L. 98.  >
À Charles Spon,
le 24 décembre 1643

Monsieur, [a][1]

Je vous donne avis que le vendredi 11e de ce mois j’ai donné au coche de Lyon un petit paquet de livres pour vous, port payé, dans lequel vous trouverez ce qui suit : le livre de M. de Baillou [2] De Morbis virginum et mulierum, etc., in‑4o ; le Rappel des juifs, in‑8o ; [3] Palmarius de vino et pomaceo, in‑8o ; [4] Disquisitio disquisitionis de Magdalena Massiliensi, in‑8o ; [5] La Rome ridicule, in‑8o ; [6] Vita Loisellorum Ant. et Guidonis, in‑8o ; [7][8][9] Examen de la Requête présentée à la reine par le Gazetier, in‑4o ; Factum de notre doyen contre le Gazetier, in‑4o ; Requête du Gazetier à la reine, in‑4o ; Factum du Gazetier, in‑4o ; [1][10] Factum pour M. de Bouillon par M. Justel, in‑4o ; [2][11][12] Seconde apologie pour l’Université de Paris, in‑8o ; [13] Théologie morale des jésuites, in‑8o ; Discours contre Marthe Brossier par M. Marescot, in‑8o ; [3][14][15][16] plus cinq thèses de médecine, et une qui m’a autrefois été dédiée. De ces cinq, la dernière est la mienne, je vous prie de la lire et de m’en donner votre avis. [4][17][18] J’aurais volontiers attendu que le livret de M. Du Val, [19] qui est un catalogue et des éloges des professeurs du roi, fût achevé ; mais ce bonhomme, corpore menteque senescens[5] est devenu si lent que je ne vois non plus de dessein en lui de bien achever qu’il a eu de bien commencer. Quand il sera fait, ce sera pour un autre paquet avec les autres choses qui se présenteront. Je vous prie de prendre en attendant de bonne part ce petit présent qui n’est rien au prix de ce que je vous dois ; je tâcherai de faire mieux à l’avenir. M. Huguetan [20] a-t-il commencé les Institutions de C. Hofmannus ? [21] Bon Dieu ! quid moratur in tam pulcro opere ? [6] Si M. Le Gagneur [22] ne vous a vu, il vous verra bientôt ; je vous remercie du bon accueil que vous lui voulez faire à cause de moi, il est honnête homme et bon ami. Depuis que M. de Saumaise [23] est parti, je n’ai rien entendu de lui : utinam secundo vento et felici cursu delatus sit in Hollandiam[7] M. Petit [24] de Nîmes [25] est fort mal et tout hectique, [8][26] à ce qu’on m’écrit de Montpellier. M. Du Moulin [27] s’en est retourné, laborabat ab atra bile, et intemperie calida sicca viscerum[9][28] Je vous maintiens et vous assure qu’il est très faux qu’il ait été malade d’imagination ; [10] je l’ai trouvé très sage et très posé, et ai eu grande consolation de le voir en ce grand âge. C’est un mal qu’on lui impose et suppose, [11] à cause de sa vieillesse. Je lui ai trouvé l’esprit aussi réglé et aussi présent, la mémoire aussi ferme et assurée qu’il puisse jamais avoir eus, et sur une grande diversité de matières dont je pris grand plaisir de l’entretenir ; aussi fut-il bien aise de voir que je savais beaucoup de ses nouvelles. Il est retourné à Sedan. [29] S’il avait le corps aussi frais et bien tempéré que je trouve son esprit, il pourrait y vivre longtemps, mais il faut dire en ce cas avec Horace [30] Vitæ summa brevis, spem nos vetat inchoare longam[12] parce qu’il est bien sec et bien cassé. Pour ses œuvres, dont il n’y a encore rien de commencé, reposez-vous en sur moi, nihil quidquam ex iis prætermittam quæ sunt officii erga te mei[13]

Le traité de Marthe Brossier que trouverez dans votre paquet est proprement de maître S. Piètre, [31] mais il passa sous le nom de M. Marescot [32][33] le bonhomme, qui était son beau-père. [14] J’ai grand regret et vous en demande pardon, je viens de prendre garde en relisant votre lettre que j’ai oublié de mettre dans votre paquet le Castellanus de vitis Medicorum [34] que m’y aviez demandé. [15] Voyez, je vous prie, et m’indiquez comment je pourrai en amender la faute, pour quoi faire je suis tout prêt. Je serais ravi d’avoir le Divortio celeste en français, [35] j’espère qu’il viendra de deçà[16] J’ai vu ici les Mémoires de M. de Rohan [36] manuscrits ; ce livre devrait être imprimé à Genève, il est très bon. J’ai vu pareillement le livre De Plantis a sanctis, etc.[17][37] duquel s’est servi notre maître Guillaume Du Val en sa fourberie des saints médecins que je vous envoyai in‑4o il y a quelques mois. Pour le Sinibaldus, [38] j’espère que je le verrai quelque jour. [18] Il y a ici du bruit à la cour pour une querelle qui a été entre M. de Guise [39] et M. de Coligny, [40] qui est fils de M. le maréchal de Châtillon. [41] Ils se sont battus en duel [42] dans la place Royale [43] et se sont blessés l’un l’autre, [19] mais pas un d’eux n’en mourra ; chacun d’eux est blessé en trois endroits, mais légèrement et sans danger de mort. [20] Nouvelles nous sont arrivées que M. de Saumaise est en Hollande en bonne santé et qu’il y a été reçu de grand cœur par tous ses amis. Un intendant des finances chez lequel j’ai aujourd’hui dîné m’a dit que M. le surintendant, qui est le président de Bailleul, [44] veut obliger M. de Saumaise en ami (je sais bien qu’il l’aime fort), et qu’il veut trouver les moyens de le faire revenir en France et de l’arrêter à Paris à bonnes enseignes, quod utinam fiat ; [21] et c’est pourquoi beaucoup de gens disent à Paris que M. de Saumaise reviendra ici l’été prochain. Je souhaiterais volontiers qu’il ne revînt pas de deçà qu’il n’eût fait imprimer à Leyde [45][46] tout ce qu’il a tout prêt en ce qui regarde la religion, [22] d’autant qu’il n’en aura jamais ici guère de liberté, vu que nous sommes ici tous entourés et obsédés de moines et de moineaux de tout plumage qui per fas et nefas veritatem in iniustitia detinent[23][47] Je pense que vous avez eu le Davila [48] en italien, imprimé tant à Lyon qu’en Italie, in‑4o. Il a été traduit en français et imprimé ici in‑fo en deux petits tomes qui se peuvent relier tout en un ; on le vend ici 20 livres aux curieux, qui en font grand état, et ce avec raison car, outre qu’il coûte bien cher, il y a de fort belles choses en cette histoire. [24] Le sieur Dupleix, [49] qui est en sa maison à Condom [50] en Gascogne, [25] et qui travaille à achever l’histoire du dernier roi depuis dix ans, a ici envoyé son fils pour recevoir des mémoires cardinaln¬e=26&let=0098">[26] du duc d’Orléans, [51] de M. le Prince [52] et du cardinal Mazarin, [53] et quelques-uns de moi aussi, touchant la mort du rouge tyran [54] et du roi Louis xiii[55] J’ai peur que sur cette grande diversité de mémoires, qui partent de mains et d’intentions si différentes, il ne fasse rien qui vaille et qu’il ne se fasse autant d’ennemis à cette deuxième partie qu’il a fait à la première. Il aura lui-même bien de la peine à accorder tous les mémoires tant faux que vrais qui lui seront délivrés de la part de ces princes, qui voudront tous être crus et être mis dans l’histoire, selon leur caprice ou le degré du crédit qu’ils auront ; et ainsi ce sera une belle pièce que cette histoire écrite ad libidinem dominantium[27] M. le président de Bailleul, surintendant des finances, tomba fort malade avant-hier tout d’un coup. Fuit aliqua suspicio veneni[28] Il est fort incommodé d’une grande perte de sang quæ repente oborta est[29] Ces grandes charges font envie aux ambitieux et les poussent à de violentes extrémités per multa scelera[30] Si vous prenez la peine de lire ma thèse,  je vous prie de considérer le nez et les mœurs du Gazetier ubi actum est de morbis nasi[31] Après le mot de nebulones, vous y trouverez son nom en prenant chaque première lettre des huit mots suivants, dont le premier est ridiculi, le deuxième effrænes, le troisième nefarii, etc. [32][56] On dit qu’à la cour il y a quelque brigue contre M. Cousinot, [57] premier médecin du roi. On dit qu’il ne gardera guère longtemps cette place qui est fort enviée sur lui, combien que jusqu’ici la reine l’ait toujours protégé. Je ne saurais deviner qui en sera le successeur et en doute fort. M. de Noyers [58] est ici de retour de sa maison où le dernier roi l’avait envoyé. La reine lui a permis d’être ici, toute la troupe loyolitique [59] emploie tout son crédit pour le faire entrer dans le gouvernement, mais ils n’ont pu jusqu’ici tous ensemble rien avancer en cette affaire ; et Dieu aidant, n’en viendront jamais à bout. Ces maîtres fourbes, sous ombre de religion, feraient bien valoir leurs coquilles s’ils avaient du crédit durant cette minorité. [33] On me vient d’assurer que le Gazetier, qui est un autre incommodum sæculi[34] aussi bien que les loyolites, est malade il y a 15 jours ; qu’il n’a pas la fièvre, mais qu’il est fort maigre et qu’il prend force breuvages ut se vindicet. Quidam suspicantur ulcus imminens in pulmone, alii luem veneream, quod facilius crediderim ; scio enim eiusmodi nebulonem esse libidinosissimum[35] Dieu le veuille bien amender. Je vous baise bien humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 24e de décembre 1643.


a.

Ms BnF no 9357, fos 13‑14 ; Triaire no c (pages 352‑357) ; Reveillé-Parise, no clxxiii (tome i, pages 309‑310). Dans la marge, de la main de Charles Spon : « 1643, Paris 24 décembre ; Lyon, 30 dudit ; Risposta, 5 janvier 1644 ». Cette lettre a été lourdement abrégée dans les éditions antérieures à celle de Triaire

1.

Gulielmi Ballonii, Medici Parisiensis celeberrimi, de virginum et mulierum Morbis liber. In quo multa ad mentem Hippocratis explicantur, quæ et ad cognoscendum et ad medendum pertinebunt. Studio, cura et diligentia M. Jacobi Thevart, D. Medici Parisiensis, in lucem primum editus et scholiis aliquot locupletatus.

[Livre de Guillaume Baillou, très célèbre médecin de Paris, sur les Maladies des femmes et des jeunes filles. Où, dans l’esprit d’Hippocrate, sont expliquées beaucoup de choses qui ont à la fois trait au diagnostic et au traitement. Publié pour la première fois et enrichi de quelques notes par le travail, les soins et la diligence de M. Jacques Thévart, docteur en médecine de Paris]. {a}


  1. Paris, Jacques Quesnel, 1643, in‑4o.

V. notes :

2.

Probablement le Discours du duché de Bouillon et du rang des ducs de Bouillon en France (sans lieu ni nom, 1633, in‑8o), attribué à Christophe Justel (Paris 1580-ibid. 1649) qui, converti au calvinisme, était devenu conseiller et secrétaire de Henri iv. Après l’assassinat du souverain (1610), Justel s’attacha au duc de Bouillon, Henri de la Tour d’Auvergne (v. note [2], lettre 187), qui lui confia le soin de former la bibliothèque publique de l’Université de Sedan. Il en fit une des plus riches du xviie s. Éminent spécialiste de l’histoire du Moyen Âge, Justel était en correspondance avec les hommes les plus savants de l’époque. Il a laissé plusieurs ouvrages théologiques et généalogiques (G.D.U. xixe s.).

3.

Théologie morale des jésuites, extraite fidèlement de leurs livres. Contre la morale chrétienne en général. Deuxième édition revue et augmentée. {a}


  1. Sur l’imprimé à Paris, 1644, in‑4o de 61 pages ; première édition sans lieu ni nom ni date (probablement Paris, 1643), in‑4o de 45 pages.

Ce libelle est attribué à François du Hallier ou à Antoine ii Arnauld (v. note [3], lettre 104, pour un court extrait).

V. notes [28], lettre 97, pour la Seconde apologie de Godefroi Hermant, et [10], lettre 37, et [14] infra, pour le Discours véritable sur le fait de Marthe Brossier… attribué à Michel i Marescot ou à Simon ii Piètre.

4.

Le matin du jeudi 17 décembre 1643, Me Guy Patin, docteur régent et censeur des Écoles, avait été le président (moderator) et l’auteur de la thèse quodlibétaire soutenue par Paul Courtois, bachelier en médecine natif de Meaux. La question était Estne totus homo a natura morbus ? [Par nature, l’homme n’est-il pas tout entier maladie ?].

V. sa transcription intégrale et sa traduction commentée dans Une thèse de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643).

5.

« vieillissant de corps et d’esprit ».

Guillaume Du Val (v. note [10], lettre 73) :

Le Collège royal de France, ou Institution, Établissement et Catalogue des Lecteurs et Professeurs Ordinaires du Roi, Fondés à Paris par le Grand Roi François ier, Père des Lettres, et autres rois ses successeurs jusques à Louis xiv Dieudonné. Avec la Révérence et Requête des Lecteurs du Roi qui sont à présent en charge, faite et prononcée par le Doyen de leur Compagnie le 16 juillet 1643. À Messire Nicolas de Bailleul, {a} Chevalier, Conseiller du Roi en son Conseil d’État, Président en son Parlement de Paris, Surintendant de ses Finances, et Chancelier de la Reine Régente, Mère du Roi. {b}


  1. Nicolas ii Le Bailleul, V. note [5], lettre 55.

  2. Paris, Macé Bouillette, 1644, in‑4o de 124 pages). Le titre est orné d’une devise : Lauri plus quam Auri [Pour le laurier plus que pour l’or].

6.

« pourquoi traîner dans une aussi belle entreprise ? » V. note [12], lettre 92, pour les Institutiones de Caspar Hofmann (Lyon, 1645).

7.

« Fasse le ciel qu’il soit arrivé en Hollande par un vent favorable et un voyage heureux ! »

On verra plus loin dans la même lettre que tout s’était en effet bien passé pour Claude i Saumaise.

8.

hectique (ou étique en suivant la prononciation populaire) : « épithète qui se donne à une sorte de fièvre qui est presque incurable, qui ne réside point dans les esprits et les humeurs comme les fièvres ordinaires, mais dans les parties solides, et qui consume le corps et le mine petit à petit. Ce mot vient du grec hectikos, qui vient d’hexis qui signifie ce que les Latins entendent par habitus corporis, la constitution du corps. La fièvre hectique attaque toute l’habitude du corps, la masse du sang » (Furetière). Marastique (v. note [27], lettre 446) est synonyme d’hectique.

L’état hectique s’apparente à la phtisie (consomption, cachexie ou tabès ; v. notes [9], lettre 93 et [6], lettre 463), c’est-à-dire à toutes les sortes de dépérissement qui accompagnent les stades terminaux des cancers ou des infections chroniques (tuberculose en particulier). L’adjectif est ici substantivé pour désigner le malade hectique. On ne dit plus aujourd’hui « un hectique », mais « un cachectique » (même étymologie avec aggravation par kakos, mauvais).

V. notes [17], lettre 95, pour Samuel Petit et [26], lettre 104, pour la définition que Fernel a donnée de la fièvre hectique.

9.

« il souffrait de bile noire, et d’une intempérie sèche et chaude des viscères. » V. note [8], lettre 97, pour Saint-Myon où Pierre Du Moulin était allé prendre les eaux.

10.

Qu’il soit fou : « les hypocondriaques sont des malades d’imagination » (Furetière).

11.

La folie est un mal dont on le charge et qu’on lui suppose. Pierre i Du Moulin était alors âgé de 75 ans.

12.

« L’extrême brièveté de la vie nous interdit les longues espérances » (Horace, Odes, livre i, iv, vers 15).

13.

« je ne laisserai rien passer de tout ce que sont mes devoirs à votre égard. » Dans les éditions antérieures à celles de Triaire, tout ce début de lettre a été supprimé depuis « dans lequel vous trouverez… ».

14.

Touchant ce Discours véritable sur le fait de Marthe Brossier… dont l’auteur est incertain (v. note [10], lettre 37), les Archives départementales des Yvelines conservent une lettre de Henri iv :

« M. Marescot, pour ce qu’il y en a quelques-uns qui, par malice ou autrement, font courir un bruit fort préjudiciable à la religion catholique, qu’une nommée Marthe Brossier de Romorantin est démoniaque, et ayant été averti que vous l’aviez vue et visitée avec d’autres médecins de l’Université de ma ville de Paris, je vous ai bien voulu faire ce mot de ma main pour vous prier et commander, comme chose que j’affectionne (pour ce qu’elle importe à mon service), de faire un discours au vrai de ce que vous y avez reconnu, lequel vous ferez imprimer afin que par ce moyen la vérité de ce fait-là soit reconnue d’un chacun, mêmement par les gens de bien ; et < par > sympathie (si aucune y en a) avérée, vous ferez en cela chose qui me sera fort agréable, cette-ci n’étant à autre fin. Dieu nous ait, M. Marescot, en sa garde, ce dernier de mai 1599, à Fontainebleau. Signé Henry. »

Michel i de Marescot (Vimoutiers 1539-Paris 1605), d’une famille originaire d’Italie, se consacra d’abord à la philosophie qu’il enseigna au Collège de Bourgogne, où il eut pour élève Jacques-Auguste i de Thou. Recteur de l’Université de Paris (v. note [3], lettre 595) en 1564, il suivit les enseignements de la Faculté de médecine de Paris dont il devint docteur régent en 1566, puis doyen en 1588-1589. Premier médecin de Henri iv (1595) qu’il renseignait sur ce qui se passait dans Paris au temps de la Ligue, il reçut en récompense des lettres de noblesse en 1596. En 1599, il fut commissaire dans le procès de Marthe Brossier, assisté de Louis Duret, de Jean i Riolan et de Jean Haultin. Michel i Marescot avait épousé Jeanne Vaudor, veuve du médecin Jean Duchon. Leur fille Geneviève avait épousé en 1586 le Grand Piètre, Simon ii (v. note [5], lettre 15). Marescot avait pu demander à son docte gendre de lui prêter sa plume pour accomplir la tâche que le roi lui avait assignée.

15.

V. note [6], lettre 92, pour cet ouvrage de Pierre du Châtel « sur les vies des médecins ».

16.

Ferrante Pallavicino (Parme 1618-Avignon 1644), chanoine régulier de Saint-Augustin, {a} mais écrivain satirique et licencieux, doit sa célébrité aux circonstances romanesques de sa mort {b} et à son livre intitulé :

Il Divortio celeste, Cagionato dalle dissolutezze della Sposa Romana, et Consacrato alla simplicità de’ scropolosi Christiani.

[Le Divorce céleste, provoqué par la dépravation de l’épouse romaine et dédié à la simplicité des chrétiens scrupuleux]. {c}


  1. V. note [42], lettre 324.

  2. V. note [4] du Naudæana 4.

  3. Villafranca, sans nom, 1643, in‑12 de 196 pages.

Guy Patin était impatient d’en lire la traduction française (par Brodeau d’Oiseville) : Le Divorce céleste, causé par les dissolutions de l’Épouse romaine, et dédié à la simplicité des chrétiens scrupuleux, fidèlement traduit d’italien en français (Villefranche, Jean Gibaut, 1644, in‑8o de 173 pages), avec ces deux premiers paragraphes de l’Argument de toute l’œuvre :

« Christ voyant son Épouse, l’Église romaine, prostituée aux appétits désordonnés de plusieurs papes, et particulièrement d’Urbain viii, se résout de faire divorce, ne voulant plus converser avec elle.

Là se déduisent distinctement les raisons qui meuvent Christ à telle résolution : c’est à savoir, à cause de son honneur qu’elle a perdu parmi le monde ; des biens que son Épouse consume continuellement pour contenter les insatibales appétits de ses paillards ; {a} et finalement, pour le mépris odinaire que reçoit le Fils de Dieu de voir afmettre sans honte en sa maison tant de dissolutions, étant déjà Rome réduite en un bourdeau {b} public. »


  1. Débauchés.

  2. Bordel.

Le Christ expose à son Père les motifs de sa résolution. Le Père éternel entreprend d’examiner la conduite de l’Église romaine et charge saint Paul de cette mission secrète : il visite donc l’Italie, et le récit de tous les abus et de tous les scandales qu’il observe remplit le reste de l’ouvrage. Les princes d’Italie se liguent à la fin contre le pape pour arrêter la source de ces dérèglements ; mais un démon suggère à Urbain viii des sentiments de modération et Dieu, pour punir les princes d’Italie de leur faiblesse à céder aux instances du pontife, permet qu’ils restent encore sous sa honteuse influence. Ce virulent pamphlet éclabousse la cour de Rome, ce qui explique l’accueil que les protestants lui réservèrent, et ses nombreuses traductions et rééditions.

Deux livres supplémentaires furent ensuite composés par Gregorio Leti (v. note [1], lettre 943) d’après les intentions de l’auteur. Cette suite contient la continuation du procès, la sentence de divorce et la déclaration d’illégitimité des enfants de l’Église, qui sont les moines et surtout les jésuites. Les choses ne s’arrêtent pas là : chaque secte prétend devenir la nouvelle épouse du Christ ; mais le Christ, instruit par l’expérience, se détermine à vivre désormais en célibataire, c’est-à-dire à ne pas avoir de femme privilégiée (G.D.U. xixe s.).

V. notes [5], lettre 127, pour Pasquin, et [9], lettre 49, pour les Mémoires de Henri de Rohan, publiés en 1644, dont Guy Patin parlait ensuite.

17.

De Plantis a divis sanctis ve nomen habentibus. Caput ex magno volumine de Consensu et dissensu Authorum circa stirpes, desumptum. Iohan. Bauhini Illustr. Princip. D. Friderici Comitis Vvittembergici, Montubelgad. etc. Medici. Additæ sunt Conradi Gesneri Medici Clariss. Epistolæ hactenus non editæ, a Casparo Bauhino, medico et professore Basiliensi ordinario.

[Des Plantes qui tirent leur nom des divinités ou des saints. Chapitre tiré du grand volume de Johannes Bauhinus, {a} médecin de l’illustrissime prince Frédéric, comte de Wurtemberg, Monbéliard, etc., {b} sur les Accords et désaccords entre les auteurs au sujet des plantes. {c} Caspar Bauhin, {d} professeur ordinaire de médecine à Bâle, y a ajouté des lettres, jusqu’ici inédites, de Conradus Gesnerus, {e} très célèbre médecin]. {f}


  1. Médecin de Bâle, Johann Bauhin (Bâle 1541-Montbéliard 1612), fils aîné de Jean (v. note [2], lettre latine 145), s’est illustré en botanique ; il contribua notamment au développement de la culture et de la consommation des pommes de terre en Europe.

  2. Frédéric ier (1557-1608), duc de Wurtemberg en 1580.

  3. V. note [13], lettre 297, pour l’Historia plantarum universalis, nova, et absolutissima, cum Consensu et dissensu circa eas [Nouvelle et très complète Histoire générale des plantes, avec les Accords et désaccords qui existent à leur sujet], par Johann Bauhin et d’autres auteurs (Yverdon, 1650-1651).

  4. Vingt lettres échangées par Conrad Gesner (v. note [7], lettre 9) avec Johann Bauhin.

  5. Caspar Bauhin (v. note [7], lettre 159), frère cadet de Johann.

  6. Bâle, Conrad Waldkirch, 1591, in‑8o de 163 pages.

18.

V. notes [10], lettre 73, pour l’ouvrage de Guillaume Du Val sur les saints médecins, et [33], lettre 97, pour la Geneanthropeia de Joannes Benedictus Sinibaldus.

19.

Construite sur l’ordre de Henri iv et inaugurée en 1612, la place Royale (à cheval sur les iiie et ive arrondissements de Paris) porte depuis la Révolution de 1848 le nom de place des Vosges.

20.

Maurice, comte de Coligny, aîné des quatre enfants de Gaspard iii de Coligny, maréchal de Châtillon (v. note [12], lettre 22), et d’Anne de Polignac, tint une place remarquée dans la vie mondaine de son temps. Une cabale montée par Mme de Montbazon (maîtresse du duc de Beaufort après avoir été celle du duc de Longueville, v. note [14], lettre 93), à partir de fausses lettres, avait cherché à rendre publique la passion de Coligny pour Mme de Longueville, sœur du duc d’Enghien. La supercherie ayant été découverte, Coligny, l’offensé, voulut laver l’affront par les armes. Ne pouvant s’attaquer à Beaufort, alors enfermé à Vincennes, il s’en prit à Henri de Lorraine, duc de Guise et allié du prisonnier.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 128‑130) :

« Le dimanche 13 décembre, je vis M. de Saint-Pouange qui nous dit qu’un gentilhomme nommé l’Estrade était allé le samedi matin appeler M. de Guise de la part de M. de Coligny et avait pris heure dans la Place Royale à trois heures ; que M. de Guise n’en avait rien fait paraître tout le matin et s’était rendu à la place avec Bridieu, son confident, et un page ; et ayant vu M. de Coligny, s’était avancé à lui l’épée à la main ; que d’abord M. de Coligny recula ; que néanmoins, ayant voulu porter une longue estocade, le pied de derrière lui avait manqué et qu’il était tombé sur les genoux ; que, sur ce temps, M. de Guise avait passé sur lui et mis le pied sur son épée ; que M. de Coligny n’ayant pas voulu demander la vie, M. de Guise lui avait dit “ Je ne vous veux pas tuer, mais vous traiter comme vous méritez pour vous être adressé à un prince de ma naissance sans vous en avoir donné sujet ”, et lui avait donné plusieurs coups du plat de l’épée sur les oreilles. De quoi Coligny, outragé, ayant fait un pas en arrière, avait dégagé son épée et s’était mis de nouveau en présence ; que dans ce second rencontre, M. de Guise avait été blessé légèrement à l’épaule et Coligny à la main ; que M. de Guise ayant passé une seconde fois sur Coligny, s’était saisi de son épée, dont il avait la main un peu coupée, et la lui avait ôtée ; qu’il avait eu tout l’avantage ; que Bridieu avait désarmé l’Estrade et était blessé à la cuisse ; que le page avait été attaqué par trois laquais de Coligny, s’était vaillamment défendu et était aussi blessé ; que c’était une suite de l’affaire de Mme de Longueville et de Mme de Montbazon. Toute la cour allait chez M. de Guise, qui avait acquis une grande réputation de ce combat, et chez M. le duc d’Enghien. […]

Le lundi 14 décembre, je fus chez M. Gilbert, conseiller. Il me dit que le Parlement, les chambres assemblées, avait donné commission au procureur général pour informer du duel et avait permis d’obtenir monitoire ; {a} que la reine avait dit à Messieurs du Parlement […] qu’elle ferait observer l’édit des duels contre qui que ce fût. Je vis au retour Guillemot qui me dit que tout le monde blâmait Coligny ; qu’il était allé en Hollande ; que l’on disait que M. de Guise était à Meudon, mais qu’il était à Paris ; que la reine n’avait dit autre chose à Mme de Guise lorsqu’elle l’avait vue le soir même du combat, sinon qu’elle voulait être obéie. Chacun disait que la reine devait se servir de cette occasion pour faire grand bruit et conserver son autorité. »


  1. V. note [17], lettre 398.

On fit cette chanson sur ce combat :

« Essuyez vos beaux yeux,
Madame de Longueville,
Essuyez vos beaux yeux ;
Coligny se porte mieux.
S’il a demandé la vie,
Ne l’en blâmez nullement,
Car c’est pour être votre amant
Qu’il veut vivre éternellement. »

Lors d’un second duel, le 23 mai 1644, Guise tua Coligny.

21.

« ce que plaise à Dieu de faire ».

22.

Leyde (Leiden en néerlandais, Lugdunum Batavorum en latin) était la principale ville du sud de la Hollande, entre La Haye au sud et Amsterdam au nord, sur les berges du vieux Rhin (Oude Rijn), à une quinzaine de kilomètres de la côte. Par sa prospérité commerciale et industrielle, et par sa population en plein essor (45 000 habitants en 1622, autour de 70 000 en 1670), Leyde était au xviie s. la deuxième ville des Provinces-Unies après Amsterdam.

C’est la ville néerlandaise que Guy Patin a le plus citée dans ses lettres parce qu’elle était le siège d’une prestigieuse Université fondée en 1575, et le plus grand centre de la librairie hollandaise depuis que les dynasties Plantin (v. note [8], lettre 91) et Elsevier (v. note [15], lettre 201) y avaient installé leurs presses.

23.

« qui par tous les moyens, bons comme mauvais [de façon licite comme illicite], usurpent la vérité pour l’iniquité. »

24.

Enrico Catherino Davila (1576-1631) avait dû son prénom à la reconnaissance de son père pour Henri ii et Catherine de Médicis qui l’avaient accueilli quand il avait été chassé de Chypre. D’abord page des deux souverains, Henri-Catherin se distingua ensuite dans leurs armées, puis rentra en Italie pour se consacrer aux lettres. À la suite d’un duel où il tua un poète qui l’avait ridiculisé, il dut quitter Parme pour Venise où il reprit ses activités guerrières (G.D.U. xixe s.). Son histoire des guerres civiles de France est intitulée :

Historia delle guerre civili de Francia… Nella quale si contengono le operationi di quattro re, Francesco ii, Carlo ix, Henrico iii, Henrico iv, cognominato il grande…

[Histoire des guerres civiles de France… où sont contenues les actions de quatre rois, François ii, Charles ix, Henri iii, et Henri iv, surnommé le Grand…] {a}


  1. Venise, Paolo Baglioni, 1638, in‑8o de 1 054 pages, en 15 livres couvrant la période 1559-1598 ; Lyon, sans nom, 1641, in‑4o, parmi de nombreuses rééditions ; traduite en français par Jean Baudoin (Paris, 1657, v. note [57] du Bornoniana 5 manuscrit).

25.

Condom (Gers), en Armagnac, était le siège d’un évêché depuis le xive s. Elle a cessé de l’être en 1792. Son plus célèbre évêque a été Jacques-Bénigne Bossuet, de 1669 à 1671 (v. note [4], lettre 972).

26.

Souvenirs. V. note [9], lettre 12, pour l’Histoire de Scipion Dupleix (Paris, 1621-1643).

27.

« pour servir le bon plaisir des grands. »

28.

« Ce fut avec quelque soupçon d’empoisonnement. » Le surintendant des finances, Le Bailleul, ne mourut qu’en 1652.

29.

« qui est survenue de manière soudaine. »

30.

« par le moyen de nombreux crimes. »

31.

« là où il est question des maladies du nez. »

32.

Guy Patin renvoyait Charles Spon à un passage de la thèse qu’il avait écrite et présidée le 17 décembre 1643 (v. supra note [4]), Estne totus homo a natura morbus ? [Par nature, l’homme n’est-il pas tout entier maladie ?]. Elle est intégralement traduite et commentée dans notre édition. Cet acrostiche latin (succession de mots dont les initiales en forment un autre) est un assaut dissimulé contre Théophraste Renaudot (3e des 5 articles, v. la note [31] de la thèse susdite) :

ex isto enim Nasorum genere, qui rancidulo ore loquuntur, hoc est αηδως και δυσχερως, vulgo nebulones sunt Ridiculi, Effrænes, Nefarii, Ardeliones, Vafri, Dolosi, Obscæni, Turbulenti.

[en effet, à ce genre de nez qui parlent d’une voix aigrelette, c’est-à-dire odieusement et insupportablement, qu’on appelle partout des fripons, appartiennent les Ridicules, les Effrénés, les Néfastes, les Agités, les Vauriens, les Dissimulateurs, les Obscènes, les Trublions]. {a}


  1. Renavdot : ma version française a dû tricher un peu (sur vafri, « fourbes », que j’ai traduit par « vauriens ») pour reproduire l’acrobatie de Patin.

En dépit de sa riche documentation, Georges Gilles de la Tourette n’a pas parlé de cette infamante facétie dans son Théophraste Renaudot… (Paris, 1884, v. notre Bibliographie). Edmond Rostand a pu toutefois y faire allusion dans son Cyrano de Bergerac (1897), quand Renaudot, « l’inventeur de la Gazette », importune Cyrano en lui disant (acte ii, scène 7, chez le rôtisseur Ragueneau) :

« Je veux faire un pentacrostiche sur votre nom. »

Même si celui de Patin était un « octacrostiche », j’adresse tous mes remerciements à Mme Sarah Al-Matary, maître de conférences à la Faculté des lettres de l’Université Lumière-Lyon 2, qui a attiré mon attention sur ce singulier détail (à Łódź, le 19 octobre 2018, v. notre Journal de bord).

33.

« Coquille se dit figurément de toute sorte de marchandise dont on trafique. Ce marchand vend bien ses coquilles. “ À qui vendez-vous vos coquilles ? à ceux qui reviennent de Saint- Michel ” se dit aux vendeurs qui croient que les acheteurs ne connaissent pas le prix de ce qu’ils marchandent » (Furetière).

V. note [20], lettre 88, pour les déboires de François Sublet de Noyers.

34.

« malheur du siècle ».

35.

« pour se châtier. Certains soupçonnent qu’un ulcère dans le poumon est imminent, et d’autres, une maladie vénérienne, ce que je croirais volontiers ; je sais en effet que ce vaurien est extrêmement débauché. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 décembre 1643

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0098

(Consulté le 28/03/2024)

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