L. 178.  >
À Henri Gras,
le 4 juin 1649

Monsieur, [a][1]

Il y a longtemps que je pense à vous et que j’attends de vos nouvelles. Je vous écrivis deux fois l’année passée et vous envoyai quelques thèses, [2] mais je ne sais si elles vous auront été rendues. Notre Faculté n’est guère changée, sinon qu’il en est mort plusieurs depuis deux ans et entre autres M. Piètre [3] qui a été un homme incomparable. Son fils [4] est aujourd’hui doyen de la Faculté. [1] Vous avez bien su toute notre guerre et comment le parti de Mazarin [5] a été obligé de revenir à un accord au bout de six semaines parce qu’en faisant autrement, toute la France s’allait révolter contre sa tyrannie et prendre le parti de Paris. Le bonhomme Gaspard Hofmann [6] est mort à Altdorf [7] le 3e de novembre dernier ; et depuis deux mois, est mort en Hollande l’un des plus savants hommes qui y fussent, savoir Gerardus Johannes Vossius, [8] âgé de 72 ans, duquel j’ai céans 15 volumes imprimés. Vous savez bien que les Turcs étranglèrent leur Grand Seigneur [9] l’année passée, [2] < et > que les Anglais ont coupé la tête à leur roi [10] le 9e de février dernier. On dit aussi que le roi d’Espagne [11] est mort, mais il n’est pas encore assuré. Enfin, il y a quelque constellation sur les princes souverains. [3] Plût à Dieu qu’elle pût rendre meilleurs ceux qui restent, leurs pauvres peuples s’en sentiraient. Je ne saurais m’imaginer pour quelle cause vous ne m’avez pas fait l’honneur de m’écrire depuis si longtemps. À l’occasion, je vous enverrai de nos nouveautés de deçà, et entre autres de nos thèses et de celles de nos enfants, qui se souviennent toujours de vous avec joie. Je suis, etc.

De Paris, ce 4e de juin 1649.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no xii (pages 45‑47) ; Bulderen, no xviii (tome i, 52‑53) ; Reveillé-Parise, no clv (tome i, 260‑261).

Reveillé-Parise, destine cette lettre à Pierre Garnier, mais Du Four et Bulderen, utilisent les initiales G.D.M., comme dans la lettre du 24 septembre 1648 qui était en fait destinée à Henri Gras, docteur en médecine. L’allusion aux thèses envoyées en 1648 laisse à penser que c’est aussi le cas de cette lettre. On a vu que Guy Patin avait réglé pour Gras une dette de dix livres chez un libraire ; il voulait sans doute se rappeler délicatement à son bon souvenir.

1.

Jean Piètre, fils de Nicolas.

2.

Ibrahim ier (Constantinople 1615-ibid. 18 août 1648), dit le fou, fils d’Achmet ier et frère d’Amurat iv (v. note [14], lettre 45), avait été proclamé sultan en 1640. À peine ce prince, qui avait contrefait l’imbécile pour ne pas être victime de la sanguinaire fureur d’Amurat iv, fut-il tiré de prison pour prendre le trône qu’il s’abandonna à une débauche effrénée. Abruti par les excès, il avait laissé le pouvoir à sa mère, Kösem, et à ses favoris, dilapidé les finances, occasionné plusieurs révoltes par sa tyrannie. Cependant, pendant son règne de neuf ans, l’armée, obéissant encore à l’impulsion vigoureuse donnée par Amurat iv, avait engagé la guerre contre les Vénitiens et s’était emparée de La Canée et de Retimo en Crète (Candie, août 1645, v. note [15], lettre 45). Fatigués de la nullité et de l’inaction de leur sultan, mais surtout révoltés par sa cruauté, les janissaires avaient pris le parti de le déposer puis de l’étrangler, et de mettre à sa place son fils Mahomet, à peine âgé de six ans (G.D.U. xixe s. et A.V.D.).

3.

Constellation est à prendre ici pour malédiction (à laquelle échappait, il est vrai, le roi d’Espagne, Philippe iv, mort le 17 septembre 1665).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Henri Gras, le 4 juin 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0178

(Consulté le 16/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.