L. 165.  >
À Charles Spon,
le 19 février 1649

Monsieur, [a][1]

Je ne vous ai point écrit depuis le 8e de janvier, présent an, et Dieu merci, j’en ai reçu la réponse qu’il vous a plu m’en envoyer, dont je fus fort consolé sur la crainte que j’avais que ma lettre n’eût été perdue, comme on disait de deçà que ce courrier avait été détroussé. [1] Depuis ce temps-là, je vous dirai que l’on a fait bonne garde ici, [2] et que nous y avons mangé du pain un peu plus bis et plus cher qu’auparavant. [3] M. le Prince, [4] qui a quitté sa belle qualité de prince du sang et de père de la patrie pour être le premier capitaine des gardes du Mazarin, [5] fait ce qu’il peut pour empêcher qu’il ne nous vienne des convois, mais il en vient pourtant tous les jours, deçà ou delà, et nous avons ici des princes qui font faire bon exercice à leur cavalerie. [2] M. le Prince a assiégé et pris Charenton [6] le lundi 8e de février, où il a perdu M. de Châtillon, [7] le comte de Saligny [8] et 15 autres bons capitaines. [3] Ne voilà pas un beau et merveilleux prince ! il faisait par ci-devant trembler l’Empire et l’Espagne par ses victoires, et maintenant il perd ses meilleurs amis à la prise d’un village qu’il a tôt après abandonné, ne le pouvant garder, en ayant fait rompre le pont que nous avons fait raccommoder deux jours après. Il ne bouge presque de Saint-Germain [9] où il a bien plus d’une affaire, mais ses gens voltigent toujours de deçà pour empêcher nos convois. Le roi, [10] la reine, [11] M. le duc d’Orléans, [12] le Mazarin et une partie de la cour sont toujours à Saint-Germain, qui ne sont pas tous d’un même avis, la plupart désirant de revenir ici bientôt, mais le Mazarin n’y trouve pas ses sûretés. Néanmoins, Messieurs les Gens du roi, Talon, [13] Bignon [14] et le procureur général, [15] par ordre de la reine et < avec > le passeport nécessaire qui leur a été envoyé, se sont transportés le mercredi des Cendres, 17e de février, d’où ils sont arrivés le lendemain sur le soir. Ce voyage pourra être le premier pas de l’accord et un acheminement à la paix, ainsi soit-il. Je vous envoie cette lettre par avance. Si elle peut avoir ce bonheur de vous être rendue, j’en ai une bien plus longue et plus particulière que je vous enverrai quand nous aurons la liberté tout entière. Il y en a déjà sept pages d’écrites. [4] Je vous envoie celle-ci à tout hasard par le rétablissement des postes que Messieurs du Parlement ont fait faire de deçà, utinam prospere ambulet[5] Messieurs les Gens du roi ont rapporté au Parlement le vendredi 19e de février, de leur voyage de Saint-Germain, que la reine avait témoigné être bien aise d’apprendre que la ville de Paris demeurait toujours dans l’obéissance du roi, et ont conclu que le Parlement devait députer vers elle à Saint-Germain. Nos ennemis n’ont ni balles, ni poudre. Les Suisses [16] qui sont de deçà nous offrent 1 500 hommes. Les habitants de Melun, [17] pressés par un gouverneur du parti mazarin, ont coupé la gorge à leur garnison et se sont rendus les maîtres de leur ville pour nous. [6] L’Archiduc Léopold [18] a envoyé aux Messieurs du Parlement un député pour la paix [19] contre le Mazarin. [7] Nous attendons ici dans six jours le secours que nous envoie M. de Longueville [20] de Normandie, auquel les Hollandais ont envoyé faire offre d’argent et d’hommes. Vale[8]

De Paris, ce vendredi 19e de février 1649, à deux heures de relevée.

Deux évêques sont ici, < messieurs > d’Angers [21][22][23] et d’Évreux. [9][24][25] On a ici découvert des espions, savoir deux évêques, d’Aire [26][27] et de Dol [28][29][30][31] en Basse-Bretagne qui sont prisonniers, [10] un président de la Chambre des comptes nommé Tambonneau et son frère, [32][33] conseiller à la Cour, qui se sont sauvés ou cachés, [11] et un conseiller du Châtelet nommé de Laulne, [12][34] tous cinq très pervers et méchants hommes.


a.

Ms BnF no 9357, fo 40 ; Triaire no clxvii (pages 632‑634). Au revers, de la main de Charles Spon : « 1649. Paris, 19 février ; Lyon, 3 avril ; Risposta ; Adi 6 dudit mois d’avril. » La lettre est de la main de Guy Patin, mais n’est pas signée ; comme il l’avait craint, en raison des événements, son courrier mit longtemps à parvenir à Spon. C’est un préambule au long récit qu’il écrivait en même temps pour relater par le menu la « guerre de Paris » (lettre datée du 20 mars 1648, où se lisent les détails et éclaircissements qui manquent ici).

1.

Détroussé, volé sur un grand chemin (Furetière).

2.

Les princes frondeurs étaient Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf, le prince de Conti (v. note [5], lettre 166) et le duc de Longueville, frère et beau-frère de Condé, et le prince de Marcillac (depuis duc de La Rochefoucauld, v. note [7], lettre 219). Bientôt se joignirent à eux le maréchal de La Mothe-Houdancourt, le duc de Bouillon et le duc de Beaufort. Le prince de Conti fut nommé généralissime des armées parisiennes. Comme beaucoup de Parisiens, Guy Patin tempêtait contre le prince de Condé qui s’était rangé aux côtés de la reine et de Mazarin (v. note [1], lettre 175).

3.

Gaspard iv, duc de Châtillon (v. note [2], lettre 89), combattait sous les ordres de Condé comme lieutenant général des armées du roi contre les frondeurs parisiens, lorsqu’il trouva la mort au combat de Charenton (v. note [71], lettre 166).

Gaspard iii de Saligny, dit le marquis d’Orne, capitaine-lieutenant des gendarmes du roi en 1647, était fils de Gaspard ii et frère aîné du comte Jean de Coligny-Saligny (v. note [16], lettre 528). La Maison de Coligny, issue des princes de Bourgogne, était devenue française au xve s. par la possession de la seigneurie de Châtillon-sur-Loing héritée par le mariage de Guillaume de Coligny avec Catherine de Saligny en 1432.

4.

C’est la lettre-récit de Guy Patin à Charles Spon, datée du 20 mars 1649.

5.

« Dieu fasse qu’elle chemine heureusement ! » Ce vœu ne fut pas entièrement accompli : la lettre parvint bien à Charles Spon, mais seulement le 3 avril, en raison des troubles.

6.

Melun (Seine-et-Marne) se situe sur la Seine, à une quarantaine de kilomètres en amont de Paris. V. note [116], lettre 166, pour la révolte de Melun contre son gouverneur.

7.

L’émissaire de l’archiduc Léopold et du comte Fuensaldagne (commandant en chef des troupes espagnoles aux Pays-Bas, v. note [6], lettre 320) à Paris était un moine bernardin espagnol nommé Joseph Arnolfini (mort le 28 octobre 1656). Coadjuteur de son oncle, Octave Arnolfini, à l’abbaye cistercienne de Châtillon dans le diocèse de Verdun depuis 1627, il en était devenu abbé en 1641. Ce prétendu ambassadeur arriva à Paris habillé en cavalier. Les intrigues du coadjuteur et de la duchesse de Chevreuse avaient déterminé l’archiduc à l’y envoyer (Triaire, Jestaz et Bertière a).

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 168) :

« Cet envoyé est un petit homme à barbe rousse, appelé Saint-Armand-Nourris dans les Pays-Bas ; c’est sa seigneurie. Il signe Don Joseph de Illescas Arnolfini. Beaucoup de gens parlent diversement de lui. En l’imprimé du Parlement, il est appelé Illesiau Arnolfini ; en quelque autre imprimé, Mescas. C’est un moine bernardin ; il se dit naturel espagnol, natif de Séville. Mme de Chevreuse, qui est à Bruxelles, lui a procuré cet envoi ; il est de trente-cinq à quarante ans. »

8.

Le duc de Longueville, gouverneur de Normandie, qui avait quitté Paris le 20 janvier pour aller soulever sa province (v. note [26], lettre 166), loin de pouvoir envoyer un secours à la Fronde, fut cerné dans Rouen par le duc d’Harcourt.

9.

Cette phrase a été ajoutée par Guy Patin en haut de la lettre, au-dessus de la suscription. La suite du post-scriptum est écrite verticalement dans la marge, comme la souscription et la date.

Henri Arnauld (Paris 1597-Angers 1692) était le dixième enfant de l’avocat Antoine i Arnauld (v. note [17], lettre 433), et frère du Grand Arnauld, Antoine ii. Secrétaire du cardinal Guido Bentivoglio, il avait séjourné à Rome de 1621 à 1625. Louis xiii l’avait nommé évêque de Toul en 1637, mais le pape Urbain viii avait refusé de lui envoyer ses bulles de provision et il avait préféré renoncer. Après avoir refusé plusieurs autres distinctions ecclésiastiques, Arnauld était reparti pour Rome en 1645 pour favoriser la politique de Mazarin et s’occuper de réconcilier le pape avec les Barberini. Depuis son retour à Paris en 1648, il résidait à Port-Royal. À la mort de Claude de Rueil, évêque d’Angers, le 29 janvier 1649, un brevet royal daté du lendemain avait désigné Arnauld pour lui succéder ; il partit occuper son siège le 15 avril pour être sacré le 29 juin 1650. Malgré les troubles politiques du début de son épiscopat, son œuvre pastorale fut un modèle de dévouement et de charité (Dictionnaire de Port-Royal, pages 88‑91).

Jacques Duperron Le Noël, neveu du cardinal Jacques Davy Duperron (v. note [20], lettre 146), avait été sacré évêque d’Évreux le 13 octobre 1648. Il mourut dans cette ville le 17 février 1649 (Gallia Christiana).

10.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 162, février 1649) :

« Jeudi 18, temps froid et après dîner, neige. Confirmation de ce qu’on disait hier sur ce qu’une lettre fut interceptée, écrite par l’évêque de Dol, Cohon, il a été arrêté et a des gardes dans son logis ; et que, parce que dans cette lettre, qui porta plusieurs avis à Saint-Germain, il est dit que l’évêque d’Aire, résolu de se dérober de Paris et de s’en aller en cour, lorsqu’il y serait, en dirait davantage, ledit évêque d’Aire, Boutault, a de même été arrêté et a des gardes dans sa maison. Il fut arrêté, soupant chez le sieur Thévenin, près la porte Richelieu, par un exempt des gardes du prince de Conti. »

Gilles Boutault (Tours 1594-1661) avait été nommé évêque d’Aire-sur-Adour en 1627. Il fut transféré à Évreux en avril 1649 laissant son siège à Charles d’Anglure. « Confirmation de la mort de l’évêque d’Évreux, sieur du Perron, à qui l’évêque d’Aire est choisi [par le roi] pour succéder » (Dubuisson-Aubenay, 18 février 1649, tome i, page 163).

Anthyme-Denis Cohon (Craon, Mayenne 1594-Nîmes 1670), docteur de Sorbonne ordonné prêtre en 1619 et détenteur de plusieurs bénéfices ecclésiastiques, avait été nommé évêque de Nîmes en 1633, puis de Dol depuis février 1644. Durant toute la Fronde il fut un agent actif de la cour et de Mazarin. Les libelles frondeurs ne l’ont pas épargné, tel celui qui portait le titre d’Avertissement à Cohon, évêque de Dol et de Fraude, par les cuistres de l’Université (sans lieu ni nom, 1649, in‑4o). Il reprit son premier siège épiscopal de Nîmes en 1655 à la mort d’Hector Douvier qui lui avait succédé. Cohon fut un prédicateur réputé : il a notamment prononcé un éloge funèbre de Louis xiii et de la reine d’Espagne, et le discours du sacre de Louis xiv (G.D.U. xixe s., Triaire et Jestaz). Une inscription dans la cathédrale de Nîmes a célébré ses mérites (Gallia Christiana) :

« Cette chapelle a été bâtie par la piété d’illustrissime et révérendissime évêque de Nîmes messire Anthyme Denys Cohon, prédicateur ordinaire et conseiller du roi en tous ses conseils. Il naquit en la ville de Craon, province d’Anjou, au commencement de septembre 1594 et mérita la réputation d’un excellent prédicateur dès l’âge de 25 ans. Pour sa science, son éloquence et ses autres vertus, le roi Louis xiii lui donna cet évêché où la religion gémissait sous l’oppression de l’hérésie des calvinistes qui triomphaient sur la ruine de tous ses temples et monastères qu’ils avaient abattus, et par le sang des prêtres et des catholiques qu’en 1567, un mardi 29 septembre, ils avaient jetés pendant la nuit dans le puits du palais épiscopal. Il défendit en bon pasteur et rassura les restes de ses brebis encore épouvantées, et augmenta considérablement leur nombre par ses sueurs et ses aumônes. On ne voit presque aucune église ici, non pas même cette cathédrale, qui ne soit relevée par ses bienfaits ou par ses soins, et signala sa charité au péril de sa vie, mais principalement dans le temps de la peste en 1640 qui frappa son troupeau et le couvrit de gloire. Il en perdit la vue, non pas l’inclination, depuis 1643 jusqu’en 1655 que le roi Louis xiv le rendit à sa première épouse, à l’instance du clergé et du peuple de Nîmes, où il mourut en 1670 un vendredi 7e jour de novembre, après avoir laissé à son diocèse, à cette ville et à son chapitre, qu’il aimait tendrement, beaucoup de belles fondations et précieux ornements, qui sont des monuments éternels de sa dévotion et de sa libéralité. Son corps repose dans le tombeau qui est près le côté de l’Évangile. Priez Dieu pour son âme. »

Journal de la Fronde (volume i, fo 19 ro, janvier 1649) :

« Le 15, M. de Cohon, ci-devant évêque de Dol, confident du cardinal Mazarin, fut arrêté prisonnier en cette ville et mis dans le couvent des pères de l’Oratoire. »

Lettre de Mazarin à M. l’évêque de Dol, datée de Saint-Germain, le 10 janvier 1649 (tome iii, page 255) :

« Je vous fais ce mot pour vous prier de trouver quelque moyen de me donner des nouvelles le plus souvent qu’il sera possible dans toutes ces conjectures-ci, prenant soin de vous informer particulièrement de tout ce qui se passe. […] Si on pouvait imprimer secrètement à Paris quelque chose de populaire pour désabuser les peuples des impressions qu’on leur donne, il n’y faudrait pas perdre de temps. »

11.

L’aîné des fils de Michel Tambonneau, président à la Chambre des comptes, se prénommait Jean (mort en 1683). Conseiller au Parlement de Paris, en la quatrième des Enquêtes, en 1629 ; à la mort de son père, en 1634, Jean avait hérité de sa présidence à la Chambre des comptes.

Tallemant des Réaux (tome ii, pages 697‑706) a consacré une longue historiette au président Tambonneau et à la présidente (née Marie Boyer).

Son frère cadet, François-Jérôme, sieur de Roquemont (mort en 1673), avait été reçu conseiller clerc au Parlement de Paris en 1636 en la deuxième des Enquêtes (Adam et Popoff, no 2312).

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 176, 26 février 1649) :

« Aucuns {a} disent que le sieur de Roquemont, aussi conseiller, s’est retiré avec son frère M. Tambonneau, président ès comptes, qui est allé voir Madame sa femme, retirée aux champs, à Maisons, dit-on, près Saint-Germain-en-Laye.
On dit qu’elle se sauva déguisée […]. »


  1. Certains.

12.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 162, 18 février 1649) :

« On a été aussi chez le sieur de Laulne, conseiller au Châtelet de Paris et intendant de M. de Chevreuse, chez lequel on croit qu’il est caché, et on doit y aller et en faire perquisition. »

Guy Patin a dans la suite de ses lettres accusé Claude de Laulne d’être partisan, maltôtier et mazarin. Tout ce qu’on a pu trouver pour appuyer ces médisances est bien fragile : François Le Secq, secrétaire du roi et richissime traitant avait épousé en 1639 une Simone de Laulne, fille d’un contrôleur des traites foraines et domaniales (Dessert a, no 341), qui pouvait être une sœur du conseiller au Châtelet.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 19 février 1649

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(Consulté le 20/04/2024)

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