L. 145.  >
À André Falconet,
le 16 août 1647

Monsieur, [a][1]

Enfin, je vous réponds après un long temps, espérant de votre bonté que vous me pardonnerez si je ne m’en suis plus tôt acquitté. Mes leçons publiques [2] et mes occupations particulières m’ont tellement dérobé mon temps depuis un an qu’à peine ai-je eu le loisir d’écrire en deux mois un mot de réponse à mon cher ami M. Spon. [3] Je suis bien aise que vous ayez trouvé belles les thèses [4] que je vous ai envoyées et que vous fassiez état de notre Faculté. Et comme inter bonos bene agier oportet[1][5] je vous puis assurer que, tant que mes leçons ont duré, j’ai pris plaisir de dire du bien des médecins de Montpellier, [6] ex quibus potissimum colo Ioubertum et Varandæum[2][7][8] sans offenser en aucune manière les honnêtes gens qui tous les ans y prennent leurs degrés ; au nombre desquels je ne puis comprendre en aucune façon deux vivant aujourd’hui, qui sont MM. Courtaud [9] et Rivière, [10] quos vere dixerim dehonestamenta suæ artis et sui ordinis[3] La harangue du premier et les observations du second en font pleine foi à tout homme qui ne sera pas préoccupé. [4] Je vous en fais juge vous-même.

Pour le fait des apothicaires, [11] tout le monde en juge ici comme vous. On dit qu’ils ne m’attaqueront plus. [12] J’espère que le carême prochain ou environ, je commencerai de travailler à quelque chose qui les regarde, [13] si Deus vitam dederit ; [5] et si je puis l’achever, je vous promets que vous en aurez des premiers, et adhuc a matre rubentem accipies[6][14] Pour le livre de M. Hofmann [15] de Medicamentis officinalibus, je ne sais si je serai reçu à le louer puisque l’auteur m’a fait l’honneur de me le dédier, avec dessein de m’en dédier encore d’autres ci-après ; mais sans cette considération, je vous puis dire sincèrement que c’est un fort bon livre, et multiplici eruditione refertum opus viri doctissimi[7] Comme vos libraires de Lyon en ont reçu, je crois que vous l’avez déjà vu ; c’est pourquoi je m’en rapporte à vous-même. Au moins puis-je vous assurer qu’il a bien l’approbation commune et que le libraire le trouve fort bon par le débit qu’il en fait par toute la France. L’année prochaine j’espère que nous aurons quelque autre chose de lui, s’il ne meurt ; [8] mais tout est à craindre pour son âge, qui est de 76 ans. Iuvenes mori possunt, senes diu vivere non possunt[9] Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 16e d’août 1647.


a.

Bulderen, no x (tome i, 30‑31) à Charles Spon(par erreur) ; Reveillé-Parise, no ccclx (tome ii, pages 504‑505) ; Triaire no cxlviii (pages 531‑532).

1.

« entre gens de bien il se faut bien comporter » (Cicéron, Des Devoirs, livre iii, chapitre xiii, § 61 ; et ailleurs).

V. note [70] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine en 1651‑1652 pour l’élection de Guy Patin au professorat de chirurgie le 9 novembre 1645, pour un an. Il avait occupé cette chaire depuis octobre 1646, mais les vacances d’été allaient alors très bientôt le libérer de cette lourde charge.

2.

« Parmi lesquels j’honore par-dessus tout [Laurent] Joubert [v. note [8], lettre 137] et [Jean] Varanda ».

Jean Varanda (ou Varandal, Varandæus ; Nîmes 1563 ou 1564-Montpellier 1617) fut reçu docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1587, professeur en 1597, vice-chancelier en 1609, et en fut le doyen de 1609 à sa mort. Il ne publia rien de son vivant, mais ses disciples ont donné beaucoup d’écrits qu’ils prétendaient fidèlement recueillis d’après ses leçons ou ses manuscrits autographes (v. note [42], lettre 209). Dans toute sa correspondance, Guy Patin a montré un grand respect pour Varanda qu’il tenait pour « un des bons qui aient jamais été à Montpellier », et a collaboré avec ses amis lyonnais (Henri Gras, Charles Spon) à l’édition de ses Opera omnia (1658, v. note [10], lettre 485).

3.

« que j’appellerais volontiers les déshonneurs de leur art et de leur rang. »

Guy Patin, après la bouderie de Claude ii Belin, préférait ne plus dire du mal de ceux de Montpellier en général ; André Falconet en était aussi en effet. Cette modération n’épargnait cependant ni Siméon Courtaud (pour son Oratio de 1644 contre les Parisiens, publiée en 1645, v. note [19], lettre 128), ni Lazare Rivière (pour ses Observationes, v. note [6], lettre 132).

De son côté, Siméon Courtaud mettait pareillement de l’eau dans son vin, écrivant à Charles Spon le 16 avril 1647 (ms BIU Santé no 2190, pages 169‑171) :

« Quant à ce qu’il vous semble que j’offense M. Bouvard, puisqu’il m’est en quelque façon allié, je n’ai garde d’y penser, et le discours de mon Apologie {a} rend témoignage de l’honneur que je lui porte et du cas que je fais de son savoir et probité, conjointement à celle de M. le premier médecin son beau-fils. Mon intention en ce lieu-là n’est autre que de relever nos docteurs tout autant qu’ils les ont voulu abaisser et mépriser, et particulièrement les relever en la personne de feu mon oncle {b} sous lequel le feu roi vécut en pleine santé, et duquel le régime établi avec prudence devait être continué pour ce que, et particulièrement et par bien longue expérience, il connaissait la portée de la santé de son prince mieux que tous les autres médecins. La connaissant mieux, on eût mieux fait de n’y changer rien. Il me souvient comme se voyant harcelé et repris par ces Messieurs de Paris en la conduite de son maître, assuré de ce qu’il faisait en homme très expert, il disait un jour pour toute réponse à ceux qui lui rapportaient les paroles de ces répresseurs malhabiles, “ Eh bien disait-il, on verra comme ils gouverneront le roi après ma mort ”. Ne vous étonnez pas donc si j’ai usé de quelques termes un peu rudes en apparence, mais très justes et bien pesés, et avec intention de ne piquer que le général de leur Société, rien en particulier, et moins encore la personne vénérable du prince de la médecine. »


  1. Titre français que Courtaud donnait à son Oratio de 1644 : v. note [20], lettre 128.

  2. Jean Héroard (v. note [30], lettre 117).

    Courtaud s’y perdait un peu dans les médecins royaux : après Héroard (mort en 1626, et oncle de Courtaud), Charles i Bouvard avait été premier médecin de Louis xiii, mais son beau-fils, Jacques i Cousinot n’était pas celui de Louis xiv, charge dont François Vautier était le titulaire depuis mai 1646.


4.

Partial : « La faiblesse de l’esprit de l’homme est telle qu’il se préoccupe aisément, qu’il a du mal à effacer les impressions dont il est préoccupé, qui entrent les premières dans son esprit. Un juge, un philosophe ne se doivent point laisser préoccupe. C’est le propre du peuple de se laisser préoccuper, de ne trouver bon que ce qu’il a accoutumé de voir, de pratiquer » (Furetière).

5.

« Si Dieu me prête vie ». V. note [6], lettre 143, pour le procès des apothicaires de Paris perdu contre Guy Patin.

6.

« et alors vous le recevrez tout rouge encore au sortir de sa mère » (Juvénal, Satire vii, vers 196).

7.

« et un ouvrage rempli par l’érudition aux multiples facettes d’un homme très docte » ; v. note [7], lettre 134, pour les deux livres des Médicaments officinaux de Caspar Hofmann, dédicacé à Guy Patin.

8.

V. note [10], lettre 140, pour les Opuscula medica (Paris, 1647) de Caspar Hofmann (mort en 1648).

9.

« Les jeunes peuvent certes mourir, mais les vieillards ne peuvent vivre longtemps » (il peut arriver à un jeune de mourir, mais pour un vieillard c’est une obligation).

Guy Patin a plusieurs fois employé ce dicton qu’il disait être un proverbe hébreu cité par Jacques-Auguste i de Thou [a Thuano nostro celebratum] dans sa lettre 18 février 1667 à Heinrich Meibomius (v. sa note [8]). On le trouve aussi dans saint Jérôme (épître cxxvii) : Iuvenis quidem potest cito mori, sed senes diu vivere non potest.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 août 1647

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(Consulté le 20/04/2024)

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