L. 176.  >
À Charles Spon,
le 14 mai 1649

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière que je vous envoyai vendredi 16e d’avril, en sept pages, lesquelles contiennent tout le reste de l’histoire de notre guerre mazarine avec un épitaphe de feu M. Piètre [2] enfermé dedans, [1] je vous dirai que ce vendredi même, M. le Prince [3] arriva ici sur le soir, sans bruit et à petite compagnie ; et dès le lendemain, qui fut samedi, M. le duc d’Orléans, [4] après avoir couché ici deux nuits, s’en retourna à Saint-Germain. [2][5] Si vous n’avez déjà chez vous le Perdulcis [6] que je vous avais prié de m’acheter, ne l’achetez pas, on m’en a promis ici un ; mais si vous l’avez déjà, envoyez-le moi dans le premier paquet que vous me ferez, s’il vous plaît, et je vous en tiendrai compte. [3] M. le Prince s’en est aussi retourné à Saint-Germain après avoir été pareillement ici deux jours, et après avoir bien reconnu qu’il est fort haï dans cette ville pour le mal qu’il y a voulu faire, à la défense d’un gros et pernicieux larron qui mériterait d’être écorché tout vif par la populace. [4] Ce M. le Prince n’a été ici salué de personne et a vu les rues pleines de monde sans que personne l’ait salué, et même il fut hué et menacé sur le Pont-Neuf, [7] et appelé contumélieusement Bourreau de Paris[5] Il y est venu pour faire mine, je ne sais si bientôt il y reviendra. Comme tous les esprits sont encore trop échauffés et malcontents, je crois qu’il vaudrait mieux qu’il s’absentât un peu et qu’il s’en allât plutôt gagner quelque bataille, ou prendre quelques villes en Flandres [8] ou en Catalogne. [9] Toute la cour est à Saint-Germain. M. de Servien [10] y est arrivé de Münster, [11] qui a refusé la charge de surintendant des finances. Il aimerait mieux rentrer en son ancienne charge de secrétaire d’État, mais M. Le Tellier [12] qui la tient aime mieux y demeurer que de prendre la charge de surintendant des finances qu’on lui offre pour récompense. Et notez que tous deux sont créatures mazarinesques, fort aimés et en grand crédit ; de là vient qu’on dit ici que pour récompense et donner de l’emploi à M. Servien, on le fera garde des sceaux en les ôtant à M. le chancelier[13] Le 19e d’avril est ici mort un de nos vieux docteurs, nommé M. Le Vignon, [14] âgé de 92 ans. Depuis trois ans qu’il était paralytique et qu’il ne bougeait du lit, il avait toujours eu bon appétit, et même a raisonné jusqu’à la dernière demi-heure de sa vie. [6]

Ce 25e d’avril. Le roi, [15] la reine, [16] Messieurs les princes et toute la cour sont à Saint-Germain où ils délibèrent s’ils doivent venir à Paris, d’autant qu’ils sont bien avertis que le peuple y hait extrêmement le prince de Condé et le Mazarin. [17] Si le roi et la reine y viennent, ils seront les bienvenus ; s’ils n’y viennent point, il y a bien du monde résolu de s’en passer, et qui ne les ira pas prier d’y venir. Le roi est notre maître, il nous fera l’honneur de nous venir voir quand il voudra. [18] Pour les autres, s’ils sont bien conseillés, ils n’y viendront point ; la mémoire est encore trop fraîche de la barbarie, de la cruauté et de la tyrannie qu’ils ont exercées ici alentour à trois lieues à la ronde, hormis aux lieux qui leur étaient recommandés ; joint que nous ne doutons pas qu’ils ne nous eussent bien fait pis s’ils eussent pu en devenir les maîtres ; mais celui qui garde la lune des loups, [7] nous a préservés de leur tyrannie.

Ce 1erde mai. Pour réponse à votre dernière, que je viens de recevoir avec grande joie, l’ayant fort souhaitée tant pour apprendre de vos nouvelles que pour savoir si vous aviez reçu mes dernières, comme j’y apprends qu’avez fait et dont je suis fort aise, [1] je vous dirai que je suis fort étonné et fort en peine de savoir (mais je ne suis guère bon devin) qui peut être ce pauvre malheureux et effronté imposteur qui vous a voulu faire accroire qu’il était mon deuxième fils, lequel véritablement se nomme Charlot [19] et est avocat reçu en la Cour dès le mois d’août passé, combien qu’il n’ait pas encore 17 ans. Il étudie fort et ferme en droit, et céans et chez un professeur ; et va au Palais au rang des avocats écoutants, [8] principalement aux grandes audiences, qui n’ont recommencé que depuis Pâques ; et je vous assure qu’il n’a pas été à Lyon, il n’a bougé de céans, ou de Paris. Mon aîné en a fait autant, [20] et tout l’hiver a été assidu à ses actes, aut quasi comes individuus mihi assedit[9] Je lui ai donné 15 jours pour aller prendre l’air et se reposer du travail de l’hiver. Il est avec un trésorier de l’Extraordinaire des guerres [21] à neuf lieues d’ici, vers Provins en Brie. [10][22] Je suis médecin de toute la famille, et y suis fort (absit verbo invidia[11] chéri et estimé. Ils ont eu maintes fois besoin de moi et arte mea[12] et en ont tiré bon secours. Ils sont gens pleins d’amitié et fort civils, et tous deux aiment fort mon Robert et me l’ont demandé avec beaucoup d’instance ; magnum mihi fuisset nefas, renuere[13] nous sommes obligés d’entretenir ces connaissances, lesquelles nous peuvent quelquefois bien servir. Il n’est parti que depuis six jours, c’est pourquoi l’imposteur s’est trompé, qui a dit qu’il était à Valence. [23] Les deux autres sont ici près d’un maître qui leur enseigne, savoir Pierrot et François. [24][25] Je vous remercie du soin qu’avez apporté à découvrir cette fourberie et vous prie de dire à M. Falconet [26] que je me tiens fort obligé à sa bonté du bon accueil qu’il a voulu faire en mon nom à ce pauvre et malheureux imposteur. [27]

Si vous faites des vœux pour ma prospérité, je vous avise et vous assure que vous pouvez être certain qu’il ne se passe jour que je ne parle de vous ou que je n’y pense plus de six fois en diverses occasions ; et principalement lorsque je rencontre ici quelque Lyonnais ou que j’apprends quelque nouvelle digne de vous être mandée, pour quel effet j’ai toujours céans dans mon pupitre une lettre commencée et ébauchée. [28] Pour le Petrie Nicoleos de M. Tarin, [29] c’est une espèce de licence poétique quæ non caret exemplo[14] Ce Tarin est un abîme de science et un des savants hommes du monde, je n’ai jamais vu un tel prodige. Il avait été précepteur de feu M. de Thou, [30] qui fut si misérablement traité à Lyon l’an 1642 (qui est néanmoins l’année que je respecte presque autant que pas une de toutes celles de ma vie, d’autant qu’en icelle j’ai eu le bonheur de votre connaissance, laquelle je chérirai et conserverai inviolablement toute ma vie). [15][31] Je vous laisse à penser si feu M. le président de Thou, [32] son père, eût mis un petit compagnon près de son fils aîné. Il sait le fin et le plus pur latin, tout le grec, toute l’histoire, toute la religion, le cabinet des princes et leurs intrigues, il sait tous les livres et tous les auteurs ; de sorte que jamais Hippias Eleus [33] avec toutes ses mécaniques, [16] ni ce savant Protagoras, [34] qui primus in medio foro ausus est coram multis eruditis dicere προβαλλετε, [17] ne feraient œuvre et ne paraîtraient rien contre M. Tarin. Mais pour revenir à notre imposteur, lequel m’est tout à fait inconnu et dont je ne puis rien deviner, je vous avertis que mes deux grands garçons ont tous deux les cheveux noirs sans avoir rien de rousseau[35] et qu’ils sont tous deux toujours vêtus de noir. Tant que la guerre a duré, Dieu merci, nous n’avons eu aucune nécessité, et n’ai en aucune façon, ni moi, ni les miens, pensé à sortir de Paris ; joint que j’ai toujours cru que l’affaire s’accorderait devant Pâques, quod si factum non fuisset[18] comment la reine, qui est si bonne et si catholique, imo recatholicatissima [19] (comme François Hotman, [36] professeur en droit à Bâle, [37] appelait par reproche son antagoniste Cujas) [38] aurait-elle pu aller à confesse à Pâques et avoir absolution de ses fautes par son confesseur si premièrement elle ne nous eût donné la paix et laissé venir du pain à foison comme elle a fait ? Je me souviens bien de ce chapitre de M. de La Mothe Le Vayer [39] (je n’en ai point céans maintenant le livre, je l’ai prêté), mais je sais bien qu’il n’y en a pas mis la moitié des exemples que j’aurais pu lui fournir et qui se rencontrent fort souvent dans nos histoires, principalement dans Tacite, [20][40] dans l’histoire d’Angleterre d’un certain Petrus Warbeck, [41] et autres dans celles d’Espagne, de Turquie, etc. [21] Mon fils aîné aura 20 ans le 11e du mois d’août prochain, et est presque aussi haut et aussi grand que moi, mais il n’aime pas tant son étude que moi. Utinam tamen fiat tandem alter Tydides, melior patre[22][42][43] Je ne me souviens pas d’avoir jamais connu votre imprimeur M. Carteron, [23][44] et néanmoins je vous prie de le remercier de ma part de ce qu’il me veut donner. Je m’étonne de l’honnêteté de vos libraires, qui donnent si volontiers des livres ; pour les nôtres de deçà, ils ne font rien de pareil. Je pense qu’ils sont ladres fieffés, ils ne donnent ni n’agréent ; [24] et néanmoins ils sont si superbes et si sots qu’ils croient que tout leur est dû. M. le chancelier est ici depuis deux jours. Le roi est sorti de Saint-Germain et est à Chantilly, [45] pour aller à Compiègne. [25][46] M. Jost [47] n’a encore rien reçu, il attend sa balle de jour à autre. C’est une chose prodigieuse de voir la quantité des bateaux qui sont sur la rivière et qui nous apportent du blé et du vin, il y en a ici pour plus de deux ans. Ypres [48] est assiégé, mais il n’est pas pris et les nôtres se défendent dedans fort bien. La Lettre d’avis à Messieurs du Parlement, par un provincial, a été ici réputée la meilleure pièce, avec Le Théologien d’État, la Décision de la question, la Lettre d’un religieux à M. le Prince, la Lettre du chevalier Georges, la Lettre du P. Michel, ermite de Camaldoli, le Manuel du bon citoyen et son Épilogue, etc. [26][49] Je pense que nous en aurons à la fin un recueil. Le privilège de M. Chartier [50][51][52] contient véritablement l’Hippocrate, mais rien de Foesius, [53][54] ce n’en est que le texte et votre libraire qui l’entreprendrait n’en peut être en aucune façon recherché ; joint que ce Chartier est si vieux (75 ans) et si cassé qu’il n’en peut tantôt plus. [27] Dites-lui hardiment que cela ne le doit pas arrêter. Celui même de M. Chartier ne s’achève point, faute de copie bien revenue et faute d’argent. Vous trouverez enfermées dans la présente deux pièces, une latine et l’autre manuscrite française, contenant trois sonnets desquels je ne sais point les auteurs. Vous y verrez aussi un épigramme latin dont l’auteur est Th. de Bèze, [28][55] lequel je trouve fort bien fait et dont l’un des sonnets a été imité. Pour les petites notes qui y sont, prenez-les en bonne part. Je sais bien que vous n’en avez que faire, aussi n’y ont-elles pas été mises pour vous. Je les avais mises là pour l’intelligence plus claire à un riche marchand, notre voisin, qui est un docteur pas latin, et qui en a pris copie de sa main et m’a renvoyé la feuille que je vous envoie, à laquelle j’ai surajouté l’épigramme de Th. de Bèze, combien qu’il ne se trouve pas dans ses œuvres imprimées.

Ce 6e de mai. On ne parle ici que de M. le duc de Beaufort [56] pour qui tous les Parisiens, et particulièrement les femmes, ont une dévotion très particulière. Comme il jouait à la paume [57] dans un fameux tripot [58] du Marais du Temple, [29][59] une partie célèbre, il y a environ douze jours, la plupart des femmes de la Halle [60] s’en allèrent par escouades et par brigades le voir jouer, et lui faire des vœux pour sa santé. [30] Comme elles faisaient du tumulte pour entrer et que ceux du logis s’en plaignaient, il fallut qu’il quittât le jeu et qu’il vînt lui-même à la porte du tripot mettre le holà ; ce qu’il ne put faire ni obtenir s’il ne permettait que ces femmes entrassent en petit nombre les unes après les autres, qui le voulaient voir jouer ; et comme il passa vers ces femmes qui le regardaient si attentivement et de si bon œil, il leur dit : hé bien, ma commère, vous avez voulu entrer, quel plaisir prenez-vous à me voir jouer et à me voir perdre mon argent ? Aussitôt une d’icelles lui répondit en propres termes : Monsieur, jouez hardiment, vous ne manquerez pas d’argent ; ma commère et moi que voilà vous avons apporté 200 écus, et s’il en faut davantage, je suis prête d’en retourner quérir. Toutes les autres femmes commencèrent à crier aussi qu’elles en avaient à son service ; dont il les remercia. Il fut visité ce jour-là par plus de deux mille femmes. Comme deux jours après, il passait près de Saint-Eustache, [31][61] une troupe de femmes commença à lui crier : Monsieur, ne consentez pas au mariage avec la nièce du Mazarin, quelque chose que vous dise ou vous fasse M. de Vendôme ; s’il vous abandonne, vous ne manquerez de rien, nous vous ferons tous les ans une pension de 60 000 livres dans la Halle[32][62] Il a dit tout haut que si on le persécutait à la cour, que pour être en assurance, il viendrait se loger au milieu des Halles où plus de 20 000 hommes le garderaient. [33] Mais voici bien pis, la comédie a pensé devenir une funeste et sanglante tragédie. Ce prince âgé de 32 ans, s’étant échauffé, a bu du vin et de la bière [63][64][65] aussi, [34] et est tombé dans une douleur néphrétique, [66] de laquelle il a plusieurs fois vomi. Dès que cela a été su dans Paris, tout le peuple a voulu incontinent être cru, en disant qu’il avait été empoisonné par ordre du Mazarin ; sa maison aussitôt assiégée d’une infinité d’hommes et de femmes. M. le chancelier qui est ici, sachant tout ce qui se disait par la ville, envoyait à toute heure savoir de sa santé, tout résolu de se déguiser et de s’enfuir au plus vite si le prince eût empiré ; et même bien averti que sa personne et sa maison étaient menacées d’un saccagement par ce peuple s’il en fût mort. [67] Même M. de Vendôme, son père qui est ici présent, a cru qu’il y avait du poison ; et comme les médecins qui venaient de consulter pour ce mal eurent conclu qu’il n’y avait point de poison, [68] ledit père les avertit qu’ils prissent bien garde, que ce poison était italien, et que les Italiens étaient bien plus fins et plus rusés empoisonneurs que les Français (M. Riolan, [69] qui en était l’ancien me l’a conté lui-même). Le roi, la reine, le Mazarin et toute la cour sont à Compiègne, qui ont été tous troublés de la peur de cette nouvelle ; et si la mort de ce prince fût arrivée en suite de ces vomissements, jamais on n’eût pu persuader à tout Paris, grands et petits, que ce prince n’eût été empoisonné. M. le maréchal de La Meilleraye, [70] qui n’est plus surintendant, est ici. C’est chose certaine qu’il est mal avec le Mazarin et à la cour ; il est allé voir M. de Beaufort en sa maladie. Les femmes, sachant que c’était lui et se ressouvenant des barricades du mois d’août passé, [71] ont commencé à crier qu’il fallait le tuer à coups de couteau, ce qu’elles auraient pu faire s’il ne fût rentré tout à l’heure dans son carrosse et ne se fût vivement enfui. Tandis que ce mal a duré, les prêtres mêmes ont gagné à dire des messes pour sa santé ; et s’il en fût mort, je pense que de toutes les créatures mazarinesques, pas une n’en fût échappée de ce qui eût pu se trouver ici, et même notre premier président [72] qui est suspect et déplaît à plusieurs. Cela eût aussi été cause que le Mazarin et par conséquent la reine même ne fussent jamais rentrés dans Paris, pour le peu d’assurance qu’il y eût eu à leurs personnes, de ce peuple irrité et que la présence de ce bateleur de longue robe aurait mis en furie. On a fait proposer à la cour à M. de Vendôme le mariage d’une des nièces du Mazarin [73][74] avec M. le duc de Mercœur, [35][75][76][77] et tels avantages y sont proposés et promis que M. de Vendôme et M. de Mercœur, son aîné, font semblant d’y écouter ; mais Mme de Vendôme la mère du dit de Mercœur, [78][79][80] Mme de Nemours, [81] sa sœur, et M. de Beaufort, son frère, s’en reculent si loin et détestent si fort cette alliance mazarine qu’il y a bien de l’apparence qu’elle ne se fera pas. [36] Tout Paris même abhorre si fort cette proposition qu’on ne parle ici du Mazarin qu’avec détestation. Une des autres nièces était aussi proposée pour le fils aîné de M. de La Meilleraye [82] qui n’en veut point, et c’est une des raisons de sa disgrâce tacite. [37] On en parle maintenant pour le fils aîné de M. d’Épernon [83][84] ou pour le duc de Richelieu, [85][86] qui est en Provence pour le présent, général des galères. [38][87][88] Quand je vois tout cela, je plains les grands qui sont obligés de céder et d’abaisser leur grandeur au caprice d’un pantalon botté, et d’un faquin de favori tel qu’est ce malencontreux et malheureux Mazarin, a cuius furore libera nos Domine[39]

Ce 10e de mai. M. le duc d’Orléans est allé prendre l’air et se promener vers Orléans, [89] Blois [90] et Amboise. [91] Le roi, la reine, M. le Prince et le Mazarin sont à Compiègne. On dit que dans peu de jours ils en partiront et iront à Amiens ; [92] mais on attend auparavant, et pour cet effet, le retour de M. le duc d’Orléans, lequel a été mandé exprès de venir trouver le roi à Compiègne, et qui a répondu qu’il avait encore dix jours d’affaires en ce pays-là. On dit que quand il sera près du roi, que M. le Prince quittera à son tour et s’en ira aussi faire un voyage en Bourgogne. [40] On dit que le Mazarin veut avoir le gouvernement de Picardie et de toutes les villes d’icelle. Il tient déjà Dunkerque, [93] Gravelines [94] est à sa dévotion entre les mains du comte de Grancey, [95] il aura Amiens quand il voudra du maréchal de Chaulnes. [41][96] [Il a fait arrêter M. d’Hocquincourt, [97] gouverneur de Péronne, [98] et le frère aîné du maréchal de La Mothe-Houdancourt, [99][100] qui était gouverneur de Corbie.] La nouvelle s’en trouve fausse. [42][101] Je ne sais pas s’il viendra à bout du reste. L’armée d’Erlach [102] a exercé des cruautés épouvantables et inouïes dans la Champagne, et y ont fait pis que des Turcs[43] Il y en a ici force plaintes, et à la Cour, et force députés marchent de divers endroits, qui ne remportent que belles paroles et eau bénite de cour. Interea patitur iustus, nec est qui recogitet corde[44][103] Le Maine, l’Anjou et le Poitou sont encore en armes, aussi bien que Bordeaux. [45][104]

J’ai aujourd’hui été appelé en consultation [105][106] avec M. Merlet [107] dans le Collège de Lisieux [108] pour le fils d’un conseiller de Rouen. [46] J’ai payé à M. Le Petit, [109] gendre de Mme Camusat, [110] les dix livres de M. Gras [111] et ai fait effacer cette dette sur le livre du marchand. Je vous prie de lui faire mes recommandations et de l’assurer de cette part, comme aussi de mon service en toute autre occasion. Je vous rabattrai cette somme sur ce que je vous dois et dont nous compterons ensemble quelque jour. Il n’y a, Dieu merci, rien qui presse en la somme ; et de plus, il n’y a rien aussi, Dieu merci, qui me presse, ni vous aussi. J’ai visité les plus fameux libraires qui tous ensemble sont bien secs. M. Cramoisy [112] m’a dit qu’il avait reçu de Toulouse [113] un livre in‑4o intitulé Rerum Aquitanicarum, fait par M. Hauteserre, [114] qui est un fort savant homme ; mais comme il avait vendu tout ce qu’il en avait reçu, il faut que j’attende qu’il en vienne d’autres. M. Moreau [115] m’a fort loué cette œuvre. [47] Plusieurs m’ont montré Historiam Brasiliæ in‑fo [116] que le même M. Moreau prise fort peu, et c’est pourquoi je ne l’ai pas achetée ; on la laisse à huit livres, l’an passé on la vendait 14 livres. [48] On m’a dit que Vop. Fortunatus Plempius, [117] professeur de Louvain, [118] a fait réimprimer in‑fo, de beaucoup augmentée, son Ophtalmographie ; est opus eruditum[49] et que j’achèterai dès qu’il sera arrivé. Le P. Caussin, [119] jésuite, achève un grand ouvrage qu’il a entre les mains, qui sera intitulé De Domo Dei ; ce sera un in‑fo qui traitera des cieux, de l’astronomie, [120] des jours climatériques, [121] contre lesquels il parlera comme fait M. de Saumaise, [122] combien que l’on dise qu’il croit à la vanité de la plupart des astrologues. [50][123] Le bonhomme M. Vossius [124] le père est mort à Amsterdam, [125] âgé d’environ 72 ans. Il laisse des enfants fort savants. Il y avait de lui quelques traités sur la presse et entre autres son beau traité en trois parties, revu et augmenté, De Historicis Græcis et Latinis[51] On dit que M. de Saumaise, à la prière du prince d’Orange, [126] écrit pour le feu roi d’Angleterre, [127] qui a été beau-père du dit prince, contre ceux qui lui ont fait trancher la tête : voilà une matière fort délicate, suspecte et problématique, d’autant qu’elle est politique, et en laquelle je ne sais si ce grand homme aura le bonheur de réussir. [52][128] M. Meturas [129] commence à vendre son Riolan [130] in‑fo, 10 livres relié en veau et huit livres 20 sols en blanc. M. Jost, qui attend tous les jours sa balle où est notre paquet, me promet de faire balle bientôt, dans laquelle, outre ce qu’il y aura particulièrement pour vous, vous trouverez cinq exemplaires en blanc de ladite Anthropographie, dont je vous prierai d’en envoyer deux à M. Volckamer [131] à Nuremberg, [132] à votre commodité, et de distribuer les trois autres à MM. Gras, Garnier [133] et Falconet ; quibus singulis salutem offero quam plurimam[53] Il se fait un grand recueil de pièces et libelles contre le Mazarin ; mais d’autant que les magistrats, tam supremi quam infimi[54] ne veulent plus qu’on imprime ici chose aucune, on l’imprimera à Rouen en deux ou trois volumes in‑4o. On imprime ici la harangue funèbre de M. de Châtillon, [134] qui fut tué à Charenton [135] le 8e de février, et laquelle fut prononcée à Saint-Denis. [55][136] L’auteur en est un P. Faure, [137][138][139] cordelier [140] suivant la cour en qualité de pensionnaire de la reine et qui voudrait bien être évêque. C’est celui qui dit à la reine fort effrontément, comme tous les moines sont hominum genus impudentissimum[56] au commencement de notre guerre, qu’en assiégeant et affamant Paris elle ne faisait pas un péché véniel ; dont il a été sanglé bien serré par un libelle qui a été fait exprès contre lui. [57] Et fiez-vous à la théologie de telles gens, qui n’ont ni honneur, ni conscience ! Je vous baise les mains de tout mon cœur et vous prie de croire que je suis sans aucune réserve, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 14e de mai 1649.


a.

Ms BnF no 9357, fos 51‑52 ; Du Four (édition princeps, 1683), no xi (pages 41‑45) ; Bulderen, no xvi (tome i, pages 41‑44), à Charles Spon (très abrégée) ; Reveillé-Parise, nos cciii (tome i, pages 438‑441) à Spon, et ccclxv (tome ii, pages 512‑514) à André Falconet ; Jestaz no 5 (tome i, pages 434‑449).

Cette lettre a été excessivement mutilée dans l’édition de Reveillé‑Parise, et surtout, de longs passages y ont été prélevés pour fabriquer une prétendue lettre à Falconet, datée du même jour ; seules y semblent originales quelques lignes parlant du sac de la propriété des Patin à Cormeilles (transcrites dans la note [18] de la lettre du 2 août 1652).

1.

La seconde lettre (v. note [1], le vendredi 2 avril) contenait les trois premières des six feuilles (fos 41-46 du Ms BnF no 9357, soit 12 pages) du long récit (commençant avec la lettre du 20 mars 1649) de la première Fronde (« guerre mazarine »). Celle du vendredi 16 avril, dont Charles Spon venait d’accuser réception à Guy Patin, était longue d’une feuille (fo 50 recto et verso, soit deux pages) et était accompagnée de la fin du récit, longue de trois fos (numérotés 44 à 46, soit six pages) ; le tout devait donc faire huit et non sept pages. L’épitaphe de Nicolas Piètre était celle de Jean Tarin (v. note [18], lettre 172).

2.

V. notes [26], lettre 172, pour la venue à Paris de Gaston d’Orléans, et [4], lettre 173, pour celle du prince de Condé (arrivé le soir du 16 avril).

3.

V. note [49], lettre 166, pour cette réédition lyonnaise de l’Universa medicina… de Guillaume Pardoux en 1649.

4.

V. note [1], lettre 175, pour l’alliance entre Condé et Mazarin, qui allait bientôt se dissoudre entièrement.

5.

Contumélieux (du latin contumeliosus, outrageant) : « qui dit de vilaines injures, qui fait de honteux affronts » (Furetière).

Journal de la Fronde (volume i, fo 23 ro, avril 1649) :

« Le 16 du courant, M. le duc d’Orléans s’en retourna à Saint-Germain. Le 17 M. le premier président ayant proposé au Parlement, les trois chambres assemblées, de députer vers M. le Prince, il fut dit que cela était sans exemple ; mais sur ce qu’il représenta que S.A. {a} avait donné parole que la déclaration serait observée de point en point, il fut arrêté que les mêmes qui avaient complimenté M. le duc d’Orléans iraient chez M. le Prince. Les Enquêtes répugnèrent beaucoup et après des grandes contestations, il fut arrêté que deux des Enquêtes seulement y iraient, ce qui fut exécuté. M. le Prince, après les compliments, les conduisit jusqu’au bas de son degré. {b} M. le duc de Beaufort le fut aussi voir avec M. de La Mothe, le coadjuteur et tous les autres qui avaient été chefs du parti de Paris. Le lendemain 18, S.A. s’en retourna à Saint-Germain. » {c}


  1. Son Altesse, le prince de Condé.

  2. Escalier.

  3. Une cinglante mazarinade célébra l’événement, Discours sur la députation du Parlement à M. le prince de Condé (Paris, J. Boucher, 1649, in‑4o de 11 pages), attribuée à Paul Portail, conseiller en la troisième Chambre des enquêtes, ou à Bernard de Bautru (v. notule {b}, note [15], lettre 179).

6.

V. note [4], lettre 1, pour Quirin Le Vignon.

7.

« On dit que la Lune est à couvert des loups, qu’elle est en sûreté » (Furetière). Guy Patin utilisait cette métaphore pour nommer Dieu.

8.

Avocat écoutant : « celui qui n’a point encore de pratique » (Furetière).

9.

« ou bien il m’a assisté comme un compagnon inséparable. »

Charles Patin (Charlot) allait devenir médecin après avoir été avocat (v. notes [13] et [14] de son Autobiographie). Son frère aîné, Robert, bachelier de médecine, se préparait alors en seconde année de préparation à la licence (v. note [168], lettre 166, pour sa récente thèse cardinale).

10.

L’Extraordinaire des guerres représentait en temps de guerre la plus grande part des affaires extraordinaires, « apports financiers destinés à compléter occasionnellement les recettes ordinaires que procuraient le Domaine et les impôts directs et indirects ». Il s’agissait d’« expédients » reposant sur des emprunts, des rentes et des traités, qui attribuaient aux partisans, traitants et autres financiers un rôle de tout premier plan dans le système fisco-financier de l’époque (F. Bayard, Dictionnaire du Grand Siècle).

« Le trésorier de l’Extraordinaire de la guerre et les commissaires extraordinaires de guerre sont des officiers destinés à servir dans les occasions de la guerre et pour la dépense extraordinaire qu’il y faut faire, des soins extraordinaires qu’il en faut avoir » (Furetière).

Provins (Seine-et-Marne), ville de Brie, se situe à mi-chemin entre Paris et Troyes.

11.

« qu’il me soit permis de le dire ».

12.

« et de mon art ».

13.

« le refuser eût été fort ingrat de ma part ».

14.

« qui n’est pas sans exemple » : nouvelle allusion à l’épitaphe inédite de Nicolas Piètre par Jean Tarin, déjà mentionnée au tout début de la lettre ; Guy Patin mettait la bizarrerie (hellénisante ?) du titre (Petrie Nicoleos pour Pietrus Nicolaus, au cas nominatif) sur le compte de la licence poétique, ou « liberté que les poètes se donnent contre les règles du langage ou contre l’usage » (Féraud critique).

15.

François-Auguste de Thou, fils aîné de Jacques-Auguste i, avait été décapité à Lyon le 12 septembre 1642 avec Cinq-Mars (v. note [13], lettre 72).

La première lettre de Guy Patin à Charles Spon dont on ait la trace date du 21 octobre 1642 (lettre 71) ; ils s’étaient rencontrés à Paris en juillet de la même année (v. note [29], lettre 229).

16.

Hippias d’Élis, philosophe sophiste d’Athènes contemporain de Socrate (ve s. av. J.‑C.), est surtout connu par les deux Dialogues que Platon lui a consacrés (Hippias mineur, sur le mensonge, et Hippias majeur, sur le beau). Auteur prolifique dont rien ne nous est directement parvenu, il était pourvu d’une mémoire légendaire et d’une connaissance fort étendue de tous les arts et toutes les sciences (« mécaniques ») de son temps.

17.

« qui le premier osa dire, au milieu du forum, face à une multitude de savants hommes : proballete [posez-moi une question] ».

Protagoras d’Abdère (en Thrace, v. note [23], lettre 197, pour cette contrée antique) est un autre sophiste grec du ve s. av. J.‑C. Accusé d’impiété, il dut s’enfuir d’Athènes et périt dans un naufrage en gagnant la Sicile. Platon l’a fait dialoguer avec Socrate dans son Protagoras pour railler les sophistes, leur prétendue science universelle, et leurs discours aussi arrogants que superficiels et spécieux. L’audacieuse apostrophe que Guy Patin attribuait à Protagoras semble plutôt avoir été prononcée par Gorgias, autre sophiste du ve s., qui, toujours selon Platon (qui l’a aussi fait dialoguer avec Socrate), prétendait avoir réponse à tout.

18.

« parce que si tel n’avait pas été le cas ».

19.

« et même ultrarecatholicisée ».

François Hotman ou Hotoman (Hotomanus ; Paris 1524-Bâle 1590), avocat converti au calvinisme en 1547, enseigna le droit romain dans de nombreuses universités. En 1567 il avait succédé à Jacques i Cujas (v. note [13], lettre 106) dans la chaire de droit de Bourges. Il a publié en 1573 son ouvrage le plus important, Francogallia (Francfort, héritiers d’Andreas Wechel, 1586, in‑8o pour la 4e édition), traduit sous le titre de La Gaule française (Cologne, Jérôme Bertulphe, 1574, in‑8o), en réaction au massacre de la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211), contestant, entre autres et avec virulence, l’hérédité de la Couronne de France et la capacité des femmes à gouverner. En riposte, avait paru un ouvrage intitulé :

Ad Franc. Hotomani Franco-galliam Antonii Matharelli, Reginæ Matris a rebus procurandis primarii, Responsio. In qua agitur de initio Regni Franciæ, successione Regum, publicis negotiis, et politia, ex fide Annalium nostrorum, Germaniæque, et aliarum gentium, Græcisque et Latinis Scriptoribus.

[Réponse d’Antoine Matharel, {a} procureur de la reine mère, {b} contre la Gaule française de François Hotman. Il y est question du début du royaume de France, de la suite des rois, des affaires publiques et de la politique, sur la foi de nos annales, et de celles d’Allemagne et des autres nations, ainsi que des auteurs grecs et latins]. {c}


  1. Historien français (1537-1586).

  2. Catherine de Médicis.

  3. Paris, Federicus Morellus, 1575, in‑8o.

Ce livre commence (pages 6‑9) par un Iudicium Papirii Massoni de libello Hotomani [Jugement de Jean-Papire Masson (v. note [7], lettre 16) sur l’opuscule d’Hotman], avec ce propos (page 8) :

Ut verissime Cuiacius dixisse videatur, quod pene præterieram, scripta Hotomani scutica egere. Hoc est iudicium meum de Franco-Gallia, quod nomen malus Grammaticus parum apte iunxit.

[En sorte que semble très vrai ce que Cujas a dit, mais que j’avais presque oublié : que les écrits de Hotman méritent le fouet. Tel est mon jugement sur Franco-Gallia, titre qu’un mauvais grammairien a peu habilement construit].

Hotman avait répondu par son pseudonyme :

Matagonis de Matagonibus, decretorum baccalaurei, Monitoriale adversus Italogalliam sive antifrancogalliam Antonii Matharelli Alvernogeni.

[Avertissement de Matago de Matagonibus, bachelier en droit, contre la Gaule italienne ou l’Anti-Gaule française d’Antoine Matharel, Auvergnat]. {a}


  1. Sans lieu ni nom, 1578, in‑8o ; avec cette citation des Proverbes de Salomon (26) en exergue du titre :

    Responde stulto, secundum suam stultitiam.

    [Réponds au fou selon sa folie].


V. note [3] du Borboniana 10 manuscrit pour le père et le fils de François Hotman, et pour sa conversion au calvinisme.

20.

Tacite (Publius Cornelius Tacitus, 55-120 apr. J.‑C.) est l’historien de l’Antiquité romaine que préférait Guy Patin pour ses narrations précises et sans concessions, et pour la pureté de son latin. Patin a volontiers fleuri ses lettres de citations puisées dans les Histoires (5 livres) et les Annales (16 livres) de celui qu’il appelait parfois Corneille Tacite.

21.

Perkin Warbeck est un imposteur anglais du xve s. qui se fit passer pour le deuxième fils d’Édouard iv, Richard d’York, qui avait été assassiné dans la Tour de Londres en 1483. Warbeck fut pendu en 1499 après avoir joué un rôle extraordinaire sous le règne de Henri vii auquel il disputa le trône d’Angleterre, (G.D.U. xixe s.).

Le texte de François i La Mothe Le Vayer sur les impostures, dont Charles Spon avait parlé à Guy Patin, est la lettre xxvi, De ceux qui ont pris des faux noms, qui se trouve dans ses Petits traités en forme de lettres écrites à diverses personnes (Paris, 1648, v. note [16], lettre 172). Après une longue énumération d’exemples tirés de l’histoire, elle s’achève sur ces mots (pages 298‑299) :

« Ne jugez donc plus si étrange qu’on prenne de faux noms d’hommes puisqu’on n’a pas épargné celui de Dieu, ou qu’on renouvelle aujourd’hui des impostures qui ont été de tout temps pratiquées dans le monde ; si cela se peut dire généralement parlant, sans rien déterminer au fait particulier dont vous m’écrivez, n’en ayant autre connaissance que celle que vous m’avez donnée, qui n’est pas suffisante pour une dernière résolution. »

22.

« Plaise à Dieu pourtant qu’il devienne à la fin un autre Tydidès, meilleur que son père ! » ; Horace (Odes, livre i, xv, vers 26‑27) :

Ecce furit te reperire atrox
Tydides melior patre
.

[Voici le farouche Tydidès, {a} plus brave que son père, qui te cherche avec furie].


  1. Tydidès (ou Diomède, fils de Tydée), héros de la Grèce mythique, commanda les Étoliens au siège de Troie et s’y distingua par tant de belles actions qu’on le regardait comme le plus brave de l’armée après Achille et Ajax.

23.

Jacques Carteron fut libraire-imprimeur à Lyon de 1639 à 1662 ; ses deux fils, Claude et Jean, ont poursuivi son activité (Jestaz).

24.

Ne sont agréables.

25.

V. note [4], lettre 175, pour le premier séjour de la cour à Compiègne (3 mai-15 juin).

Journal de la Fronde (volume i, fo 26 ro et vo) :

« Le même jour, {a} les maréchaux du logis partirent pour aller marquer les logis à Compiègne où la cour s’en va.

Hier, {b} les compagnies souveraines de cette ville reçurent chacune une lettre de cachet par laquelle le roi leur mandait qu’ayant su que les ennemis avaient assiégé deux places en même temps en Flandres, {c} afin de pouvoir plus commodément donner ordre à ses affaires, et que cependant il leur recommandait de tenir la main à ce que toutes choses demeurassent en bon ordre ici et dans le ressort du Parlement de Paris. […]

Ce matin, {d} Sa Majesté est partie de Saint-Germain à 9 heures avec la reine et M. le cardinal, et est allée dîner à Argenteuil et delà coucher à Chantilly où M. le Prince traite ce soir la cour, qui en doit partir dans deux jours pour aller coucher à Compiègne, et S.A. {e} pour aller en Bourgogne.

L’on a remarqué que le roi ayant su qu’on ne le ramenait point à Paris, en a témoigné du déplaisir. Mme la duchesse d’Orléans n’est pas encore partie de Saint-Germain et Mmes les princesses de Condé {f} sont encore ici.

M. le Chancelier est arrivé ici aujourd’hui avec le Conseil privé, mais on dit qu’il suivra la cour à Compiègne. Il avait temporisé jusqu’ici à venir à cause des rentes de l’Hôtel de Ville, qu’il fallait régler auparavant, et d’un nouveau différend qu’il avait avec le Parlement, lequel prétend qu’on a contrevenu à la déclaration du mois d’octobre {g} par un arrêt du Conseil donné la semaine passé en faveur de l’évêque d’Albi, {h} par lequel l’affaire est renvoyée aux Requêtes de l’Hôtel pour y être jugée en dernier ressort. »


  1. 28 avril 1649.

  2. 29 avril.

  3. Il s’en allait en Picardie.

  4. 30 avril.

  5. Son Altesse, le prince de Condé.

  6. La mère et sa belle-fille.

  7. 1648, v. note [10], lettre 162.

  8. Gaspard de Daillon du Lude.

26.

Tous ces libelles frondeurs sont de courtes pièces in‑4o imprimées à Paris en 1649. Guy Patin donnait le titre complet de la Lettre d’avis… ; ceux des autres sont :

27.

Anuce Foës (v. note [23], lettre 7) avait commenté et traduit les œuvres complètes d’Hippocrate en latin (1595) avant René Chartier (alors exactement âgé de 77 ans, v. note [13], lettre 35). Guy Patin pensait que l’exclusivité de Chartier sur les œuvres d’Hippocrate et Galien (v. note [14], lettre 35) n’interdisait pas à un libraire lyonnais (Philippe Borde) de rééditer Foës.

28.

Théodore de Bèze (Vézelay 1519-Genève 1605), écrivain et théologien protestant, a été le principal lieutenant de Jean Calvin. Élevé dans la religion catholique, Bèze consacra la première partie de sa vie aux études, à Orléans, suivies d’une existence frivole et littéraire à Paris.

Ce début dans l’existence lui fut très amèrement reproché par la suite ; voici par exemple ce qu’en a écrit le cardinal de Richelieu dans son Traité qui contient la Méthode la plus facile et la plus assurée pour convertir ceux qui se sont séparés de l’Église, {a} livre ii, chapitre x, Que la vie déréglée des premiers auteurs de la prétendue Réforme nous fait connaître que l’Église qu’ils ont fondée ne peut être la vraie Église de Jésus-Christ (page 293) :

« Bèze étant ecclésiastique et possédant quelques bénéfices, sortit de l’Église romaine en même temps que le Parlement le fit assigner pour être ouï sur une poésie qu’il avait composée, extraordinairement impure et scandaleuse ; {b} mais se sentant coupable d’un si grand excès, il ne répondit à cet auguste Sénat que par fuite et se retira à Genève.

Pour apprendre quel il a été, nous n’avons pas besoin d’autre témoignage que le sien, ayant publié lui-même par les vers qu’il a faits, à l’imitation de Catulle et d’Ovide, qu’il s’était abandonné à des impuretés énormes et monstrueuses ; en considération de quoi, il est appelé par ses propres confrères, la honte de la France, simoniaque, {c} rempli de tous les vices, et de celui même qui a attiré le feu du Ciel. » {d}


  1. Paris, Sébastien Cramoisy, 1651, in‑4o, première édition en 1643.

  2. C’était une épigramme adressée à une femme qui s’appelait Candida.

  3. V. note [4], lettre 586.

  4. La version latine est plus explicite encore : Galliæ probrum simoniacus, sodomita, omnibus vitiis coopertus [honte de la France, simoniauqe, sodomite, affligé de tous les vices].

    Selon l’anonyme Réponse à la Méthode… (Quevilly, Jean Lucas, 1674, in‑fo, page 187), ce n’est pas « un de ses confrères » qui a ainsi médit :

    « Aussi n’est-ce point un Français qui a répandu ce torrent de bile où Bèze est traité de simoniaque aussi bien que de sodomite. C’est à Costerus, Flamand de nation et jésuite de profession. Je ne sais par quelle figure de réthorique on prétend de le ranger entre les confrères de notre ministre. Au reste, Jules César, qui ne buvait point de vin, fut traité d’ivrogne dans le Sénat même. »

En 1548, après une grave maladie, en même temps que paraissait la première édition de ses Poemata Iuvenilia [Poèmes de jeunesse], qu’il chercha à faire oublier pendant toute sa vie (mais qui furent réédités en 1580, sans lieu ni nom, in‑8o de 124 pages), Bèze décida assez subitement de tout quitter pour se rendre en effet à Genève avec sa fiancée ; il s’y convertit au protestantisme, s’y maria et partit en 1549 enseigner le grec à Lausanne. En 1558, il s’installa à Genève comme pasteur et professeur de théologie. À la mort de Calvin (1564), Bèze le remplaça comme recteur de l’Académie de Genève et fit figure de chef du parti réformé. Il a laissé un nombre considérable d’ouvrages où brille son remarquable talent de polémiste mis au service de ses convictions religieuses, mais aussi son attachement à une renaissance littéraire, proclamant la nécessité de prendre les Anciens pour modèles sans les imiter servilement (G.D.E.L. et Bayle).

Bèze fut enterré dans le « cloître de Saint-Pierre, et non pas au cimetière de Plein-Palaix, parce que les Savoisiens s’étaient vantés qu’ils le viendraient déterrer pour l’envoyer à Rome » (Jacob Spon, Histoire de Genève, 1730, page 357).

29.

Tripot : « lieu propre pour jouer à la courte paume [v. note [6], lettre 121]. Ce mot vient à tripudiis, parce que les danseurs de corde, sauteurs, comédiens et baladins ont coutume de louer des jeux de paume pour faire leurs danses, leurs sauts [tripudia en latin] et leurs représentations, comme ayant besoin de grandes salles et lieux élevés pour y dresser leurs cordes et leurs machines : ce qui les a fait appeler tripots par leur nouvel usage » (Furetière).

Scarron (Le Roman comique, tome i, chapitre iii) :

« Dans toutes les villes subalternes du royaume, il y a d’ordinaire un tripot où s’assemblent tous les jours les fainéants de la ville, les uns pour jouer, les autres pour regarder ceux qui jouent. »

30.

Les Halles (ou la Halle) de Paris avaient été construites sous le règne de Philippe-Auguste entre les Innocents et l’église Saint-Eustache, agrandies sous Louis ix (saint Louis), puis entièrement rénovées sous François ier. Elles ont été désaffectées en 1969, puis détruites. « À Paris il y a la halle au blé, la halle aux poirées [fruits et légumes] et la halle couverte où on vend le poisson, la halle aux toiles, aux cuirs. On dit aussi les piliers des halles, où demeurent les fripiers, la halle au vin » (Furetière). C’était le quartier le plus commerçant et le plus populeux de Paris.

31.

L’église Saint-Eustache se trouve au cœur de l’ancien quartier des Halles dans le ier arrondissement de Paris. C’est un très grand édifice dont la construction a duré un siècle (1532-1633), bien que les tours n’en aient jamais été complètement achevées.

32.

M. de Vendôme était César Monsieur, fils légitimé de Henri iv et de Gabrille d’Estrées, et le père des ducs de Mercœur (v. infra, note [35]) et de Beaufort.

33.

L’immense popularité du duc de Beaufort lui venait de son indéfectible opposition au Mazarin, autant que de sa splendide prestance, qui faisait chavirer les femmes, et de sa manière de parler ; Marie d’Orléans (Mémoires, page 61) :

« Il formait un certain jargon de mots si populaires et si mal placés que cela le rendait ridicule à tout le monde, quoique ces mots, qu’il plaçait si mal, n’eussent peut-être pas laissé de paraître fort bons s’il avait su les placer mieux, n’étant mauvais seulement que dans les endroits où il les mettait. Cependant, cela ne le put empêcher de se rendre et de se trouver à la fin maître de Paris ; ce qui donna lieu de dire, pour l’excuser de ce qu’il parlait avec tant de dérangement et si grossièrement, qu’il fallait bien qu’un roi parlât la langue de ses sujets car son grand pouvoir parmi le peuple lui avait acquis le titre du roi des halles. »

34.

Bière (Furetière) :

« boisson faite d’orge, de froment et d’avoine, ou d’une autre sorte de blé. On y ajoute du houblon pour lui donner le goût du vin. On les brasse longtemps et on les fait cuire dans des chaudières, et cette boisson enivre comme le vin. La bière de mars se garde toute l’année. Pour faire la bière, il faut que les brasseurs donnent au grain un commencement de germination, et qu’ils concentrent ensuite dans le même grain la disposition qu’il avait à germer, en le séchant. On y ajoute trois fois autant d’autre grain non germé, qui sont ensemble moulus grossièrement. On jette sur le tout de l’eau à demi bouillante, et ensuite de la froide ; et aprés avoir agité le tout, on le laisse quatre ou cinq jours dans un vaisseau couvert jusqu’à une parfaite fermentation. Quelques-uns y ajoutent de l’ivraie pour irriter {a} davantage le goût. Les Anglais, pour la faire plus agréable, jettent dans les tonneaux aprés qu’elle est brassée, du sucre, de la cannelle et des clous de girofle ; les Flamands, du miel et des épices. {b} Dioscoride dit que la vieille bière engendre enfin la lèpre. On sophistique {c} la bière en y jetant de la chaux pour lui donner plus de force, et en y mêlant de la suie au lieu de houblon. »


  1. Rehausser.

  2. V. note [15], lettre 544.

  3. Frelate.

Après cette description, il n’est guère surprenant que Guy Patin ait tenu la bière pour une boisson malsaine (vchapitre iii du Traité de la Conservation de santé). Sa note [17] explique son nom antique de zythum.

35.

Louis de Vendôme (Paris 1612-Aix-en-Provence 12 août 1669), duc de Mercœur, était le fils aîné de César de Vendôme (v. note [17], lettre 54) et de Françoise de Lorraine-Mercœur, et donc petit-fils de Henri iv et de Gabrielle d’Estrées (v. note [7], lettre 957). Louis avait fait ses premières armes en Piémont aux côtés de Louis xiii en 1630, puis avait servi en Hollande avant de revenir en France après la mort de Richelieu (1642). La fidélité de Mercœur à la Couronne ne faillit jamais, du début à la fin de la Fronde. Duc et pair de France en 1649, il fut nommé vice-roi et commandant des troupes françaises en Catalogne (1649-1651). En 1651, il épousa Laure Mancini dans la chapelle du château de Brühl où son oncle, Mazarin, se trouvait provisoirement en exil. Le cardinal confia en avril 1653 le commandement de Provence à Mercœur ; il y enleva Toulon aux derniers frondeurs et fut ensuite nommé, jusqu’à sa mort, gouverneur de cette province. Après la mort de son épouse, qu’il aimait profondément, il entra chez les capucins et reçut le chapeau de cardinal en 1667 (R. et S. Pillorget).

Laure (ou Vittoria) Mancini (Rome 1636-Paris 8 février 1657), fille aînée de Michele Lorenzo Mancini et de Girolama Mazzarina (Hiéronyme Mazarin, sœur du cardinal), était arrivée à Paris le 11 septembre 1647. Avec son frère Paolo, sa sœur Olympe et sa cousine Anne-Marie Martinozzi, elle devint la compagne de jeux de Louis xiv et de son frère Philippe. Son mariage avec le duc de Mercœur ne put se faire qu’en 1651 à cause de la farouche opposition du prince de Condé. Après la Fronde, Laure mena une vie très pieuse, tantôt à la cour où elle était très appréciée par Anne d’Autriche, tantôt au château d’Anet où elle tenait compagnie à sa belle-mère, Françoise de Lorraine. Elle mourut brusquement à Paris. Son époux confia ses deux jeunes fils à Marianne Mancini, la plus jeune des quatre sœurs de Laure, et se retira de la cour.

Mme de Motteville (Mémoires, page 274) :

« En même temps se fit l’accommodement du duc de Vendôme, qui n’était point venu à la cour depuis qu’il en avait été chassé par l’établissement du cardinal Mazarin. {a} Il avait profité de ces désordres {b} en montrant qu’il n’approuvait pas le procédé audacieux de son fils le duc de Beaufort et qu’il désirait infiniment de devenir ami du ministre. Pour marque de ce désir, il proposa le mariage de son fils le duc de Mercœur avec l’aînée Mancini, nièce du cardinal. Cette proposition ne fut point refusée : elle était avantageuse au ministre et pouvait donner de grandes commodités à ce prince qui en désirait l’exécution afin de rentrer dans la faveur.
Cette guerre civile, où le cardinal Mazarin avait été maltraité, lui avait déplu. Il {c} trouva que des places et des alliances le rendraient plus considérable, et le mettraient en état de se pouvoir défendre par lui-même, sans mendier continuellement la protection du duc d’Orléans et du prince de Condé. En changeant de conduite, il devint plus intéressé qu’il n’avait été jusqu’alors et les mauvais tours de ses ennemis lui firent désirer de se faire redouter de ceux qui lui avaient fait beaucoup de peur. Par ces raisons, il traita avec le duc de Vendôme comme son ami ; et ce prince fut même reçu par la reine avec beaucoup de démonstration de bonne volonté. »


  1. 1643, cabale des Importants, v. note [15], lettre 93.

  2. La guerre de Paris.

  3. Mazarin.

36.

Françoise de Lorraine-Mercœur (1592-1669), fille de Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur (mort sans héritier mâle, en 1602, v. note [12], lettre 965), duchesse de Vendôme, avait épousé (en 1609) César Monsieur (v. note [17], lettre 54). Ils avaient eu trois enfants : Louis, qui hérita de sa mère le titre de duc de Mercœur (né en 1612), Élisabeth, duchesse de Nemours (1614, v. note [9], lettre 84), et François, duc de Beaufort (1616, v. note [14], lettre 93).

37.

V. note [33], lettre 291, pour Armand-Charles de La Meilleraye, futur époux d’Hortense Mancini et duc Mazarin.

38.

Le duc d’Épernon (v. note [13], lettre 18), Bernard de Nogaret de La Valette, avait eu de son premier mariage (avec Gabrielle-Angélique, fille légitimée de Henri iv et de la marquise de Verneuil) un fils, Louis-Charles-Gaston, marquis de La Valette, duc de Candale (v. note [40], lettre 229).

Armand-Jean de Vignerod du Plessis (1629-1715), duc de Richelieu, était le fils aîné de François de Vignerod, marquis de Pont-de-Courlay (v. note [41], lettre 519), général des galères, qui était frère de la duchesse d’Aiguillon et neveu du cardinal de Richelieu. Armand-Jean avait hérité de son grand-oncle, le cardinal-duc, le titre et les armes de duc de Richelieu. Général des galères, comme son père, à 17 ans, il avait commandé la flotte qui se rendait au secours de Napolitains insurgés contre le roi d’Espagne. Après avoir détruit trois vaisseaux de guerre ennemis à Castellamare di Stalia, il avait livré bataille le 22 décembre 1647 à la flotte de Don Juan d’Autriche rencontrée par le travers de Capri ; il avait obligé les navires espagnols à se replier, mais n’avait pu débarquer les renforts destinés aux insurgés. Sous l’influence du prince de Condé, le duc de Richelieu allait épouser secrètement, le 26 décembre 1649, Anne Poussat (v. note [12], lettre 214), première dame d’honneur de la reine, veuve de François Alexandre d’Albret (R. et S. Pillorget). Ce fut le point de départ d’une querelle avec sa tante, Mme d’Aiguillon, dont la suite des lettres de Guy Patin a parlé.

« Officier de la Couronne de France, qui commande les galères, generalis triremium præfectus, le général des galères a porté dans des temps le titre de capitaine général des galères, et en d’autres celui d’amiral de Provence, ou de Levant. Il n’a point à présent d’autre qualité que celle de général des galères, et il a commandement sur la mer Méditerranée. Son pouvoir et son autorité sont réglés par l’ordonnance du roi Charles ix, donnée à Amboise au mois d’avril 1562, registré au Parlement le 8 juin 1563. Le général des galères commande les galères et tous les bâtiments qui portent des voiles latines. Il ne reconnaît de supérieur en mer que l’amiral [de France]. Il arbore l’étendard royal. Il a une juridiction et police navale » (Trévoux).

39.

« de sa folie, libère-nous Seigneur. »

Le Journal de la Fronde (volume i, fo 19 ro et vo, mai 1649) confirme et complète les dires de Guy Patin :

« Le 2 du courant le duc de Beaufort, sortant de jouer à la paume, but un peu frais et ensuite se mit dans un bain, d’où étant sorti il se trouva mal et sentit peu après son estomac fort chargé, ce qui lui fit appréhender d’abord qu’on l’eût empoisonné. Il prit à même temps de l’orviétan, {a} qui est une espèce de contrepoison, lequel le fit vomir fort longtemps. Le bruit s’en étant aussitôt répandu par tout Paris, il y eut toute la journée du 3 une prodigieuse multitude de peuple de l’un et l’autre sexe qui accourut à l’hôtel de Vendôme comme en procession, pour en savoir des nouvelles avec des condoléances inouïes ; et bien que les domestiques de ce duc dissent toujours qu’il était guéri, néanmoins il y eut quantité de bourgeois qui firent des grandes instances pour le voir, ce qui leur fut accordé. Ils eurent la satisfaction de le voir dans son lit et d’apprendre de sa bouche qu’il commençait à recouvrer sa santé ; après quoi, ils se retirèrent, ayant souhaité mille bénédictions, et apportèrent à leurs compagnons la consolation qu’ils en attendaient avec impatience ; ce qui leur fut confirmé de la bouche du duc de Vendôme, son père, du maréchal de La Mothe et du coadjuteur de Paris, ses bons amis, qui furent presque toute la journée auprès de lui. Ces marques d’amitié populaire ont depuis continué tous les jours, mais non pas en si grande foule. Le maréchal de La Meilleraye le fut voir le 4 et y trouva quantité d’harangères {b} dans la basse-cour, dont il y en eu quelqu’une qui ne put pas se contenir de lui dire des injures, et n’épargnèrent pas même le duc de Mercœur, ayant dit tout haut en sa présence que c’était “ un biau mazarin ”. […] L’on a remarqué que le Saint-Sacrement a été exposé pour sa guérison dans l’église de Saint-Roch, sa paroisse. Son mal est une colique néphrétique qui lui a fait jeter deux pierres. On assure que son mariage {c} avec la nièce de M. le cardinal est rompu et que celui-ci, voyant que Mme de Vendôme et M. de Beaufort n’en voulaient pas ouïr parler, a écrit au duc de Vendôme que puisque ses parents n’en étaient pas d’avis, il n’y avait rien de fait ; mais quelques-uns assurent que l’affaire est seulement différée jusqu’au retour de M. le duc d’Orléans. On dit qu’on a envoyé quérir ses trois nièces à Sedan pour les faire revenir à la cour. Le 3, M. le Chancelier manda tous les colonels du quartier et leur dit qu’il avait ordre de les assurer que la reine avait fait dessein de revenir en cette ville avec le roi et toute la cour aussitôt qu’elle aurait fait passer toutes les troupes en Picardie ; que cependant, {d} ils tinssent la main à ce que toutes choses demeurassent dans la tranquillité et qu’ils fissent si bien qu’il n’arrivât rien dans Paris qui pût détourner Leurs Majestés d’y venir. Depuis l’on a parlé de ce retour comme d’une chose assurée, et l’on dit même que la cour serait revenue à Paris il y a longtemps si le duc de Beaufort et le maréchal de La Mothe fussent allés à Saint-Germain ; mais comme ils ont cru n’y être point en sûreté dans Paris et qu’il était à propos auparavant de laisser apaiser tout à fait les esprits, le 4, Leurs Majestés partirent de Chantilly et furent coucher à Compiègne, où elles sont encore. »


  1. V. note [14], lettre 336.

  2. « Femme qui vend du hareng, de la morue, du saumon, et autres salines [poissons salés]. On appelle, figurément et par ressemblance, toutes les femmes rustiques fortes en gueule, qui disent des paroles, ou qui font des actions sales et insolentes, que ce sont des harangères, qu’elles disent des injures de harangères, parce que ces sortes de femmes sont grossières et insolentes » (Furetière).

  3. Celui du duc de Mercœur.

  4. En attendant.

40.

Mme de Motteville (Mémoires, pages 274‑275) :

« M. le Prince était un peu dégoûté de la conduite du ministre, {a} que ses ennemis décriaient tout à fait. Il était […] pressé par sa famille d’entrer dans leurs desseins afin de se faire le maître de la cour, au lieu qu’il n’était, à ce qu’ils disaient, que le valet du cardinal. Mme de Longueville {b} se servit de cette union du ministre avec le duc de Vendôme pour faire haïr à M. le Prince celle qu’il avait eue jusqu’alors avec lui. Elle lui dit que c’était une marque indubitable qu’il {a} ne voulait plus le considérer pour son principal appui, puisqu’il entrait dans d’autres intérêts et prenait dans la cour une autre protection que la sienne ; et qu’il était à croire que le duc de Vendôme, devenant parent du ministre, serait plus considéré que personne auprès du roi et de la reine. Ces raisons, représentées par une sœur qu’il avait fort aimée, furent des armes pour combattre dans le cœur de M. le Prince l’inclination qu’il avait à la paix et à ne se point brouiller à la cour. Ce prince, qui eût été au désespoir si on eût cru que quelqu’un l’eût gouverné, se laissa néanmoins conduire par cette princesse à ce que lui-même, de son mouvement, n’aurait jamais fait.

Cet éloignement de volonté porta M. le Prince à s’éloigner de la cour pour quelque temps. Il fit dessein d’aller en Bourgogne et aussitôt qu’il fit paraître avoir cette pensée, la cause en fut facilement perçue par le ministre, qui ne manqua pas d’avoir des avis sur les dégoûts qui commençaient à se former contre lui dans l’âme de ce prince. »


  1. Mazarin.

  2. Sœur de M. le Prince.

Retz (Mémoires, pages 558-559) :

« M. le Prince ne se pressa pas, comme il avait accoutumé, de prendre, cette campagne, le commandement des armées. Les Espagnols avaient pris Saint-Venant et Ypres, et le cardinal se mit dans l’esprit de leur prendre Cambrai. M. le Prince, qui ne jugea pas l’entreprise praticable, ne s’en voulut pas charger. Il laissa cet emploi à M. le comte d’Harcourt, qui y échoua ; et il partit pour aller en Bourgogne […].

Ce voyage, quoique fait avec la permission du roi, fit peine au cardinal et l’obligea à faire couler {a} à M. le Prince des propositions indirectes de rapprochement. […] et j’appris que M. le Prince faisait état {b} de ne pas demeurer longtemps en Bourgogne et d’obliger, à son retour, la cour de revenir à Paris, où il ne doutait pas qu’il ne dût trouver le cardinal bien plus souple qu’ailleurs. »


  1. Glisser.

  2. Se proposait.

41.

Honoré d’Albert (1581-30 septembre 1649), duc de Chaulnes, avait d’abord été connu à la cour sous le nom de seigneur de Cadenet et grâce à la protection de son frère Charles, duc de Luynes et favori de Louis xiii, avait eu une élévation rapide. Nommé maréchal en 1619, duc et pair en 1621, il avait assisté aux sièges de Saint-Jean-d’Angely et de Montauban (v. note [6], lettre 173), combattu les Espagnols en Picardie, dont il avait été nommé gouverneur en 1633. Il mourut gouverneur de l’Auvergne.

Le maréchal avait épousé en 1619 Claire-Charlotte d’Ailly, comtesse de Chaulnes. Deux de leurs fils portèrent successivement le titre de duc de Chaulnes et sont mentionnés dans la suite des lettres (G.D.U. xixe s., Adam, Bertière a et Jestaz).

« Cadenet avait la tête belle et portait une moustache que de lui on a depuis appelée une cadenette » (Tallemant des Réaux, Historiettes, tome i, page 157).

42.

Phrase que Guy Patin a écrite dans la marge en regard du passage entre crochets qu’il a rayé.

Antoine de La Mothe, seigneur de La Mothe-Houdancourt (1592-1672), gouverneur de Corbie, était le demi-frère aîné du maréchal, Philippe de La Mothe-Houdancourt.

La rapacité du cardinal entraînait la vive opposition de plusieurs des gouverneurs qu’il voulait dépouiller ; Journal de la Fronde (volume i, fo 34 vo, 18 mai 1649). :

« Les lettres de Compiègne arrivées ici le même jour portaient que le traité d’entre M. le cardinal et le duc d’Elbeuf pour le gouvernement de Picardie était fait, mais on ne mandait pas à quelles conditions ; et que Son Éminence voulait avoir aussi toutes les places de cette province-là, dont il avait fait parler à tous les gouverneurs, qui ne pouvaient goûter cette proposition ; ce qui fut confirmé par les lettres d’Amiens qui portaient que M. d’Hocquincourt s’étant défié qu’on lui voulait ôter son gouvernement de Péronne, avait quitté le camp volant {a} qu’on lui avait donné à commander et s’y était jeté dedans ; où ayant reçu ordre de mettre cette place entre les mains du roi, il avait fait réponse qu’il ne la rendrait point à M. le cardinal et qu’il la conserverait pour la remettre entre les mains du roi à sa majorité, et non plus tôt. Le prince d’Harcourt ne veut pas ouïr parler de rendre Montreuil, bien que son père quitte le gouvernement de la province. Le comte de Charost {b} est malade d’état dans Calais, le chevalier de Monteclair dans Doullens, M. d’Houdancourt ne veut pas sortir de Corbie, et il n’y a encore que le vidame {c} qui demeure d’accord de bailler son gouvernement à M. le cardinal. »


  1. « Petite armée forte de cavalerie légère, avec peu d’équipage et sans artillerie, dont les mouvements sont faciles, et qui est propre à aller joindre une armée promptement ou à secourir une place » (Furetière).

  2. V. note [20], lettre 216.

  3. D’Amiens.

43.

Fidèles à la Couronne de France, les Weimariens d’Erlach occupaient la Champagne pour en interdire le passage aux Espagnols qui menaçaient encore de venir soutenir les frondeurs parisiens. Fort irrégulièrement payés de leur solde, les reîtres tiraient directement leur subsistance de la population ; ceux qui désertaient commettaient les pires des exactions.

Une pièce anonyme de l’époque, La Champagne désolée par l’armée d’Erlach (sans lieu ni nom, 1649, petit in‑fo de 8 pages), dresse un tableau très alarmant de la situation en Champagne, mais aussi dans d’autres provinces du royaume. Tout en étant exploités politiquement, les faits relatés dans cette mazarinade de la première vague montrent que la Fronde fut bien autre chose qu’une petite révolution de palais.

« Monsieur, J’ai reçu votre lettre avec douleur et je vous fais une réponse qui ne vous touchera pas moins, et qui n’est pas moins sensible. Vous nous avez appris suivant le bruit commun les violences et les outrages inouïs que les soldats commettent dans le pays du Maine et dans l’Anjou, dont la moindre partie fait horreur au ciel et à la terre ; et par celle-ci, vous apprendrez de quelle sorte ils traitent la pauvre Champagne. Je ne vous dis rien de ce qui se passe à Bordeaux, vous êtes plus proche que moi pour en savoir des nouvelles ; je pense que la flamme des églises brûlées peut être vue de votre lieu, et que vos oreilles ont été effrayées des clameurs des femmes et des enfants brûlés jusqu’au nombre de quarante de chaque sexe dans une seule église. Certes nous pouvons bien dire que depuis cinq ou six mois toute la France est en deuil, les uns par les meurtres de leurs parents qui ont péri sous la rage du siège de Paris, les autres par la douleur et l’affliction des persécutions qu’ils endurent, ou de celles qu’ils voient ou entendent que leurs frères souffrent, et Jésus-Christ même en son précieux corps, dans le plus auguste de nos mystères. Vous l’apprendrez mieux par l’extrait des lettres qui sont venues de Reims depuis quelques jours, aussi n’aurais-je pas assez de cœur pour en faire le récit véritable moi-même.

À Reims, le 3 mai 1649. Erlach avec 6 000 hommes est encore à cinq lieues d’ici sur la rivière d’Aisne. Son avant-garde est plus avant derrière Rethel, et plus loin de la Flandre, il marche quant à lui comme il veut sans autre ordre que pour tout ruiner. Il a dans son armée 14 000 combattants et 22 pièces de canon, plus de mille chariots qui voiturent incessamment en Lorraine tout ce qu’ils prennent et dérobent : 5 000 chevaux de laboureurs pris et emmenés à huit et dix lieues à la ronde, ayant brisé les charrettes et chariots, ôtent entièrement le moyen de labourer et de se remettre. Les hommes, partout où ils les trouvent, les assomment ou estropient, ou mis à telle torture qu’ils en meurent de maladie tôt après. Les femmes et les filles de tout âge, et même des gentilshommes, à la vue des parents, forcées et violées ; dans les églises aussi, où les meurtres sont plus ordinaires à cause que l’on s’y réfugie. Des corps morts et des charognes jetés dans les puits pour les empester, et qui font mourir les pauvres paysans lorsqu’ils se retirent. Toutes les maisons mises à bas ou brûlées, et tout cela pour découvrir s’il y aurait quelque cache d’argent, qu’ils trouvent infailliblement en quelque endroit qu’on le puisse enterrer, même des vieilles caches de cent années et plus. On nous fait craindre ce matin que dix lieues au delà de la rivière, où toute l’armée était passée, à dessein, comme on disait, de s’en aller en Flandres, elle repasse en deçà pour retourner en Lorraine et derechef, les pauvres paysans se réfugient encore ici avec leurs enfants et leurs bestiaux qui leur restent tous mourants. C’est une désolation universelle qui nous doit faire résoudre à souffrir grandement les années suivantes puisque tous les biens de la campagne sont perdus, et les blés sur la terre étant en très mauvais état, n’y ayant point d’espérance de vivre qu’avec grande peine et misère.

On nous vient de dire que toute l’armée est repassée la rivière d’Aisne vers Attigny pour venir en deçà. Sachant que les pauvres paysans s’y sont retirés, ces démons les assomment et brûlent tous. Ils ont forcé et pillé le château de Saint-Lambert où était M. de Joyeuse, lequel s’est sauvé en son château de Vannerville ; mais ce matin, il s’y est trouvé surpris par 2 000 hommes qui le pressent fort et ont déjà tué vingt paysans des siens. Les soldats français mêmes qui ont servi le Parlement s’exercent aux mêmes cruautés par toute la Montagne. {a}

Du 6 mai. Je crains que les grains ne soient chers car il y en a fort peu sur terre. Les Erlach commencent déjà à les manger. Je ne sais quels crimes nous avons commis contre Dieu pour être punis de la sorte. Les Allemands disent tout haut qu’on leur a donné la Champagne en paye et en proie. On ne peut pas s’imaginer ce qui s’y passe et les cruautés que l’on y exerce. Un gentilhomme nommé d’Arbois, d’auprès de Rosoy, étant proche d’être pillé, composa avec des Allemands, de leur donner une somme d’argent ; allant chez lui pour leur livrer, ils aperçurent une fille assez belle ; en même temps, ils lui dirent qu’il n’y avait point de composition si on ne leur donnait cette fille ; ce gentilhomme dit que c’était sa sœur et qu’il mourrait plutôt, et lors il se retira et défendit contre les Allemands qu’il chassa ; mais aussitôt revinrent en plus grand nombre, forcèrent la maison, pendirent ce gentilhomme à la porte avec tous ceux qui étaient dedans et enlevèrent la fille.

Une autre histoire d’un pauvre curé qu’ils envoyèrent quérir sous prétexte d’apporter de Saint-Sacrement à une malade ; il se vêtit et alla pour donner le Saint-Sacrement. Ces impies avaient fait coiffer une chèvre et l’avaient nichée entre deux draps sur un lit, et voulurent violenter le curé de lui donner le Saint-Sacrement, ce qu’il refusa de faire courageusement ; ils le menacèrent de le faire mourir et il dit qu’il n’en ferait rien ; ils le tuèrent, je ne dis pas avec quelle cruauté ; cela fait horreur.

Je crois vous avoir mandé qu’à trois lieues de Reims ils avaient tiré plusieurs coups sur le Saint-Sacrement, en d’autres lieux jeté au vent, et en d’autres fait dessus leurs sales excréments. Je ne sais comme la terre ne s’ouvre pour engloutir tous ces scélérats. d’Alincourt.

Du 7 mai. Je ne vois aucune apparence de retourner à Paris, car vous savez comme nous sommes traités en notre Champagne par le désordre des soldats qui représentent la tragédie du règne de l’Antéchrist {b} en brûlant, pillant, tuant, violant femmes et filles jusqu’à l’âge de huit ans, même sur les autels et marchepieds, dépouillant les prêtres et curés, leur attachant des chats sur le dos et sur le ventre, et les flagellant jusqu’à ce que les pauvres misérables soient tout écorchés. Enfin tirant des coups de pistolets et fusils dans la sainte hostie, en disant : Tiens bougre de curé, voilà ton Dieu que j’ai tué, ne le crains plus, il ne te saurait mordre. Enfin, l’on n’a jamais ouï parler de telles cruautés. Pour ce qui est du temporel, tout est presque perdu. J’en ai écrit à quelques-uns de nos amis de la Compagnie du Saint-Sacrement, {c} afin de représenter tel désordre à la Compagnie pour faire quelques prières tendant à apaiser l’ire de Dieu. Si vous voyez Monsieur de Montorgueil, il serait à propos de lui en rafraîchir la mémoire, ou à quelque autre de votre connaissance, si vous le jugez à propos. Je sais que le tout n’est rien au regard de ce que nous méritons ; mais plaignons les mépris que l’on fait aujourd’hui de Dieu. Gervaise.

Il y a une Vierge qui fait de très grands miracles en ce pays, on la nomme Notre-Dame de Benoît-le-Vaux, ils l’ont prise et toute coupée par pièces pour après la brûler ou la jeter. Il n’y a cruauté dont l’imagination leur met en mémoire, qu’ils n’exercent sur les pauvres peuples, riches, gentilshommes, ecclésiastiques, femmes et filles.

Voilà Monsieur, un échantillon de l’état déplorable des peuples sous la barbarie de la milice, et de ceux qui dominent et possèdent l’État, et l’idée funeste de ce que Paris doit attendre à la fin, après la ruine des autres provinces. Jugez de là l’effronterie et l’impudence de cet infâme Gazetier, qui ose bien dire que les soldats ne font aucun désordre. Mais jugez de là la rage de ce dénaturé ministre qui, par ce moyen, réduira bientôt en un désert le plus florissant royaume de la terre. Prions Dieu qu’il interrompe le cours de ses furieux desseins, qu’il jette dans le feu ces verges dont il nous a frappés si rudement et qu’il perde ce criminel qui cause la perte de tant d’innocents. »


  1. La Montagne de Reims.

  2. V. note [9], lettre 127.

  3. V. note [7], lettre 640.

44.

« Pendant ce temps le juste souffre, et nul ne mettrait de compassion à se préoccuper de lui », avec double référence biblique :

Interea patitur justus est une expression que Guy Patin employait souvent dans ses élans de désolation fiscale ou d’indignation contre les abus du pouvoir politique.

Journal de la Fronde (volume i, fo 31 vo‑32 ro, 9 mai 1649) :

« Ledit jour furent lues dans la Tournelle du Parlement 12 lettres de quelques chanoines de Reims envoyées exprès, lesquelles contiennent quelques circonstances des cruautés horribles que les troupes d’Erlach exercent dans la Champagne […] ; dont les plaintes étant venues à la cour, la reine envoya ordre au général Erlach d’en punir exemplairement les auteurs ; à quoi celui-ci a répondu que ce ne sont pas ses troupes, mais bien des gens sans aveu qui ont suivi l’armée. Toutes les villes de Champagne ont mandé à la cour et au Parlement qu’on ne pouvait plus empêcher les communautés de s’assembler pour courre sus aux troupes, et qu’on y était bien résolu de ne donner point de quartier à aucun soldat. […]
Sur les plaintes faites au Parlement du brigandage, incendies, impiétés, sacrilèges, violements, assassinats et extorsions que commettent les gens de guerre, il y eut arrêt à la Tournelle portant injonction aux baillis, sénéchaux, prévôts des maréchaux d’informer desdits excès, et permission aux communautés de s’assembler pour courre sus aux gens de guerre. Mais la Grand’Chambre fit adoucir cet arrêt en sorte qu’on mît que c’était sur la plainte faite par le procureur général ; et au lieu qu’on avait permis aux communautés de s’assembler pour courre sus aux troupes, on mit “ pour informer desdits excès tant contre les chefs qui en seraient responsables que contre les soldats ”. Les prévôts des maréchaux et autres officiers se feraient assister de tel nombre de personnes qu’ils verraient bon être pour se saisir des coupables et leur faire leur procès. »

Ibid. (fo 34 ro et vo, 18 mai) :

« Le même jour on apprit que la ville de Troyes en Champagne ayant reçu l’arrêt du Parlement donnée le < blanc > de ce mois pour remédier aux désordres que les troupes commettent dans les provinces, la Compagnie du prévôt des maréchaux s’y était assemblée avec des habitants de la ville, lesquels étant sortis au nombre de 400, étaient allés le 14 attaquer des gens de guerre qui se disaient du régiment de Conti et d’autres corps, lesquels sans ordre avaient assiégé le château de Rosières pour y loger, dont ils en tuèrent douze ou quinze, en blessèrent sept ou huit, et chassèrent le reste après avoir fait prisonniers une vingtaine, d’entre lesquels il y a sept ou huit officiers à qui l’on fait le procès. Cette province-là a envoyé des députés à la cour pour supplier la reine d’avoir compassion d’elle et d’y vouloir rétablir la religion catholique, qui ne s’y exerce plus que dans les villes où les gens de guerre ne sont pas les maîtres. Ceux d’Erlach sont encore aux environs de Guise, diminués de plus de la moitié, y continuent leurs violences horribles, ayant écorché à moitié deux paysans tout vifs et arraché les mamelles à des femmes pour les obliger à leur bailler de l’argent ou à leur découvrir des caches. »

45.

Journal de la Fronde (volume i, fos 32 ro, 33 vo, et 34 ro) :

« Ledit jour, {a} on eut avis de Bordeaux que le traité d’entre M. d’Épernon et les Bordelais avait été signé et le premier article exécuté, lequel portait que la ville désarmerait et qu’en même temps M. d’Épernon éloignerait ses troupes, qui ont eu ordre d’aller en Catalogne. […]

Le même jour, {b} on apprit ici que les troupes du roi qui sont dans le Maine ayant fait des grands désordres dans les maisons de la province par l’ordre du marquis d’Amilly qui les commandait et qui voulait se venger du mauvais traitement qu’il avait reçu pendant le blocus de Paris lorsque le marquis de La Boulaye l’en chassa, ce gentilhomme avait envoyé appeler en duel ledit marquis d’Amilly par un homme qui lui dit avoir été choisi pour son second ; auquel ce marquis ayant voulu soutenir qu’il n’était pas gentilhomme, il en fut si outré qu’il poignarda ledit marquis sur-le-champ dans sa maison même. Le 18 on reçut les lettres de Bordeaux du 13, qui portaient que l’on y faisait encore bonne garde et que les Bordelais n’avaient pas licencié leurs troupes, qui sont de 3 000 fantassins et 800 chevaux, à cause qu’ils sont encore dans la méfiance que le duc d’Épernon ne veuille pas exécuter le traité, ni discontinuer le bâtiment {c} de la citadelle de Libourne et rendre le château de Langoiran {d} au président Daffis. L’on sut en même temps que les régiments de Persan et de Gramont continuaient leurs désordres en Poitou. »


  1. Le 11 mai 1649.

  2. 17 mai.

  3. Interrompre la construction.

  4. À 25 kilomètres au sud-est de Bordeaux, sur la rive droite de la Garonne.

46.

Le Collège de Lisieux, était établi rue Saint-Étienne à Paris (actuelle rue Cujas, près du Panthéon). Guy d’Harcourt, évêque de Lisieux, l’avait fondé en 1335 pour recevoir 24 écoliers.

47.

Rerum Aquitanicarum libri quinque, in quibus vetus Aquitana illustratur. Autore Ant. Dadino Alteserra [Ant. Dadinus Alteserra : {a} Cinq livres d’histoires aquitaines, où l’ancienne Aquitaine est mise en lumière]. {b}


  1. Antoine Dadin d’Hauteserre (Cahors 1602-Toulouse 1682), jurisconsulte et historien, professeur de droit à Toulouse.

  2. Toulouse, Arnaldus Colomerius, 1648, in‑4o de 395 pages ; ouvrage dédié à Illustrissimo viro Petro Seguiero, Galliarum cancellario [Pierre iv Séguier, homme illustrissime, chancelier de France], de Toulouse, le 23e de mai 1648.

48.

V. note [17], lettre 153, pour l’« Histoire du Brésil » de Willem Piso et Georg Markgraf.

49.

« c’est un ouvrage savant » :

Vopisci Fortunati Plempii Amstelredamensis, Artium et Medicinæ Doctoris, atque in Academia Lovaniensi Practicen Primo loco Profitentis, Ophtalmographia, sive Tractatio de oculo. Editio altera. Cui præter alia accessere affectionum ocularium curationes…

[Ophtalmographie de Vopiscus Fortunatus Plempius, {a} natif d’Amsterdam, docteur ès arts et en médecine, et premier professeur de pratique médicale en l’Université de Louvain, ou Traité de l’œil. Deuxième édition, à laquelle on a, entre autres, ajouté les traitements des affections oculaires…] {b}


  1. Vopiscus Fortunatus Plempius a correspondu avec Guy Patin.

  2. Louvain, Hieronymus Nempæus, 1648, in‑4o de 252 pages (première édition en 1632, réédition en 1659).

    Ce livre, qui décrit l’anatomie des yeux et la physiologie de la vision, en effleurant la pathologie et la thérapeutique, est illustré d’un portrait de Plempius en 1643, dans sa 42e année d’âge, avec la devise Natura, arte, et fortuna [Oar la nature, l’art et la fortune], suivie de ces vers :

    natura, si metiris indolem, favit :
    ars incubando semen inditum fovit :
    dignum viro fortuna nomen adjecit.
    Quæ terna cum Medicum expleant ; ibi excellant :
    jures Galenum in Plempio revixisso
    .

    [La nature l’a favorisé, dans la mesure où elle moissonne le talent ; en la couvant, l’art a chauffé la graine semée ; la fortune y a ajouté le renom digne de l’homme. Puisque ce sont elles trois qui emplissent le médecin de perfection, elles surpassent ici leurs pouvoirs, car elles ont ressuscité Galien en la personne de Plempius].


50.

V. note [27], lettre 146, pour les discussions de Claude i Saumaise De Annis climactericis… [sur les Années climatériques…] (Leyde, 1648) et pour ce que sont ces périodes de la vie humaine, que Guy Patin comparait à la :

Domus Dei, in qua de Mirabilibus cœli totaque Astrologia, et Vita cœlesti luculenter et copiose disseritur. Additur ad finem Ephemeris astrologica et historica, cum observationibus adversus superstitiosa de astris judicia. Autore R.P. Nicolao Caussino Societatis Iesu.

[Maison de Dieu, où l’on disserte brillamment et abondamment sur les merveilles du ciel et toute l’astrologie, et la vie céleste. On y a ajouté à la fin un Éphéméride astrologique et historique, avec des observations contre les jugements superstitieux sur les astres. Par le R.P. Nicolas Caussin, {a} de la Compagnie de Jésus]. {b}


  1. V. note [5], lettre 37

  2. Paris, Jean Du Bray, 1650, in‑4o, divisé en quatre livres ; réédition à Cologne, Ioannes Kinchius, 1652, in‑4o.

    Le chapitre xvii et dernier du livre iii (pages 153‑156) traite De moris cæterorumque eventuum temporibus, ubi de annis climatericis [Des règles et temps d’autres événements, où il est question des années climatériques], qui sont jugées superstitieuses, mais bien sûr sans allusion à ce qu’en a écit le calviniste Saumaise.


Cet ouvrage suivait le :

Regnum Dei, sive Dissertationes in libros Regum, in quibus quæ ad Institutionem principum illustriumque virorum, totamque politicen sacram attinent, insigni Methodo tractantur. Authore R.P. Nicolao Caussino Societatis Iesu.

[Royaume de Dieu, ou Dissertations sur les livres des Rois, où est traité, par une méthode remarquable, ce qui touche à l’éducation des princes et des hommes illustres, et à toute la politique sacrée. Par le R.P. Nicolas Caussin de la Compagnie de Jésus].


  1. Paris, Jean du Bray, 1650, in‑4o.

51.

« Les Historiens grecs et latins » : v. note [6], lettre 162.

52.

Annonce d’un ouvrage anonyme de Claude i Saumaise, dont Guy Patin a souvent reparlé :

Defensio regia, pro Carolo i ad serenissimum Magnæ Britanniæ regem Carolum ii filium natu maiorem, hæredem et successorem legitimum.

[Défense royale en faveur de Charles ier, dédiée à Charles ii, sérénissime roi de Grande-Bretagne, son fils aîné, et légitime héritier et successeur]. {a}


  1. Sans lieu ni nom, Sumpibus Regiis [sur les deniers royaux], 1649, in‑12 de 720 pages, et in‑4o de 338 pages, édition plus soignée, mais décrite comme in‑fo (v. note [47], lettre 209, pour une explication de cette curiosité).

    V. note [4], lettre 224, pour l’édition française : Apologie royale pour Charles ier, roi d’Angleterre (Paris, 1650).


V. note [114], lettre 166, pour la parenté entre Guillaume ii d’Orange et Charles ier.

53.

« à chacun desquels j’adresse mille compliments. »

L’Anthropographie était le nom que Guy Patin donnait aux Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (Paris, 1649 et 1650, v. note [25], lettre 146).

54.

« les plus grands comme les plus petits ». Dans la foison des libelles contradictoires, il a paru un :

Recueil de plusieurs pièces curieuses, tant en vers qu’en prose, imprimées depuis l’enlèvement fait de la personne du roi, le 6e janvier 1649. jusques à la paix qui fut publiée le 2e jour d’avril de la même année. Et autres choses remarquables arrivées depuis ce temps-là jusques à présent, lesquelles serviront beaucoup à la connaissance de l’histoire. {a}


  1. Sans lieu ni nom, 1649, in‑fo de 2 feuilles, qui se limite à une Préface servant d’avertissement au lecteur, qui défend ardemment les intérêts de la Couronne contre les frondeurs, sans les pièces annoncées dans le titre.

55.

Harangue funèbre prononcée aux obsèques de M. le duc de Coligny, {a} faites à St Denis le samedi xx. février m. dc. xlix. en présence de Monseigneur le prince. {b} Par le R.P. Faure, cordelier, {c} docteur en théologie de la Faculté de Paris, et prédicateur de la reine régente. {d}


  1. Gaspard iv de Coligny, maréchal de Châtillon (v. note [2], lettre 89), tué lors du combat de Charenton, qui fut la seule vraie bataille rangée du siège de Paris (8 février 1649, v. note [71], lettre 166).

  2. Le Grand Condé.

  3. V. infra note [57].

  4. Paris, François Preuveray, 1649, in‑fo de 38 pages.

56.

« l’espèce d’hommes la plus insolente ».

57.

Les Sentiments du public, touchant la doctrine prêchée par le Père Faure. {a}


  1. Paris, Cardin Besongne, 1649, in‑4o anonyme de 15 pages.

L’avis Au Lecteur explique le dessein de ce libelle frondeur :

« Mon cher Lecteur, en dressant ce petit ouvrage, je me suis promis deux choses de ta bonté, sans lesquelles je n’aurais pas mis la main à la plume. La première, que tu suspendras ton jugement contre le Père faure, jusques à ce qu’il se soit expliqué lui-même, n’y ayant pas grande apparence qu’un religieux ait avancé une si dangereuse doctrine ; et quoi qu’il en arrive, que tu n’auras point d’aversion pour sa personne, mais pour ses mauvaises maximes. La seconde, que dans quelque sentiments qu’il soit, cela ne fera point de préjugé en ton esprit contre les autres religieux, ni ne diminuera rien de la charité chrétienne que tu dois avoir pour leurs personnes et pour leur profession. C’est ce que je te demande de tout mon cœur, et que tu pries Dieu pour le roi, qu’il le conserve ; pour la reine, qu’il la bénisse ; pour le cardinal, qu’il le convertisse ; pour le peuple, qu’il le console ; et pour moi, qu’il me fasse miséricorde. »

Laure Jestaz en a donné ce résumé :

« Sous forme d’une lettre au P. Faure, un religieux y réfutait en 15 points l’assurance donnée à la reine que le blocus de la capitale était licite et autorisé par la religion. Non seulement le P. Faure offensait le peuple de Paris, épuisé et affamé, non seulement il offensait la Sorbonne et le Clergé, mais pis, il offensait Dieu en accordant à la régente un pouvoir aussi absolu que le sien sur les vies humaines, et s’opposait aux paroles du Christ prônant la charité et l’amour de son prochain. »

François Faure (Sainte-Aquitière près d’Angoulème 1612-Paris 1687) avait demandé son admission dans l’Ordre des cordeliers dès la fin de ses études et prononcé ses vœux à l’âge de 17 ans. Ses supérieurs l’avaient envoyé étudier la théologie à Paris où il obtint son doctorat et entra dans les grâces de Richelieu. Après la mort du cardinal, Anne d’Autriche avait nommé le P. Faure sous-précepteur de Louis xiv. Son fidèle dévouement à la Couronne durant la Fronde lui valut l’évêché de Glandèves en 1651, puis celui d’Amiens en 1653. Prélat courtisan jusqu’à sa mort, le P. Faure a laissé des ouvrages religieux dévoués à la cause royale ; prédicateur fort prisé, il a fait les oraisons funèbres d’Anne d’Autriche, sa protectrice, de Henriette-Marie, reine d’Angleterre, et de Gaspard iv de Coligny (Michaud et G.D.U. xixe s.).

En théologie catholique, on appelle véniels (du latin venia, pardon) les « péchés légers qui se pardonnent aisément. On n’est pas absolument obligé de s’accuser à confesse de tous les péchés véniels. Le plus grand soin des casuistes est de distinguer les péchés véniels des mortels [qui tuent l’âme, qui la privent de la grâce de Dieu, de l’entrée du Paradis] » (Furetière).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 14 mai 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0176

(Consulté le 18/04/2024)

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