L. 172.  >
À Charles Spon,
le 16 avril 1649

Je [a][1] vous avertis que j’ai reçu votre lettre du 23e de mars et vous rends grâce du soin qu’avez de moi. Il me semble que l’épileptique [2] dont vous me parlez en votre dernière n’était pas si malaisé à guérir puisque ces vomissements lui sont venus, et d’une manière si étrange. Je vous dirai comment on se gouverne ici en cette maladie et soumettrai à votre jugement la censure de mon avis.

In quavis epilepsia duplicem partem affectam agnoscimus, nempe excipientem, quæ semper est Cerebrum : et mandantem, quæ multiplex esse solet. Si maligna aura, tetra anathymiasis, [3] pravus vapor, acrimonia aut malignitate sua Cerebrum feriant, fit vibratio in Cerebro, motus convulsivus, imo etiam interdum vera convulsio : et hæc est vera, summa et proprie dicta Epilepsia : sed necesse est ut ille vapor habeat partem mittentem certam et definitam : quæ nisi dignoscatur a Medico, vix ac ne vix quidem bene incedet negotium curationis : imo aget Empiricorum more, sine remis, sine velis tandem naufragium facturus : [4] neque enim Cerebrum liberabitur a maligno illo vapore, nisi ipse in fonte intercipiatur : est autem ille fons, vel ventriculus impurus, et intemperatus, ut in pueris ab edacitate et ingluvie ; ut in ebriosis a vino multo, corrupto ; in melancholicis, si per vas breve in fundum ventriculi a liene effundatur excrementitium serum, acre, acidum, putre, atrabilarium : [5] vel est hepar fervidum et multa eluvie obsessum : vel sunt intestina, lenta putrique pituita referta, [6] aut lumbrici in iis contenti : vel est uterus ipse, male moratus, intemperatus, forte cum suppresso menstruo putrescente ; vel privata aliqua cacochymia obsessus, [7] quod facile est coniicere, si meminerimus illam partem in muliebri corpore, cloacæ et sentinæ rationem habere : vel est lien segnior, i. obstructus, aut intemperatus, propriam actionem non perficiens, sive illa sit quædam hæmatosis, ut voluisse videtur Aristoteles, [8] et ex eo Hofmannus, Riolanus, et alii : [9][10] sive sit expurgatio terrestris et crassioris portionis ipsius chyli : [11] ut voluit Galenus, [12] cum vulgo Medicorum : vel est pancreas, aut mesenterium, multa eluvie crassa viscidaque refertum, et multo fortassis pure a latente abscessu interdum amplissimo : vel est pus in alia aliqua parte conclusum, ut in femore, in pede, etc. Si illa concussio cerebri fiat a pure concluso in aliqua parte, necesse est ut illud pus edicatur, aut morbus non desinet : cujus rei infinita exempla suppetunt : imo sæpius vidi puerilem epilepsiam definere ab immutata nutrice, quæ clam meracius vinum sorbebat : est igitur ad epilepsiæ curationem necessaria dignotio partis affectæ, mittentis ad cerebrum, et detractio materiæ in ea contentæ, vel irritus erit omnis labor ad eius curationem susceptus : est igitur habenda ratio partis illius, et ei medicina adferenda pro ratione causæ, i. vel tollenda intemperies, aut saltem imminuenda, vel removenda obstructio, etc., per propria et determinata remedia : debent tamen semper universalia præcedere, etc. Memini me ante annos 18. nobilissimæ iuvenculæ medicinam fecisse quæ ex zelotypia in intensissimum capitis dolorem incidit, et ex eo in epilepsiam : decies aut sæpius per diem convellebatur, mihi accersito statim paruit ; cumque esset plethorica, ex quinquies misso sanguine, soluta illa plenitudine, statim morbus evanuit : nihilominus tamen ne postera recidivam pateretur, ter quaterve fuit repurgata, et in balneum aquæ tepentis demersa, ut viscerum nutritiorum intemperies præfervida castigaretur : mira vis sane tanti pathematis, a quo plethoricum corpus potuit commoveri, ac ipsum Cerebrum concuti : nec unquam recurrit illi morbus ; ab anno tamen hic illa periit, laborioso partu extincta. Cum propria et determinata remedia dico, non alia intelligo ab iis quæ deplent, evacuant, avertunt, refrigerant et deobstruunt, cum debita et exquisita victus ratione, cuius potiorem partem constituit vini abstinentia, in eiusmodi Cerebri affectibus plane necessaria. Ipsa humorum præparatio et coctio opus est naturæ potius quam artis, saltem magis pendet a victus lege, et a sanguinis missione quam ab illis apozematis, quæ in quæstum pharmacopolarum excogitata esse videntur : [13] nihil enim est aliud ipsa concoctio materiæ morbiferæ, quam putredinis repressio atque cohibitio, et intemperiei imminutio vel castigatio, ut optime docet Fernelius. [14] Antiepileptica illa a Chymicis tantopere commendata, ut et eorumdem specifica neque capio, neque iis utor : fabulæ sunt hominum otiosorum, et remedia nullius virtutis, Græcis indicta et incognita. Materia illa viscida ab ægro vestro per vomitum reiecta, plane indicat, aut ipsum ventriculum, aut partes ipsi ventriculo vicinas, partes affectas mandantes fuisse, ipsumque ventriculum sæpius repurgari debuisse propter saburram in ejus fundo contentam[1]

Et voilà mon avis que je soumets à votre prudente censure. Faites-moi la faveur de l’examiner et de m’en mander votre sentiment, auquel je m’offre de déférer ; mais à la charge que si sur ce sujet nous avons différente pensée, nous ne lairrons pas d’être bons amis. Dabis hoc philosophicæ libertati[2] la diversité d’opinions ne doit pas dissoudre l’amitié. [15][16]

Diversum sentire duos de rebus iisdem
Incolumi licuit semper amicitia
[3]

Je ne veux pas oublier à vous dire que les meilleurs purgatifs [17] que je sache, et qui nous sont ici les plus ordinaires, sont le séné [18] et le sirop de roses pâles, [19] en ce cas-là pourvu que le sirop soit d’un an ; si enim fuerit recens, purgat ad instar scammoniatorum[4][20] Le sirop de fleurs de pêcher [21] nous est suspect et plaît moins, d’autant qu’outre qu’il est fort rare (les apothicaires [22] substituant les feuilles de l’arbre dum plurimo suco amaro turgent[5] outre que pour le rendre plus purgatif ils y mettent tremper de la graine de coloquinte), [23] il est aussi plus âcre et plus fondant, [6] les fleurs sont rares et bien plus chères. C’est pourquoi feu M. Piètre [24] s’en défiait et même haïssait ce sirop, lui préférant toujours celui de roses pâles quem dicebat vi pollere aromatica et cardiaca[7][25] pourvu qu’il fût vieux, tout au moins qu’il eût six mois passés. Cassia minus hic competit, quia vaporosa est, multisque fumis Cerebrum opplet. Suus etiam erit rheo locus, modo nulla adsit intemperies præfervida viscerum nutritiorum, præsertim hepatis. Et hæc pauca remedia sufficiunt ad expugnandum hunc morbum, præsertim ubi causa latet in prima regione corporis ; [26] quod si ad secundam usque extendatur, plurimum præfectura est sanguinis missio, etiam sæpius repetita, adeo ut depleantur venæ et quasi exhauriantur liberenturque putri illo tabo quod venosam cacochymiam constituit, quæ sola venæ sectione tuto et secure tollitur[8][27][28] Et voilà ce que j’en pense, c’est à vous à me juger, et j’attends cela de votre équité et de la véritable charité que je crois que vous avez pour moi. [9] Revenons à nos nouvelles.

Tout est ici autant libre que jamais fut : ponts, portes, passages, rivières, messagers, courriers, et toutes sortes de gens y arrivent de toutes parts. M. de Servien, [29] qui était le seul plénipotentiaire à Münster, [30] a été mandé et est arrivé à Saint-Germain. [10][31] M. le maréchal de La Meilleraye [32][33] enfin, après avoir bien marchandé, a remercié de sa charge de surintendant des finances, laquelle n’est pas encore donnée. [11] On dit qu’il y en a trois sur le bureau, savoir ledit sieur de Servien, le président de Maisons, autrement Longueil, [12][34][35] président au mortier, ou M. d’Avaux, [36] lequel est frère du président de Mesmes. [37] Les deux autres me sont fort suspects, ce troisième est honnête homme.

Du mercredi 14e d’avril. Je vous donne avis que j’ai reçu deux lettres en un même jour et en même instant, dont l’une est du 6e d’avril et l’autre du 9e[13] Durant toute notre guerre, on a fait les actes de notre École comme de coutume parce qu’il n’y avait ici aucun changement, sinon qu’on allait à la garde des portes [38] et que le petit peuple, qui n’avait point de provision, achetait le pain un peu plus cher que de coutume ; [39] mais on n’a point fait d’anatomie, d’autant que l’on n’a du tout exécuté personne. [40] Pour les imprimeurs, [41] ils avaient tous cessé et nul d’eux n’a travaillé qu’aux libelles mazariniques. [42] Nous ne savons pas qui sont les auteurs de tant de pièces et cela ne se dit pas encore ; mais quand je vous en enverrai le recueil, je vous en manderai plusieurs que je découvrirai pendant ce temps-là. Quand on montre à M. de La Mothe Le Vayer [43] quelque faute en ses livres (ce qui m’est arrivé cinq ou six fois), on le met aux nues, [14] et se fâche implacablement quasi vellet haberi αναμαρτητος ; [15] et néanmoins, je lui parlerai de son Pentagone au premier rencontre[16] Vos deux lettres ont été rendues à leur adresse par mon valet, que j’ai envoyé à l’instant tout à l’heure, et le port même lui a été rendu sur-le-champ sans le demander, selon ce que je lui avais recommandé. Vous en pourrez assurer ceux à qui il importe. Je suis fort aise de ce qu’avez reçu mes trois grandes feuilles, j’avais grand peur qu’elles ne fussent en hasard. [17] Un professeur du roi nommé M. Tarin, [44] qui est un fort savant homme, a fait un épitaphe à feu M. Piètre, dont je vous envoie une copie. [18] M. Guérin [45] ne peut pas être notre ancien, [46] il y en a encore devant lui deux, savoir MM. Toutain [47] et Riolan. [19][48] Je sais bien que je vous dois trois Institutions de M. Hofmann, [49] et autre chose aussi, dont j’ai céans un mémoire particulier. [20] Je vous demandais seulement ce que je pourrais vous devoir pour la voiture de quelques paquets d’Allemagne, dont il me semble que vous n’avez rien compté. Je vous prie d’y regarder afin que je m’acquitte du tout ensemble. Pour la dette de M. Gras [50] à M. Le Petit, [51] gendre de Mme Camusat, [52] je vous avertis que j’ai plusieurs fois averti ledit gendre que j’avais charge d’acquitter vers lui ledit M. Gras ; lequel m’a toujours répondu, comme il est fort mon ami, que c’était assez puisque c’était moi qui lui devais ; qu’il viendrait quelque jour dîner céans et que nous achèverions cette affaire. Voyant qu’il n’y venait point, je l’ai pressé de me donner une copie du mémoire de M. Gras, que voilà que j’ai devant mes yeux dum hæc scribo[21] par lequel il prétend lui être dû pour sept volumes qu’il a fournis au dit sieur Gras la somme de 10 livres 14 sols. L’hiver est venu, la guerre est venue, tout est demeuré là. Je vous promets que la première fois que j’irai au Pays latin, [53] je l’acquitterai afin qu’il n’en soit plus parlé. Interea quiescite[22] je tâcherai de réduire la dette à neuf livres, ou tout au moins elle demeurera à dix ; et ainsi, je vous devrai encore de reste, longe plura debiturus quamdiu vivam[23] Si M. Gras en attendant vous presse de prendre de son argent, prenez toujours dix livres par provision. L’Archiduc Léopold [54] n’a en tout jamais guère avancé ; et depuis le traité de paix, [55] il est reculé et rentré dans son pays ; et même nos troupes sont allées après lui. Il n’y a point eu ici d’émeute en aucune façon et je vous assure que tout y est aussi calme que si jamais il n’y avait eu de guerre. Nous y voyons même déjà plusieurs provinciaux et gens des champs qui y viennent pour affaires. Il y a seulement eu quelque petit peuple, infimæ et infirmæ regionis[24] qui a demandé à Messieurs du Parlement un arrêt par lequel ils pussent être déchargés de payer leurs hôtes pour le terme passé, durant lequel ils n’ont rien fait ; à quoi Messieurs de la Cour ayant égard ont apporté quelque modération. [25]

Hier, jeudi 15e d’avril, arrivèrent à Paris Mme la duchesse d’Orléans [56] et Monsieur, son mari, [57] qui fut aussitôt visité en son logis par M. le prévôt des marchands [58] et Messieurs les échevins, [59] lequel leur témoigna grande joie de son retour et qu’une autre fois il ne s’en lairra pas emporter comme il fit le jour des Rois ; et néanmoins, il faut se garder du débordement de La Rivière, [60] qui l’emporte où il veut et qui lui fait accroire ce qu’il veut. Mme la Princesse la mère [61] y arriva aussi. [26] Pour le reste, qui est encore à Saint-Germain, ils viendront ici quand ils voudront et lorsqu’ils auront moins de regret et de honte de tout le mal qu’ils ont causé dans la banlieue de Paris à tous les paysans qui n’avaient rien péché. Il n’y a pas encore de surintendant nommé, mais il y a du bruit à la cour, qui éclatera quand il plaira à Dieu. On dit que l’Archiduc Léopold assiège Ypres. [62] Adieu Monsieur. Tuus ex animo, totusque ære et libra[27]

De Paris, ce vendredi 16e d’avril 1649.

Il y a eu ici depuis deux mois quantité de fièvres [63] malignes, qui sont la plupart mortelles, avec saignement de nez, assoupissement, gangrène [64] aux fesses et surtout cum typhomania, quæ est affectus mixtus ex phrenitide et lethargo[28][65]


a.

Ms BnF no 9357, fo 50, lettre sans suscription ni signature, datée du 16 avril 1649. En haut de la marge gauche du recto, une plume, qui n’est pas celle de Guy Patin, a écrit « À M. A.F.C.M.D.R. » (À M. André Falconet, conseiller médecin du roi) ; Du Four (édition princeps, 1683), no xxxii (pages 109‑114), datée du 25 février 1651 ; Bulderen, no liv (tome i, pages 155‑161), le 7 mars 1651 ; Reveillé-Parise, no cccxciii (tome ii, pages 579‑582), le 25 février 1651, toutes à Falconet ; Jestaz no 4 (tome i, pages 426‑433), à Charles Spon (dont l’identité ne souffre aucun doute, v. infra note [13]).

1.

Étant donné la longueur exceptionnelle de ce passage latin, Patin ne l’a pas souligné (c’est-à-dire mis en italique suivant la règle de l’imprimerie), mais placé entre guillemets avec rappel au début de chaque ligne, en y soulignant seulement quelques mots, mis en italique dans la traduction que voici :

« Dans toute épilepsie nous reconnaissons l’atteinte de deux parties, savoir celle qui exécute, qui est toujours le cerveau, et celle qui donne l’ordre, qui n’est d’ordinaire pas unique. Si un souffle malfaisant, une funete flatulence, {a} une vapeur néfaste frappent le cerveau par leur acrimonie ou leur malignité, alors s’y produit une vibration, un mouvement convulsif et parfois même une convulsion vraie. Il s’agit alors de la véritable épilepsie, typique et proprement dite ; mais il est nécessaire qu’une partie du corps, précise et bien définie, soit à l’origine de cette vapeur. Si le médecin ne la discerne pas, il ne progressera qu’à grand-peine dans la recherche de la guérison. {b} On peut même dire qu’il agira à la manière des empiriques, sans rames, sans voiles, jusqu’à aboutir au naufrage ; et de fait, le cerveau ne sera pas libéré de cette vapeur maligne si elle n’est interceptée à sa source même. Or cette source peut être l’estomac corrompu et {c} déréglé, comme il arrive chez les enfants par la voracité et la gloutonnerie ; chez les ivrognes, par le vin frelaté et consommé en excès ; chez les mélancoliques, si un suc excrémentiel, âcre, acide, putride, atrabilaire s’épanche par un vaisseau court depuis la rate jusque dans le fond de l’estomac. Ce peut être le foie enflammé et engorgé par un flux excessif. Ce peuvent être les intestins {d} remplis par une pituite visqueuse et putride, ou des vers qu’ils contiennent. Ce peut être l’utérus parce qu’il est lui-même bloqué et déréglé, avec parfois des menstrues retenues et pourrissantes, ou parce qu’il est engorgé par quelque cacochymie {e} particulière qu’il est facile d’expulser, si nous nous rappelons que dans le corps féminin cette partie a la fonction de sentine et d’égout. Ce peut-être la rate si elle est trop paresseuse, c’est-à-dire obstruée ou déréglée, incapable d’accomplir sa fonction propre : qu’il s’agisse de l’hématose, {f} comme on a vu Aristote le vouloir et après lui, Hofmann, Riolan et d’autres ; ou qu’il s’agisse de l’épuration de la portion grossière et la plus épaisse du chyle lui-même, comme l’a voulu Galien, avec le commun des médecins. Ce peut être le pancréas ou le mésentère rempli par un écoulement trop abondant, épais et visqueux, et en certains cas, par le pus abondant d’un abcès caché, quelquefois très volumineux. Ce peut aussi être du pus enfermé dans quelque autre partie, telle que la cuisse, le pied, etc. Si cette secousse du cerveau provient d’un pus retenu dans une partie quelconque, il est nécessaire de l’évacuer, sans quoi la maladie ne cessera pas. De ce fait nous disposons d’une infinité d’exemples. Ainsi ai-je vu très souvent une épilepsie infantile provoquée par une nouvelle nourrice qui engloutissait du vin pur en cachette. Par conséquent, pour guérir l’épilepsie il est nécessaire de découvrir la partie qui est affectée, celle qui envoie vers le cerveau, et d’évacuer la matière qu’elle contient ; sinon, tout effort entrepris pour la guérir sera sans effet. Il faut donc prendre cette partie en compte et y porter remède selon la cause en jeu, c’est-à-dire qu’il faut ou bien en éliminer l’intempérie, ou bien à tout le moins, la diminuer ou en détourner l’obstruction, etc., au moyen de remèdes propres et adaptés. On doit cependant toujours commencer par des remèdes généraux, etc. Je me rappelle avoir soigné une très noble jeune fille, qui n’avait pas encore 18 ans, chez qui la jalousie {g} déclenchait un très violent mal de tête, d’où elle tombait en épilepsie. Aussitôt qu’on me fit venir, il m’apparut qu’elle était sujette à de telles convulsions dix fois et plus par jour. Comme elle était pléthorique, son mal se dissipa sur-le-champ en délivrant cette plénitude par cinq saignées. Néanmoins, dans la crainte d’une probable récidive, elle fut purgée et baignée dans l’eau tiède à trois ou quatre reprises pour corriger l’intempérie excessive des intestins. La puissance d’une si grande maladie est vraiment étonnante, pour sa capacité à remuer un corps pléthorique et à secouer le cerveau lui-même. Jamais sa maladie ne récidiva ; cependant, voici un an, cette jeune femme est morte ici, emportée par un accouchement laborieux. Quand je dis remèdes propres et adaptés, je n’entends rien d’autre que ceux qui vident, évacuent, détournent, refroidissent et désobstruent, avec le choix convenable et judicieux des aliments, où le plus important est l’abstinence du vin, qui est tout à fait nécessaire dans ce genre de maladies cérébrales. La préparation même et la coction des humeurs sont l’œuvre de la nature plutôt que de l’art ; au moins dépendent-elles bien plus du régime et de la saignée que de ces apozèmes, qui semblent n’avoir été inventés que pour le profit des pharmaciens. La digestion même de la matière morbifique n’est en effet rien d’autre que le refoulement et l’empêchement de la putréfaction, et la suppression ou la diminution de l’intempérie, comme l’enseigne si bien Fernel. Quant à cet antiépileptique tant recommandé par les chimistes, tout comme leurs spécifiques, je ne me les approprie ni ne m’en sers. Ce sont fables d’hommes oisifs et remèdes sans effet, que les Grecs n’ont ni connus, ni mentionnés. Cette matière visqueuse que vomit votre malade indique clairement que les parties affectées responsables ont été soit l’estomac lui-même, soit des parties qui en sont voisines, et on a dû très souvent purger l’estomac lui-même à cause des matières qu’il contient au fond de lui. »


  1. V. note [19] de l’Autobiographie de Charles Patin pour ma traduction du mot anathymiasis, hellénisme fort peu courant dans la langue médicale.

  2. Guy Patin a corrigé purgationis, purgation, en curationis.

  3. vel, ou, corrigé par Patin en et.

  4. V. note [6], lettre 558.

  5. Rétention d’humeur.

  6. Sanguification, transformation du chyle alimentaire en sang.

  7. zêlotupia en grec.

Voilà un précieux exemple du raisonnement médical de Patin, et le fond n’en est pas entièrement mauvais : l’épilepsie est ici considérée comme un symptôme de souffrance cérébrale ; c’est le transport au cerveau d’une perturbation qui affecte une autre partie du corps ; le médecin doit s’attacher à identifier cette cause pour en entreprendre la correction thérapeutique. Les mécanismes incriminés sont ceux, vagues et fort embrouillés, qu’on concevait de ce temps-là. La responsabilité très commune de l’alcool est bien mise en exergue, mais il est surprenant que les maladies du cerveau lui-même ne soient pas explicitement prises en compte, alors qu’elles sont au premier rang des causes de l’épilepsie. Un épileptique qui vomit est aujourd’hui bien plus suspect d’avoir une tumeur du cerveau qu’une maladie de l’estomac.

2.

« Vous concéderez cela à la liberté philosophique ».

Avant de devenir un précepte de Spinoza (Tractatus theologico-politicus, 1670), la libertas philosophandi [liberté de réfléchir] en fut un du libertinage érudit, dérivé de l’épicurisme, si cher à Gassendi et à ses amis.

3.

« Il est toujours permis, sans nuire à l’amitié, d’être deux à avoir un avis différent sur les mêmes choses. »

L’auteur de cette belle devise de tolérance n’est pas connu, mais elle a été souvent utilisée.

4.

« en effet, s’il est frais, il purge à l’égal des scammonées. »

Scammonée : « médicament purgatif et violent. C’est une plante qui porte des rameaux dès sa racine, haute de trois coudées, […] qui a une racine fort longue et grosse comme le bras, blanche, de mauvaise odeur et pleine de jus, qui provoque le vomissement ; qui étant taillée, jette un suc qui s’appelle de même nom et ressemble à la colle de taureau [gélatine de bœuf]. Ce jus est souvent sophistiqué, et est la base de tous les électuaires et pilules laxatives » (Furetière).

5.

« quand elles sont enflées de trop de suc amer ».

6.

On appelait fondants « des remèdes qui servent à fondre les humeurs et à les rendre fluides » (Académie).

7.

« qu’il disait devoir sa force à une vertu aromatique et cardiaque ».

8.

« La casse convient moins bien ici parce qu’elle est pleine de chaleur et remplit entièrement le cerveau d’abondantes fumées. La rhubarbe aura aussi sa place, pourvu que n’existe aucune intempérie très chaude des intestins, {a} surtout du foie. Et ce petit nombre de remèdes suffira à vaincre cette maladie, {b} surtout quand la cause se tient dans la première région du corps ; {c} si elle s’étend jusqu’à la seconde, la saignée est à préférer de beaucoup, même souvent répétée jusqu’au point où les veines soient vidées, et comme purgées et libérées de cette corruption putride qui établit la cacochymie {d} veineuse, que seule la saignée supprime entièrement et sans danger. »


  1. V. note [6], lettre 558.

  2. L’épilepsie.

  3. La première région était la tête, mais pouvait aussi désigner la partie haute et postérieure, dite sus-mésocolique, de l’abdomen : v. note [1], lettre 151.

  4. V. note [8], lettre 5.

9.

Charité est à prendre au sens de « vertu morale qui consiste à secourir son prochain de son bien, de ses conseils et de ses assistances en toutes ses nécessités ». Ici s’achèvent les transcriptions de Bulderen (1715) et de Reveillé-Parise (1846). La suite procure un argument définitif pour dater la lettre du 16 avril 1649 et la destiner à Charles Spon.

10.

Abel Servien, plénipotentiaire de France pour les négociations de paix, était jusqu’alors resté à Münster pour y attendre la ratification des traités par les puissances catholiques concernées. En rentrant à Paris, il était passé par Bruxelles pour tenter en vain de conclure la paix avec les Espagnols (Bertière a). Le roi et la reine le reçurent à Saint-Germain le 13 avril (Levantal).

11.

Remercier : « refuser honnêtement quelque chose » (Furetière).

Mme de Motteville (Mémoires, pages 271‑272) :

« Les finances étaient encore {a} entre les mains du maréchal de La Meilleraye, {b} quoique déjà on eût fait ce jugement de lui qu’il était plus propre à faire des conquêtes avec des armées qu’à faire venir de l’argent avec sa plume. […] Il n’était pas habile en matière de finances, et les gens d’affaires se plaignaient et disaient que les peuples n’étant pas soumis, ils tâchaient à l’ombre de la révolte de s’exempter des taxes, des impôts et des tailles ; qu’il leur fallait une personne qui entendît mieux la manière de les faire payer ; si bien qu’il parut nécessaire pour le service du roi de lui ôter les finances en donnant cette charge à un homme plus patient, plus vigilant, plus expérimenté et plus sain que lui. Il était goutteux et sans avoir les années qui donnent la vieillesse, son corps était plus cassé que ceux qui en peuvent compter quatre-vingts. Il était perclus des mains et des pieds, et souvent il avait des emplâtres sur toute sa personne, qui étaient sa parure la plus ordinaire. Mais enfin il était honnête homme, bon ami, et vivait tout à fait en grand seigneur. Le duc d’Orléans et le cardinal furent le visiter, et demeurèrent d’accord ensemble des grâces qu’il souhaitait. Il demanda d’avoir place dans le Conseil du roi, la survivance de ses gouvernements pour un fils unique qu’il avait de sa première femme, et la survivance de la charge de grand maître d’Artillerie. Cette affaire étant secrètement en cet état, elle s’exécuta quelque temps après ; et nous verrons d’Émery revenir occuper sa première place avec l’applaudissement de ses amis et malgré la haine de ses ennemis. Les derniers firent ce qu’ils purent pour l’en empêcher ; mais enfin ses rivaux le virent emporter la victoire sur eux. Il fut rétabli avec beaucoup de satisfaction de sa part car il avait senti sa disgrâce comme un homme qui était fort attaché à la terre, et qui avait peu d’amour et de respect pour celui qui en est le créateur et le souverain maître. »


  1. Depuis juillet 1648.

  2. V. note [157], lettre 166.

Journal de la Fronde (volume i, fo 21 vo, 14 avril 1649) :

« Ce fut ce jour-là que le maréchal de La Meilleraye remit entre les mains de la reine la commission de surintendant des finances, laquelle n’a encore été donnée ; mais en attendant on arrêta que M. Tubeuf ferait la charge conjointement avec MM. d’Aligre et de Morangis, directeurs des finances. On dit que son péché est d’avoir refusé de donner de l’argent sur quelques billets de S.É. {a} qui portaient que c’était pour des affaires secrètes. »


  1. Son Éminence le cardinal Mazarin.

12.

René de Longueil (Saint-Germain-en-Laye vers 1610-Paris 1677), marquis de Maisons, sieur de Grisolles, était le frère aîné de Pierre et le père de Jean (v. note [142], lettre 166). Il avait été successivement reçu conseiller au Grand Conseil (1618), premier président de la Cour des aides de Paris (1630), second président au Parlement (1642), puis nommé ministre d’État, chancelier de la reine Anne d’Autriche, gouverneur des châteaux royaux de Saint-Germain et de Versailles, ville et pont de Poissy (1645), charges complétées par le gouvernement d’Évreux (sur la démission du duc Claude de Saint-Simon).

La surintendance des finances qui était alors à attribuer revint le 8 novembre 1649 à Michel Particelli d’Émery (que Guy Patin avait omis dans son pronostic). Longueil sut attendre et se maintint fort bien en cour pendant les troubles de la Fronde, opposé à son frère, Pierre, qui soutenait activement la rébellion du Parlement. Cela avait rendu René odieux à beaucoup de monde ; mais en récompense, Mazarin allait le nommer surintendant des finances le 25 août 1650, à la mort de Particelli d’Émery. Après une gestion d’une année, en un temps où le désordre et l’anarchie étaient à leur comble, Longueil fut remplacé par La Vieuville (8 septembre 1651).

Ayant reçu en 1650 le titre de marquis de Maisons, Longueil fit édifier par François Mansart sur son domaine un splendide château qui devint en 1818 la propriété du banquier Laffitte (Popoff, no 115, Jestaz, R. et S. Pillorget et G.D.U. xixe s.). Longueil fut disgracié en 1653 (v. note [4], lettre 322).

13.

Les scrupuleuses annotations de Charles Spon au revers des lettres de Guy Patin datées du 19 février et du 2 avril 1649 établissent en effet qu’il y avait répondu les 6 et 9 avril.

14.

« On dit qu’un homme saute aux nues quand on lui opiniâtre [oppose] quelque chose qui le met fort en colère » (Furetière).

François i de La Mothe Le Vayer (Paris 1588-ibid. 9 mai 1672) avait hérité de son père une charge de substitut du procureur général au Parlement de Paris, mais s’en était rapidement défait pour se consacrer à l’étude de la philosophie et de l’histoire. Il vantait la supériorité des anciens sur les modernes et l’Académie française l’avait reçu en 1639. Richelieu mourant l’avait désigné pour occuper la charge de précepteur du dauphin (v. note [18] du Patiniana I‑1 pour l’Instruction qu’il a rédigée dans cette intention en 1640). Anne d’Autriche, devenue régente, avait refusé de ratifier ce choix en préférant Hardouin de Péréfixe à La Mothe Le Vayer, qui dut en 1647 se satisfaire du titre de précepteur de Philippe, duc d’Anjou et frère cadet de Louis xiv, mais avec maintes occasions de suppléer Péréfixe auprès du jeune roi. Ami de Gabriel Naudé, de Pierre Gassendi et de Guy Patin, La Mothe Le Vayer , sceptique orthodoxe, fut, au sein de l’académie Putéane (v. note [5], lettre 181), l’une des figures du libertinage érudit.

15.

« comme s’il voulait être tenu pour infaillible ».

16.
Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes studieuses de François i La Mothe Le Vayer (Paris, Augustin Courbé, 1648, in‑4o de 761 pages), lettre xliv (pages 493‑494), Des Mathématiques :

« L’arithmétique en est la plus pure partie, de laquelle se sont servis tous ces premiers philosophes grecs dans l’explication de leurs plus hauts mystères. Il y en a du merveilleux dans tous ses nombres, depuis l’Unité, qui est le premier de tous les Êtres et qui constitue leur dernière perfection, jusqu’aux plus éloignées parties du Calcul. C’est peut-être pourquoi Mahomet s’avisa de faire jurer Dieu dans son Alcoran par le pair et l’impair, qui sont le mâle et la femelle, comme autrefois les pythagoriciens par le nombre de quatre. Le Ternaire pourtant semblait bien plus propre, comme celui qu’Aristote observe, dès l’entrée de son premier livre du Ciel, {a} être consacré à Dieu. Cela me fait encore souvenir du serment d’Hippocrate {b} par le Pentagone qui lui représentait la santé. » {c}


  1. Le ternaire est le nombre trois et ses multiples. Le chapitre i, livre i du Traité du ciel d’Aristote traite, entre autre, des trois dimensions de l’espace, de l’importance du nombre trois, selon les Pythagoriciens, et du; rôle qu’il joue dans la composition du monde.

  2. Serment que ne prêtaient pas les médecins français, v. note [8], lettre 659.

  3. Ce Pentagone (auquel Lazare Meyssonnier avait consacré un livre en 1639 (v. note [4], lettre 72), et dont Jacques Perreau a donné une définition (v. note [3], lettre 380), avait de quoi intriguer un lecteur médecin ; Charles Spon avait dû en demander son avis à Guy Patin.

17.

Aux courriers qu’il envoyait à Guy Patin, Charles Spon avait coutume de joindre des lettres qu’il destinait à ses autres correspondants parisiens ; à charge pour Patin de les leur faire parvenir. Spon avait accusé bonne réception des trois premiers feuillets du récit de Patin sur la guerre de Paris (v. note [1], lettre 171).

18.

Cette épitaphe de Nicolas Piètre n’a pas été imprimée.

Jean Tarin (Beaufort, Anjou 1586-Paris 21 janvier 1666) n’avait commencé qu’à 18 ans ses études chez les jésuites, mais avait fait de rapides progrès. Il était monté à Paris en 1615, pour devenir successivement professeur de rhétorique au Collège d’Harcourt (v. note [6], lettre 211), recteur de l’Université (1625-1626) et professeur royal d’éloquence latine au Collège de France (1636). Louis xiii lui écrivit une lettre de félicitations pour avoir fait condamner par le Parlement le traité De Hæresi du jésuite Santarelli qui subordonnait le pouvoir des rois à celui du pape. Tarin avait refusé d’entrer dans les ordres et s’était marié en 1628.

Tarin n’a fait imprimer que quelques pièces d’éloquence. Le fo 113 du Ms BnF no 9357 est un petit poème latin qu’il a écrit à la louange de Guy Patin (dont l’écriture est celle de Hugues ii de Salins) :

De Magistro Guidone Patino epigramma.

Doctior an cupidus discendi plura Patinus
sit mage vix statuet cui bene notus erit.
Iam scit multa et tam scitatur multa relinquat
ut dubium nec sit dicere maior utro.
Certabant docti litem secat unus, aitque
hic quam est
πολυμαθης tam quoque φιλομαθης.

Hæc dictabat Doctissimus et eruditissimus vir Ioannes Tarinus eloquentiæ professor Regius Hugoni de Salins auditori suo. Anno 1653. Lut. Parisiorum
.

[Épigramme sur Maître Guy Patin.

Deviendra célèbre celui qui surpassera ou même égalera Patin en érudition et en avidité d’en apprendre toujours plus. Il en sait déjà tant et il lui en reste tant à savoir qu’on hésite à dire ce qui est le plus vaste des deux. Les savants disputaient et lui seul tranche le débat, et dit que celui qui est polymathe {a} ne l’est pour autant qu’il est aussi philomathe. {b}

Jean Tarin, homme très docte et très érudit, professeur royal en éloquence, dictait ces vers à Hugues ii de Salins, son auditeur. À Paris, l’an 1653].


  1. Polymathe : « homme qui sait beaucoup de différentes sortes de choses » (Trévoux) ; du grec polus [beaucoup] et mathein [savoir] ; synonyme d’érudit.

  2. « qu’il aime les sciences. »

19.

Michel Toutain, originaire de Langres, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1601 (Baron). Le décès de Nicolas Piètre (régent en 1598) faisait de lui l’ancien de l’École. Jean ii Riolan (1604) et Denis Guérin (1605) le suivaient sur la liste d’ancienneté. Toutain mourut le 11 octobre 1649 (v. note [12], lettre 202).

20.

V. notes [12], lettre 92, pour la forme complète en six livres (Lyon, 1645), et [26], lettre 150, pour la forme abrégée (Paris, 1648) des Institutiones de Caspar Hofmann.

21.

« tandis que j’écris ces mots ». Cette dette de Henri Gras, médecin lyonnais, envers Pierre Le Petit, libraire parisien, a été de nouveau évoquée dans des lettres ultérieures.

22.

« En attendant, soyez tranquille ».

23.

« votre débiteur de bien plus, aussi longtemps que je vivrai. »

24.

« d’insignifiante et minable condition ».

25.

Journal de la Fronde (volume i, fo 21, ro, avril 1649) :

« Le 10, Messieurs du Parlement […]
donnèrent arrêt portant qu’en considération de la garde faite pour la conservation de la ville de Paris, les locataires des maisons de la ville seraient déchargés d’un demi-quartier {a} des loyers, et ceux des faubourgs d’un quartier ; ce qui causa beaucoup de difficulté, la ville prétendant le même avantage que les faubourgs, et les femmes ayant fait grand bruit chez M. le premier président. »


  1. Un demi-trimestre.

26.

La cour avait quitté Paris le 6 janvier 1649, jour des Rois. La récente crue de la Seine donnait occasion à Guy Patin d’un mauvais jeu de mot sur l’abbé de La Rivière, alors homme de confiance de Gaston d’Orléans.

Journal de la Fronde (volume i, fo 22 ro, 16 avril 1649) :

« Hier M. le duc d’Orléans arriva en cette ville accompagné du duc de Mercœur et de plusieurs autres seigneurs. Il fut descendre, en arrivant, au Louvre où il visita la reine d’Angleterre. Delà, il s’en alla chez lui où les prévôt des marchands et échevins l’attendaient pour le complimenter et le remercier de ce qu’il avait fait donner la paix au peuple. En même temps, il y fut visité par des députés de toutes les compagnies souveraines, par M. le duc de Beaufort, le maréchal de La Mothe et le coadjuteur de Paris, et par grand nombre d’autres personnes de marque ; ce qui a continué aujourd’hui. S.A.R. {a} s’en doit retourner demain à Saint-Germain.
Mme la Princesse douairière {b} arriva aussi en cette ville où elle a été aussi fort bien reçue. Elle descendit chez Mme de Longueville, sa fille, et delà s’en alla dans l’hôtel de Condé où sa cour a été fort grosse. M. le prince de Conti {c} y retourna loger avec elle. »


  1. Son Altesse Royale, le duc d’Orléans.

  2. De Condé.

  3. Son fils cadet.

Mme de Motteville (Mémoires, page 273) :

« Monsieur, oncle du roi, alla faire un voyage de deux jours à Paris où il reçut de grands honneurs. Le Parlement, ayant consulté ses registres, trouva qu’il avait autrefois député vers un duc d’Orléans comme lui, lieutenant général de l’État et Couronne de France ; si bien que deux présidents et six conseillers le furent visiter en corps pour lui rendre grâces de ce qu’il avait contribué à la paix. »

27.

« Vôtre de tout cœur et en toute franchise. »

Ære ænæaque libra, par la pièce de monnaie (æs) et la balance (libra) d’airain (ænea), est un terme du droit romain utilisé initialement pour qualifier l’acte de mancipation (préhension corporelle d’un bien) : en présence de témoins, l’acheteur pesait la somme de métal convenue sur une balance d’airain, puis y prenait un lingot ou une pièce pour frapper la balance et conclure ainsi le marché en donnant le tout au vendeur.

Journal de la Fronde (volume i, fo 21 vo, 14 avril 1649) :

« Le même jour au soir, on reçut à Saint-Germain des nouvelles d’Arras, que les ennemis avaient investi la ville d’Ypres le 12du courant ; ce qui donna sujet à M. le Prince, qui venait d’arriver de Bouquevilliers, {a} d’aller avec M. le cardinal tenir conseil chez M. le duc d’Orléans. Le comte de Palluau, qui est à Saint-Germain, y fit voir à tout le monde une lettre qu’il avait reçue d’Ypres du 11, par laquelle on ne lui en mandait rien ; ce qui fit qu’à la cour on douta de la vérité de cette nouvelle. L’on sut aussi que l’archiduc s’était retiré de la Champagne avec toute son armée de la même façon qu’il y était entré, sans souffrir que l’on fît aucun désordre, ce qui a donné lieu à plusieurs de louer sa générosité, qui semble néanmoins être plutôt une maxime d’État. »


  1. Bouchevilliers, dans la vallée de l’Eure, à 16 kilomètres au nord de Gisors.

V. note [42], lettre 156, pour la prise d’Ypres par Condé le 28 mai 1648. Les Espagnols l’avaient bel et bien reprise le 11 avril 1649.

28.

« avec typhomanie, qui est un mélange de frénésie et de léthargie. »

La typhomanie (typhomania, τυφομανια, de τυφος, stupeur, et de μανια, délire) est un « délire avec stupeur, ou délire obscur ; tel est le délire qui accompagne ordinairement la fièvre des prisons et qu’on a désigné en latin par le mot subdelirium » (Nysten).

Guy Patin a placé ce post-scriptum dans la marge supérieure du recto de la lettre. Les fièvres qu’il y décrivait évoquent soit le scorbut (v. note [4], lettre 427), soit plus probablement le typhus, infection due à Rickettsia prowazekii, transmise par les déjections du pou pendant les périodes de disette et de promiscuité. Selon ce témoignage médical (peu connu des historiens) le peuple de Paris semblait donc avoir cruellement souffert pendant le siège.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 avril 1649

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(Consulté le 25/04/2024)

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