L. 163.  >
À Hugues I de Salins,
le 11 novembre 1648

Monsieur, [a][1]

J’ai à vous remercier d’un présent qu’il vous a plu me faire, qui est du vin de Beaune [2] que m’avez envoyé. Je suis réellement obligé à ce faire à cause du présent et pour la qualité d’icelui, cum vino, ce dit Platon, [3] nihil melius dederit Natura hominibus ; [1][4] mais néanmoins, Monsieur, je suis fort étonné de la pensée qu’avez eue de me faire des présents, vu que je n’ai jamais rien mérité de vous de près ni de loin. J’ai bien considéré et regardé de bon œil monsieur votre fils, [5] mais Monsieur, j’y étais obligé pour son bon naturel et pour l’envie très louable que j’ai quelquefois reconnue en lui de bien apprendre. Et de vrai, comme ce commencement est fort bon, j’espère qu’un jour il vous donnera contentement ; mais permettez-moi, je vous prie : exhortez-le incessamment qu’il ne perde point de temps, il est en âge de le bien appliquer s’il veut. Je ne cesse de lui dire et < il > me le promet aussi : [6]

Acer, et ad palmæ per se cursurus honores,
Si tamen horteris, fortius ibit equus
[2]

Bref, Monsieur, vous m’avez obligé sans aucun mien mérite, et c’est de quoi j’ai honte et regret. Je ferai néanmoins par ci-après ce que je pourrai pour le mériter tant envers vous, si j’en découvre le moyen, qu’envers lui, dans les occasions qui s’en présenteront, afin que je me puisse acquitter de l’obligation que j’ai d’être toute ma vie, au père et au fils, et à toute la famille que j’honore de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 11e de novembre 1648.


a.

Ms BnF no 9357, fo 39 : « À Monsieur/ Monsieur de Salins,/ Docteur en médecine,/ À Beaune » ; Triaire no clxv (pages 624‑625).

1.

« puisque la Nature n’aura rien donné aux hommes de meilleur que le vin ».

Au livre ii des Lois, Platon prête à l’Athénien ce propos sur les vieillards (traduit par Victor Cousin) :

« Comment ferons-nous donc pour les engager à chanter de bonne grâce ? N’interdirons-nous point d’abord, par une loi, l’usage du vin aux enfants jusqu’à l’âge de dix-huit ans, leur faisant entendre qu’il ne faut point verser un nouveau feu sur le feu qui dévore leur corps et leur âme, avant l’âge du travail et des fatigues, de peur de l’exaltation qui est naturelle à la jeunesse ? Nous leur permettrons ensuite d’en boire modérément jusqu’à trente ans, avec ordre de s’abstenir de toute débauche et de tout excès. Ce ne sera que lorsqu’ils toucheront à quarante ans, qu’ils pourront se livrer à la joie des banquets, et inviter Bacchus {a} à venir avec les autres dieux prendre part à leurs fêtes et à leurs orgies, apportant avec lui cette divine liqueur dont il a fait présent aux hommes comme un remède pour adoucir l’austérité de la vieillesse, lui rendre la vivacité de ses premiers ans, dissiper ses chagrins, amollir la dureté de ses mœurs, comme le feu amollit le fer, et lui donner je ne sais quoi de plus souple et de plus flexible. Échauffés par cette liqueur, nos vieillards ne se porteront-ils pas, avec plus d’allégresse et moins de répugnance, à chanter, et, suivant l’expression que nous avons employée souvent, à faire leurs enchantements, non en présence de beaucoup de personnes ni d’étrangers, mais devant un petit nombre d’amis ? […]

Selon les préjugés vulgaires, le vin a été donné aux hommes par un effet de la vengeance de Bacchus, pour troubler leur raison ; mais le discours présent nous montre au contraire que les hommes l’ont reçu comme un spécifique dont la vertu est d’inspirer à l’âme la pudeur, et d’entretenir la santé et les forces au corps. » {b}


  1. V. note [23], lettre 260.

  2. Platon a beaucoup écrit ailleurs sur les bienfaits du vin et sur les méfaits de l’ivresse (v. l’article de Pierre Boyancé, Platon et le vin, Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1951, pages 3‑19).


2.

« Le fougueux coursier qui s’élance dans l’arène pour y disputer l’honneur de la victoire redouble d’ardeur s’il entend une voix qui l’anime » (Ovide, Pontiques, livre ii, lettre xi, vers 22‑23).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues I de Salins, le 11 novembre 1648

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(Consulté le 20/04/2024)

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