L. 112.  >
À Claude II Belin,
le 1er octobre 1644

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de tout mon cœur de tant de peine que je vous donne pour M. Bareton. [1][2] Cet homme n’a guère de courage, je n’ai pourtant regret en toute cette affaire qu’à la peine que vous en avez prise. Nous avons enfin un pape [3] qui est Jo. Baptista Pamphylius, neveu d’un cardinal Hieron. Pamphylius, sous Clément viii[4][5][6] il a pris le nom d’Innocent x[7] et dit qu’il espère de mettre la paix en l’Europe et qu’il ne veut demander à Dieu que cette grâce. Il a 72 ans, mais il est vigoureux. Il n’est pas savant ni homme de livres, mais grand homme dans les affaires, dans les négociations et dans les intérêts des princes, comme ayant été dans de grands emplois perpétuellement depuis près de 50 ans. Il a bâtards et bâtardes. [2] Il a deux cardinaux qui le gouvernent, savoir Spada [8] et Panciroli, [3][9] qui sont les deux ennemis jurés du cardinal Mazarin, [10] qui a un tel regret de cette promotion qu’il en a pensé être malade bien fort, en ayant eu un accès de fièvre qui a duré 55 heures et pour lequel il a été saigné deux fois. [4][11][12] Il est à Fontainebleau [13] avec le roi, [14] la reine [15] et toute la cour, où M. de Nemours [16] a reçu commandement de se retirer ; il est gendre de M. de Vendôme. [5][17] M. le maréchal de Vitry [18] est mort à six lieues d’ici d’une fièvre continue. [6][19] Le pape d’aujourd’hui a été dataire du cardinal Barberin, [20][21] in legatione Gallica et Hispanica[7] puis nonce à Naples, [22] puis en Espagne. Il est un des habiles hommes du conclave, [23] bien résolu et qui entend des mieux les affaires. Le bon cardinal Bentivoglio [24] est mort avant l’élection ; [8] il y en a plusieurs autres malades, entre autres le cardinal de Lugo, [25] jésuite. M. de Saumaise [26] quitte la Hollande et s’en vient demeurer à Paris, moyennant 6 000 livres par an qu’on lui assigne sur un fonds assuré. Institutiones medicæ Casp. Hofmanni Lutetiæ excuduntur ; [9][27] elles sont à moitié faites, ce sera un excellent livre. La reine d’Angleterre [28] est aux bains de Bourbon [29] avec MM. Chartier [30] et de Poix, [31] nos confrères. On vend ici les trois livres des commentaires de M. Grotius [32] in Vetus Testamentum[10] in‑fo, 21 livres reliés. Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 1er d’octobre 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 91 ; Triaire no cxv (pages 422‑424) ; Reveillé-Parise, no lxxvii (tome i, pages 119‑120).

1.

Le nom de Bareton (v. note [5], lettre 105) a été soigneusement caviardé sur le manuscrit.

2.

Giambattista Pamphili (ou Pamfili, Rome 6 mai 1574-ibid. 7 janvier 1655) avait été nommé par Clément viii auditeur de la Rote (v. note [33], lettre 342) en 1604, quand son oncle Girolamo Pamfili (1544-1610), doyen de ce tribunal pontifical, avait reçu le chapeau de cardinal. Giambattista, nonce en Espagne en 1626, avait été reçu cardinal en 1630.

Élu pape le 15 septembre grâce aux divisions du conclave et en dépit du cardinal Mazarin (v. infra, note [4]), il prenait le nom d’Innocent x. Il fit poursuivre pour concussions les cardinaux Barberini qui avaient cependant contribué à son élévation, les contraignit ainsi à chercher un asile en France. Il se réconcilia plus tard avec cette puissante famille grâce à l’intervention de Mazarin, dont il avait été longtemps l’ennemi, mais qu’il avait intérêt à ménager. En 1649, l’assassinat impuni de l’évêque de Castro l’entraîna dans une guerre contre le duc de Parme et de Castro, Ranuce ii Farnèse (v. note [11], lettre 650) ; Innocent x fit raser la ville coupable et élever sur son emplacement une pyramide avec cette inscription : « Ici fut Castro » (Qui fù Castro). Il condamna par la bulle Cum occasione les Cinq Propositions extraites de Jansenius (31 mai 1653, v. note [16], lettre 321).

Deux favorites, sa belle-sœur, donna Olimpia Maidalchini, et la princesse de Rossano, eurent la plus grande influence sur ses déterminations. Vendant au plus offrant les dignités civiles et ecclésiastiques, ces deux dames furent l’objet de la haine publique et l’occasion d’une multitude de pamphlets où la personne même du pape n’était pas épargnée (G.D.U. xixe s.). Les bâtards attribués à Innocent x sont une pure médisance de Guy Patin.

3.

Bernardino Spada (Brisighella 1594-Rome 10 novembre 1661) avait été nonce apostolique en France de 1623 à 1627. Sacré cardinal en 1627, il avait été légat à Bologne de 1627 à 1631. Il jouissait d’une réputation de mécène protecteur des arts.

Fils d’un tailleur, Giovanni Giacomo Panciroli (Gianjacopo Pancirole ou Panziroli, Rome 1587-ibid. 3 septembre 1651), avocat de la curie romaine (v. note [8] du Borboniana 1 manuscrit), avait accompagné le futur Innocent x comme auditeur dans ses nonciatures à Naples et en Espagne. Nommé cardinal en 1643, il était secrétaire d’État d’Innocent x, ayant en charge la direction des affaires temporelles et les relations internationales de l’Église romaine. Il exerça ces fonctions jusqu’à sa mort. Attaché au clan des Barberini, il était l’ennemi juré de Mazarin depuis l’affaire de Casal, et œuvra énergiquement contre l’emprise que donna Olimpia exerçait sur Innocent x.

4.

Mazarin avait en effet été profondément affecté par l’élection d’Innocent x, favori de l’Espagne, et l’avait combattue par tous les moyens en son pouvoir. Les instructions qu’il avait fait parvenir à l’ambassadeur du roi à Rome, le marquis de Saint-Chamond, étaient des plus précises et excluaient en secret et même ouvertement le cardinal Pamphili. Malheureusement, dans ce conclave qui avait duré du 9 août au 15 septembre, la défection des cardinaux du parti des Barberini jusqu’alors alliés de la France, la trahison de certains cardinaux pensionnés par le gouvernement français et l’incapacité ou le défaut de zèle de l’ambassadeur français permirent d’écarter les candidats de Mazarin, les cardinaux Saccheti et Alfieri, et de porter Pamphili à la papauté. Mazarin tomba malade et resta éloigné des affaires jusqu’au mois d’octobre 1644 (Triaire).

Guth (age 333) :

« Mazarin n’a pas digéré la ciguë du conclave. Dans une dépêche du 22 novembre 1644, Nani {a} peint les réactions de l’Éminence durant une audience où la conversation tomba sur l’élection du pape : “ On ne saurait exprimer l’animation avec laquelle il discourut, jetant feux et flammes, s’agitant à tel point que je craignais que sa santé, trop faible encore pour résister à l’attaque violente des passions, n’en reçût un sérieux préjudice. ” Ne pouvant détrôner le pape, Mazarin déboulonnera ceux qui l’ont fait ou laissé élire. D’abord le cardinal Antoine Barberini. Lui et son frère sont la risée de Rome. […] Les Romains se demandent quel traitement la France réserve à ces traîtres, surtout à Antoine. Ils croient en général que Mazarin les fustigera d’un fouet de velours pour ne pas les rejeter vers l’Espagne ou ne pas effrayer le pape. Ils se trompent, le 12 octobre un courrier emporte un message pour notre ambassadeur à Rome rédigé au nom du roi : “ Je désire donc qu’aussitôt que la présente vous sera remise, vous alliez sans perdre de temps demander audit cardinal {b} le brevet, dont je l’avais honoré, de la protection des affaires de mon royaume et lui faire lever les armes de dessus la porte de son palais, ne voulant pas qu’une personne si indigne de mes bonnes grâces conserve dans le public aucune marque de les posséder. ” »


  1. Giovan Battista Nani, ambassadeur de Venise à Paris de 1643 à 1668.

  2. Antonio Barberini, le cardinal Antoine.

5.

Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours (v. note [9], lettre 84), était depuis un an l’époux d’Élisabeth de Nemours, fille de César Monsieur ; il appartenait au parti des Malcontents, opposé à Mazarin dont le pouvoir grandissait sans relâche.

6.

Nicolas de L’Hospital, duc et maréchal de Vitry (v. note [3], lettre 19) était mort le 28 septembre, dans sa maison de Nandy, près de Melun (Triaire).

7.

« en la légation de France et en celle d’Espagne ».

Dataire : « titre d’office à la chancellerie de Rome et qui vient de ce qu’autrefois le dataire marquait la date de toutes les suppliques » (Littré DLF). Le dataire du légat était son conseiller et premier secrétaire.

Bien que de 23 ans son aîné, Giambattista Pamphili (futur Innocent x) avait été dataire de Francesco Barberini (Florence 1597-Rome 1679) quand il était légat en France et en Espagne (1625-1626). Surnommé le cardinal Barberin, Francesco était l’aîné des trois neveux du pape Urbain viii (Maffeo Barberini, v. note [19], lettre 34), les deux autres étant Taddeo et Antonio. Ayant reçu le chapeau de cardinal en 1623, Francesco avait été chargé de plusieurs légations et nonciatures en France, en Espagne et à Venise, puis avait dirigé les affaires étrangères du Saint-Siège à partir de 1628. Il avait été l’un des dix juges de Galilée (v. note [19], lettre 226), dont il tenta d’adoucir la sentence. Dans cette période faste, Mazarin s’était mis au service diplomatique de Francesco. La mort d’Urbain viii plongeait ses trois neveux dans la disgrâce. Même s’ils avaient favorisé son élection, Innocent x les menaça pour leurs prévarications, ils durent se réfugier en France, sous la protection de Mazarin dont ils avaient tant favorisé la politique (mais ils avaient trahi sa confiance durant le conclave), et leurs biens furent saisis. Francesco quitta Rome le 15 janvier 1646 avec son frère Taddeo (v. note [8], lettre 132) pour rejoindre à Paris Antonio, le cardinal Antoine, qui y était parti en septembre 1645 (v. note [4], lettre 130). Revenus en grâce en 1648, les trois frères regagnèrent Rome où ils recouvrirent leurs biens et menèrent une opulente existence, tournée vers la protection des arts et des lettres.

8.

Le cardinal Bentivoglio (v. note [9], lettre 62) avait été le candidat le plus recommandé par Mazarin, et il aurait peut-être rallié les suffrages du conclave, mais il mourut le 7 septembre.

9.

« On imprime à Paris [sic pour Lyon] les Institutions médicales de Caspar Hofmann ».

Elles ont paru à Lyon en 1645 (v. note [12], lettre 92).

10.

« sur l’Ancien Testament » (v. note [11], lettre 71).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 1er octobre 1644

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(Consulté le 20/04/2024)

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