L. 180.  >
À Charles Spon,
le 7 juin 1649

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière datée du vendredi 14e de mai, je ne vous puis dire autre chose sinon que l’Archiduc Léopold [2] a repris Ypres [3] le 11e de mai. Il s’en va assiéger Dunkerque. [1][4] S’il le prend encore aussi aisément qu’il a obligé Ypres de se rendre, n’aurons-nous pas grande obligation à la conduite et au gouvernement politique de ce très grand, très incomparable et éminentissime cardinal Mazarin, [5] qui fait si bien nos affaires que rien ne se peut mieux pour le profit des Espagnols ? Il assiège Paris, il emplit la campagne de France de troupes et de soldats plus déréglés que ne seraient des Turcs, et néanmoins, il n’a personne pour opposer en Flandres [6] à nos ennemis, tandis que le Poitou, la Provence [7] et la Guyenne, [8] le pays du Maine, la Normandie, la Picardie et la Champagne sont pleins de gendarmes sans aucune nécessité, qui ruinent et ravagent tout. [2] Nouvelles viennent d’arriver que le mariage est arrêté de M. le duc de Mercœur [9] avec la nièce du Mazarin, [10][11] moyennant cent mille écus que donne l’oncle, et la reine [12] 200 000 livres, avec la charge d’amiral [13] qu’on donne à M. de Vendôme [14] et des lettres de survivance pour son fils aîné, lequel sera vice-roi de Catalogne [15] où il s’en ira tôt après que le mariage sera consommé. [3]

Avez-vous reçu mon portrait [16] que je vous envoyai l’an passé par M. Ravaud ? [17] Il me semble que vous ne m’avez point mandé que l’ayez reçu. [4] Je vous prie aussi de vous souvenir que vous m’avez promis le vôtre et que je m’y attends. [18] J’espère que vous ne frusterez point mon espérance, j’ai déjà une place apprêtée dans mon cabinet [19] pour cet effet iuxta suavissimos parentes et mihi carissimos, in quorum ordine, primatum tenes et familiam ducis[5] Pensez donc à vous acquitter de votre promesse afin que je ne sois point trompé en mon attente, vu même que je ne vous ai point envoyé mon portrait qu’à condition que j’aurai le vôtre de même. Je viens d’apprendre une nouvelle qui m’afflige, savoir la mort de M. Spanheim [20] en Hollande ; c’était un homme honnête et très savant qui méritait de vivre plus longtemps. Je désirerais volontiers que ces grands personnages ne mourussent jamais que quand ils ne pourraient plus être utiles au public. Le même personnage m’a dit qu’il y a du bruit en Hollande pour le massacre que quelques Anglais ont exercé sur un certain Dorislas, [21] sous ombre qu’il était un de ceux qui ont travaillé à la mort du feu roi d’Angleterre. [6][22]

Un avocat du Conseil, nommé M. Bernard < de > Bautru, [23] natif de Sens, [24] accusé ou plutôt découvert par quelque colporteur d’avoir fait imprimer ici un libelle depuis un mois dans lequel M. le Prince [25] et M. le chancelier [26] sont offensés, a été mis prisonnier dans le Châtelet [27] par ordre du lieutenant civil. [7][28] On lui a fait son procès, combien qu’il n’ait pas été convaincu d’être auteur du dit libelle (et de fait, on dit qu’il ne le peut être, n’étant pas assez habile homme pour cela). [8] Son affaire était en mauvais état, la pluralité des avis allait à l’envoyer aux galères. [29] Un conseiller du Châtelet encore jeune homme, nommé Joly, [9][30] venant à dire son avis, parla si hardiment, si librement et si bien pour ce pauvre avocat que la plupart des autres, qui le condamnaient, revinrent ad mitiorem sententiam[10] et ordonnèrent qu’il serait plus amplement informé et que cependant Bautru serait élargi à sa caution juratoire. [11][31] Le procureur du roi du Châtelet, nommé Bonneau, [32] fils d’un riche et grand voleur de partisan[33] en a appelé a minima et le prisonnier a été conduit à la Conciergerie. [12][34] Son procès, donc, lui a été fait à la Tournelle. [35] De deux présidents, l’un nommé M. de Longueil, [36] sieur de Maisons près de Saint-Germain-en-Laye, était d’avis que cet avocat fût traité rudement et comme un criminel, qu’il fût mis sur la sellette, [37] interrogé et traité comme une victime patibulaire ; [13] et semblait en tout cela n’agir qu’à la sollicitation de ceux qui semblaient avoir eu occasion de se plaindre de ce libelle en tant qu’ils s’y sentaient offensés, savoir M. le Prince et M. le chancelier. L’autre président, qui est un Gascon sourcilleux, homme de bien et de grande réputation, et qui peut être appelé justement et méritoirement integer vitæ scelerisque purus[14][38] qui est M. de Nesmond, [15][39] fils d’un premier président de Bordeaux, [40][41] fut d’avis qu’on le traitât seulement comme un avocat qui était accusé, mais qui avait été absous par ses premiers juges au Châtelet, [42] lequel avis fut suivi au grand profit de l’avocat accusé, en faveur duquel la sentence du Châtelet fut confirmée. M. de Maisons qui était d’avis contraire en gronda fort, mais M. de Nesmond lui imposa silence en lui reprochant une bonne partie de ce que je vous ai dit ci-dessus et entre autres que cet avocat l’aurait pu refuser pour juge vu le parti qu’il avait tenu durant notre guerre, et qu’il s’en était fui à Saint-Germain au lieu de tenir ici sa place au Parlement, etc. [16] Enfin, l’avocat est délivré, qui a eu belle peur, et qui est fort accusé par ses amis mêmes de ne s’être pas bien défendu comme il le devait et pouvait faire en une affaire et pour un crime dont il ne pouvait être convaincu vu qu’il n’en est pas l’auteur, et qui néanmoins, n’a pu être découvert parmi toutes ces formalités. Je ne sais qui est le vrai auteur, mais je lui conseille de se bien cacher.

Pour l’imposteur qui s’est servi de mon nom, je vous assure que je ne lui veux point de mal, Non equidem invideo, miror magis[17][43] J’ai pitié de lui et souhaite à ce pauvre jeune homme une meilleure fortune que de mendier alieno nomine supposito[18] C’est peut-être quelque chimiste [44] ou quelque apothicaire qui pense me jouer de la sorte ; mais ce sont gens dont je ne fais pas grand compte. Pour Montpellier, [45] je pense qu’il n’est pas besoin que vous preniez la peine d’y écrire qu’ils se gardent de pareil accident que vous, vu que je n’y connais personne que M. de Belleval [46] à qui j’ai seulement écrit depuis quinze ans environ huit fois en lui recommandant des candidats qui s’y en allaient prendre leurs degrés. Et néanmoins, on m’a dit céans depuis deux ans que M. Courtaud [47] disait qu’il voulait écrire contre moi un livre sous le nom du bedeau de leur Faculté[48] faisant ses plaintes de ce que j’empêchais que de jeunes hommes allassent prendre leurs degrés à Montpellier. Je ne sais si ce bonhomme a songé cela, si ce n’est peut-être que le Gazetier [49] lui aura mandé telle sottise pour tâcher de m’y rendre odieux. Quoi qu’il en soit, je ne le crains point, et s’il ne fait contre moi tout autrement mieux qu’il n’a fait contre < le > défunt M. de La Vigne [50] et notre arrêt, je ne ferai point provision de plumes taillées pour lui répondre. [19] J’ai autrefois connu feu M. Ranchin [51] qui était un homme d’honneur, et même l’ai vu deux fois en cette ville. Il m’a aussi quelquefois honoré de ses lettres et lui ai quelquefois recommandé des candidats qui allaient passer docteurs à Montpellier, qu’il a toujours reçus de bon œil. Et quand feu M. le président Miron [52][53] était intendant de justice en Languedoc, l’an 1631-32-34 et 35, etc., [20] de qui j’avais l’honneur d’être médecin et allié d’assez près, M. Ranchin lui demandait souvent de mes nouvelles, et le bonhomme M. Miron me l’a maintes fois ici raconté depuis son retour. Et je crois certainement que si feu M. Ranchin, qui était habile homme, eût encore vécu l’an 1644, il eût bien empêché que ceux de Montpellier ne se fussent adjoints au procès [54] contre nous avec le Gazetier. Je n’ai point encore la nouvelle édition de l’Ophthalmographia de M. Plempius [55] et je ne sais même s’il en est encore arrivé à Paris aucun exemplaire. Cet auteur me fit l’honneur de m’écrire l’hiver passé une lettre de compliments sur mes deux thèses et me priait de lui en envoyer aussi quelques exemplaires. [21] J’avais ici l’an passé traité un Flamand qui se disait son parent, et qui m’a lié d’affection et d’amitié avec lui ; je lui ai fait réponse et n’en ai rien ouï depuis. Ce Plempius est natif hollandais, né de parents catholiques et ipse catholicus[22] mais qui est tout près de se faire du parti contraire pourvu que ceux de Leyde [56] le veuillent, avec une bonne pension, faire professeur en leur Académie. C’est M. Heinsius, [57] le fils, qui m’a dit le savoir de sa propre bouche. Je n’ai rien ouï dire de l’épitomé de la Pratique de Sennertus, [58] mais il sera vrai là ou jamais ce que l’on dit des abrégés : compendia sunt dispendia[23] Pour la Pratique de Lazare Rivière, [59] je m’étonne qu’on la réimprime à Lyon : [24] ce ne sera point < pour > l’avancement des lecteurs, ce livre est trop empirique ; [60] nimis pauca continet de morborum natura, causis et signis ; nimis multa de remediorum formulis[25] M. Bouvard [61] m’a dit qu’il lui en avait refusé l’approbation pour ces défauts et plusieurs autres qu’il y avait remarqués. Pour le livre du P. Fichet, [26][62] je l’ai reçu par l’ordre de M. Falconet, [63] et l’ai vu. C’est un loyolite qui a fort mal fiché. [27] J’en ai écrit mon avis fort franchement au dit M. Falconet, auquel j’ai fait réponse tout exprès. Eum, si placet, meo nomine salutabis[28] Surtout ce père a très malheureusement rencontré sur le fait de la médecine, il vaudrait mieux qu’il s’amusât à dire ses patenôtres. [29] Je vous prie, nisi molestum fuerit[30] de faire mes recommandations à Messieurs les deux nouveaux associés, MM. Huguetan [64] et Ravaud. Je suis bien aise qu’ils aient fait ce bon accord ensemble, et qu’il dure longtemps à leur contentement et profit. J’espère aussi que le public s’en ressentira. [31] Je suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce 7e de juin 1649.


a.

Reveillé-Parise, no cciv (tome i, pages 441‑446) ; Jestaz no 6 (tome i, pages 450‑455), d’après Reveillé-Parise

1.

Après avoir pris Ypres (v. note [20], lettre 177), les Espagnols tentèrent d’investir Dunkerque, mais en recourant à des moyens moins loyaux que les armes (Journal de la Fronde, volume i, fo 47 vo) :

« Les députés des Suisses firent voir ici il y a trois jours {a} au maréchal de Schomberg une lettre du gouverneur de Nieuport du 8 du courant envoyée aux Suisses de la garnison de Dunkerque, par laquelle il leur mandait qu’il avait ordre de l’archiduc Léopold de les assurer que s’ils voulaient quitter le service de la France, il leur payerait les 13 montres {b} qui leur sont dues sans les obliger de servir l’Espagnol et leur baillerait outre cela, la paye de trois ou quatre mois qu’ils pourraient employer à faire le voyage pour s’en retourner vers l’Allemagne avec des passeports de l’empereur et du roi d’Espagne ; les priant pour cet effet d’envoyer leurs députés en quelque lieu qu’ils voudraient. Outre cette lettre, le comte de Pigneranda en a écrit d’autres de même teneur dans toutes les garnisons françaises où il y a des Suisses, lesquelles ayant été toutes portées à la cour, le cardinal a cru qu’elles étaient supposées, bien qu’elles soient véritables. Son Éminence a écrit aux directeurs des finances des lettres fort pressantes pour les satisfaire et le maréchal de Schomberg a reçu pour eux une assignation de 100 mille livres sur un traité qui se fait sur la fabrique d’une nouvelle espèce de monnaie nommée des liards, {c} laquelle doit être vérifiée à la Cour des monnaies ; et il y a des partisans qui en offrent déjà 1 200 mille livres après la vérification. »


  1. Le 15 juin 1649.

  2. Soldes.

  3. De France.

2.

V. note [43], lettre 176, pour les ravages des armées dans les provinces.

3.

V. note [19], lettre 179, pour les intrigues politiques qui sous-tendaient le mariage du duc de Mercœur avec Laure Mancini.

4.

L’insistance anxieuse de Guy Patin sur ce portrait (v. note [9], lettre 164) était-elle une expression de sa vanité, ou la simple marque de son obsession à vérifier, par ces temps incertains, que le moindre de ses envois était arrivé à bonne destination ?

5.

« aux côtés de mes très doux parents et de ceux qui me sont les plus chers, au rang desquels vous détenez la première place, et dont vous conduisez la troupe. »

Son cabinet, ou bureau particulier, était la retraite favorite de Guy Patin : v. note [47] du Faux Patiniana II‑1.

6.

V. note [4], lettre 179, pour Isaac Dorislaus.

7.

Simon Dreux D’Aubray, seigneur d’Offémont, était fils du trésorier de France à Soissons, Claude D’Aubray, et de Louise Dreux. Maître des requêtes en 1628, il s’était démis de sa charge en 1643 pour devenir lieutenant civil au Châtelet de Paris. Il mourut le 10 septembre 1666, âgé de 66 ans, empoisonné par la marquise de Brinvilliers, sa fille (v. note [5], lettre 877). Il avait épousé Marie Ollier, fille de Jacques Ollier, maître des requêtes et intendant de justice à Lyon. Marie Ollier mourut aussi empoisonnée par sa fille (Popoff, no 1073). Après la mort de Dreux d’Aubray, l’office de lieutenant civil du Châtelet de Paris fut supprimé, pour être remplacé par celui de lieutenant civil du prévôt de Paris (v. note [5], lettre 104).

Dans son appendice sur les Mémoires du cardinal de Retz, Alphonse Feillet (Œuvres du cardinal de Retz, tome second, Paris, Hachette et Cie, 1872, in‑8o, pages 667‑668) commente ce passage de Guy Patin :

« le 28 mai, {a} le Parlement, dont l’action avait d’ailleurs été gourmandée dans quelques écrits du temps, se décida à publier un nouvel arrêt, par lequel il est défendu “ à tous les sujets du roi, de quelque qualité qu’ils soient, de composer, semer ou publier aucuns libelles diffamatoires, à peine de la vie ”.

L’effet de cet arrêt ne se fit pas longtemps attendre : dès les premiers jours de juin 1649, un avocat du Conseil privé, nommé Bernard Bautru, ayant été dénoncé par un colporteur comme ayant fait imprimer un pamphlet de onze pages, intitulé Discours sur la députation du Parlement à M. le prince de Condé, {b} fut arrêté, interrogé, confronté le même jour avec son dénonciateur, et jeté dans un cachot au Châtelet, par ordre du lieutenant civil. L’imprimeur, Jean Bouchet, averti à temps, s’était enfui de son domicile, situé rue des Amandiers, devant le Collège des Grassins, et ne fut pas compris dans la poursuite. Guy Patin (7 juin, tome i, p. 443) dit qu’on ne croyait pas que Bautru eût été capable de faire ce pamphlet, un des plus hardis et des plus insolents qui aient été composés pendant la Fronde, et qui maltraitait également le Parlement et le prince de Condé. {c} Ce procès est curieux parce que c’est la seule affaire de presse dont il nous reste une pièce de procédure : Factum pour Maître Bernard de Bautru, avocat au Conseil du roi, intimé et appelant de la procédure extraordinaire et sentence du quatrième jour du présent mois de juin, contre le substitut du procureur général au Châtelet. Causes et moyens d’appel proposés par le procureur du roi au Châtelet contre Bernard Bautru, 1649, 12 pages. »


  1. 1649.

  2. V. note [15], lettre 179, pour Bernard de Bautru et pour cette mazarinade.

  3. L’auteur était l’avocat Portail (note d’A. Feillet).

8.

V. notes [15], lettre 179, et [7], lettre 180, pour les mécomptes de Bautru sur le Discours sur la députation du Parlement… qu’on lui attribuait, et le Factum pour Me Bernard de Bautru… (sans lieu, 1649). C. Moreau (La Bibliographie des mazarinades, Paris, Jules Renouard, 1850, no 1366, tome 1er, pages 397‑400) a fourni des détails complémentaires sur ce procès.

9.

Guy Joly (mort en 1678), fils d’un avocat, bailli du Temple, et neveu du chanoine Claude Joly (v. note [3], lettre 91), était conseiller au Châtelet de Paris ; il devint syndic des rentes de l’Hôtel de Ville en décembre 1649. Pendant la Fronde, Joly s’était attaché au coadjuteur, le futur cardinal de Retz, pour devenir son secrétaire et fomenter à ses côtés bien des intrigues ; la plus éclatante fut le faux attentat qu’il machina contre lui-même le 11 décembre 1649, dont Guy Patin a parlé plus loin dans ses lettres. Après plusieurs brouilles, les deux compagnons se séparèrent définitivement en 1655, à l’époque du voyage de Retz à Rome.

Joly rejoignit alors résolument le parti du roi et de Mazarin, et rédigea ses Mémoires… contenant l’histoire de la régence d’Anne d’Autriche, et des premières années de la majorité de Louis xiv jusqu’en 1665, avec des intrigues du cardinal de Retz à la cour (Amsterdam, Jean-Frédéric Bernard, 1718, 2 volumes in‑12), où il parle de lui-même à la troisième personne. Voici ce qu’il y dit de l’affaire Bautru (pages 67‑69, réédition par M. Petitot en 1825, tome xlvii de la Collection des mémoires relatifs à l’Histoire de France depuis l’avènement de Henri iv jusqu’à la paix de Paris conclue en 1763) :

« Bautru, {a} avocat au Conseil, ayant été arrêté au sujet d’une pièce offensante pour Son Altesse, {b} dont on l’accusait d’être l’auteur, intitulée Discours sur la députation du Parlement à M. le Prince, la cour témoigna y prendre beaucoup de part et s’intéresser fortement à la satisfaction de M. le Prince, ne négligeant rien pour faire punir cet innocent.

La substance de cet écrit était que le Parlement n’avait {c} pas dû députer à M. le Prince parce que cette Compagnie n’avait jamais fait cette démarche que pour le roi et M. le duc d’Orléans ; et que M. le Prince ayant été l’auteur du siège de Paris, le protecteur du cardinal et la cause de tout ce qu’ils avaient souffert, il n’était pas juste de se réjouir de son retour ; et à la fin, l’auteur, {d} apostrophant M. le Prince, lui pronostiquait qu’il serait la victime du ministre, qui le jetterait dans une prison, d’où il ne sortirait que par la générosité de ceux qu’il avait persécutés sans sujet : ce qui arriva effectivement depuis.

Si M. le Prince eût fait alors une réflexion sérieuse sur cette prédiction, il ne se serait peut-être pas si fort emporté dans cette rencontre ; et il aurait dû juger que les sollicitations publiques de la cour n’étaient que pour l’engager davantage dans cette affaire et pour rejeter sur lui toute la mauvaise humeur qui restait dans l’esprit du peuple. En effet, tous les mouvements qu’il se donna auprès des juges ne produisirent que de nouveaux écrits plus forts, qui furent publiés sous prétexte de la défense de Bautru ; {a} lequel fut enfin déchargé de l’accusation par le Parlement, après avoir couru risque d’être condamné à mort par le Châtelet ; ce qui serait certainement arrivé si le sieur Joly, conseiller au Châtelet, qui commença de se faire remarquer dans cette occasion, n’avait engagé quelques-uns des juges à s’opposer avec lui aux opinions de ceux qui étaient dévoués à la cour. Ce conseiller, par un pur esprit de générosité, entreprit la défense de l’accusé avec tant de chaleur qu’il alla plusieurs fois dans le cachot instruire le prisonnier de ce qu’il avait à faire et à dire ; mais ce malheureux était si troublé qu’au lieu de profiter des conseils qui lui avaient été donnés, il pensa se perdre lui-même par ses réponses. Le sieur Joly avait été jusques alors infiniment uni avec le sieur d’Aubray, lieutenant civil, dont il rapportait tous les procès ; mais ils rompirent dans cette occasion et en vinrent même à des paroles assez fortes. »


  1. Orthographié Beautou dans le texte original.

  2. Condé.

  3. N’aurait.

  4. Bautru.

10.

« à une plus douce sentence ».

11.

Caution juratoire : « serment que fait une personne, ou qu’on présuppose qu’elle doit faire en justice, d’accomplir ce qui lui a été ordonné : de se représenter à toutes assignations, de rapporter des meubles ou papiers, de payer le juge, etc. On élargit souvent des prisonniers, on donne des main-levées à des débiteurs à leur caution juratoire » (Furetière).

12.

Étienne Bonneau était le sixième fils de Thomas Bonneau et d’Anne Pallu (v. note [19], lettre 198) (Popoff, no 662).

Appel a minima : « appel que le ministère public interjette quand il croit que la peine appliquée est trop faible » (Littré DLF).

13.

Patibulaire : bonne pour être pendue au gibet (patibulum, en latin, traverse d’une croix).

Sellette : « petit siège de bois sur lequel on fait asseoir les criminels en prêtant leur dernier interrogatoire devant les juges ; ce qui ne se fait que quand il y a contre eux des conclusions des procureurs du roi à peine afflictive [corporelle], car hors de cela, ils répondent debout derrière le barreau. L’interrogatoire sur la sellette est la pièce la plus essentielle de l’instruction d’un procès criminel » (Furetière).

14.

« intègre et pur de tout crime » (Horace, Odes, livre i, xxii, vers 1).

15.

François-Théodore de Nesmond (1598-Paris 15 novembre 1664), seigneur de Saint-Disan, Combron, etc., était fils d’André de Nesmond, premier président au parlement de Bordeaux en 1610, et d’Olive Aste. Il avait commencé sa carrière comme conseiller au parlement de Bordeaux, puis été nommé maître des requêtes en 1624, année où il avait épousé Anne de Lamoignon, sœur de Guillaume de Lamoignon, futur premier président au Parlement de Paris. Surintendant de la Maison du prince de Condé et conseiller d’État, Nesmond était devenu président à mortier au Parlement de Paris en 1636, en survivance de son beau-père, Chrétien de Lamoignon. Réputé pour son talent oratoire, le président de Nesmond prit la tête des plus importantes députations du Parlement vers le roi pendant la Fronde (Popoff, no 127, et G.D.U. xixe s.).

16.

Journal de la Fronde (volume i, fo 43 ro, Paris, 11 juin 1649) :

« La prison de l’avocat Bautru, accusé d’avoir fait libelle contre M. le Prince intitulé Discours sur la députation du Parlement, a fait assez de bruit pour en remarquer les circonstances. Le 4 du courant il fut jugé au Châtelet suivant la lettre de cachet du roi envoyée pour cet effet au lieutenant civil, et il fut dit qu’il serait plus amplement informé contre lui et que cependant il serait élargi des prisons à sa caution juratoire ; mais le procureur du roi de cette juridiction, qui avait conclu à la mort, se rendit appelant a minima de cette sentence au Parlement où cette affaire fut jugée le 9. Ledit Bautru ayant été interrogé dans le barreau, contre l’avis du président de Maisons qui voulait que ce fût sur la sellette, et s’étant justifié de n’avoir composé ni fait imprimer le libelle, la sentence fut confirmée et ordonné qu’à cette fin, il serait élargi à sa caution juratoire et celle de sa femme, ce qui fut ainsi exécuté, et il fut aussitôt mis en liberté. M. le Prince avait déclaré deux jours auparavant qu’il ne prétendait rien contre ledit Bautru. »

17.

« Je n’envie point son bonheur, je m’en étonne plutôt » (Virgile, Bucoliques, églogue i, vers 11). V. précédentes lettres à Charles Spon et à André Falconet au sujet de cet imposteur qui avait voulu se faire passer auprès d’eux pour un fils de Guy Patin.

18.

« sous un nom d’emprunt. »

19.

Siméon Courtaud, professeur de médecine en l’Université de Montpellier et ami de Charles Spon, s’il a jamais vraiment eu l’intention de l’écrire, n’a pas publié l’ouvrage dont Guy Patin se flattait ici.

V. note [19], lettre 128, pour son discours de 1644, en faveur de Théophraste Renaudot contre la Faculté de médecine de Paris et son doyen, Michel i de La Vigne.

20.

Robert i Miron (vers 1566-1641), seigneur de Tremblay et de Sève, petit-fils de François i et neveu de Marc (v. note [6], lettre 550), était fils de Gabriel ii, frère de François ii et père de Robert ii (v. note [9], lettre 82). Reçu conseiller au Parlement de Paris en 1595, il devint président aux Requêtes du Palais, conseiller d’État en 1604, avant d’être élu prévôt des marchands de Paris pour deux ans en 1614. Président du tiers état aux états généraux de cette même année, il y défendit avec vigueur et succès la cause du gallicanisme (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit). Louis xiii le choisit pour être son ambassadeur en Suisse (1617-1627) avant de l’envoyer comme intendant en Languedoc (J.‑M. Constant, Dictionnaire du Grand Siècle, et Popoff, no 1771).

C’est à la mère de Robert i Miron, née Madeleine Bastonneau, que remonte le cousinage ancestral entre Jeanne Janson, épouse de Guy Patin, et les Miron (v. note [9], lettre 10).

21.

V. notes : [49], lettre 176, pour l’Ophtalmographia de Vopiscus Fortunatus Plempius (Louvain, 1648) ; et [4], lettre 98, et [6], lettre 143, pour les deux thèses de Guy Patin, Estne totus homo a natura morbus ? [Par nature, l’homme n’est-il pas tout entier maladie ?] (1643) et Estne longæ ac iucundæ vitæ tuta certaque parens sobrietas ? [Une sobriété prudente et déterminée n’est-elle pas la mère d’une longue et agréable vie ?] (1647).

La remarque de Patin permet de dater le début de sa correspondance avec Plempius, mais il n’en subsiste aucune lettre antérieure à 1656.

22.

« et lui-même catholique ».

23.

« les raccourcis sont des pertes de temps » (adage attribué à Edward Coke, juriste anglais, 1552-1634). V. note [23], lettre 104, pour l’épitomé de la Médecine pratique Sennertus.

24.

La Praxis Medica [Pratique médicale] de Lazare Rivière (v. note [5], lettre 49) a entre autres été rééditée à Lyon en 1649 chez Jean-Baptiste Devenet (v. note [9], lettre 207).

25.

« il en contient trop peu sur la nature, les causes et les signes des maladies ; mais beaucoup trop sur les formules des remèdes. »

26.

Alexandre Fichet (Le Petit-Bornand, Savoie 1589-Chambéry vers 1661) s’était fait jésuite en 1607 et avait professé la rhétorique puis la philosophie au Collège de la Trinité de Lyon où pendant sept ans, par sa parole et par ses livres, il avait déployé un zèle infatigable pour l’enseignement et s’était acquis une réputation méritée de profond savoir. Il fut, pendant 30 ans, l’un des prédicateurs les plus suivis.

Du P. Fichet, venait d’être publiée une nouvelle édition d’Arcana studiorum omnium methodus et Bibliotheca scientiarum librorumque earum ordine tributorum universalis [Méthode sûre de toutes les études, et Bibliothèque universelle des sciences et leurs livres suivant l’ordre de leurs contributions] (Lyon, Guillaume Barbier, 1649, in‑fo), qui est un répertoire critique des œuvres pour ceux qui veulent s’initier aux secrets de la connaissance.

27.

Ficher : « enfoncer par la pointe » (Furetière) ; avec médiocre jeu de mot sur Fichet…

28.

« Saluez-le, s’il vous plaît, de ma part. »

29.

Patenôtre (de Pater noster) : chapelet et par extension, toute sorte de prières.

Le 3e et dernier livre de l’ouvrage de Fichet est intitulé Classes scientarum et authorum [Classification des auteurs et des sciences]. Le chapitre v (pages 380‑396) en est consacré à la médecine. C’est une brève description de chacune de ses parties sans grand relief, ni parti pris en faveur de l’une ou l’autre manière de la pratiquer. On remarque (page 393) la Praxis Medica de Rivière (v. note [5], lettre 49) dans le long recensement des authores qui curriculum universum emetiuntur devorasse [auteurs qui dispensent d’engloutir l’ensemble du sujet] qui occupe les cinq dernières pages de ce chapitre.

30.

« si ça ne vous dérange pas ».

31.

Allusion à la réunion commerciale, qui allait s’avérer très fructueuse, des deux libraires lyonnais Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, son beau-frère. Leur officine, à l’enseigne de La Sphère, se tenait rue Mercière (v. note [107], lettre 166), tout près du logis de Charles Spon.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 7 juin 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0180

(Consulté le 24/04/2024)

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