L. 114.  >
À Claude II Belin,
le 29 octobre 1644

Monsieur, [a][1]

Il me déplaît fort de l’affaire de M. Bareton. [1][2] J’ai empêché que l’apothicaire ne continuât de le poursuivre et ai pris la hardiesse d’en écrire un petit mot à Monsieur son père, [3] lequel je prie d’y donner ordre, et que je vous prie de lui présenter de ma part afin de finir ce petit différend. Depuis la mort du bon cardinal Bentivoglio, [4] nullus obiit ex purpuratis patribus ; [2] il y a dix places vacantes ; le pape [5] n’a point encore fait de promotion, mais il a fait libéralité et largesse à tous ses anciens serviteurs, et a obligé de fort bonne grâce tous ceux à qui il a donné les offices qui vaquaient ; et entre autres adscivit sibi in comitem laboris, et in quem maiores sui Pontificatus curas deponere meditatur[3] le cardinal Panciroli [6] qui a été nonce en Espagne, et qui était le grand et presque perpétuel agent du feu pape Urbain viii[7] Ce Panciroli est homme de grand esprit, de grande intrigue, que le pape a fait loger dans son palais propre et qui est fils d’un tailleur de Rome. M. de Saumaise [8] est encore en Hollande. On dit qu’il sera ici fort persécuté des jésuites [9] quand il y sera. Il a perdu deux de ses enfants depuis trois mois de la petite vérole, [10] et entre autres une grande fille. Son livre de cæsarie est arrivé, aussi bien que Polyander de coma[11] qui a écrit pour la même cause, sed de utroque nihil ausim affirmare[4] vu qu’ils sont encore chez le relieur ; nihil tamen nisi magnificum sentio de priore, ut par est[5] Je n’ai jamais vu le Speculum Iesuiticum [12][13] duquel vous m’écrivez, je vous prie de me mander s’il est grand et où il a été imprimé. [6] Habes filium studiosum et bonæ indolis ; qui frugem, spero, faciet[7][14] Toute la cour est ici de retour. Le cardinal Mazarin [15] est guéri de sa double-tierce [16] que lui a causée (tant qu’une cause externe peut agir) la grande puissance que le cardinal Panciroli a aujourd’hui, lequel est ennemi juré et irréconciliable du Mazarin qui l’a voulu autrefois ruiner dans l’esprit du feu pape. La reine d’Angleterre [17] sera ici dans le 15e du mois prochain. Rumor est, sed adhuc obscurus et dubius[8] que la reine d’Espagne [18][19] est morte. Je vous baise les mains, à Mme Belin et à Messieurs vos frères, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 29e d’octobre 1644


a.

Ms BnF no 9358, fo 92 ; Triaire no cxvii (pages 434‑435) ; Reveillé-Parise, no lxxviii (tome i, pages 121‑122).

1.

À nouveau ici, le nom de l’indélicat Bareton (v. notes [5], lettre 105 et [1], lettre 112), que le contexte impose, a été soigneusement barré sur le manuscrit et surmonté de neuf points de suspension.

2.

« aucun autre père empourpré [cardinal] n’est mort » ; v. note [32], lettre 113.

3.

« il a appelé à lui son compagnon de travail et médite de lui confier les plus grandes administrations de son pontificat » ; v. note [3], lettre 112, pour le cardinal Panciroli.

4.

« mais de l’un comme de l’autre, je n’oserais rien assurer » ; v. note [27], lettre 113, pour ces deux ouvrages de Saumaise et de Polyander (Iohannes van Kerckhoven).

5.

« toutefois, je ne préjuge rien du premier si ce n’est que, comme de coutume, ce sera quelque chose de magnifique. »

6.

Ce titre peut correspondre à deux ouvrages virulents contre les jésuites.

  1. Speculum Jesuiticum Romanorum erga imperatores Germanicos perfidiam, insolentiam ac tyrannidem repræsentans, et Romanam Babylonem papam autem Rom. ipsum esse antichristum, demonstrans. Una cum appendice, qua, præter superiora, scelerata Romanorum pontificum vita et tragicus eorum interitus, denique blasphemæ canonistarum, de papæ autoritate, maioritate, et primatu, assertiones recensentur. Sectæ iesuiticæ, inter omnes monachorum familias pestilentissimæ, opposita, a qua orthodoxia hostiliter impetitur, tenera iuventus insidiose corrumpitur, pax publica nefarie perturbatur, et, ruptis societatis humanæ vinculis, seditionum incendia sceleratissime excitantur, et late per christianum orbem universum sparguntur. Edente hæc Ioachimo Ursino anti-jesuita.

    [Le Miroir des jésuites, représentant la perfidie, l’arrogance et la tyrannie des pontifes romains envers les empereurs allemands, et montrant la Babylone romaine et aussi que le pape de Rome lui-même est l’Antéchrist. {a} Avec un appendice où, entre autres, sont passées en revue la vie scélérate des pontifes romains et leur mort tragique, et enfin les assertions blasphématoires des canonistes sur l’autorité, l’éminence et la primauté du pape. Contre la secte jésuitique, la plus pestilentielle d’entre toutes les familles de moines, qui s’attaque férocement à l’orthodoxie, qui corrompt insidieusement la tendre jeunesse, qui perturbe abominablement la paix publique, qui, en rompant les liens de la société humaine, allume criminellement des incendies séditieux, et qui essaime partout dans le monde chrétien. Toutes choses qui sont mises au jour par Joachim Ursinus, {b} antijésuite]. {c}


    1. V. note [9], lettre 127.

    2. Joachimus Ursinus est le nom latin de Joachim Beringer (ursinus, ours, bär en allemand) théologien protestant originaire d’Amberg (Michaud).

    3. Amberg, Johann Schönfeld, 1609, in‑8o de 288 pages ; titre sur lequel Guy Patin est revenu l’année suivante dans deux lettres à Claude ii Belin.

  2. Jubileum, sive Speculum Jesuiticum, exhibens præcipua Iesuitarum scelera, molitiones, innovationes, fraudes, imposturas et mendacia, contra statum Ecclesiasticum, Politicumque, in, et extra Europeam orbem, primo hoc centenario confirmati illius Ordinis, instituta et perpetrata ; ex variis Historiis, inprimis vero Pontificiis collecta… Opera et studio I. L. W. O. P.

    [Jubilé, ou le Miroir des jésuites, exhibant les principaux crimes, intrigues, inventions, fraudes, impostures et mensonges que les jésuites ont organisés et perpétrés contre l’institution ecclésiastique et politique en Europe et en dehors, dans le monde entier, pour célébrer le premier centenaire de la confirmation de cet Ordre ; {a} et tirés de diverses histoires, mais principalement pontificales… Par le travail et ses soins de I. L. W. {b} natif d’Ottersheim dans le Palatinat]. {c}


    1. La Compagnie de Jésus, fondée par Ignace de Loyola, a été consacrée à Rome en 1541 (v. première notule {f}, note [9] du Naudæana 3.

    2. Johann Leonhard Weidner (1588-1655) est un pédagogue luthérien qui a enseigné dans divers collèges d’Allemagne.

    3. Sans lieu ni nom, 1643, in‑12 de 240 pages.

Guy Patin ne lisant pas l’anglais, j’écarte le :

Speculum Jesuiticum, or The Iesuites looking-glasse. Wherein they may behold Ignatius (their Patron) his progresse, their owne pilgrimage : His life, their beginning, proceedings, propagation, and present state, or greatnesse. Together with a true Catalogue of all their Colledges, profess’d Houses, Houses of Approbation, Seminaries, and Houses of Residence in all parts of the world. And lastly, the true number of the Fellowes of their Societie, taken out of their owne Bookes and Catalogues. Which may serve as a fore-warning for England, to chase away in time, this trayterous and insociable Societie, or disordered Iesuiticall Order. By L.O. that hath beene an occular witnesse of their Impostures and Hypocrisie.

[Speculum jesuiticum, ou le Miroir des jésuites. Où ils peuvent voir Ignace (leur patron), sa progression, leur propre pèlerinage : sa vie, leurs débuts, manières de faire, propagation et situation présente ou grandeur. Avec le vrai catalogue de leurs collèges, maisons professes, maisons d’approbation, séminaires et maisons de résidence dans toutes les parties du monde. Et enfin, le véritable nombre des compagnons de leur Société, tiré de leurs propres livres et registres. Qui peut servir de mise en garde à l’Angleterre, pour chasser tant qu’il est temps cette Société traîtresse et asociale, ou Ordre jésuitique désordonné. Par L.O. {a} qui a été témoin oculaire de leurs impostures et de leur hypocrisie]. {b}


  1. Lewis Owen (1572-1629 ?), pamphlétaire anglais, qui aurait été membre de la Compagnie Jésus.

  2. Londres, T.C. (Thomas Cotes), 1629, in‑4o de 70 pages.

7.

« Vous avez un fils [Nicolas] studieux et d’un bon caractère ; j’espère qu’il fructifiera. »

8.

« La rumeur court, mais elle est encore obscure et douteuse ».

Élisabeth de France (Fontainebleau 1602-Madrid 6 octobre 1644) était l’aînée des trois filles de Henri iv et de Marie de Médicis. En 1615, elle avait épousé Philippe iv, roi d’Espagne. Elle avait si bien adopté sa nouvelle patrie qu’elle se déclara en 1643 contre la France, excita son époux à prendre les armes et pendant l’absence de Philippe, gouverna le royaume avec autant de fermeté que de sagesse. Sa mort fut pour l’Espagne une perte cruelle. Elle était la mère de l’infante Marie-Thérèse qui devint reine de France en épousant son cousin, Louis xiv (1660). En 1649, fort désireux d’un héritier mâle, Philippe iv se remaria avec Marie-Anne d’Autriche (G.D.U. xixe s.).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 29 octobre 1644

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(Consulté le 20/04/2024)

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