L. 127.  >
À Charles Spon,
le 24 octobre 1645

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière j’ai appris que le comte d’Olivares [2] est mort en Espagne avec grand regret du roi [3] car, quoiqu’il semblât disgracié, il ne laissait pas toujours d’avoir grand crédit dans l’esprit de son maître ; et de fait le gouvernement est encore entre les mains du comte de Haro, [4] son neveu. Les Espagnols font courir le bruit que le jour de sa mort il arriva le plus grand orage qui se vît jamais, et même qu’une petite rivière se déborda si furieusement qu’elle pensa noyer tout Madrid. [1] Je laisse tous ces prodiges qu’on dit arriver à la mort des grands à Tite-Live [5] et à quelques autres anciens historiens, [2] et à la superstition des Espagnols. Je crois qu’ils meurent tout à fait comme les autres, en cédant à la mort qui ne manque jamais de venir en son temps. Nous avons ici vu mourir le cardinal de Richelieu [6] naturellement comme les autres, sans miracle [7] aussi bien que sans orage, un des beaux jours de l’année, quoique ce fût le 4e de décembre. Ce serait une belle affaire si la terre était délivrée de cette engeance de tyranneaux qui ravagent tout ; mais je pense que cela n’arrivera jamais car Dieu le permet à cause des péchés du peuple ; joint que si la race en venait à manquer, comme celle des loups en Angleterre, je crois qu’il en renaîtrait d’autres aussitôt, puisque nous voyons tous les jours cette vérité que l’homme est un loup à l’homme même[3][8] La signora Olympia, [9] belle-sœur du pape, [10] et qui lui gouverne le corps et l’âme, gouverne aussi le papat. [4] On dit qu’elle vend tout, prend tout, et reçoit tout. Elle est devenue, aussi bien que les avocats, un animal qui prend à droite et à gauche ; ce qui a fait dire un bon mot à Pasquin : [11] Olympia, olim pia, nunc harpia[5] Et comme cette femme est en crédit, j’ai peur qu’on ne nous débite encore quelque jubilation spirituelle, comme si elle avait parlé au Saint-Esprit.

Ces jours passés mourut à Pignerol [12] M. le président Barillon, [13] homme d’honneur et digne d’un meilleur siècle ; et M. le président Gayant, [14] fort vieux et disgracié, est mort ici. Ces deux hommes étaient véritablement ex ultimis Gallorum[6] et il n’y en a plus guère de leur trempe. Un sac de pistoles, et quelque chose bien moindre quelquefois, emporte aujourd’hui la générosité des Français qui, au lieu d’être honnêtes gens et courageux comme leurs aïeux, sont devenus de misérables pécores. [7] J’ai peur que la vertu ne finisse ici, tant je vois de corruption.

Enfin nous avons appris que M. Grotius [15] est mort à Rostock [16] d’une fièvre continue [17] à son retour de Suède. [8] On dit que ce n’est pas sans soupçon de poison de la part des luthériens [18] à cause de ce qu’il a écrit de l’Antéchrist [19] en faveur du pape ; [9] mais je ne pense pas qu’on empoisonne en ce pays-là, comme on fait en quelques endroits d’Italie. [20] On n‘a point bien pu savoir sa religion depuis 20 ans. Dans sa querelle contre M. Rivet, [10][21] il semblait favoriser le parti des catholiques romains. Il était hollandais et avait été arminien, [22] il était ambassadeur d’une reine luthérienne ; [11][23][24] il est mort dans une ville luthérienne entre les bras d’un ministre luthérien, lui qui haïssait fort Luther [25] et Calvin. [12][26] Quelques-uns disent qu’il est mort socinien, [27] et que quelque mine qu’il fît, il l’était dans son âme. [13] Cette secte est ainsi nommée de Lælius [28] et Faustus Socinus, de Sienne, [29] qui ont répandu leur pestilente doctrine dans la Pologne, la Transylvanie [30] et la Hongrie. [14] C’étaient deux Italiens d’un esprit subtil, oncle et neveu, qui voulant raffiner en matière de religion, vinrent à nier, comme les Turcs, la divinité de Jésus-Christ que les Saints Pères ont si solidement confirmée. Depuis que Grotius était sorti de Paris, on avait imprimé de lui à Amsterdam [31] un nouveau livre contre M. Rivet, dans lequel il se range fort du parti du pape et se sert de l’autorité du P. Petau [32] qu’il appelle son ami. [15] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

De Paris, ce 24e d’octobre 1645.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no vii (pages 26‑29) ; Bulderen, no vii (tome i, pages 20‑22) ; Triaire no cxxx (pages 475‑478) ; Reveillé-Parise, no clxxxviii (tome i, pages 362‑364).

1.

Don Gaspar de Guzmán y Pimentel, comte-duc d’Olivares (Rome 1587-Toro 22 juillet 1645), avait été nommé en 1621 ministre de Philippe iv, roi d’Espagne, qui venait de monter sur le trône. Il avait dû se résoudre à se retirer en janvier 1643 après avoir détenu pendant 22 ans les pleins pouvoirs, mais en allant de revers en revers, notamment contre la France et Richelieu. « Pendant quelques jours, le corps embaumé reposa sur un lit de parade de brocart d’or […]. Il fut ensuite transporté à l’église de San Ildefonso de Toro où les messes chantées se succédèrent, pendant qu’on attendait l’autorisation du roi pour transporter le corps à Loeches où il serait enterré et où la comtesse d’Olivares était retournée le 5 août. le moment venu, le cortège funèbre partit pour le lent voyage jusqu’à sa maison, le tonnerre et les éclairs jouant dans le ciel une musique appropriée lorsqu’on s’arrêta aux portes de Madrid. Pour la dernière étape, le comte-duc fut accompagné par le cercueil de sa fille María, ressorti de son caveau provisoire à l’église Santo Tomás de Madrid. Au cours d’une cérémonie quelque peu désorganisée à l’église du couvent de Loechez, le père et la fille furent inhumés côte à côte » (John H. Elliott, Olivares, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 1992, page 783). La Gazette n’a rien dit de ces funérailles en un royaume alors ennemi de la France.

Don Luis Menéndez de Haro y Sotomayor (Valladolid 1599-Madrid 26 novembre 1661) était par sa mère, doña Francisca de Guzmán, le neveu du comte d’Olivares. Il lui avait succédé dans le ministère en 1643. Il s’efforça de guérir les plaies de l’Espagne et s’il ne fit pas de grandes choses, il montra du moins une prudence et une réserve qui lui étaient, au reste, commandées par l’épuisement de son pays. Les événements les plus importants de son administration furent la reconnaissance de l’indépendance des Provinces-Unies (1648) et la conclusion de la paix avec la France (traité des Pyrénées, 1659). Ce fut lui qui représenta le roi d’Espagne dans la cérémonie du mariage de l’infante à Fontarabie (3 juin 1659). En récompense de ses services, Philippe iv érigea en sa faveur le marquisat de Carpio en duché-grandesse (G.D.U. xixe s.).

2.

Dans son Histoire de Rome (Ab Urbe condita) en 45 livres (de 753 à 167 av. J.‑C.), dont 35 nous sont parvenus, Tite-Live (Padoue 59 av. J.‑C.- ibid. 17 apr. J.‑C.), historien latin, a rapporté quantité de prodiges survenant à la mort des grands personnages.

3.

Plaute, Asinaria (acte ii, scène iv, vers 495) :

Lupus est homo homini, non homo, quom, qualis sit, non novit.

[Pour l’homme qu’il ne connaît pas, quel qu’il soit, l’homme est un loup, et non un homme]. {a}


  1. Reprise en latin d’un proverbe grec, Ανθρωπος ανθρωπου λυκος [Homo homini lupus, L’homme est un loup pour l’homme] qu’Érasme a commenté dans ses Adages (no 70) :

    Quo monemur, ne quid fidamus homini ignoto, sed perinde atque a lupo caveamus.

    [Cela nous prévient qu’il ne faut en rien se fier à un homme inconnu, et nous en garder comme d’un loup].


4.

Donna Olimpia (Olympia) Maidalchini (Viterbe 1594-Orvieto 1656), issue d’une famille noble mais sans fortune, s’était mariée avec le frère de Giambattista Pamphili (le futur pape Innocent x, v. note [2], lettre 112). Veuve avec plusieurs enfants, elle était allée, sans crainte de scandale, malgré sa famille, habiter chez son beau-frère, pour s’emparer complètement de son esprit, le diriger dans toutes ses actions et grâce à ses intrigues, à sa ténacité, parvenir en peu de temps à le faire successivement nommer patriarche d’Antioche, nonce en Espagne, puis cardinal-prêtre (1629).

Après la mort d’Urbain viii, en 1644, Olimpia avait tant intrigué auprès du conclave que Pamphili avait été élu pape sous le nom d’Innocent x. Arrivée enfin au comble de la puissance, donna Olimpia usurpa toute l’autorité. Elle écarta du trône tous ceux qui, par leur mérite ou par leurs talents, pouvaient lui porter ombrage, reçut les ambassadeurs, traita les affaires de l’Église, mit presque ouvertement à l’enchère les dignités et les bénéfices ecclésiastiques, vendit les grâces et les dispenses, et amassa des sommes immenses. Pour faire cesser le scandale, le cardinal Panciroli (v. note [3], lettre 112) conseilla à Innocent x de confier le soin des affaires à son neveu par adoption, le cardinal Camillo Astalli-Pamphili, sans consulter Olimpia. Le pape éloigna sa belle-sœur de la cour, mais la rappela après la mort du cardinal Panciroli (1653). Elle reprit alors une autorité encore plus grande que par le passé et alla jusqu’à établir des impôts qui étaient versés à son profit.

Lorsqu’Innocent x mourut (1655), donna Olimpia, désireuse de conserver son pouvoir, crut y parvenir en faisant élire par le sacré Collège une de ses créatures, le cardinal Fabio Chigi ; mais à peine fut-il monté sur le trône pontifical, sous le nom d’Alexandre vii, qu’il ordonna à Olimpia de se rendre à Orvieto pour y attendre le résultat d’une enquête qu’on allait mener sur sa conduite. L’instruction n’était pas encore terminée quand Olimpia périt de la peste. Une partie de son immense fortune passa à son fils, le prince Camillo Pamphili, pendant que l’autre partie était confisquée par le pape Alexandre vii qui en fit don à sa propre famille (G.D.U. xixe s.).

5.

« Olympie, jadis pie [pieuse], désormais harpie [v. notule {b‑ii}, triade 82 du Borboniana manuscrit (note [41])]. »

Pasquin était une statue mutilée de ses membres, dressée à Rome dans la plazza Pasquino à laquelle elle a donné son nom. Ce monument était célèbre depuis le xive s. par l’habitude que les satiriques avaient prise d’y accrocher, selon la tradition antique, de mordantes épigrammes sur les personnages ou les faits scandaleux du prince. Pasquin eut plus de verve encore lorsqu’il eut pour compère Marforio, statue colossale d’un dieu marin découverte au commencement du xvie s. près du champ de Mars (Martis forum), dont le nom lui est resté, et qui fut d’abord placée en face du torse de Pasquin. Les faiseurs d’épigrammes s’amusèrent alors à les faire dialoguer ensemble ; et parfois, un autre débris antique, le Facchino ou, comme on l’appelait, le portier du palais Piombino, se mêlait à leur conversation. Dans sa Roma nova, Sprenger prétend que Pasquin servait d’interprète aux nobles, Marforio, aux bourgeois, et Facchino [le Faquin], au peuple ; mais outre ces personnages, il y avait encore l’abbé Luigi, du palais Valle, Mme Lucrèce, qu’on voit encore derrière le palais vénitien, près de l’église Saint-Marc, le singe qui a donné son nom à la via Babbuino ; enfin, le buste en marbre de Scanderbeg, l’ennemi mortel des Turcs, placé sur la façade de la maison que ce héros occupait à Rome. Chacun de ces personnages décochait ses épigrammes ou se mêlait à la conversation engagée entre ses compagnons. Cette multiplicité de censeurs anonymes n’a rien qui doive surprendre dans une ville où la police sacerdotale exerçait sur la pensée une surveillance ou, pour mieux dire, un espionnage si rigoureux. Pasquin alimenta les querelles de la Réforme et continua de jouer son rôle jusqu’au xixe s., notamment pendant la présence de Bonaparte à Rome (G.D.U. xixe s. et Triaire). V. note [50] du Faux Patiniana II‑7 pour la définition donnée par Louis Moréri, avec de plus amples commentaires.

Le mot pasquin (pasquillus en latin), pasquil ou pasquinade, était passé dans la langue courante pour désigner un écrit satirique. Il s’en publiait des recueils (v. note [46], lettre 1020).

6.

« parmi les derniers des vrais Français ». V. note [24], lettre 39, pour Jean-Jacques Barillon.

Pierre Gayant, sieur de Varastre (1565-1645), avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1603, puis président en la première Chambre des enquêtes en 1614. Comme un des parlementaires qui luttèrent contre la cour et les gens des finances, il avait été banni de Paris en mars 1645 pour se retirer à Château-Gontier (Mayenne). Il y serait mort « pour s’être baigné contre l’avis de tout le monde » (Adam et Popoff, no 262).

Barillon et Gayant présidaient la Chambre des enquêtes qui, sous leur inspiration, s’était opposée à l’édit du Toisé (taxe de 50 sous par toise carrée sur les bâtiments construits dans les faubourgs de Paris, hors l’enceinte de Henri ii fixée en 1548, éditée par arrêt du Conseil en 1644, en contravention avec une ordonnance antérieure) et à la taxe des aisés (v. note [48], lettre 150). L’arrêt du Parlement fut cassé et l’opposition parlementaire continuant, les deux présidents, Barillon et Gayant, furent arrêtés en mars 1645. Le premier, qui avait pris part à la cabale des Importants (v. note [15], lettre 93) et qui était accusé d’hostilité contre Mazarin, fut enfermé à Pignerol où il ne tarda pas à mourir. Gayant, exilé, le suivit de près dans la tombe (Triaire).

7.

Pécore (de pecora, bestiaux en latin) : « bête, stupide qui a du mal à concevoir quelque chose. Il ne sert de rien d’envoyer ce garçon au collège, c’est une grosse pécore qui n’a point d’esprit, qui n’apprendra jamais rien » (Furetière).

8.

Rostock, port de la mer Baltique, était une ville hanséatique (v. note [16], lettre 392) du duché de Mecklembourg. Siège d’une Université, elle jouissait d’une indépendance par rapport au duché et fonctionnait en république ; mais elle était alors occupée par les Suédois, emprise dont la paix de Westphalie la délivra en 1648.

9.

Grotius (Hugo de Groot) était mort le 28 août (v. infra, note [11]). Il avait publié :

Chaud partisan de la bonne entente qu’il fallait établir entre protestants et catholiques, Grotius s’insurgeait contre l’idée, défendue par certains synodes réformés, que le pape est l’Antéchrist. Ce furent les ouvrages qui lui valurent le plus d’inimitiés parmi les luthériens et les calvinistes, même ceux qui avaient compté parmi ses plus fidèles amis et admirateurs.

10.

De 1642 à 1645, la querelle entre Hugo Grotius et le théologien protestant André Rivet (v. note [25], lettre 79) avait donné lieu à la publication de plusieurs livres qui se répondaient les uns aux autres. Elle portait sur la réconciliation des chrétiens et sur l’autorité pontificale. Grotius « s’engagea dans une dispute désagréable pour avoir voulu porter les controverses à un accommodement. Un théologien de Leyde [André Rivet], français de nation, l’entreprit sur cette affaire et n’oublia rien de tout ce qui le pouvait rendre suspect aux protestants et irriter la Couronne de Suède. On vit là un exemple de la maxime que l’esprit est la dupe du cœur. Grotius, ayant souhaité la réunion des chrétiens, jugea qu’elle était possible : son désir l’empêcha de voir les obstacles invincibles que l’entêtement de quelques particuliers formerait facilement, quand même il n’y en aurait pas dans les causes de la division » (Bayle).

Un des derniers éclats de cette dispute a résumé les précédents :

Andr. Riveti Pictavi, S. Theologiæ Doctoris et Profess. in Academia Batava, Catholicus Orthodoxus oppositus Catholico Papistæ. In quatuor Partes seu Tractatus distinctus : in quibus continetur Summa Controversiarum de Religione, quæ inter Orthodoxos et Pontifiicos agitantur. Institituiturque examen accuratum, et refutatio omnium et singulorum quæ ad causæ Pontificiæ subsidium adduxit Guilielmus Bailius Iesuita, in Epitome, seu Catechismus Controversiarum, jussu Archiepiscopi Burdigalensis in Aquitania evulgato. Acccesserunt huic Editioni, Iesuita Vapulans, conra Sylvestrum Petra Santa, et Opuscula Adversaria Hugonis Grotii, et Andreæ Roveti, de Syncretismo inter Orthodoxos et Pontificios. Editio nova ab autore postremum recensita, emendata, et multis in locis aucta…

[Le Catholique orthodoxe d’Andr. Rivet, Poitevin, docteur et professeur de théologie sacrée en l’Université hollandaise, opposé au catholique papiste. Divisé en quatre parties ou traités, contenant le résumé des controverses sur la religion qui font rage entre orthodoxes et pontificaux. Sont aussi présentés un examen soigneux et une réfutation de tous et chacun des arguments que le jésuite Guilielmus Bailius a procurés pour soutenir la cause pontificale dans son Abrégé ou Catéchisme des controverses, {a} publié sur l’ordre de l’archevêque de Bordeaux, en Aquitaine. On a ajouté à cette édition le Iesuita Vapulans, contre Sylvestro Petrasancta, {b} et les Opuscules contradictoires de Hugo Grotius et d’André Rivet sur la fusion des orthodoxes et des papistes. Nouvelle édition que l’auteur a dernièrement revue, corrigée et augmentée en maints endroits. Tome second, avec les index nécessaire]. {c}


  1. Sommaire et Abrégé des Controverses de notre temps touchant la Religion : auquel la vraie et fausse doctrine se pourront discerner, pour la confrontation des deux écrits contraires : l’un, le Catéchisme des Controverses qu’a dressé et publié en Poitou, par le commandement de l’archevêque de Bordeaux, {i} Guillaume Baile Jésuite ; {ii} l’autre, l’Examen et Réponse que lui a opposés de point en point André Rivet, de Saint-Maixent en Poitou, pasteur de l’Église de Thouars. Deuxième édition, revue par l’auteur et augmentée de dix-huit sections ou réponses aux nouvelles questions du jésuite. À la fin est ajouté l’Antiprodrome opposé à l’Avant-coureur jésuitique. Avec deux Inidices des matières : selon la suite des sections, et par ordre alphabétique. {iii}

    1. Le cardinal de Sourdis, v. note [27] du Borboniana 2 manuscrit.

    2. Guillaume Baile (Guilielmus Bailius, 1557-1620) : Catéchisme et Abrégé des Controverses de notre temps, touchant la religion. Par G.B. Augmenté de nouveau. L’Église de Dieu vivant est la colonne et l’appui de la vérité. i. à Timoth. 3. (Bordeaux, S. Millanges, 1608, in‑12 de 332 pages), dédié au cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux et primat d’Aquitaine.

    3. Genève, Alexandre pernet, 1609, in‑8o de 884 pages.
  2. Le « Jésuite bastonné », est une attaque de Rivet contre les Notæ [Notes] (Anvers, 1634) de Sylvestro Petrasancta sur la lettre de Pierre Du Moulin à Jean-Louis Guez de Balzac (v. notule {b}, note [29], lettre 29). Il avait été publié séparément à Leyde, Franciscus Hegerus, 1635, in‑8o de 576 pages.

  3. Genève, Jacques Chouët, 1644, in‑fo : tome premier (476 pages) ; tome second (326 pages).

11.

V. note [7], lettre 100, pour les arminiens et l’arminianisme. Depuis 1634, Hugo Grotius avait été l’ambassadeur de la reine Christine de Suède auprès du roi de France.

Christine de Suède (Stockholm 1626-Rome 1689), fille unique du roi de Suède Gustave-Adolphe Vasa (Gustave ii le grand) et de Marie-Éléonore de Hohenzollern (v. note [10], lettre 13), avait 19 ans au moment de cette lettre. Le 14 mars 1633, « Mademoiselle la toute puissante princesse et demoiselle Christine » avait officiellement été proclamée « reine élue de Suède, des Goths et des Wendes, grande-duchesse de Finlande, duchesse d’Estonie, demoiselle d’Ingrie et de Carélie » par la grâce de Dieu et la volonté de son peuple, c’est-à-dire l’assemblée des quatre états du royaume, le Riksdag. La reine enfant avait d’abord été placée sous la tutelle d’un conseil de régence que présidait le Chancelier Axel Oxenstierna (v. note [3], lettre 16). Guy Patin allait souvent reparler de Christine dans ses lettres : son extravagante personnalité fascina, il est vrai, ses contemporains.

Après avoir reçu une éducation virile mêlant les exercices du corps aux études des langues, de l’histoire, de la géographie et de la politique, Christine avait entamé son règne personnel à 18 ans, à la fin de 1644. Son premier soin, malgré l’avis de ses ministres, fut de hâter la conclusion de la paix avec le Danemark et avec l’Allemagne. Le traité de Westphalie (1648), qui termina la guerre de Trente Ans, assura à la Suède la possession de la Poméranie et de plusieurs autres provinces, avec trois voix à la diète de l’Empire. Christine gouverna d’abord avec talent et habileté, et les grandes puissances de l’Europe recherchèrent son alliance. Ayant transformé sa cour de Stockholm en « nouvelle Athènes », elle y fit venir les plus éminents savants de l’Europe (René Descartes, qui y mourut en février 1650, Grotius, Saumaise, Bochart, Huet, Naudé, Vossius, Meibomius, etc.), mais aussi nombre d’individus moins recommandables qui, devenus ses favoris, l’entraînèrent dans le libertinage le plus effréné, aux très lourds dépens du trésor royal.

Résolue à ne pas se marier, la reine désigna et fit reconnaître par le Riksdag son cousin Charles-Gustave comme héritier présomptif du trône, et se fit couronner elle-même en octobre 1650, prenant le titre de reine. L’été suivant coururent les premières rumeurs d’une abdication. Très tôt lassée de régner, Christine hésita encore trois ans, avant d’abandonner définitivement le trône de Suède à son cousin, en juin 1654. Peu après, poussée par les jésuites qui l’influençaient depuis quelques années, elle marqua plus nettement la cassure d’avec ses origines en se convertissant du protestantisme au catholicisme (novembre 1654). Commença alors pour elle une longue vie de voyages et d’aventures souvent scandaleuses à travers l’Europe, qui s’acheva à Rome, à l’âge de 62 ans, sans que, semble-t-il, elle eût jamais trouvé la tranquillité du corps et de l’esprit.

Bayle sur Grotius :

« La reine Christine l’honora de la dignité de son conseiller et l’envoya ambassadeur auprès de Louis xiii. Après avoir eu cet emploi environ onze ans, il partit de France pour aller rendre compte de son ambassade à la reine de Suède. Il passa par la Hollande et reçut bien des honneurs à Amsterdam. Il vit la reine Christine à Stockholm et après l’avoir entretenue des affaires qu’elle lui avait confiées, il la supplia très humblement de lui donner son congé. Il ne l’obtint qu’avec peine et il reçut de cette princesse plusieurs témoignages d’une grande estime. Il avait beaucoup d’ennemis dans cette cour. Le vaisseau sur lequel il s’embarqua fut si maltraité par la tempête qu’il échoua sur les côtes de Poméranie. Grotius, malade et chagrin, continua son voyage par terre, mais son mal le contraignit de s’arrêter à Rostock où il mourut dans peu de jours, le 28 août 1645. Son corps fut porté à Delft au sépulcre de ses ancêtres. »

12.

Bayle (note H) sur les derniers moments de Hugo Grotius :

« Les calomnies que ses ennemis répandirent malignement touchant sa mort sont réfutées d’une manière invincible par le ministre qui le prépara au dernier passage. Ce ministre nommé Jean Quistorpius {a} était professeur en théologie à Rostock. Sa relation porte qu’il fut trouver Grotius qui l’avait fait appeler et qu’il le trouva presque à l’agonie ; qu’il l’exhorta à se disposer à la mort pour aller jouir d’une vie plus heureuse, à reconnaître ses péchés et à en avoir de la douleur ; qu’ayant fait mention du publicain qui se reconnut pécheur et qui demanda à Dieu miséricorde, le malade répondit “ Je suis ce publicain-là ” ; qu’il poursuivit et qu’il lui dit qu’il fallait recourir à Jésus-Christ hors duquel il n’y a point de salut, et que Grotius répliqua “ Je mets toute mon espérance en Jésus-Christ tout seul ” ; qu’il se mit à réciter à haute voix en allemand la prière qui commence ainsi Herre Jesu, wahrer Mensch und [wahrer] Gott, etc., {b} et que le malade le suivait tout bas les mains jointes ; qu’ayant fini, il lui demanda s’il avait entendu et que la réponse fut “ Je vous ai fort bien entendu ” ; qu’il continua à lui réciter les endroits de la parole de Dieu que l’on a accoutumé de rappeler en mémoire aux agonisants, et à lui demander “ M’entendez-vous ? ”, et que Grotius répondit “ J’entends bien votre voix, mais je ne comprends pas tout ce que vous dites ” ; qu’après cette réponse le malade perdit la parole et expira peu de temps après. On se rendrait ridicule si l’on révoquait en doute la sincérité de Quistorpius : aucune raison d’intérêt n’a pu le pousser à mentir et personne n’ignore que les ministres luthériens étaient aussi mécontents que les calvinistes des opinions particulières de Grotius »


  1. Prénom francisé et nom latinisé de Johann Guistorp.

  2. « Seigneur Jésus, vrai homme et vrai Dieu, etc. ».

13.

Les sociniens ou unitaires forment une secte protestante fondée en Italie par Lelio Socin (Sozzini, Lælius Socinus, Sienne 1525-Zurich 1562) et développée par son neveu, Fausto (Faustus, Sienne 1539-Luclavie 1604), qui l’établit d’abord en Pologne. Inspirée de l’arianisme, {a} elle est fondamentalement antitrinitaire, refusant d’admettre la nature divine de Jésus et de l’Esprit Saint. Ce qui compte est la révélation de Dieu par l’Écriture ; mais son principal moyen, le Christ, n’en a pas moins été un homme inspiré par Dieu. Dieu prouve son existence par la doctrine ainsi révélée, et non par les miracles qui sont racontés dans les Évangiles. Le Saint-Esprit est une force divine qui œuvre à sanctifier les fidèles. Contrairement à la théorie calviniste (et janséniste) de la grâce divine particulière et de la prédestination, les sociniens enseignent, comme les quakers, {b} les arminiens {c} et bien d’autres, la grâce universelle et accessible à tous : ils croient que les forces naturelles de l’homme sont suffisantes pour sa régénération, moyennant les secours que Dieu lui accorde. Les sociniens rejoignaient donc les jésuites sur le point du libre arbitre. Hugo Grotius a réprouvé dans ses discours la doctrine socinienne et il écrivit même contre elle une :

Defensio fidei catholicæ de satisfactione Christi, adversus F. Socinum Senensem…

[Défense de la foi catholique sur la disculpation du Christ, contre Fauste Socin, natif de Sienne…]. {d}


  1. V. note [15], lettre 300.

  2. Ou trembleurs, v. note [32], lettre 662.

  3. V. note [7], lettre 100.

  4. Leyde, Ioannes Patius, 1617, in‑4o de 175 pages.

L’insinuation de Guy Patin repose sur quelque fait réel puisque Jacques-Bénigne Bossuet, dans sa Dissertation sur Grotius, {a} a pu l’accuser d’avoir partagé les erreurs sociniennes : {b}

« Grotius demeura longtemps si entêté des sociniens que, non content de les suivre dans les choses indifférentes, il en reçut encore des dogmes capitaux. Quoiqu’en y regardant de près, le Verbe qu’il introduit dans le premier verset de l’évangile de saint Jean {b} soit plutôt philosophique et platonicien que chrétien et apostolique, on ne doit pas l’accuser d’avoir jamais tout à fait abandonné la divinité de Jésus-Christ. »


  1. Seconde Instruction : sur les passages particuliers de la version du Nouveau testament imprimée à Trévoux en l’année m. dcc. ii. {i} Avec une Dissertation préliminaire sur la doctrine et la critique de Grotius. Par Messire Jacques Bénigne Bossuet {ii} évêque de Meaux, conseiller du roi en ses Conseils, et ordinaire en son Conseil d’État, ci-devant précepteur de Monseigneur le dauphin, premier aumônier de Madame la duchesse de Bourgogne. {iii}

    1. L’exégète biblique et prêtre catholique Richard Simon avait publié Le Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ. Traduit sur l’ancienne édition latine. Avec des Remarques littérales et critiques sur les principales difficultés (Trévoux, Étienne Ganeau, 1702, 4 tomes in‑4o).

    2. V. note [4], lettre 972.

    3. Paris, Anisson, directeur de l’Imprimerie royale, 1703, petit in‑foen deux parties de 130 pages (numérotation romaine) et 203 pages (numérotation arabe).

  2. Première partie, pages ix‑x, paragraphe iii ititulé Grotius prend l’esprit des sociniens sur la divinité du Verbe, et M. Simon en convient.

  3. « Au commencement, le Verbe était, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. »

Bayle (note H) :

« Tenons donc pour un fait incontestable : 1. que Grotius prêt à mourir a été dans les dispositions du publicain, il a confessé ses fautes, il en a eu de la douleur, il a recouru à la miséricorde du Père céleste ; 2. qu’il a mis toute son espérance en Jésus-Christ seul ; 3. que ses dernières pensées ont été celles qui sont contenues dans la prière des agonisants selon le rituel des luthériens ; or je ne crois pas qu’on puisse trouver une prière plus remplie que celle-là des sentiments que doit avoir un vrai chrétien lorsqu’il se prépare à comparaître devant le Tribunal de Dieu. Il résulte de là manifestement : i. que ceux qui disent qu’il est mort socinien seraient traités trop doucement si l’on se contentait de leur dire qu’ils sont coupables d’un jugement téméraire, ils méritent d’être appelés calomniateurs ; ii. que Du Maurier conte une fable lorsqu’il parle ainsi, “ On m’a rapporté que pendant sa maladie un prêtre catholique et divers ministres luthériens, calvinistes, sociniens et anabaptistes le vinrent voir pour le disposer à mourir dans leur opinion ; mais pendant qu’ils l’entretenaient de controverses et que chacun s’efforçait de lui prouver que sa religion était la meilleure, il ne répondit autre chose sinon non intelligo ; {a} et quand ils ne disaient plus mot, il leur dit Hortare me ut christianum morientem decet, Exhortez-moi comme il faut exhorter un chrétien mourant ” ; iii. que c’est une autre fable que le bruit qu’on fit courir aussitôt après sa mort, qu’il avait refusé d’écouter un ministre qui lui voulait parler ; iv. qu’il est faux qu’un ministre luthérien ayant commencé à lui vouloir parler de sa religion… le malade ne lui répondit que par ces deux mots, non intelligo, lui voulant marquer par là que ses prédications et ses avis ne lui plaisaient point, et qu’en effet le ministre se retira ; v. qu’on a inséré un mensonge dans un petit livre anglais lorsqu’on y a mis que Grotius dit en mourant, multa agendo, nihil egi, en entreprenant beaucoup de choses, je n’ai rien avancé ; vi. que ceux qui peu de temps après la mort de ce grand homme… firent courir le bruit qu’il était mort d’un coup de foudre, débitèrent une fausseté encore plus folle que maligne. »


  1. « je ne comprends pas ».

14.

Sienne, en Toscane (Trévoux, 1743-1752) :

« est capitale du Siénnois, et située à onze lieues de Florence, du côté du midi. Sienne est une des plus considérables ville de l’Italie. Elle est grande, belle, ornée d’un grand nombre de palais, de belles places, de fontaines, de superbes églises, dont la cathédrale est presque tout entière de marbre blanc ou noir. Il y a aussi un magnifique hôpital, mais ce qu’il y a de sigulier à Sienne, c’est sa grande place. Elle est ronde, entourée de belles maisons de même symétrie, et soutenues par des arcades sous lesquelles on peut se promener en tout temps ; le milieu de cette place est enfoncé en forme de coquille, et on peut aisément le remplir d’eau et y représenter un combat naval avec des petites barques. Sienne est aussi une place forte, et elle est défendue par une bonne citadelle. Elle a un archevêché, une université fort fameuse, l’avantage de parler fort délicatement la langue Italienne, et d’avoir donné la naissance aux papes Alexandre iii et  viii, Pie  ii et  iii. Au reste, Sienne était autrefois une république. Les Espanols la prirent l’an 1554 et la remirent au grand-duc de Toscane, qui en est encore le maître. »

Ancienne province romaine de Dacie, entourée par les Carpates, la Transylvanie forme aujourd’hui le nord-ouest de la Roumanie. C’était alors une principauté indépendante, mais politiquement tourmentée par la diversité de ses religions (catholique, luthérienne, calviniste, socinienne, orthodoxe) et par sa situation géographique, aux confins des zones d’influence autrichienne et turque.

15.

En 1642, Hugo Grotius avait signé et publié :

Trois ans plus tard, juste après sa mort, paraissait anonymement sa :

Rivetiani apologetici, pro schismate contra votum pacis facti, Discussio.

[Discussion de l’apologétique de Rivet, en faveur schisme, contre le vœu de paix qu’on a fait]. {a}


  1. Irenopolis [Ville de paix], Hesychius Candidus, 1645, in‑8o de 258 pages.

Grotius y mentionne (page 58) vir reverendus Dyonisius Petavius [Denis Petau, homme vénérable], mais sans le dire son ami. On lit aussi un peu plus loin (page 61) :

Iesuitas non omnes laudavit Grotius, sed quorum et mores et eruditio laudem merentur. Eos vero qui in Gallia sunt, pro talibus habet, quales eos reges Galliæ, qui eos optime norunt, volunt existimari.

[Grotius n’a pas loué tous les jésuites, mais ceux dont les mœurs et l’érudition méritent la louange. Il tient vraiment pour tels ceux qui sont en France, que les rois de France, qui ont appris à les bien connaître, veulent estimer].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 octobre 1645

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(Consulté le 25/04/2024)

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