa grandeur, comme sa ruine de sa division. »

Cette déclaration fut enregistrée par le Parlement dès le lendemain à l’unanimité. Louis xiii voulut que son fils aîné, qui avait alors quatre ans et demi et n’avait été qu’ondoyé, fût baptisé, et désigna pour marraine et parrain, la princesse de Condé et le cardinal Mazarin ; la cérémonie eut lieu dans la chapelle du château. Ensuite le roi aurait demandé : « Mon fils, comment avez-vous nom à présent ? – Louis xiv, mon papa – Pas encore, mon fils, pas encore ; mais ce sera peut-être bientôt, si c’est la volonté de Dieu » (R. et S. Pillorget).

Le cardinal de Retz (Mémoires, pages 280-281) a dépeint le péril de la situation que créaient les volontés de Louis xiii pour sa propre régence :

« La fameuse victoire de Rocroi {a} donna autant de sûreté au royaume qu’elle lui apporta de gloire ; et ses lauriers couvrirent le roi qui règne aujourd’hui, {b} dans son berceau. Le roi son père, qui n’aimait ni n’estimait la reine sa femme, lui donna en mourant un conseil nécessaire pour limiter l’autorité de sa régence ; et il y nomma M. le cardinal Mazarin, M. le Chancelier, M. Bouthillier et M. de Chavigny. Comme tous ces sujets étaient extrêmement odieux au public parce qu’ils étaient tous créatures de M. le cardinal de Richelieu, ils furent sifflés par tous les laquais dans les cours de Saint-Germain aussitôt que le roi fut expiré ; et si M. de Beaufort {c} eût eu le sens commun, ou si M. de Beauvais {d} n’eût pas été une bête mitrée, ou s’il eût plu à mon père d’entrer dans les affaires, ces collatéraux de la régence auraient été infailliblement chassés avec honte, et la mémoire du cardinal de Richelieu aurait été sûrement condamnée par le Parlement avec une joie publique.

[…] M. le duc d’Orléans fit quelque mine de disputer la régence et La Frette, qui était à lui, donna de l’ombrage parce qu’il arriva une heure après la mort du roi, à Saint-Germain, avec deux cents gentilshommes qu’il avait amenés de son pays. J’obligeai Nangis dans ce moment à offrir à la reine le régiment qu’il commandait, qui était en garnison à Mantes. Il le fit marcher à Saint-Germain ; tout le régiment des gardes s’y rendit ; l’on amena le roi à Paris. Monsieur se contenta d’être lieutenant général de l’État ; M. le Prince fut déclaré chef du Conseil. Le Parlement confirma la régence de la reine, mais sans limitation. »


  1. V. note [8], lettre 83.

  2. Louis xiv.

  3. V. note [14], lettre 93.

  4. Augustin Potier, v. note [6], lettre 83.

La régente s’adressa au Parlement dès le 18 mai 1643 pour faire casser la déclaration royale en supprimant la clause de pluralité des voix qui limitait fortement son pouvoir. Anne d’Autriche sollicitait et obtenait ainsi une légitimité avec la plénitude de l’autorité pendant la minorité de son fils ; mais ce faisant, elle accordait de fait au Parlement une part d’autorité politique dont il ne manqua pas d’user et d’abuser pendant la Fronde qui éclata cinq ans plus tard. Cette procédure à la limite de l’illégalité contribua à entretenir, jusqu’à septembre 1651 (majorité de Louis xiv, à 13 ans), le débat sur la légitimité des décisions de la régente et de son ministre Mazarin (Bertière a).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 avril 1643

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(Consulté le 19/04/2024)

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